dimanche 7 juillet 2013

Le triste bal des Invalides

 En réplique à la patriotique de saillie de Mohamed Mechati, dont ce blog s'est fait l'écho (http://boussayar.blogspot.com/2013/07/seule-la-verite-est-revolutionnaire.html), voici une autre belle et subtile contribution du Moudjahid Mohamed Chebila, reprise à partir du Soir d'Algérie. L'auteur, dans un style voltairien, s'applique à disséquer les dérives d'un clan sans scrupules et sans morale. Avec des mots d'une grande sagacité, le vieux combattant de la guerre d'indépendance, dresse un état des lieux catastrophique mais pas désespéré du pays. Fin connaisseur de la scène et de la mise en scène, il n'épargne ni Bensalah, ni Sellal...seuls les généraux Tewfik et Gaïd Salah sortent du lot, le premier est le chef du DRS et le second Chef d'Etat Major de l'Armée...ils sont pratiquement présentés, ce qui à mon sens n'est pas faux, comme de dignes patriotes...Dans un humour digne des grands chroniqueurs du siècle des lumières, Mohamed Chebila donne une description sans complexe de l'état de la république, celle dont le premier magistrat coule des jours heureux dans un hôpital militaire de l'ex puissance coloniale. En effet, l’Hôtel des Invalides ou Institution nationale des Invalides a été construit par Louis XIV, le Roi Soleil, entre 1670 et 1679, pour «ACCUEILLIR CEUX QUI ONT EXPOSE LIBREMENT LEUR VIE ET PRODIGUÉ LEUR SANG POUR LA DÉFENSE ET LE SOUTIEN DE NOTRE PAYS», selon l’édit royal ayant motivé et annoncé sa création.
Cette institution est
aujourd’hui un établissement médical de pointe spécialisé dans la prise en charge des blessés de guerre et du grand handicap, elle se divise en trois centres complémentaires : le centre des pensionnaires, le centre médicochirurgical et le centre d’études et de recherche sur l’appareillage des handicapés. Le site est placé sous la tutelle du ministre délégué auprès du ministre de la Défense, chargé des Anciens combattants. Lui même étant fils de harki...c'est là que l'auteur de la célèbre "3Alamtana kaïfa tamoutou Erridjel" ( tu nous a appris comment meurent les hommes) prononcée sur le cercueil de feu Houari Boumediène...


 

                             Le bal des mots dits
                    Par Mohamed Chebila, moudjahid

Je dédie cet essai, inspiré par les images grotesques et révoltantes d’une réunion du sommet de l’Etat tenue dans un hôpital militaire français, placé sous la tutelle de Kader Arif, fils de harki, au moudjahid Gaïd Salah, l’un des bâtisseurs infatigables de l’ANP, le talentueux chef de la 36e brigade au temps héroïque du plateau de Tindouf, le chef d’état-major clairvoyant et courageux qui a refusé le chantage de Tiguentourine.

Qu’avais-je besoin moi, depuis longtemps convaincu de l’inanité du bruit et essayant de vivre paisiblement en retrait du monde, de rechercher la comparaison drolatique du jeu de la marguerite pour décrire la vilaine actualité que connaît notre pays ? Mais quand le loufoque le dispute au grotesque, le seul genre qui convient est celui de la farce. L’exercice de communication, en trajectoire de crabe, pour parler du malade guéri plusieurs fois, mais qui s’obstine à rester à l’hôpital, a définitivement ridiculisé les fondés de parole du régime. A l’appui du mot MENSONGE en huit lettres capitales, ont été déployées des petites phrases au ton péremptoire, des explications alambiquées et, faute d’avoir pu convaincre, des poursuites judiciaires contre des journalistes, et, pour finir, des insultes et des menaces. Dans l’ordre de l’entrée sur scène, d’abord un médecin dans le rôle peu glorieux du faussaire de diagnostic, puis Sellal, le dernier jeune premier, qui illustre avec gouaille sa fonction de diseur de la vérité du jour et qui s’embrouille dans ses dires. Splendeur de la communication gouvernementale ! Ensuite Medelci qui panurge à la façon du très agité Dany Boon : «Tout va bien, tout va bien, tout va bien» et enfin Bensalah avec son inconvenante adresse aux populations algériennes : «Ne nous parlez plus de ce qui nous fâche.» Il dégaine, celui-là, du haut de son podium, contre tous ceux dont la voix perturbe le ronron soporifique de la rengaine officielle. Que de mots féroces dans une bouche aussi distinguée : «commerçants de la spéculation», «tanières», «égoïsme», «catastrophe» et j’en passe. Monsieur Bensalah dit, à haute et méchante voix, à la presse de ne plus informer, aux partis politiques de s’occuper d’autre chose que de politique et au peuple de se la fermer. Son immense inconséquence m’oblige à lui rappeler l’article premier de la bienséance. Il commande à un hôte bien élevé, chanceux à la loterie, vêt par un incroyable miracle des fastes pourpres de la République, de respecter la réserve qui s’impose quand on est dans une maison où on est rentré par accident. Vous savez donc qui «investit dans la maladie du président de la République», Monsieur Bensalah, et vous savez sans doute aussi qui a investi l’Algérie en passant par le canal discret d’un guichet administratif. Ce sont des mots outranciers, pareils à ceux dont vous usez à l’égard des Algériens, qui ont fait bondir, jadis, un enfant authentique de nos montagnes, avec un cinglant : «Je suis né dans le Djurdjura, moi !» Docteur Sadi, tu nous manques. sellal et medelci ! Fautes de majuscules ? Oui, faute de majuscule, l’ombre portée d’un nom devient minuscule. Sa taille est tributaire, non de la place du soleil dans le ciel, mais de la posture qu’il affiche sous le même soleil. Au pays du ridicule qui tue la République, Hadj Moussa et moussa hadj n’ont pas la même face dupliquée. Mourad et mourad ou Sellal et sellal se prononcent pareillement, mais ont des visages différents, celui que reflète le côté poli du miroir et celui que révèle le côté terne du même miroir. Vous avez assez dit de non-vérités, chers ministres, pour qu’on regarde votre dimension à travers l’autre bout de la lunette.

Dieu que la providence fait quelquefois bien les choses. Elle impose cette vérité commune que : «Les rois sont ce que nous sommes et qu’ils meurent comme nous.» Si ma mémoire est bonne - Bensalah, le spécialiste en sermons, corrigera éventuellement - c’était Bossuet qui s’adressait ainsi à un autre : «L’Etat, c’est moi !» «L’Etat, c’est moi», a dit, à Sétif, «tab djénenna» et Dieu l’a pris au mot. Puisque vous vous insurgez contre l’implacable volonté divine et que vous refusez les aléas de la condition humaine, faites voter une loi, Monsieur Bensalah, vos mécaniques huilées des deux Parlements fonctionneront à l’unisson. Interdisez, législativement, aux caillots vulgaires de s’attarder dans les artères augustes, et tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes. Nul n’est mieux placé que vous pour expliquer au bon docteur Coué comment devenir algérien. Monsieur, courte mémoire, vous souvenez-vous des télégrammes de félicitations que vous adressiez, d’Arabie Saoudite, à Abassi Madani et à Ali Belhadj après la victoire annoncée de leur parti aux législatives de 1991 ? Vous n’investissiez alors que dans «la maladie» de l’Algérie. Ce n’est pas très grave. Messieurs nos journalistes, passez outre les interdits de ceux qui tremblent déjà à l’annonce de la fin de leurs indues sinécures et qui, de leurs voix asexuées, vous lancent des anathèmes. Continuez à parler des apprentis princes dans la nudité obscène de leurs mensonges. Ne souffrez plus leurs insultes en silence. Burinez à l’encre de Chine leurs bedaines et leurs doubles mentons. Les caricatures dont vous les affublez sont plus ravageuses que celles des gueules cauchemardesques qu’esquissait jadis le génial Goya. Ils feignent l’indifférence, mais vos plumes féroces les empêchent de dormir. Chroniqueurs talentueux et courageux, vous apportez, chaque matin, un souffle consolateur à nos cœurs endoloris. Chapeau bas monsieur le collectionnaire émérite des masques ôtés (pardon, au «thé») et un verre, du même samovar, en l’honneur de l’homme au scalpel aiguisé et tranchant, le «point zéro», exilé au sud-ouest de la dernière Carte du pays. Page dernière, Carte ? Oui, assurément, vous êtes messieurs, avec vos compagnons non enbeddedés, la dernière carte, l’ultime atout, le dernier rempart de l’Algérie. A défaut de pouvoir les renverser d’un coup, allez-y, démolissez-les chaque jour un petit peu. C’est déjà ça de gagné. Je ne sais pas quelle est la teneur des rapports de leurs indics sur le moral des populations. Dites dans vos pages et répétez-le chaque jour, que les Algériens se marrent, douloureusement, mais ils se marrent, dites-leur que les Algériens rient aux éclats en les regardant s’adonner au jeu idiot de la marguerite. Malade, un peu, beaucoup, passionnément ou à la folie ? L’arène politique est devenue le théâtre de guignols. Un jeune premier dans le rôle de l’ingénue, un souffleur dans sa trappe pour la mise en «Seine», un malade dont on ne sait plus quoi dire, une caméra savante pour une séquence de café maure et à l’arrière-plan des lansquenets sourds-muets. Monsieur le jeune premier, vous qui connaissez toutes les histoires drôles d’Algérie, et depuis le 27 avril, celles de France et de Navarre, dites-nous, est-il vrai, à propos d’arabica, que la petite tasse, l’héroïne centrale de la séquence des Invalides - la tasse qui parle - désormais plus célèbre que le vase de Soisson dont des répliques authentiques encombraient le fameux salon- est-il vrai qu’elle a été subtilisée par une infirmière militaire et proposée, une fortune, pour la prochaine vente chez Sotheby’s ?

Vous êtes, monsieur le jeune premier, engagé de la place de la Concorde à Tamanrasset, dans un exténuant marathon. N’en faites pas trop. Le saut à l’élastique est un exercice dangereux dans les 18 mètres du Méchouar. La roche tarpéienne affleure sous le satin des mots. Machiavel lui a consacré une page dans son traité sur l’ambition : «Le syndrome de Venvliss». Ce virus, terriblement contaminant, a déjà eu raison de vos naïfs prédécesseurs. Vérifiez bien vos attaches avant de tenter le saut de la mort. Vérifiez que votre fil à la patte est bien solide. Me pardonnerez-vous si je vous faisais une confidence ? On vous aime bien, monsieur le jeune premier. On aimerait bien que vous nous restiez. Nettoyez le chenil d’Augias, tant que vous avez encore les mains libres, et on collera votre portrait sur nos pare-brise. La place, sur les façades, est déjà occupée. Soyez prudent quand même. Gardez-vous de penser, en vous rasant le matin, qu’il quittera le pouvoir tantôt. Mort peut-être. Quoique, je n’en suis pas si sûr. Dans son cercle éploré, on connaît parfaitement l’histoire de Jane la folle, cette reine de France, veuve d’un Louis millésimé (appelé, lui aussi, le fainéant) dont elle trimballa la dépouille mortelle de bourgs en enceintes et d’enceintes en donjons, jusqu’au jour où elle arriva à Sainte-Anne-des-Cinglés. Surveillez bien les sunlights qui brillent aujourd’hui pour vous, ils peuvent se transformer n’importe quand en becs de gaz. Vous étiez de sortie dans l’Est algérien, dans un de ses hauts lieux : Souk-Ahras. Le lendemain - hasard du calendrier lunaire - j’ai mis mes pas dans les vôtres. Un pèlerinage annuel pour moi. L’avant-Ramadan est propice pour «l’aâoula» de blé vert cuit dans ses langes de paille sur la braise des genévriers qui lui donnent sa saveur particulière, propice aussi pour le miel élaboré dans le creux discret des troncs des chênes zéen des jungles vertes qui couvrent les monts des Ouled-Béchih. Ah, ces saveurs inoubliables du pays profond ! Je plaide devant un connaisseur. Votre nostalgie du «mardoud» le prouve à l’évidence. Mes anciens compagnons du maquis m’accueillent toujours généreusement. Je ne suis pas né à Souk-Ahras, mais c’est tout comme. Je suis un peu chaoui, un peu kabyle, un peu arabe. En fait, je ne sais pas précisément de quel terroir algérien je viens, et je m’en contre-balance. Je suis de tous les terroirs Algérie. Il y a suffisamment de types, chez nous, qui savent, eux, d’où ils viennent et qui le disent avec l’accent. Voir Souk Ahras et mourir ! Ne vous méprenez pas, monsieur le jeune premier. Je vous souhaite longue vie. (Mon vœu est à usage strictement personnel. Il ne concerne que vous). 

Donc Souk-Ahras ! Dans la périphérie de ma capitale d’adoption vivent encore quelques compagnons du temps où s’approcher de Souk-Ahras était défier la mort. Nous avons passé une soirée à évoquer des souvenirs épiques et nous avons fait quelques inconvenantes incursions dans des domaines qui, d’après monsieur Bensalah, ne regardent que le premier collège dont vous faites, tous les deux, partie. Après un fabuleux couscous, une sorte de «mardoud» du cru, et les petits-laits de circonstance qui l’accompagnent, parfaitement hallal (puisqu’ils remontent le moral), nous avons longuement parlé de vous. De ce que vous pouvez faire et de ce que vous n’oserez jamais tenter. Vous êtes un ancien de l’ENA, donc prudemment orthodoxe dans le plan de carrière que vous vous êtes tracé, dès le sevrage du biberon. La question est de savoir si vous êtes, malgré ce péché originel, un peu jésuite. Parce que vous aurez besoin de tout l’art des grands hypocrites de la célébrissime compagnie pour passer le grand péage qui ouvre l’autoroute. Dans le jeu de quilles où vous vous êtes fourvoyé, les tirs courbes vont pleuvoir et les snippers sont à l’affût. Gardez à l’esprit mon cours pratique sur les dangers du saut à l’élastique. Vous venez d’inaugurer votre délégation de signature en nommant un copain à Paris, en remplacement d’une vénérable momie.

Les gens jasent. Laissez dire. Vous avez eu la main heureuse. Prenez encore des initiatives de la même veine. Je ne sais pas ce que vaut le brave Bendjemaâ comme diplomate, mais je me souviens - je l’ai lu quelque part - qu’il a été le seul, qu’il est toujours le seul, à avoir osé tenir tête au «Le-Ministère-Des-Affaires-Etrangères-C’est-Moi». C’est quelque chose, en effet, de répondre au sultan comme Bendjemaâq, SG des AE, l’a fait. Revenons à Souk-Ahras. Les gens de Souk-Ahras, monsieur le jeune premier, sont de redoutables pamphlétaires, et en plus ils ont de la mémoire.

On se souvient de vous, là-bas, surtout comme le ministre des ressources hydrauliques qui a fait de l’eau - dans certaines ruelles du quartier de Tagtaguia on boit encore l’eau de la Medjerda ramenée dans des tonneaux - et comme le Premier ministre qui plaisante volontiers avec les choses sérieuses. D’où tenez-vous cet art de peopoliser avec autant d’inspiration, monsieur le jeune premier ? Un instituteur en retraite, un des ces parfaits intellectuels qui existent dans les bourgs les plus reculés de l’Algérie profonde et qui parle, avec la même érudition - la religion étant de mode - des visions doubles d’El Karadaoui ou des courtes vues d’ El Ghanouchi (c’est pour cela qu’ils rateront toujours l’Algérie) donc ce rat de bibliothèque, féru de langues anciennes, a découvert que Sellal vient de «tesslia», qui signifie amuseur public, en vieux breton. Le saviez-vous ? Sacrée soirée, comme dirait Jean-Pierre. Un vrai festival du rire. L’un de mes amis nous a proposé une méchante version de la visite de Terminator en Algérie. Le vice-roi Saïd l’aurait chargé de se rendre aux Invalides pour apprendre au désormais demi-président comment récupérer ses deux quarts de président liquéfiés. On met tant de choses sur le dos de l’infortuné Saïd, pourquoi pas celle-là ? Un autre des convives a expliqué le secret de de la longue présence de Bouteflika aux Invalides. Oserai-je simplement le répéter. Allez, va, puisque c’est pour rire : «La présence dans une crypte des Invalides des cendres de Napoléon.» Fixation centimétrique ou confusion des genres ? L’autre année, l’année où Hamed pouvait encore s’indigner, l’année du baise-main de Yacef et des sanglots de Benaouda, j’ai retrouvé Hamed alité. Deux médecins étaient à son chevet. De quoi s’agit-il, ai-je demandé aux hommes de l’art. «Le muscle cardiaque est solide», me répondirent-ils. «Ils ont raison, me dit Hamed. Je ne souffre pas du cœur. Je souffre terriblement au cœur. Tu le vois bien.» A partir de combien de grammes d’ambroisie devient-on nostalgique ? Hamed - quand on est à Souk-Ahras, c’est de circonstance, Hamed, mon voisin de cordée lors de l’ascension des massifs du Nord-Est, en 1958, sur ordre du colonel Bouglez, se mit à évoquer le passage des lignes fortifiées françaises par ces nuits de sang, de râles et de morts qui restent à jamais dans la mémoire d’un homme, à rappeler la grande bataille d’El Mouadjen où les régiments d’élite ennemis ont rencontré des Algériens, à parler des hauts de hurlevent - Kef Errih - où a sombré la meilleure de nos katibas, «la huitième» de Boumaâraf. J’y étais. A peine sept rescapés. ( Ce rappel, non pour un étalage de bons et loyaux services dans les rangs de l’ALN, mais pour dire que, «aïch fel faïda», je ne crains pas les tirs de ricochets). Ma déclaration de patrimoine tient en une ligne : un caniche, un vrai, un bahut récent et une petite pension. Pas de quoi rameuter le fisc ou convoquer à minuit la justice. Dans un hoquet étranglé, le vieux Hamed a ajouté, à voix basse comme pour lui-même : «Tout ça pour ça !» Faites quelque chose, monsieur le jeune premier, faites quelque chose afin que tout ce qu’a fait Hamed, afin que tout ce que j’ai fait moi, afin que tout ce qu’ont fait vos frères aînés, ait un sens. Faites quelque chose afin que plus jamais le portrait d’un type, à l’immense ego, ne cache la blancheur d’une façade. Dites aux Algériens : «Travaillez, prenez de la peine» au lieu de jouer à l’alchimiste providentiel qui se fait fort, en un tourne-main, de transmuter un derrick schisteux en silo à blé. Dites la vérité aux Algériens sur ce qui les attend après quatorze années de bazar, uniquement la vérité, et on oubliera que vous avez tenu, deux fois de suite, le chausse-pied à l’auguste pour qu’il rechausse ses hauts talons. Auguste ou l’auguste ? Encore une fois, tout est dans la majuscule, comme dirait Zavata. N’est-ce pas un peu de votre faute si les cartes étaient truquées et que nous avons tiré la courte paille ? Interdisez à Khalida, la versatile, de dépenser notre argent en «cachets» musicaux pour le sommeil du peuple et glissez-lui à l’oreille cette recette suisse : la culture d’un peuple commence par sa poubelle ! Lors de la prochaine mayonnaise gouvernementale, nommez Biyouna à sa place, le folklore sera mieux servi. Occupez-vous sérieusement de Chakib et de ses complices. Faites-le rire «john» le 50/50 américain. Plantez votre fanion sur l'affût du calibre 88 et tirez l’obus que le pays attend. Vous vous demandez si le «88» est un article de la Constitution ou un canon anti blockhaus, comme le fameux gun de la Wehrmacht ? S’il y a encore un artilleur dans le cockpit, il vous dira que c’est la même chose. Lisez soigneusement Badre Eddine Mili (Le Soir d’Algérie du 4 juillet ). Quel audit ! Merci, MONSIEUR. Et encore El Mili est de la vieille Constantine. Il est patricien de bonne lignée. Il sait être féroce, tout en restant bien élevé. Ses points sur les «i» sont petits, bien ronds, bien faits, précis, brillants, mais trop polis. Imaginez un peu s’il avait été de Souk-Ahras ! Une petite promenade dans la ville ravagée et il n’aurait pas trouvé le moindre petit bon point à concéder. Encore une supplique, monsieur le jeune premier, vos frères aînés moudjahidine vous l’adressent, décorez Mohamed Gharbi et rendez-lui sa kalachnikov ! Une question à propos de patriote intransigeant et décidé : Est-ce vrai que Khaled Nezzar était récemment en Égypte ? Vous dites «non» ? «SI SI», monte l’écho de la place-de-la-liberté.

L’embuscade des Invalides

Vous illustrez, monsieur le jeune premier, de belle façon, le sacro-saint slogan des régimes qui ont tant fait au pays : «Le changement (par l’escalier de service) dans la continuité (par l’esbroufe). Vous qui dites souvent les choses à travers l’artifice plaisant du conte populaire (quoique «boutika», «hmar miett» ou «haba tetzouizi bih» n’ont fait rire personne), pourquoi n’avoir pas raconté au brave géant Gaïd Salah, avant de l’entraîner dans l’embuscade des Invalides, encombré de bibelots fragiles, la mésaventure de l’éléphant fourvoyé dans un magasin de porcelaine ? Beaucoup ont trouvé matière à rire du spectacle. D’autres - et j’en suis - en ont eu les larmes aux yeux. Les éclats de la vaisselle brisée m’ont fait rougir du nif. L’armée algérienne, monsieur le chef d’état-major, a un caractère particulier. Ses uniformes d’aujourd’hui ont les mêmes couleurs que celui que nous - innombrables - portions hier. Ses forces vives sont dans nos profondeurs. Sa fierté est la nôtre et son honneur aussi. Le poste de responsabilité où vos nombreuses qualités vous ont mené pour veiller au bon ordre de ses phalanges est aussi le premier poste de veille pour la pérennité du lustre de son sigle originel : l’ALN. Une armée moderne est soumise aux dynamiques des changements et des évolutions. Elle est régie par des organigrammes précis et des canevas transparents. Ses chefs ne peuvent pas conclure de pactes non publiables, pour la longévité de leurs carrières, et les privilèges qui l’accompagnent, avec des hommes politiques faillis et s’accrochant jusqu’à la mort au pouvoir. Le seul pacte qui engage les chefs d’une armée comme la nôtre est celui que cette armée a conclu avec la Nation. C’est ce sentiment partagé par tous ses membres, qu’ils soient en retraite ou encore en activité, qui forge sa cohésion. Hier, mue par la conviction que l’Algérie, née de la révolution de Novembre, sera moderne et républicaine, l’ANP s’est opposée aux forces de la régression. Elle a vaincu les ligues coalisées contre elle - contre l’Algérie -grâce à la qualité de sa texture humaine. Cette solidarité indéfectible du peuple avec son armée a permis à ses chefs de rester droits dans leurs bottes quand les coquins et leurs coquettes les ont affublés de guillemets réducteurs et placés dans la case «janvier» du calendrier pour mieux souligner qu’ils ont agi à contre-temps du siècle et que leur intrusion, soudaine et violente, dans la sphère politique, a fait avorter «une révolution morale et sociale». Récemment, à Tiguentourine, c’est vous, monsieur le chef d’état-major - nous avons été fiers de vous et de vos hommes - qui avez pris la décision, en droite ligne de toutes les grandes décisions historiques de l’ANP, de refuser l’ignoble marché proposé à l’Algérie. Aujourd’hui, alors que la subversion armée que vous avez vaincue dans nos montagnes, campe à nos frontières, qu’elle recrute et qu’elle s’arme, demeurer aveugle, sourd et muet quand le ressort de la Constitution - et la simple morale - commande à l’ANP de voir et de se mouvoir, serait une impardonnable soumission à celui qui prétend faire jouer à cette dernière le rôle d’une phalange privée au service de sa personne. Quant à vous, monsieur le chef du DRS, faites confiance à la sagacité du vieux maquisard que je suis, ce ne sont pas les accusations de connivence et de collusions avec les voleurs qui risquent de vous atteindre. Vous êtes, par votre nature, modeste dans vos besoins et méprisant des biens matériels. Et vous avez, en l’occurrence, tout fait pour amener les politiques à assumer leurs responsabilités. Personne ne peut soutenir le contraire. Je ne me suis jamais assis à votre table et vous ne m’avez jamais vu, milord. Je n’ai jamais rencontré vos ombres dans la nuit, mais j’atteste de votre probité. Moumen Khalifa était à l’époque encore fréquentable sur les hauteurs de la ville. J’étais un jour chez lui quand il a reçu un avis. «Tiens-toi loin des miens !» était la substance du message comminatoire, par vous écrit et enveloppé dans une caissette pâtissière artistement décorée. (Les initiés savent de quoi il s’agit).

Le golden-boy blêmit et se le tint désormais pour dit. Ce qui serait dommageable pour votre image de marque - elle nous importe plus que vous ne l’imaginez - c’est de donner du crédit aux assertions de ceux qui affirment que vous obéissez à un indu fondé de pouvoir de l’institution présidentielle. Demain, face aux désordres de la rue que sont en train de provoquer, encore une fois, ceux qui placent l’amour du pouvoir avant l’Algérie, le sentiment que vous inspirerez sera déterminant pour le succès de vos efforts pour sauver encore une fois le pays. Souvenez-vous, lorsque votre engagement, et celui de vos compagnons, pour la défense de l’Algérie vous ont valu les accusations, les imprécations et les haines, souvenez-vous de la mobilisation de l’immense majorité des Algériens à vos côtés. Veillez sur cet inestimable pécule de respect et de confiance en démontrant que vous êtes, plus que jamais, la sentinelle en avant-garde UNIQUEMENT de la République. Et rien d’autre. Certains diront : «Tiens, Chebila fait partie de la confrérie ! » Je réponds et j’assume : s’il ne devait rester qu’un seul Algérien à vos côtés, je serais celui-là. Tenez bon, général. Ne dites jamais : «Je m’en fous.»

À quel prix sauver sa peau ?

Encore une autre plaisante histoire que je vous propose, monsieur le jeune premier, racontez-la à ceux qui seraient tentés par l’expédition des Invalides. Elle vaudrait sujet de philo tant ses effets seraient riches d’enseignements, pourvu qu’on aille au-delà des apparences. Il y est question de la fermeté du credo et du prix de la peau. Voilà donc un président de la République, comptable, selon le Journal officiel, de toutes les douleurs de la mémoire de son peuple, qui commémore le cinquantenaire de la révolution par un geste hautement symbolique : une réunion avec le chef opérationnel de l’ANP, un des derniers moudjahidine encore présent dans l’armée, homme intègre et officier digne de respect, dans les locaux de Kader Arif, fils de harki et fier de l’être. Après l’acte I du Val-de-Grâce, édition 2005, Douste-Blazy, le paysan pyrénéen, égaré jadis au Quai d’Orsay, s’était gaussé des paroles désobligeantes de Bouteflika prononcées à Constantine sur un sujet qu’il ne connaît pas, le colonialisme français. Il avait dit, le Béarnais, à peu près en ces termes : «Je vois qu’il aime bien se faire soigner chez nous.» (Chez cette armée française qu’il critique). Tenez-vous bien, messieurs les partisans de la contrition française, osez encore parler de «repentance» et ça ne sera pas Jean-Marie Le Pen qui vous enverra paître mais Kader Arif, qui vous balancera à la gueule un mot sonore enveloppé dans le chèche de son père. Cent trente ans d’affres et de misères ont été effacés par le grabat des Invalides ! Qui est responsable d’un tel marché ? Ce n’est pas vous, monsieur le jeune premier, et personne n’aurait garde de vous en créditer. Le piège était imparable. Val-de-Grâce et hôpital des Invalides pour un malade conduit par la peur de mourir à ne considérer que son seul salut. Le vernis du patriotisme de Bouteflika a cédé devant l’urgence de sauver sa peau. C’est humain, me direz-vous et de me rappeler le drame de Lin Piao, le généralissime des armées chinoises, qui, après avoir tant requis contre l’Union soviétique, s’était résolu - pour sauver lui aussi sa peau - à tenter une fuite sans gloire vers le territoire du voisin tant vitupéré la veille. Bouteflika a agi comme tout autre être humain l’aurait fait à sa place ? Alors, soyez conséquent avec votre propre conclusion, n’en faites plus un demi-Dieu.

Avant de te quitter, ami lecteur, après cette escapade dans l’actuel théâtre loufoque algérien, je te demande, si jamais tu rencontrais sur ton chemin un petit vieillard, le corps momifié par les rudesses de la vie, le front caché sous l’écume blanche des cheveux et, sur le visage, ce fond de tristesse qui frappe et qui force le respect et l’attention, salue-le bien bas, salue-le 22 fois bien bas, c’est Mohamed Mechati, la seule Institution qui mérite encore ton salut. C’est celle où vibre toujours l’honneur de l’Algérie.

Le sentiment humiliant de son impuissance, et sa soif toujours avide de la patrie, lui ont fait écrire des mots que toi aussi aurais pu écrire. Il s’est souvenu, peut-être, d’un auteur fameux, qui avait parlé des armées en ces termes : «L’armée est une nation dans la Nation… sinon par tous ses soldats, du moins par leurs chefs… sans cesse révoltés contre une hiérarchie de pouvoirs qui eût amené trop d’abaissement dans l’obéissance, et, par conséquent, d’humiliation dans la profession des armes…» (Vigny. Servitude et Grandeurs militaires, Editions Nilsson, 1930, chapitre II, Sur le Caractère Général des Armées). Ceux qui lui ont répondu, derrière la syntaxe aphone des «absents à l’appel», ont plaidé la Servitude de leur condition militaire qui leur interdit d’entendre les affres tragiques de leur pays. Sans connaître leurs classiques, ils ont parodié une autre phrase de Vigny : «Le soldat est la propriété du Noble et ne relève que de lui.» C’est mieux ainsi. Nous savons désormais quelle dimension remarquable ils donnent au mot «soldat». Merci Si Méchati d’avoir rappelé cette distance constante qui sépare l’immense stature de l’homme de l’Histoire, des ombres inconsistantes des hommes de l’obéissance.

M. C.

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