La région du Dahra commence enfin à intéresser le tourisme de part la grande diversité et l’insoutenable luxuriance des ses paysages. Trop longtemps marginalisées par à la fois ses élus mais aussi par les autorités locales, elle entame apparemment une résurrection qui devrait dans un premier temps faire connaître ses énormes richesses, notamment celles qui lui donnent une réelle profondeur historique. A Nekmaria, depuis l’ouverture d’une route et la construction d’une stèle à la mémoire des Ouled Riah, il ne se passe pas un jour sans que des visiteurs venus de tous les horizons affluent vers le site qui est devenu un lieu de mémoire incontournable.
C’est ainsi qu’en fin de semaine dernière, deux groupes de visiteurs se sont relayés pour rendre hommage à ces sacrifiés de l’histoire. Grace à la perspicacité d’un guide bénévole, ces amateurs de tourisme mémoriels ont fait des haltes sur les principaux endroits qui ont marqué à jamais l’histoire de la région. C’est ainsi que le groupe conduit par Brahim Senouci, universitaire établit en France, venu avec ses amis Mascaréens. Ils ont été accueillis à l’entrée de Mazagran où Abdelkader Boudjmaa, un enfant du pays, leur a fait un bref aperçu sur les batailles de Mazagran, dont celle de 1558, superbement contée par le poète Benkhlouf qui faisait partie des 10.000 combattants venus de toutes les régions d’Algérie, pour mettre un erme aux belliqueuses prétentions espagnoles. La seconde halte se fera devant le phare de Cap Ivi, majestueusement dressé en haut de la plage de Chaïbia, dont le sable d’or peine à se détacher d’un bois de genévriers de Phénicie qui tapisse la pente raide menant vers l’ivresse d’une mer d’azur. Après avoir contourné le cité de Benabdelmalek Ramadane, le cortège fait une première halte mémorielle au niveau de la ferme Monsénégo. Accueillis par deux robustes gaillards, les hôtes du Dahra apprennent que c’est à cet endroit que fut tirée sans doute la première cartouche annonçant le début de la guerre de libération. En effet, la nuit du 1er Novembre 54, à 1 H15 du matin, le groupe conduit par Douair Miloud n’hésite pas à tirer sur la 4 CV conduite par François Laurent, le blessant légèrement. répondant aux implorations du gérant de la ferme lui et sin ami Jeans François Mendez, prennent la route de Sidi Ali afin d’alerter la gendarmerie de l’assaut rebelle contre la ferme. L’attaque, dira avec assurance le guide, a commencé très certainement 15 minutes avant l’arrivée la 4 CV où se trouvaient les deux jeunes pieds noir, ce qui fera de François Laurent la première victime de l’insurrection, puisqu’à 1h30 du matin, il sera atteint d’une balle mortelle devant la gendarmerie de Cassaigne/Sidi Ali. Après avoir immortalisé cette halte par une photo collective, le groupe prend congé de deux sympathiques gaillards pour emprunter le trajet effectué par la 4 CV 60 ans auparavant. Passage obligé de la caserne de gendarmerie puis arrêt devant le musée de Sidi Ali. En ce vendredi matin, seul le gardien est là pour permettre au groupe d’accéder au centre de torture ouvert le lendemain de l’insurrection pour servir de lieu de détention aux centaines de militants et de combattants. Malheureusement, l’absence du responsable écourtera la visite, les tentatives du guide de joindre le maire de Sidi Ali s’étant avérées infructueuses. Ce désintérêt pourrait s’avérer mortel pour la région, car l’accès au carré des martyrs situé au cimetière de Sidi Ali est très fortement demandé par toutes les délégations, y compris étrangères, qui font de cet endroit – en raison de la présence de la tombe de Benabdelmalek Ramdane, mort le 4 novembre 1954, il est à ce titre le premier haut responsable, membre du groupe des « 22 » à tomber au champ d’honneur-, un passage incontournable : d’autant que c’est ici précisément que sont morts les 4 scouts venus de Mostaganem célébrer la réinhumation des martyrs, en ce tragique jour du 1er novembre 1994. Le guide, pour s’excuser de ce fâcheux contre temps, alors que la visite été programmée depuis plusieurs mois, rappellera que lors de la célébration de la journée du 22 mars, il a fallu que le chef de daïra de Sidi Ali se déplace personnellement pour que les portes du carré des martyrs soient ouvertes devant de simples citoyens venus se recueillir et déposer des fleurs sur les tombes.
Entre peurs
et imprécations
A la mairie de Sidi Ali, le nouveau locataire peine à prendre la mesure
de sa tache, qui ne consiste pas à seulement refaire les trottoirs de la rue
principale. Ses administrés, qui ont trop longtemps souffert de son prédécesseur, affichent ouvertement
leur mécontentement, voire leur grande déception. Les visiteurs qui se font un
honneur de venir se ressourcer et rendre hommage aux valeureux martyrs de ce
coin d’Algérie, ont de la peine à admettre qu’à Sidi Ali, les élus se détournent
sans vergogne de ce devoir sacré. Le lendemain, alors que le responsable du
musée s’est fait un point d’honneur à accueillir un groupe d’oranais,
s’excusant au passage de sa défection de la veille. C’est «à cause du
vendredi », dira-t-il en guise d’argument. Ce à quoi le guide répliquera
que c’est uniquement durant les week-end que les citoyens, parfois au prix de
mille efforts, parviennent à se libérer pour s’accorder ces instants de
ressourcement et de recueillement. Une jeune femme oranaise lui fera remarquer
que dans un pays voisin, les fonctionnaires prennent le temps – entre 13 h et
15h- pour aller faire la prière et revenir reprendre le travail sans que cela
entrave leur croyance. Après l’épreuve de Sidi Ali, dont le maire n’est pas à
sa première défection, le groupe traverse la fertile dépression de Naïmia et
ses vergers verdoyants, pour rejoindre à travers monts et vaux, l’agglomération
de Ch’karnia, dont certaines maisons gardent encore vivaces les stigmates de la
décennie noire, avec ces fermes abandonnées, ses classes éventrées et ses
femmes besogneuses qui continuent d’aller au bois. Sur les berges encastrées d’Oued
Romane, faisant face aux versants tapissés de thuyas, un paysage lunaire
s’offre aux regards. Les véhicules qui se suivent à faible allure peinent
parfois à remonter des pentes raides, au grand bonheur des occupants qui
prennent le temps de savourer ces paysages encore vierges. Un sentiment de
plénitude que le guide tempère rapidement en rappelant qu’en raison de ses
insurrections, la région du Dahra dispose du réseau routier parmi les plus
denses du pays, ajoutant que dans sa
furie, l’armée coloniale a ouvert de multiples pistes afin de prendre
possession du moindre recoins dans le seul souci de réprimer le moindre
soulèvement. L’arrivée sur le site de Ghar El Frachih impressionne toujours les
visiteurs. Malgré un asphalte impeccable, la descente vers le site d’El Kantara
qui surplombe les grottes est toujours accompagnée d’imprécations et de peurs,
tant l’endroit parait escarpé. Le guide en profite pour rappeler que le 18 juin
1845, la troupe du sanguinaire Pélissier a eut recours au Khalife de Nekmaria
pour parvenir aux grottes où s’étaient réfugiés les Ouled Riah. La grande
fresque, éclairée par un soleil splendide, laisse découvrir une œuvre de toute
beauté que même les habitués du coin prennent le temps d’en apprécier les bas-reliefs.
La
dernière halte avant la redoutable épreuve
Les 8 gardiens qui se relayent pour garder et sécuriser le site, prennent
enfin conscience que le combat de leurs ancêtres n’ont pas été vains, puisque
de toutes les régions d’Algérie, ce sont de véritables expéditions qui s’organisent
afin de découvrir ce lieu que même l’hélicoptère le plus sophistiqué a de la
peine à visualiser. La procession qui s’ébranle à travers l’escalier ne prend même
pas la peine d’admirer la végétation alentours où lavande et ciste cotonneux
peinent à se mesurer aux éphémères coquelicots aux pétales écarlates. Plus bas
dans l’étroit valons de l’oued Frachih, ce sont les pistachiers et les chênes
kermès qui affichent leur étonnante vigueur par des jeunes rameaux luisant de bien-être.
La plaque de marbre sous le caroubier est la dernière halte avant la redoutable
épreuve. Eclairée par un sublime rayon de soleil, l’entrée de la grotte
principale n’est accessible qu’au prix de mille efforts. Les mines graves mais
le pas résolu, parfois chancelant, ces visiteurs parviennent dans un discret
effort intérieur, à l’entrée de la grotte. Happés par la fraicheur, on peine à
habituer son regard à l’obscurité qui finit par se dissiper, dégageant les
immenses souillures noires qui tapissent depuis 169 ans, les parois de la
grotte. Le silence imposant de majesté est à peine brouillé par les rares
bruissements de voix qui parviennent de l’extérieur. Lentement, l’obscurité
regagne en épaisseur, l’arrivée d’autres personnes finit par réduire la lumière
qui ne se fraye un passage qu’à travers les anfractuosités supérieures de la paroi. Le silence se fait de plus en
plus pesant, l’instant de recueillement atteint alors son apogée. Comme s’ils
s’étaient concertés, à chaque fois, les visiteurs entrent dans une interminable
concentration. Seules quelques mouches parviennent à braver ce lourd silence.
Quelqu’un prend enfin la parole pour réciter la « Fatiha » à la
mémoire des 1500 victimes, dont des centaines encombrent encore le fond des
grottes. Dans la pénombre qui perdure, des mains furtives essuient des larmes
trop souvent contenues. Puis sans rien dire, chacun reprend le chemin du
retour, l’esprit à la fois apaisé et troublé. En bas, à l’ombre du caroubier,
celles et ceux qui n’ont pas fait l’ultime escalade à travers les rochers de
gypse qui bouchent l’entrée, éprouvent de la peine à fixer les yeux humides de
ceux qui reviennent de cette tombe collective où dorment Ouled Riah. La lente
remontée vers l’esplanade d’El Kantara se fait dans un silence aussi religieux
que lors de la descente. A peine si, sans doute pour se libérer de ce lourd
fardeau, des mains innocentes prélèvent quelques brindilles, des écorces de
pins séchées, un caillou de gypse éclatant de blancheur. D’autres s’offrent
quelque bouquet de cette flore locale en pleine exubérance. Le passage devant
l’immense fresque se fait à pas lents, comme si les visiteurs peinaient à
quitter l’endroit où reposent ces pesantes victimes.
C’est toujours ainsi que se ponctuent les visites aux grottes des Ouled Riah, dans une grande incertitude. On y vient le cœur léger et on en repart la tête bien lourde. Ce qui est plutôt rassurant, c’est que progressivement, le voyage dans le Dahra s’incruste dans les habitudes. Que ce soit en famille ou en groupes, le voyage se veut à la fois initiatique et mémoriels. Car en plus d’offrir ses fabuleux paysages, ses multiples collines et ses verdoyantes vallées, le Dahra veut aussi faire partager la générosité des ses habitants ainsi que sa tragique et valeureuse histoire, faite de luttes, d’insurrections, de victoires, de bravoures et de martyre. Il est bien dommage que trop souvent, ceux qui sont aux affaires ignorent cet aspect combien valorisant de leur passé. C’est pourquoi, grâce à ces voyageurs d’un jour, le Dahra et ses luttes s’ancrent inexorablement dans la mémoire collective.
C’est toujours ainsi que se ponctuent les visites aux grottes des Ouled Riah, dans une grande incertitude. On y vient le cœur léger et on en repart la tête bien lourde. Ce qui est plutôt rassurant, c’est que progressivement, le voyage dans le Dahra s’incruste dans les habitudes. Que ce soit en famille ou en groupes, le voyage se veut à la fois initiatique et mémoriels. Car en plus d’offrir ses fabuleux paysages, ses multiples collines et ses verdoyantes vallées, le Dahra veut aussi faire partager la générosité des ses habitants ainsi que sa tragique et valeureuse histoire, faite de luttes, d’insurrections, de victoires, de bravoures et de martyre. Il est bien dommage que trop souvent, ceux qui sont aux affaires ignorent cet aspect combien valorisant de leur passé. C’est pourquoi, grâce à ces voyageurs d’un jour, le Dahra et ses luttes s’ancrent inexorablement dans la mémoire collective.
"Oublier son passé, c'est se condamner à le revivre"
RépondreSupprimer"...éprouvent de la peine à fixer les yeux humides de ceux qui reviennent de cette tombe collective où dorment Ouled Riah." Merci de nous réveiller, Sy Aziz Mouats.
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