mercredi 17 août 2011

Les fantômes ont de bonnes idées...

Une chronique indispensable qui remet sous les projecteurs un personnage que ses compagnons ont enterré trop vite. Je ne sais pas par quel miracle son ouvrage rédigé dans le feu de l'action est parvenu jusqu'à nous. Qu'il me soit permis de saluer avec gratitude son épouse et l'assurer de mon profond respect et de toute ma reconnaissance. Veuve deux fois en l'espace de quelques années, cette dame a été une combattante de la première heure et c'est grâce à elle que le manuscrit aura été conservé. Dans ce livre prémonitoire, le Colonel Lotfi trace les grandes lignes de ce que devrait devenir l'Algérie une fois l'indépendance recouvrée. Il a eut la bonne idée de tomber au champ d'honneur avant la fin de la guerre. Publié par le ministère des moudjahidines - très surprenant, mais ne faisons pas la fine bouche- il a fait l'objet d'une chronique de Ammar Belhimer dans le soir d'Algérie...très bonne lecture...ça mérite vraiment le détour car on comprend pourquoi des hommes de l'intelligence du Colonel Lotfi devaient mourir...pour leurs idées...merci à ceux qui ont permis que ce plan de développement de l'Algérie parvienne aux jeunes générations... Une curiosité tout de même, la presse bien pensante n'a pas jugé opportun d'en faire un compte-rendu...c'est  la preuve que le Colonel Lotfi dérange encore de nos jours...ainsi vont les héros dans ce pauvre pays...dès qu'on les oublie ils reviennent tels des fantômes nous réprimander et carrément se foutre de nous...

Chronique du jour : A FONDS PERDUS
La pensée économique du colonel Lotfi


Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com

Par un heureux hasard, nous avons récemment – vaut mieux tard que jamais — découvert l’ouvrage du colonel Lotfi : Approche du développement économique futur de l’Algérie. «Colonel Lotfi» est le nom de guerre de Benali Boudghène, natif de Tlemcen, qui, avec son épouse, rejoint les rangs de l’ALN en 1955 dans la zone V qu’il finit par commander avant de tomber au champ d’honneur, le 27 mars 1960, à Djebel Béchar.
Dans Approche du développement économique futur de l’Algérie, une œuvre de 274 pages(*), il projette de façon, certes optimiste, mais tout aussi réaliste, les contours de ce que seraient à ses yeux les réalisations majeures de deux premiers plans quinquennaux de l’Algérie indépendante. Erudition, d’une part, limpidité et précision du langage, d’autre part, contribuent à forger un esprit didactique et visionnaire qui part du sous-développement économique (première partie de l’ouvrage) pour asseoir la perspective d’un «essor rapide et considérable de l’économie» (deuxième partie), avant de recenser les «conditions du succès» de la reconstruction économique tant espérée (troisième et dernière partie). Le constat est sans appel : «La misère la plus inhumaine (qui règne) dans un pays aussi riche que la Californie» résulte d’une «économie de contrastes» qui met à nu la «fiction aussi creuse que dénuée de sens des réalisations françaises». «L’économie de contrastes» ou «juxtaposition de deux économies» met en présence une activité qui devra se limiter à «quelques zones déshéritées où il ne restera plus à l’autochtone qu’à disputer âprement et péniblement une lamentable subsistance à d’ingrates terres au moyen d’instruments fatalement archaïques», d’une part, et une activité qui disposera «normalement de tous les biens», d’autre part. La dualité qui caractérise le sous-développement économique de l’Algérie résulte ici d’un pacte colonial qui se révèle d’une extrême cruauté dans le cas de notre pays puisqu’il associera deux formes d’exploitation «indissolublement liées» : le peuplement et la prédominance d’intérêts économiques. La première expression du pacte colonial se décline en termes de transformation «en toute hâte et par compagnies entières», des soldats de l’agression en paysans mariés tambour battant à des prostituées de Toulon, «débarquées par pleines cargaisons et nanties, en guise de dot, de 200 francs chacune pour faire souche dans le pays». Dans la bouche de Lyautey cet épisode n’a rien de honteux : «On ne bâtit pas un pays avec les pucelles.» Le pacte colonial se décline, en second lieu, en termes de pillage économique : le nouveau développement agricole favorisera «la pénurie des produits utiles à la consommation locale, au profit d’une production destinée essentiellement à l’exportation» ; une industrie «décadente et orientée vers l’exportation» assurera l’extraction des matières premières présentant une utilité pour l’économie française et donnera lieu à une «exploitation, aussi intensive que désordonnée, de nombreuses mines, vidées notamment dans la partie nord du pays» ; enfin, des dispositions douanières couplées à un «monopole du pavillon» finiront par faire de l’Algérie un marché captif de la France. Après avoir dressé le bilan de l’œuvre coloniale française en Algérie, Colonel Lotfi développe la possibilité d’un «essor rapide et considérable de l’économie» dans notre pays (deuxième partie). L’essor envisagé, et circonscrit aux cinq premières années de l’indépendance, doit augmenter la production agricole des deux tiers (150% en dix ans), accroître la production industrielle dans la proportion de 3,5 et relever le niveau de vie de l’ordre du simple au double, tandis qu’une «construction étendue au Maghreb uni permettrait d’atteindre les mêmes résultats dans le même temps». Trois conséquences sont attachées à cette évolution structurelle : l’accroissement de la production agricole, la diminution de la population rurale et une répartition équitable des terres à la suite de la réforme agraire. La «modification radicale de la structure de l’économie agricole incitera une partie de la masse rurale à l’émigration vers l’industrialisation et, une autre partie moins importante, vers le secteur tertiaire, ce qui aura pour effet de réduire de moitié les effectifs ruraux en fin de quinquennat – ceux-ci passeraient de 80 à 40% de la population totale. La ressource publique demeure ici le moteur de la croissance mais elle n’a aucune connotation idéologique puisque «le plan indien fait appel aux investissements de l’Etat pour une part qui dépasse 60%, bien que l’économie n’ait pris une orientation prononcée ni vers l’Est ni vers l’Ouest». Quelles sont les conditions de succès pour tant d’entreprises ambitieuses ? C’est l’objet de la troisième et dernière partie de l’ouvrage. Ces conditions sont d’autant plus difficiles à réunir qu’elles visent à rompre une dépendance extérieure séculaire d’autant plus contraignante qu’elle est de nature économique et à restaurer une autonomie de décision qui n’est pas négociable aux yeux de l’auteur. Pour y parvenir, il faut au préalable réussir une «purge de l’hypothèque économique». Par hypothèque ou «servitudes», Colonel Lotfi entend l’orientation structurelle dommageable de l’économie algérienne vers l’économie française et son entière subordination à elle, qu’elle relève de la zone franc (qualifiée de «formule la plus pernicieuse de la permanence du colonialisme agonisant») ou d’autres intérêts économiques et financiers. On méditera enfin le nécessaire «l’accompagnement démocratique» du redressement économique envisagé. Lopin de tout dogmatisme, il ne cache pas son engagement pour «une juste et non moins indispensable réforme agraire» qui «apportera à la paysannerie la propriété perdue». Cet engagement ne relève donc pas de présupposés idéologiques : «La réforme agraire sera pour nous un acte de justice. Elle permettra au peuple algérien de récupérer les terres qui lui ont été ravies et de les redistribuer immédiatement aux victimes des plus grandes expropriations de l’histoire. Elle est encore rendue nécessaire par la situation du paysan algérien ; elle est enfin urgente parce qu’elle est la condition sine qua non du relèvement de son niveau de vie.» Par ailleurs, à «l’inégalité poussée à son paroxysme» succédera «une politique consciente de redistribution égalitaire des revenus ». Cependant, «il ne s’agira pas d’une assistance, mais d’un droit à la sécurité qui sera donné à tous les citoyens». L’assistanat, quoi que de mode dans de larges secteurs de la révolution, ne s’accommode pas ici avec «une politique sociale rationnelle ». Néanmoins, un attachement maladif aux choix souverains du peuple émaille son programme économique. Ainsi, est-il rappelé que la planification intégrale est «impossible à réaliser dans un régime où la propriété ne disparaîtra pas, à moins que le peuple algérien n’en décide autrement». Ou encore que, «quel que soit le choix que l’Algérie fera dans le contexte de l’indépendance, plan de l’économie libérale ou planification des pays socialistes», «l’orientation de l’Algérie de demain est l’affaire du peuple algérien qui aura lui-même à en décider en toute liberté» L’Algérie «indépendante, féconde et industrieuse » dont rêve Lotfi reste ainsi tributaire de l’action méthodique de ses forces vives les plus saines, maîtresses de leur avenir, libres de leurs choix.

A. B.
(*) Approche du développement économique futur de l’Algérie par le colonel Lotfi, édition spéciale, ministère des Moudjahidine, Alger 2009.

Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/08/16/article.php?sid=121564&cid=8

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