Un état des lieux sans concession de notre Ami Slim Sadki qui revient d'Istanbul avec la conviction que l'aquaculture algérienne reste à faire.
Le mythe de l’aquaculture
algérienne
L’aquaculture durable en Méditerranée, un nouveau
concept qui a réuni, du 19 au 22 mai 2013 à Istanbul (Turquie), des experts
venus des pays concernés. Aquamed, plateforme du projet, a été mise en place
afin de cadrer cette filière et d’en faire un segment de
recherche-développement consistant. Notre spécialiste y était.
Le poisson
pêché est cher, affreusement cher, nul ne peut le nier. Mais ce n’est pas
particulier à l’Algérie. A quelques exceptions près, la tendance est mondiale
et l’alternative est, de l’avis de tous les experts, dans le développement de
l’aquaculture dont les productions mondiales ont atteint, avec 84 millions de
tonnes en 2012, 56% de la production des pêches qui est de 178 millions de
tonnes. En Méditerranée, c’est bien avant, en 2006, que les productions de
l’aquaculture ont rattrapé celles des pêches. A terme, nous dit René François
de l’Ifremer et président du Comite de l’aquaculture (CAQ) du Conseil général
des pêches (CGP) pour la Méditerranée (FAO), les viandes rouges vont
disparaître parce qu’elles sont grosses consommatrices d’eau au profit du
poisson, suivies du poulet et du porc.
En Algérie,
où la consommation du poisson reste coincée entre 4,5 et 5 kg/an/habitant (la
moyenne mondiale se fixe à 12 kg/an/Ha), l’aquaculture ne décolle pas, alors
qu’elle a toutes les chances de devenir un secteur rémunérateur. Depuis les
années 1980, des programmes, des actions sont annoncés tambour battant, mais
les résultats sont loin d’être à la mesure des attentes. Cette aquaculture, qui
n’a aucune consistance physique, est brandie comme une panacée par les
responsables successifs du secteur lorsque celui-ci est mis à mal. En fait,
l’aquaculture est un mythe savamment entretenu par les pouvoirs publics. Mais
quelle est la situation sur le terrain ? Nous avons posé la question au
professeur Mohammed Hichem Kara du laboratoire des Ressources marines de
l’université de Annaba et point focal national du projet Aquamed (voir
encadré). Il fait autorité en la matière. Aujourd’hui, nous a-t-il déclaré, la
production nationale est de 1120 t.
Prometteur
Deux
opérateurs produisent en mer quelque 950 t en loup et daurade. Un troisième, à
Ouargla, produit 170 t de poisson d’eau douce, essentiellement du tilapia. Il y
a eu également, depuis la fin des années 1980, quelques opérations de
rempoissonnement de plans d’eau, mais c’est surtout pour les besoins de la
pêche locale ou récréative, ce qui n’est pas, à proprement parler, de
l’élevage. C’est très peu, car nos possibilités sont à multiplier par mille.
Une production nationale qui ne nous place pas très loin de nos proches
voisins : 1568 tonnes pour le Maroc et 5050 pour la Tunisie.
Par contre
l’Espagne est dans le peloton de tête avec 900 000 tonnes/an. Avec les
plans de relance de la pêche, 11 projets, situés un peu partout sur le
territoire national, ont bénéficié de subventions de l’Etat pour un montant
global de 1,6 milliard de dinars, selon des sources officielles. Beaucoup plus,
nous disent les professionnels qui fixent ce montant autour de 24 millions
d’euros. Le Pr Kara explique cette situation par le manque d’une culture
d’éleveurs et des opérateurs qui se sont lancés dans les projets aujourd’hui en
panne ou complètement abandonnés. Cette activité bénéfice d’un cadre et de
financements publics absolument exceptionnels et il y a un marché national très
prometteur. Il manque le segment du savoir-faire.
Slim Sadki
Jean-Paul
Blancheton. Laboratoire d’aquaculture à Ifremer et coordonnateur du projet
Aquamed : Identifier les axes du développement durable
-Qu’est-ce
que l’initiative Aquamed ?
L’idée est
née en 2009. C’est une initiative européenne lancée pour renforcer les liens
entre l’Europe et les pays méditerranéens dans le domaine de l’aquaculture. Le
projet a deux objectifs : plus d’efficacité dans les projets de recherche
dans les pays méditerranéens en vue de les valoriser davantage et l’échange des
chercheurs et des professionnels avec facilité d’accès aux installations pour
les compléter au lieu de les reproduire. Le projet vise à créer une plateforme
multi acteurs avec les producteurs, les chercheurs, les ONG, l’administration
et autres institutionnels. Elle vise à identifier les axes de développement
durable de l’aquaculture et les axes de recherche qui en découlent.
-Aujourd’hui
prend fin un atelier d’Aquamed, quel bilan peut-ontirer de ce projet ?
En fait, le
projet prend fin ce 31 mai, cependant, l’UE souhaite s’appuyer sur la
plateforme pour trouver des projets de recherche. La plateforme d’Aquamed est
également un outil du Conseil général de la pêche en Méditerranée de la FAO
(CGPM). C’est un pas important, car toute idée venant de la plateforme et
adoptée par le CGPM est immédiatement applicable à tous les pays
méditerranéens.
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Djelladj
Larbi. Directeur de la ferme aquacole d’Azzefoun : j’importe la totalité de mes
besoins qui représentent 65% des coûts de production
-Comment vous est venue l’idée de faire de l’aquaculture ?
C’est en
1996 que cette idée a germé dans mon esprit, mais je n’ai pu la concrétiser
qu’à partir de 2004, et l’entrée en production s’est effectuée en 2008. Ma
ferme aquacole de loup de mer et de daurade, établie à Azzefoun (Tizi Ouzou),
comprend une unité de reproduction d’une capacité de 10 à 20 millions
d’alevins, qui n’est pas opérationnelle faute de débouchés, et d’une
installation d’élevage en mer de 24 cages flottantes immergées pour le
grossissement. Théoriquement, la production est de 1440 tonnes/an. En 2009,
nous avons atteint 1200 t. Je compte doubler le nombre de cages dans un avenir
très proche et également produire 120 tonnes de poisson maigre.
-Comment
faites-vous pour l’alimentation des poissons ?
J’importe la
totalité des mes besoins qui représentent 65% des coûts de production.
-Cela n’a
pas dû être facile.
Pour entrer
en production, j’ai dû assurer par mes propres moyens la formation du personnel
qui est aujourd’hui de 31 employés qui travaillent en permanence. J’ai envoyé 8
personnes en Italie pour une formation de 4 mois et à deux reprises des
Italiens ont séjourné chez moi durant 12 mois. J’ai également fait appel à une
autre assistance étrangère qui nous a accompagnés pendant 27 mois.
-Quel regard
avez-vous sur cette activité ?
Je dirais,
qu’au départ, la méconnaissance de ce créneau a compromis un démarrage efficient
de toute cette filière. Aujourd’hui, c’est un autre problème qui nous
handicape. Nous travaillons sans qu’aucune législation, aucun texte et aucune
directive ne règlementent notre secteur. Cependant j’ai bon espoir que cela
s’améliore prochainement, car depuis quelques semaines, une commission ad hoc
,qui réunit des scientifiques, des professionnels et des fonctionnaires,
planche pour donner à l’aquaculture algérienne un statut.
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François
René. Laboratoire d’aquaculture à Ifremer et président du CAQ du CGPM de la FAO
: l’absence d’une chaîne de froid est un handicap pour l’Algérie
-Comment
pourrait-on résumer la situation de l’aquaculture dans le monde et en
Méditerranée ?
En 2006, la
production des élevages aquacoles des pays méditerranéens a dépassé celle des
poissons pêchés en mer. Aujourd’hui, c’est au niveau mondial que cela se passe.
Nous sommes, comme à la fin du néolithique : de plus en plus le poisson
vient de la culture et non plus de la cueillette. L’Egypte est aujourd’hui à la
première place des producteurs en Méditerranée avec 1,2 million de tonnes par
an. En 1999, elle n’était qu’à 210 000 tonnes/an. Un prodigieux bond en 10
ans pendant lesquels elle a fait une croissance de 25% par an. Aujourd’hui,
elle se situe autour de 8%. C’est la plus forte dans la région. Elle le doit au
recul du delta du Nil, faute d’apports sédimentaires, et aux élevages en plein
désert dans le Fayoum. La Grèce, qui a bénéficié d’un soutien financier de
l’Europe, arrive également à produire 325 000 t. La Turquie vient juste
derrière avec 200 000 t, complètement absorbées par le marché intérieur.
-A quoi
doit-on cette fulgurante ascension ?
Tous ces
pays se sont appuyés sur le marché intérieur. C’est ce que doit faire l’Algérie
qui a une demande interne immense. Je dis toujours : «En aquaculture, il faut
faire un produit national.» L’Algérie, que je connais bien, a de nombreux
avantages : des opérateurs intelligents, de bons techniciens, mais pas
suffisamment, et une intelligentsia compétente. Un handicap cependant,
l’absence d’une chaîne de froid. J’ajouterai qu’il ne faut pas nécessairement
d’écloserie. Aujourd’hui, avec le transport par bateaux des alevins, ils
reviennent plus cher que si on les produit sur place.
-L’Algérie
possède donc des atouts ?
Autrefois,
il y a une trentaine d’années, on disait que l’aquaculture était peu propice,
mais l’évolution technologique dans ce domaine ouvre maintenant d’immenses
perspectives. Avec, par exemple, les cages flottantes immergées, nul besoin de
rechercher ces baies protégées qui sont rares. Toute la côte se prête
aujourd’hui sans difficulté à l’implantation des élevages.
-Et
l’aquaculture continentale ?
A mon avis,
la carpe et le tilapia en eau douce, qui seraient produits dans les zones
arides et le désert, pourraient servir à approvisionner les grands chantiers
d’hydrocarbures. L’eau douce est un bien précieux qui, notamment avec le
réchauffement climatique, devrait uniquement être réservée à l’homme. Et en
restant dans ces régions, j’ajouterai que les chotts et les sebkhas d’Algérie
offrent une opportunité sans pareille à la culture de micro-algues qui vont
très certainement devenir un complément indispensable à l’alimentation des
poissons en élevage qui, vous le savez, est importé dans sa totalité.
| © D. R.
Cages
flottantes de la ferme aquacole d’Azzefoun.
|
Aquamed, le premier pas
Aquamed est
une action de soutien financée par la Commission européenne qui vise à
développer une stratégie interfonctionnelle pour une aquaculture durable dans
la région méditerranéenne. Ses objectifs sont de contribuer à renforcer les
liens entre les instituts de recherche et les principaux intervenants dans
l’ensemble de la région méditerranéenne et de promouvoir l’innovation, en
abordant les principaux enjeux pour le développement d’une aquaculture durable.
Cet objectif
sera atteint en réunissant les parties prenantes à travers la Méditerranée
(Europe du Sud et Afrique du Nord) en l’aquaculture avec l’objectif général de
mettre en place une plate-forme muli-parties prenantes (MSHP) pour travailler
ensemble, pour identifier et prioriser les besoins de recherche nécessaires
pour une aquaculture durable en Méditerranée. A Istanbul, les 20 et 21 mai
2003, Aquamed a mis en place sa plateforme (MSGP).
L’Algérie,
qui est membre de la FAO et du Conseil général pour la pêche en Méditerranée
(CGPM), y a contribué. Elle était représentée par le Pr Kara (point focal
national du projet) accompagné de chercheurs, de promoteurs et d’une ONG. Le
ministère de la Pêche et des Ressources halieutiques (MPRH) n’était pas
présent, alors que de grands efforts avaient été déployés pour qu’il ait toute
sa place.
Slim Sadki
© El Watan
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