L'historien Gilbert Meynier parle ici du livre de Mohand Zeggagh, un maquisard de la première heure, infatigable organisateur et surtout pensionnaire des prisons de Fresnes, de la Santé, et plus longtemps de
Loos les Lille où il fut le plus jeune prisonnier FLN ; il fut libéré
suite aux accords d’Évian après le cessez-le-feu du 19 mars 1962.Un parcours bien singulier d'un jeune Algérien que ni les brimades, ni les privations, ni l’emprisonnement ne parviendront à faire fléchir. Un parcours atypique, des témoignages aux meilleures sources, une reconnaissance bien tardive au moment où l'Algérie est censée commémorer l'entame de la seconde moitié de siècle de son indépendance retrouvée...un double hommage à l'auteur et au combattant, mais aussi à l'infatigable Gilbert Meynier qui nous dit tout le bien qu'il pense de ce livre témoignage à nul autre pareil...et puis cette histoire des 3 prénoms, Mohand, celui de l'état civil, Tahar celui de la clandestinité durant la guerre de libération et enfin Rachid celui de l'après coup d'état du 19 juin 65 de Boumediène et de Bouteflika, dans le désordre...3 identités pour un seul but, la liberté de vivre, de dire et de lutter pour ses droits fondamentaux...pour en savoir davantage, voici un lien où vous pourrez voir et entendre Mohand, Tahar et Rachid parler avec humilité de ses années de lutte....avec pour témoin Benjamin Stora...on y apprend également le rôle humanitaire de la Cimade et l'apport inestimable du CICR dans l'accompagnement et le soutien des prisonniers politiques Algériens...il s'agit là d'un autre volet, souvent oublié, de la solidarité multiforme et multi-ethnique dont aura bénéficié le combat pour la liberté...un livre à lire et à offrir aux jeunes d'Algérie et d'ailleurs...
ZEGGAGH Mohand, dit Tahar, dit Rachid(1), Prisonniers politiques FLN en France pendant la guerre d’Algérie 1954-1962. La prison, un champ de bataille,
préface
de Mohammed Harbi, Paris : Publisud, 2012, 364 p.
une contribution de
Gilbert Meynier, Historien
Ce
livre-mémoire est fondé sur des lectures, des souvenirs personnels et des interviews
d’acteurs et témoins de la guerre de libération algérienne(2). Né à Tamassit au
cœur de la Kabylie en 1938, Mohand Zeggagh (MZ) vécut au départ à Boufarik, dans
la Mitidja. Son père, un paysan pauvre, avait dû émigrer en France moins d’un
mois après sa naissance. MZ passa les huit premières années de sa vie chez ses
grands parents maternels à Boufarik - son grand-père était boulanger, et il y
fit ses deux premières années d’école primaire. Il y fut giflé par un riche colon
pour avoir cueilli des roses de son jardin qui débordaient sur la rue pour les
offrir à son adorable jeune institutrice française. Rentré de France en 1946,
son père lui ordonna de cracher sur son grand-père pour le dissocier de sa
famille maternelle, et de sa mère. Il refusa et il dut rejoindre sa Kabylie
natale - à la fin de sa scolarité primaire, il y obtint le certificat d’études
français. Sa mère, de son côté, peu après son retour, au motif de lui laver les
jambes, le pinça rageusement jusqu’au sang ; maltraitée pas son mari,
elle quitta le foyer conjugal en 1947 pour se réfugier à Boufarik. Révolté
contre son père (« une révolte qui vient de loin »), il ne put avoir
des nouvelles de sa mère qui l’avait pourtant maltraité qu’en catimini par un
réseau de femmes, MZ souffrit aussi d’être en terroir berbérophone : son
identité kabyle fut violemment contestée par les jeunes de son âge avec qui il
échangea maints horions : il avait passé sa prime jeunesse dans la Mitidja
arabophone. En fait, MZ devint un trilingue arabe-berbère-français, partisan du
multilinguisme en Algérie.
Années
cinquante : sa vie s’écoula avec en arrière-plan les premiers maquisards
du PPA-MTLD auxquels les gens du village donnaient couvert et gîte ; il se
rappelle l’attentat contre un caïd, et il a en mémoire l’atmosphère explosive subreptice
qui précéda l’infijār du 1er novembre 1954. En 1953 -il avait
à peine 14 ans -, il fut envoyé par son père en France pour y faire des études.
En fait, l’oncle paternel qui l’accueillit le fit travailler dans so,
café-restaurant de Nanterre. Déterminé à s’en libérer, il travailla à l’usine
Behin de Genevilliers(3) en falsifiant son acte de naissance car il était trop
jeune pour se faire embaucher. Il y découvrit le syndicalisme, s’y initia à la
revendication, il se joignit au défilé du 1er mai 1955 où les CRS pourchassèrent
à coups de matraques les manifestants algériens. Engagé au FLN à 16 ans, il se
souvient des débats qu’il suivit avec passion, animés par de vieux militants du
PPA-MTLD, notamment par Rabah Serbah qui le marqua, et il fut admis à 18 ans à
l’OS (Organisation Spéciale) de la Fédération de France de FLN.
En
1957, il est arrêté et emprisonné - à Fresnes, à la Santé, et plus longtemps à
Loos les Lille où il fut le plus jeune prisonnier FLN ; il fut libéré
suite aux accords d’Évian après le cessez-le-feu du 19 mars 1962. En prison, il
prépara par correspondance le BEPC auquel il fut reçu ; et à Alger, après
1962, il réussit au baccalauréat français auquel il s’était présenté en
candidat libre. Après sa libération, suite à un retour à risques via Lambèse,
dans le Sud Constantinois, où les Français l’avaient débarqué, il parvint à
déjouer les barrages illicites de l’OAS pour gagner Alger où il rejoignit un grand
oncle qui habitait la Casbah. Il s’engagea à la Zone Autonome d’Alger du FLN
dans la lutte contre l’OAS. Puis il fut nommé conseiller du secrétaire général
du FLN Hadj Benalla, qui fut aussi président de la première assemblée nationale
- son parcours n’était pas sans
ressemblance avec celui de MZ. Il reprit le chemin de l’exil après le coup
d’état de Boumediene du 19 juin 1965. Dans son parcours itinérant, il échoua à
Moscou où il resta de 1969 à 1972; il y reprit des études, avant de s’établir à
Paris de 1972 à 1976. Il y étudia à la fois à la Sorbonne et à l’EHESS(4), il
suivit notamment les séminaires de Pierre Bourdieu et de Pierre Vilar, directeur
d’études à l’EHESS et professeur à la Sorbonne. Sous sa direction, il prépara
un DEA, puis il soutint une thèse de 3ème cycle de sociologie à
l’université de Paris I-Panthéon Sorbonne sur « Émigration algérienne et classes
sociales » - il fut ensuite chercheur postdoc. Plus largement avide de
savoir, MZ avait beaucoup lu en prison, même si avant l’obtention dans l’été
1959 du régime « A » des prisonniers politiques, étaient interdits
Hugo, Zola, les écrivains de la France des Lumières... Mais, lorsqu’il le put
le lire, il se passionna pour Le Contrat social de Rousseau.
Ensuite, il ouvrit en partenariat avec l’Afrique noire un bureau d’études
socio-économique qui périclita faute de moyens ; puis il fut embauché par
diverses entreprises et il dirigea un temps la Société d'économie mixte d'aménagement et
d'équipement d’Orly.
Le
récit de MZ fait ressortir ce que fut le système colonial au paroxysme de la confrontation sanglante de 1954-1962.
Racistes étaient bien sûr les Français d’Algérie ; mais même si, pour
n’être pas en première ligne de la barrière coloniale, la société française de
l’hexagone l’était moins démonstrativement, le racisme y existait bien aussi,
MZ en donne maints exemples poignants. On ressent l’inhumanité du régime
carcéral des quartiers de haute sécurité (QHS), on perçoit les discriminations
et humiliations en continu, le traitement cruel des détenus, on éprouve combien
dures furent les grèves de la faim entreprises pour que leur soit conféré un
statut de prisonniers politiques. Elles aboutirent après cinq ans de lutte à la
circulaire du 4 août 1959 du directeur de l’administration pénitentiaire qui
définit les dispositions de ce régime dit « A » (5). Mais la
vigilance resta de mise pour le faire effectivement appliquer : il y eut
d’autres grèves de la faim, en 1961 encore, jusqu’à la circulaire du garde des
sceaux du 4 novembre 1961 qui en prescrivit « la stricte
application ». En tout cas on se rend compte de ce que durent endurer les
détenus pendant les grèves de la faim dont l’une dura près de trois
semaines : outre la sensation de faim, de douloureuses contractions du
système digestif et les affres que suscitaient les résultats aléatoires de
l’action entreprise. Le livre de MZ évoque aussi nombre d’ingénieuses
tentatives d’évasion à hauts risques, dont quelques unes réussirent, ainsi que
la répression abattue sur les prisonniers - le « mitard », le régime
du lait qui remplace l’eau, la dissémination des détenus de la Santé et de
Fresnes dans une vingtaine de prisons de la région parisienne, et aussi les
2 000 condamnations à mort - plus de 200 furent exécutées quand près de 1 600
condamnés « ont connu les affres de l’attente dans le couloirs de la
mort » avant l’amnistie gaullienne, sans compter les camps de regroupement
et d’enfermement…
Mohand Zeggagh à France Culture |
On
voit que ce « self made man » (M. Harbi), au travers d’un
parcours d’engagement, de prison et d’exils, eut un itinéraire qui rompit tôt
avec son milieu d’origine. Tant les réseaux militants que le monde politique et
l’univers carcéral, puis l’université, furent pour lui une manière de famille
de substitution. On saisit qu’il fit son apprentissage plus comme partisan
activiste que comme militant politique : en France, il ne connut guère que
le FLN et il y fut confronté à des conflits, notamment entre le FLN et le MNA
messaliste - celui-ci était, idéologiquement et stratégiquement, assimilé par
celui-là à la France. Du MNA, MZ retint certes quelque peu la vision
dichotomique normée d’un FLN manichéen, mais elle ne lui interdit pas de
concevoir un nationalisme à dimensions plurielles. Le lecteur perçoit son
évolution en prison, où exista une certaine égalité entre prisonniers, et ce
que l’auteur dénomme leur « auto-organisation ». Mais il constate que
les détenus arrêtés parce qu’« étudiants » n’étaient en fait pas des
étudiants ; mais qu’ils aspiraient à se poser en intellectuels afin d’obtenir
des avantages, pour eux exclusivement. MZ fut rebuté par ces prolégomènes de la
hiérarchie d’appareil qui allait s’installer au faite du pouvoir de l’Algérie
indépendante.
Mais,
paradoxe, il fut tout jeune élu délégué pars ses camarades prisonniers, du fait
probablement de son instruction, et il devint tôt un cadre du FLN. Ceci dit,
progressivement, puis rétrospectivement, il perçut l’importance de la vision
politique de l’histoire, son livre l’indique au lecteur. En prison, l’alphabétisation
entreprise pour des détenus à 80 % illettrés fut davantage entreprise pas des
militants de base que par le FLN, même s’il la cautionna. Plus largement, ressort
de ce livre que la socialisation et l’acculturation s’opérèrent plus par le
bas, en marge de l’appareil FLN. Dans la hantise d’effriter la cohésion du
Front, le FLN ne fut guère promoteur d’éducation politique, et ce ne fut que
progressivement que se firent jour des interrogations - les études entreprises
par MZ n’y furent pour lui pas pour rien. Après l’indépendance, il adhéra à
l’ORP, puis au PAGS(6). Il écrit sans ambages qu’il avait réfléchi à la
religion et qu’il avait assez tôt douté de Dieu, ce qui n’était pas très
catholique dans une Algérie qui tomba dans les années soixante sous la coupe de
l’obscurantisme d’État du stalino-arabo-islamique système boumédiéniste dont
l’idéologie et les messages corrélatifs de l’école et des manuels d’histoire ne
furent pas pour rien dans la formation, le formatage, des futur FIS, GIA et autres
AQMI…, sans parler des FLN intégristes comme Abdelaziz Belkhadem(7).
Dans
le livre de MZ, on apprécie les photos, particulièrement celles de ses
camarades détenus, les gravures sur les évasions, les tableaux statistiques et graphiques,
notamment sur le nombre de prisonniers algériens, des notices sur des
personnages cités dans son œuvre, le tableau des principaux sigles cités qui
éclairent le lecteur non spécialiste ; mais il manque un index des noms
propres et la bibliographie aurait pu être plus étoffée. Ceci dit, ce livre est
riche d’apports sur la politisation et l’acculturation du monde des détenus
d’Algérie, et plus largement sur le poids du passé sur les Algériens, sur
leur devenir pendant la guerre de libération, voire sur leur futur. De tels riches
mémoires de témoins sont importants pour l’historien qui sait que les archives
ne sont pas toujours au rendez-vous - tant côté algérien que français -, et
plus largement pour un public en soif de savoir. On termine sa lecture avec
l’espoir que la montée exponentielle de la « mondialisation » en
cours puisse ne pas être qu’un partenariat de rentes plus soucieux de profits
que de la socialisation éclairée d’une universalité d’humains, trop souvent
entre eux affrontés, pris ici et là dans des engrenages de protestation
régressive, mais dont, en vue d’un futur enviable, les préoccupations, les
désirs et les valeurs de fond ne peuvent que se rejoindre. In shā’a al-shacb !(8).
Gilbert Meynier
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1-Tahar est le premier pseudonyme FLN de Mohand Zeggagh ; en
prison ses codétenus l’appelaient « Bambino », titre du grand succès
de la chanteuse italo-égyptienne Dalida qu’il aimait chanter ; et Rachid
fut le nom qu’il prit après son départ d’Algérie suite au coup d’état du 19
juin 1965.
2- Au total, plus de trois
dizaines, faites de 2008 à 2010, d’anciens cadres et dirigeants FLN, d’avocats
et d’autres témoins engagés.
3-Elle fabriquait fûts, bidons,
plaques de tôle et autres pièces de métal servant à la fabrication
d’armes..
4- École des Hautes Études en
Sciences Sociales
5- Les détenus « A »
pouvaient désormais s’abonner à trois journaux, à l’exception de L’Humanité et
de Libération, recevoir des colis
de la Croix Rouge et autres organisations humanitaires, organiser des
« groupes scolaires par groupes restreints » de cinq personnes
maximum avec des enseignants, bénévoles ou pris dans leurs rangs, et aussi organiser
des prières le vendredi, là aussi en
« groupes restreints ».
6- Respectivement
Organisation de la résistance
populaire, créée clandestinement par Mohammed Harbi et
Hocine Zahouane au lendemain du coup d’État de juin 1965 et Parti de l'avant garde socialiste, fondé début 1966 par Bachir Hadj Ali
et dirigé par Sadek Hadjeres, en continuité avec l’ex-PCA (Parti communiste algérien),
interdit et dissout en 1964 sous Ben Bella.
7- Promoteur du code de la famille
de 1984, l’un des plus réactionnaires du monde musulman, président du Parlement
en 1990-91 - il y rendit obligatoires prières et lectures du Coran - et premier
ministre de Bouteflika de 2006 à 2008.
8- Si le peuple le veut !
bonjour,
RépondreSupprimerpourrais-je avoir l'email de ce monsieur. j'ai une histoire à lui raconter de mon père qu'il pourrait avoir côtoyé.
Merci