Ce mercredi matin, la petite bourgade de Dahra, au nord de Boukadir, là où les alignements de vignoble épousent langoureusement la montagne, tenait son marché hebdomadaire.
Parti le matin de Mostaganem, Mohamed Meceffeuk, correspondant d’El Watan, se glissait nonchalamment à travers les paquets de fellah venus faire quelques emplettes. La région était devenue un sanctuaire pour les hordes terroristes. Lui qui n’a jamais ménagé les idées obscurantistes dans ses écrits, le savait. Pourtant, comme à son habitude, il allait à la rencontre de cette population à laquelle il ne s’est jamais senti étranger. Il était dans son milieu et discutait avec acharnement avec les gens qui l’entourait. Grace à un irrésistible regard juvénile, il parvenait facilement à capter l’attention de ceux qui l’entourait. Puis soudain, comme sortis de nulle part, un groupe de terroristes fit feu sur lui l’atteignant à mort. En ce mercredi 13 avril 1994 ; Mohamed Meceffeuk tombait sous les balles intégristes. Il était le 17ème journaliste à irriguer de sons sang cette terre d’Algérie. Il venait alors de boucler 50 ans. Je l’ai connu en 1971, je venais de rentrer à l’ITA de Mostaganem et lui y travaillait déjà. Très porté sur l’activité sportive, c’est lui qui nous fera découvrir le stade de Sayada, son village natal. Les matches de foot entre groupes d’étudiants lui permettaient de parfaire son talent d’arbitre.
A l’époque il était déjà membre très actif à la ligue de football de Mostaganem. Rigoureux à l’extrême, il ne tolérait aucune contestation ni remarque. Cette rigueur l’accompagnera durant toute sa vie. Enseignant puis directeur d’école, il fera des passages successifs à l’ONAMA puis à l’ONACO tout en continuant à se parfaire dans l’arbitrage. Où il se fera très vite une réputation de juge impassible et honnête. Il trouvait encore du temps pour activer dans le caritatif. Venir en aide à son voisin et repousser l’injustice ne l’a jamais rebuté. Véritable force de la nature, il enchainait activités sportives et professionnelles sans relâche. C’est ainsi qu’il se fera très vite une réputation d’homme affable, intègre et engagé. Dès l’ouverture du champ politique, il rejoindra le MDA de Ben Bella. Sitôt l’apparition de la presse privée, Mohamed s’y engouffrera avec fracas. Ses débuts il les fera dans le périodique «Détective» où il fera étalage d’un véritable talent d’investigateur de premier ordre. Il est vrai qu’il est titulaire d’un brevet du second degré en sciences de l’observation. Délivré le 30 juillet 1960 par le recteur de l’académie de Paris ! Excusez du peu !
Arcbouté sur sa mobylette, il ne reculait devant aucun obstacle pour aller chercher l’information à la source. Il ne se contentait jamais des procès, ni encore moins des comptes rendus de greffier. Très vite, sa notoriété fera le tour de la ville puis de la région. Il se faisait un point d’honneur à dactylographier ses papiers avec minutie, grâce à une vieille machine qu’il avait acheté sur ses propres deniers. Puis très rapidement, il rejoindra la presse quotidienne, travaillant simultanément pour la Nouvelle République, Liberté, Le Matin puis El Watan. Dans son magasin de la rue Med Bouras, il trouvait toujours du temps pour réparer postes de radio, magnétophones et téléviseurs. Il aurait pu faire fortune, comme nombre de ses collègues. Il n’en sera rien, lui sa passion c’était de se rendre utile. Combien de clients reprenaient leurs appareils en s’acquittant seulement du prix de la pièce défectueuse ? C’est pour cela que cette activité qu’il pratiquait avec compétence et engagement, il finira par s’en éloigner. Ses engagements journalistiques finiront par lui accaparer tout son temps. Rapidement, la collaboration avec El Watan lui imposera un rythme soutenu. La notoriété du journal qui s’affirmait de jour en jour l’incitait à plus d’efforts. Il ne rechignait devant aucun sujet ni aucune difficulté. L’avènement des partis intégristes lui permettra de choisir son camp de manière radicale. Le sportif, l’éducateur, l’homme d’action avait dès le début dénoncé les dérives islamistes. Les scandales de détournements et de dilapidation des deniers publics, il en faisait sa spécialité. Entre deux papiers culturels et sportifs, il glissait toujours un reportage parfaitement documenté sur la corruption et les passe-droits.
Très vite, il deviendra la cible de nombreux clans et lobbys locaux. Il recevait des menaces de toutes parts mais ne se démontais jamais. Il était devenu un véritable incorruptible, avec comme seules armes un stylo acéré, un appareil photo et un dictaphone qu’il arborait ostentatoirement. Sa popularité de justicier sans peur et sans reproche, il s’en servait pour aller toujours de l’avant. Le jour de sa mort, les regards se tourneront vers ceux qu’il n’aura cessé de dénoncer. Il laissera derrière lui une veuve éplorée, des orphelins inconsolables, des collègues amoindris, une population désemparée et un pays meurtri. Depuis ce triste jour du 13 avril 1994, la faucheuse intégriste emportera encore 87 journalistes – dont 2 disparus - portant le tribut payé à la liberté d’expression à 104 victimes, dont 3 étrangers. Mohamed Meceffeuk d’El Watan était la 17ème victime de la barbarie intégriste!
Sa veuve, affaiblie et diabétique se fera écraser par une voiture à deux pas du siège de la wilaya de Mostaganem où elle venait quémander –sans suites- ses droits de victime du terrorisme ! Elle sera enterrée à proximité de son mari au cimetière de Sidi Ahtmane. Grace aux patriotes sincères, une stèle a été érigée à sa mémoire là où il tombé en martyr du devoir.
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