Les gens jasent. Laissez dire. Vous avez eu la main heureuse. Prenez
encore des initiatives de la même veine. Je ne sais pas ce que vaut le
brave Bendjemaâ comme diplomate, mais je me souviens - je l’ai lu
quelque part - qu’il a été le seul, qu’il est toujours le seul, à avoir
osé tenir tête au «Le-Ministère-Des-Affaires-Etrangères-C’est-Moi».
C’est quelque chose, en effet, de répondre au sultan comme Bendjemaâq,
SG des AE, l’a fait. Revenons à Souk-Ahras. Les gens de Souk-Ahras,
monsieur le jeune premier, sont de redoutables pamphlétaires, et en plus
ils ont de la mémoire.
On se souvient de vous, là-bas, surtout comme le
ministre des ressources hydrauliques qui a fait de l’eau - dans
certaines ruelles du quartier de Tagtaguia on boit encore l’eau de la
Medjerda ramenée dans des tonneaux - et comme le Premier ministre qui
plaisante volontiers avec les choses sérieuses. D’où tenez-vous cet art
de peopoliser avec autant d’inspiration, monsieur le jeune premier ? Un
instituteur en retraite, un des ces parfaits intellectuels qui existent
dans les bourgs les plus reculés de l’Algérie profonde et qui parle,
avec la même érudition - la religion étant de mode - des visions doubles
d’El Karadaoui ou des courtes vues d’ El Ghanouchi (c’est pour cela
qu’ils rateront toujours l’Algérie) donc ce rat de bibliothèque, féru de
langues anciennes, a découvert que Sellal vient de «tesslia», qui
signifie amuseur public, en vieux breton. Le saviez-vous ? Sacrée
soirée, comme dirait Jean-Pierre. Un vrai festival du rire. L’un de mes
amis nous a proposé une méchante version de la visite de Terminator en
Algérie. Le vice-roi Saïd l’aurait chargé de se rendre aux Invalides
pour apprendre au désormais demi-président comment récupérer ses deux
quarts de président liquéfiés. On met tant de choses sur le dos de
l’infortuné Saïd, pourquoi pas celle-là ? Un autre des convives a
expliqué le secret de de la longue présence de Bouteflika aux Invalides.
Oserai-je simplement le répéter. Allez, va, puisque c’est pour rire :
«La présence dans une crypte des Invalides des cendres de Napoléon.»
Fixation centimétrique ou confusion des genres ? L’autre année, l’année
où Hamed pouvait encore s’indigner, l’année du baise-main de Yacef et
des sanglots de Benaouda, j’ai retrouvé Hamed alité. Deux médecins
étaient à son chevet. De quoi s’agit-il, ai-je demandé aux hommes de
l’art. «Le muscle cardiaque est solide», me répondirent-ils. «Ils ont
raison, me dit Hamed. Je ne souffre pas du cœur. Je souffre terriblement
au cœur. Tu le vois bien.» A partir de combien de grammes d’ambroisie
devient-on nostalgique ? Hamed - quand on est à Souk-Ahras, c’est de
circonstance, Hamed, mon voisin de cordée lors de l’ascension des
massifs du Nord-Est, en 1958, sur ordre du colonel Bouglez, se mit à
évoquer le passage des lignes fortifiées françaises par ces nuits de
sang, de râles et de morts qui restent à jamais dans la mémoire d’un
homme, à rappeler la grande bataille d’El Mouadjen où les régiments
d’élite ennemis ont rencontré des Algériens, à parler des hauts de
hurlevent - Kef Errih - où a sombré la meilleure de nos katibas, «la
huitième» de Boumaâraf. J’y étais. A peine sept rescapés. ( Ce rappel,
non pour un étalage de bons et loyaux services dans les rangs de l’ALN,
mais pour dire que, «aïch fel faïda», je ne crains pas les tirs de
ricochets). Ma déclaration de patrimoine tient en une ligne : un
caniche, un vrai, un bahut récent et une petite pension. Pas de quoi
rameuter le fisc ou convoquer à minuit la justice. Dans un hoquet
étranglé, le vieux Hamed a ajouté, à voix basse comme pour lui-même :
«Tout ça pour ça !» Faites quelque chose, monsieur le jeune premier,
faites quelque chose afin que tout ce qu’a fait Hamed, afin que tout ce
que j’ai fait moi, afin que tout ce qu’ont fait vos frères aînés, ait un
sens. Faites quelque chose afin que plus jamais le portrait d’un type, à
l’immense ego, ne cache la blancheur d’une façade. Dites aux Algériens :
«Travaillez, prenez de la peine» au lieu de jouer à l’alchimiste
providentiel qui se fait fort, en un tourne-main, de transmuter un
derrick schisteux en silo à blé. Dites la vérité aux Algériens sur ce
qui les attend après quatorze années de bazar, uniquement la vérité, et
on oubliera que vous avez tenu, deux fois de suite, le chausse-pied à
l’auguste pour qu’il rechausse ses hauts talons. Auguste ou l’auguste ?
Encore une fois, tout est dans la majuscule, comme dirait Zavata.
N’est-ce pas un peu de votre faute si les cartes étaient truquées et que
nous avons tiré la courte paille ? Interdisez à Khalida, la versatile,
de dépenser notre argent en «cachets» musicaux pour le sommeil du peuple
et glissez-lui à l’oreille cette recette suisse : la culture d’un peuple
commence par sa poubelle ! Lors de la prochaine mayonnaise
gouvernementale, nommez Biyouna à sa place, le folklore sera mieux
servi. Occupez-vous sérieusement de Chakib et de ses complices.
Faites-le rire «john» le 50/50 américain. Plantez votre fanion sur
l'affût du calibre 88 et tirez l’obus que le pays attend. Vous vous
demandez si le «88» est un article de la Constitution ou un canon anti
blockhaus, comme le fameux gun de la Wehrmacht ? S’il y a encore un
artilleur dans le cockpit, il vous dira que c’est la même chose. Lisez
soigneusement Badre Eddine Mili (Le Soir d’Algérie du 4 juillet ). Quel
audit ! Merci, MONSIEUR. Et encore El Mili est de la vieille
Constantine. Il est patricien de bonne lignée. Il sait être féroce, tout
en restant bien élevé. Ses points sur les «i» sont petits, bien ronds,
bien faits, précis, brillants, mais trop polis. Imaginez un peu s’il
avait été de Souk-Ahras ! Une petite promenade dans la ville ravagée et
il n’aurait pas trouvé le moindre petit bon point à concéder. Encore une
supplique, monsieur le jeune premier, vos frères aînés moudjahidine vous
l’adressent, décorez Mohamed Gharbi et rendez-lui sa kalachnikov ! Une
question à propos de patriote intransigeant et décidé : Est-ce vrai que
Khaled Nezzar était récemment en Égypte ? Vous dites «non» ? «SI SI»,
monte l’écho de la place-de-la-liberté.
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