Interrogé (hier 16 janvier sur France24), suite à la prise d’otages d’In Aménas par un groupe d’islamistes
Yasmina Khadra est resté évasif et imprécis, être romancier et ancien colonel
ne mène pas toujours vers l’excellence …ce qui n’est pas le cas de l’ancien
colonel des renseignements, MED Chafik Mesbah qui nous livre avec brio, une
excellente analyse de l’intrusion de la guerre du Mali dans le désert Algérien.
On y apprend que l’Algérie de Bouteflika s’est laissée abuser, que malgré les nombreuses
compétences chez les diplomates algériens, l’effacement du ministre des AE se
traduit par une apathie mortelle du corps diplomatique, en conclusion, le
génial militaire fait quelques suggestions qui ne manquent pas de susciter
quelques pistes en vue de retrouver le bon chemin : « Pour résoudre
l’équation ainsi posée, l’alternative positive existe. Il faut réformer le
système de gouvernance actuel qui se caractérise notamment par le choix de
responsables disposant de pouvoirs exorbitants mais agissant hors tout contrôle
populaire. Il nous faut une régénération du système politique car il faut aimer
passionnément sa patrie pour pouvoir bien la servir. Tant mieux si d’aucuns
pensent comme moi ». Med Chafik Mesbah…une interview à lire à petites
doses sur TSA…
Réalisé par Hadjer Guenanfa
Mohamed Chafik Mesbah, officier
supérieur de l’ANP en retraite, politologue et analyste en relations
internationales et questions stratégiques, répond à nos questions sur la
situation actuelle au Nord‑Mali.
L’option militaire ouverte par la
France vous semble‑t‑elle une réponse appropriée à la crise actuelle au Nord‑Mali ?
Il est difficile d’apporter une
réponse formelle à cette question. Il était clair, dès le départ, que le
phénomène du terrorisme apparu au Mali, en particulier et au Sahel en général,
ne pouvait être résolu par une seule des solutions ouvertes. Il fallait
prospecter, sans doute, la voie du dialogue politique afin d’élargir le
consensus national interne contre le terrorisme et isoler les groupes radicaux
recourant, précisément, à la violence. Il aurait été puéril, toutefois, de
croire que ces groupes terroristes allaient se résigner, passivement, à un
renversement, en leur défaveur, de l’équilibre des forces. La solution
militaire était, en perspective, incontournable.
Ce
qu’il y a de discordant, par rapport à ce schéma initial, c’est que la France a
pris, brusquement, l’initiative de s’engager, seule, pour répondre à une situation
d’urgence caractérisée par le risque de contrôle de tout le territoire malien
par les groupes terroristes présents au Nord‑Mali. Dans le scénario initial,
c’était une démarche classique avec un mandat international de l’Organisation
des Nations unies pour couvrir la mise en œuvre de moyens militaires. Dans
le cas présent, c’est la France, au passé colonial peu reluisant, qui
intervient seule avec une complicité contre nature de l’Algérie laquelle risque
de dilapider tout son prestige diplomatique accumulé depuis la guerre de
libération nationale. Pour légitimer cette intervention française, il est fait
état d’une demande expresse formulée par le gouvernement malien. Franchement,
le Mali, État défaillant, disposerait, donc, d’un gouvernement légitime –
vraiment légitime – en mesure de formuler une telle demande…
L’Algérie
se range derrière l’intervention militaire française au Nord‑Mali après avoir
prôné la solution du dialogue. Peut‑on parler de revirement dans la position
algérienne ?
Au niveau des instances
intermédiaires dans les appareils diplomatique, militaire et sécuritaire
algériens, l’évolution des évènements peut avoir été perçue comme un
revirement. La bonne foi des cadres impliqués dans ces appareils n’est pas en
cause. C’est au niveau politique supérieur de l’État que l’interrogation est
permise. Avec la masse d’échanges intervenus entre l’Algérie et les parties
internationales concernées par la crise au Nord‑Mali, l’hypothèse de
l’intervention militaire était, de toute évidence, incluse dès le départ parmi
la panoplie des solutions ouvertes. Dans une large mesure, les cadres algériens
diplomates, militaires ou officiers de renseignement ont été dupés puisque tous
leurs efforts ont été focalisés, délibérément, sur le volet politique de la
crise.
Au
moment précis où se discutait, probablement, l’accord implicite entre l’Algérie
et la France sur l’intervention militaire française au Mali avec l’utilisation
de l’espace aérien algérien par les aéronefs militaires de l’armée
française ! Ce que vous considérez être un revirement, ce pourrait être
une adaptation graduelle de la doctrine diplomatique algérienne et de la
politique de défense de l’Algérie aux exigences du nouveau contexte stratégique
dans la région maghrébine et la zone sahélienne, voire l’espace
méditerranéen. Ce n’est pas ce type d’évolution – de dimension, éminemment
stratégique – qui peut échapper à l’attention vigilante du président Abdelaziz
Bouteflika, rompu à tous les secrets du fonctionnement du système de relations
internationales.
L’Algérie,
sous l’œil scrutateur des puissances occidentales, est en train de prendre pied
dans un système de sécurité régionale où elle risque malheureusement de
s’enferrer avec, subséquemment, une incapacité à exercer sa souveraineté nationale.
Ce qui se déroule au Nord‑Mali résulte, directement, de cette volonté
d’intégrer l’Algérie, de force au besoin, dans un mécanisme dont elle ne pourra
plus se libérer.
Comment
expliquer l’étrange carence qui frappe la communication institutionnelle
algérienne puisque pas un seul officiel algérien éminent ne s’est encore
exprimé sur ce revirement de position ?
Il
existe une corrélation directe entre la position algérienne vis-à-vis de la
crise au Nord‑Mali et l’état de déliquescence du système de gouvernance en
Algérie. C’est un secret de polichinelle ; la décision diplomatique en
Algérie relève de la seule volonté du président de la République. Comme chacun
le sait, le ministre des Affaires étrangères assure une fonction de fondé de
pouvoir. Il est obligé d’en référer au président de la République pour toute
décision diplomatique. Sa marge de manœuvre est inexistante et il ne peut
entreprendre d’initiative, une réflexion anticipatrice sur le cours stratégique
des évènements. Ce qui est valable pour le ministre des Affaires étrangères
l’est, à plus forte raison, pour les autres hauts responsables de l’État qui
s’interdisent d’interférer sur ce domaine réservé – vraiment réservé – du chef
de l’État. Ils ne peuvent, à fortiori, communiquer sur ce registre. Nous voilà
loin de la crise au Nord‑Mali. La véritable crise, c’est celle du système de
gouvernance en Algérie !
Quel
impact concret faut‑il attendre de la fermeture, par l’Algérie, de ses
frontières avec le Mali ?
Un impact réduit. Pour tout dire, la
frontière restera poreuse. Sachez que la frontière entre l’Algérie et le Mali
s’étend sur 1 376 km. Pour mémoire, elle se prolonge sur 956 km
avec la frontière qui sépare l’Algérie du Niger. Au surplus, la zone du Sahel,
une bande homogène, en termes de population et de géographie, représente un
État potentiel difficilement contrôlable. Il est quasiment impossible de fermer
la frontière algérienne avec le Mali. Ce n’est sûrement pas un nouveau
"mur de Berlin". Les populations autochtones sont habituées à ignorer
les tracés frontaliers et les groupes terroristes ont vite tiré les
enseignements de ce relief particulier en s’y adaptant. Vous n’imaginez sans
doute pas que l’Algérie pourrait déployer un soldat tous les mètres pour rendre
la frontière étanche, ni les États occidentaux mettre en action suffisamment de
drones pour contrôler chaque arpent de ce théâtre d’opérations potentiel.
À
titre indicatif, il faut retenir que le déploiement des Groupements de gardes‑frontières
relevant de la Gendarmerie nationale n’a jamais pu assurer une neutralisation
des activités de contrebande, source de revenus principale pour les populations
locales. Les moyens de transport mobiles dont disposent les groupes terroristes
et leur connaissance parfaite du relief dont ils se sont assuré rendent
dérisoire la fermeture de la frontière avec le Mali. Observez, pour la
circonstance, ce qui se déroule à In Amenas. C’est une véritable bérézina.
Malheureusement, une bérézina qui met en cause même le dispositif militaire et
sécuritaire dans le pays.
Mais,
à ce propos, l’attaque terroriste contre la base pétrolière d’In Amenas
vous paraît‑elle cibler davantage l’Algérie ou la France et ses alliés
occidentaux ?
Les
deux simultanément. Il est clair que la France et ses alliés occidentaux sont
désormais ciblés par la nébuleuse des groupes terroristes implantés dans la
zone. L’Algérie également, qui a ouvert son espace aérien aux avions militaires
français, s’expose à des représailles. Ce qui peut étonner dans cet épisode
malheureux, c’est la facilité déconcertante avec laquelle l’attaque terroriste
a pu se produire contre une installation sensible dans une région non moins
sensible. Les dispositions appropriées pour protéger ces sites ont-elles été, oui
ou non, prises ? Le résultat qui laisse perplexe devrait inciter les
pouvoirs publics à réexaminer le dispositif sécuritaire mis en place dans le
Grand Sud algérien. In Amenas ? C’est le signe précurseur de l’embrasement
qui risque de toucher tout le Sahel, y compris le territoire algérien qui est
son prolongement stratégique.
Est-il
dès lors possible d’affirmer que l’Algérie a échoué dans sa démarche visant à
imposer une solution politique à la crise au Mali ?
Probablement. Les puissances occidentales
ont laissé croire, formellement, qu’elles appuyaient la démarche algérienne
prônant le dialogue. Dans les faits, ces puissances occidentales ont toujours
été à pied d’œuvre, planifiant l’intervention militaire projetée. Naïfs ou
désinvoltes, les responsables algériens ont cru pouvoir jouer sur l’antagonisme
France-États‑Unis d’Amérique. Souvent, ils se concertent avec leurs homologues
russes ou chinois en considérant que le monde en est encore à la division entre
blocs socialiste et capitaliste. L’Algérie n’a pas échoué seulement dans sa
démarche spécifique vis-à-vis de la crise du Mali. La diplomatie algérienne
est, globalement, en crise chronique avec perte d’efficacité majeure dans
toutes ses actions.
Sur
le théâtre des opérations, proprement dit, comment pourrait évoluer,
concrètement, la situation ?
La situation risque d’évoluer,
probablement, vers l’enlisement puis l’embrasement. Il est invraisemblable
qu’une intervention militaire classique puisse venir à bout d’une guérilla. Le
dispositif militaire doit venir en appoint à deux actions essentielles.
Premièrement, une action de rapprochement avec les populations locales de
manière à susciter une forme de proximité qui pénalise les groupes terroristes
en les isolant. Ces groupes terroristes doivent être contraints d’évoluer en
terrain hostile. Pas seulement du fait du dispositif militaire sus-évoqué, mais
du fait du rejet des populations autochtones. Deuxième action, l’impulsion du
développement économique et social dans l’Azawad, en général, avec la mise en
œuvre d’un vrai mini‑plan Marshall. Comme vous pouvez le constater, nous sommes
loin du compte.
Au
regard du nouveau contexte au Nord‑Mali, une intervention de l’armée algérienne
devient‑elle une option ouverte ?
Au contraire, cette option parait
invraisemblable. Le président Abdelaziz Bouteflika ne semble pas avoir pu
susciter l’adhésion de l’institution militaire à une démarche qui ne semble
pas, encore, consensuelle. Cette forme d’acceptation du fait accompli par
l’institution militaire pourrait avoir des limites. Il n’est pas dans la
tradition de l’armée algérienne d’intervenir dans des théâtres d’opérations
extérieurs. La Constitution le lui interdit mais, également, l’état d’esprit
hérité de la Guerre de libération nationale. Pousser l’armée algérienne à
s’impliquer dans ce théâtre d’opérations, c’est courir le risque de provoquer
une insubordination des chefs militaires. Il est difficile d’imaginer que le
président Abdelaziz Bouteflika puisse aller à cet extrême.
En
contrepartie de la position algérienne conciliante vis‑à‑vis de la France au
Nord‑Mali, que pourrait tirer comme bénéfice l’Algérie, ou à défaut le
président Abdelaziz Bouteflika ?
Les observateurs ont pu remarquer,
lors de sa dernière visite à Alger, le ton laudateur du président
François Hollande vis-à-vis de son homologue algérien. Inversement, le
président Abdelaziz Bouteflika s’est gardé de toute intervention publique
durant cette même visite, prenant bien soin de ne point évoquer la revendication
sensible de la repentance. D’un côté, nous avons un président français en bute
à une perte de notoriété au sein de l’opinion publique dans son pays où les
lobbies économiques français manifestent une soif avide en vue d’accaparer le
marché algérien. De l’autre, nous avons un régime algérien en crise qui
garantit sa pérennité par la distribution inconsidérée de la rente pétrolière
et le soutien, ostentatoire, des puissances occidentales. Le président français
voulant rétablir sa cote de popularité et mieux asseoir sa présidence a tout
intérêt à conclure l’accord qu’il faut – implicite, au besoin – avec son
homologue algérien lequel, de son côté, a pour souci primordial de se maintenir
dans ses fonctions en se préparant à l'échéance du scrutin présidentiel de 2014
dont il veut faire un couronnement pour sa carrière.
Finalement,
comment expliquez‑vous cet échec patenté de la diplomatie algérienne ?
En
premier lieu, il faut, absolument, distinguer entre l’échec de la diplomatie
algérienne et la manière de servir des diplomates algériens, leur motivation,
leur compétence et leur expérience. Ce ne sont pas eux qui sont en cause.
Certains sont même brillants. Ce sont l’appareil diplomatique avec son mode de
fonctionnement et les fondements doctrinaux de la diplomatie algérienne qui
sont en cause. Ce n’est pas le lieu de s’étaler sur cette crise majeure de la
diplomatie algérienne. Contentons‑nous d’en consigner trois aspects
majeurs :
-
absence d’anticipation stratégique. Ni à l’intérieur de l’appareil
diplomatique, ni en concertation avec les institutions publiques concernées par
la politique étrangère, encore moins avec les universités ou centres de
recherche académique, il n’existe pas d’activités liées à la connaissance
prospective des évènements de politique étrangère ;
-
absence de consensus national autour des objectifs de la politique étrangère de
l’Algérie. Le Chef de l’État qui monopolise entre ses mains toutes les
décisions diplomatiques se sert de son ministre des Affaires étrangères comme
d’un assistant administratif. Les chefs des institutions publiques concernées
par la politique étrangère de l’Algérie ne sont pas plus associés à la prise de
décision diplomatique. Les personnalités et partis politiques autant que les
organisations évoluant dans le monde syndical ne sont guère consultés à propos
des orientations ou des décisions de politique étrangère de l’Algérie ;
-
absence de réactivité de l’appareil diplomatique algérien. La nature, purement
bureaucratique, du processus de prise de décision avec un autoritarisme qui
frise la dérision, du bas vers le haut de la hiérarchie, il n’existe aucune
marge de manœuvre pour les diplomates algériens aussi performants qu’ils
puissent être. Leur audace potentielle est bridée par un carcan administratif
implacable qui renvoie au régime totalitaire de la période stalinienne.
Ancien
officier supérieur de l’ANP ayant eu à connaître la doctrine de défense de
l’Algérie, pensez‑vous vraiment qu’il existe une alternative à l’alignement
stratégique sur le camp occidental ?
Vous m’interpellez en qualité
d’ancien officier supérieur de l’ANP ? Vous m’autorisez, en somme, à me
défaire de mon statut académique ? Soit. J’ai été imprégné, durant toute
ma carrière militaire, d’un sentiment patriotique qui reste imputrescible dans
mon cœur. Je ne suis pas stupide, toutefois, au point d’imaginer que l’Algérie
puisse continuer de se parer du seul manteau protecteur russe. Je ne suis pas
niais au point de considérer que les slogans éculés du non-alignement sont
toujours de mise. Désormais, Il n’existe plus d’alternative au dialogue
stratégique avec l’Occident. Au titre de cette problématique, je nourris
d’autres ambitions pour l’Algérie que celle d’être un pays sous‑traitant
– un État auxiliaire – au service d’intérêts néo-colonialistes ou
impérialistes, selon le cas.
Pour
résoudre l’équation ainsi posée, l’alternative positive existe. Il faut
réformer le système de gouvernance actuel qui se caractérise notamment par le
choix de responsables disposant de pouvoirs exorbitants mais agissant hors tout
contrôle populaire. Il nous faut une régénération du système politique car il
faut aimer passionnément sa patrie pour pouvoir bien la servir. Tant mieux si
d’aucuns pensent comme moi.
LIEN : http://www.tsa-algerie.com/politique/situation-au-mali-entretien-avec-mohamed-chafik-mesbah_23455.html
Qu'Allah vous agréé mon frère
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