Des larmes de Benabdelhalim aux cris de Halim
Le demi-siècle qui vient d’accomplir le festival de théâtre
amateur de Mostaganem se devait d’etre un instant de rétrospection, d’introspection
mais aussi de perspectives. Vendredi 14 et samedi 15 juillet, concomitamment
avec le lancement hésitant de la cérémonie d’ouverture de cette 50ème
édition, ont été consacrés à la tenue d’un symposium. Confiée à de jeunes
amateurs, son organisation a été quelque peu chaotique. Mais seulement au
début. Les absences de quelques invités, les interférences des gardiens du
temple, les inconstances des certains participants et la grande fougue des
nombreux présents, a tout de même permis de sortir de cette fournaise
intellectuelle, sans trop de dégâts. Les vœux de nombreux anciens, partagés
sans aucune équivoque par Med Nouari, le commissaire de la république pour
cette manifestation, ont aidé à la confection d’une plateforme à minima. Cependant,
là n’est pas l’essentiel ! Comme il fallait s’y attendre, l’indéboulonnable
débat entre le théâtre amateur et le professionnel, la pratique théâtrale et
les liens supposés ou espérés avec la sphère universitaire, le recours à l’autofinancement
ou le maintien du système des subventions, si contraignant et aussi si pratique
-s’agissant de la principale épée de Damoclès- n’ont pas été oubliés. Pourtant,
l’essentiel n’est pas là ! En effet, le hasard faisant toujours les choses
à sa manière, ce symposium a vu la participation de quelques invités
inattendus. Egyptiens et Marocains ne se sont privés pour intervenir et déclamer
quelques vérités qui ont tenus en haleine une partie des présents. Car à ce
niveau, il faut savoir décrypter les messages sibyllins de nos frères arabes du
Machrek et du Maghrib. Heureusement que Libyens et Tunisiens n’étaient pas de
la fête. Toujours est-il que ces interventions ont le mérite de la sincérité.
Ils nous ont dit que nous les Algériens, nous avions la plus ancienne
manifestation culturelle de la région. Çà, on le savait déjà ! Ils nous
ont aussi dit que nous n’en avions pas grande conscience. Lorsque le jeune et
dynamique Abdelguerfi nous étalera avec chiffres à l’appui- puisés dans sa thèse
consacrée au festival Gnaoua d’Essaouira- il mettra le couteau dans la
profondeur de la plaie.
Kaki et Alloula en exécuteurs testamentaires
En peu de mots, ce jeune homme spécialiste des
manifestations culturelles nous a dit toutes nos tares et toutes nos lacunes.
Le festival d’Essaouira produit de l’argent, beaucoup d’argent, en millions d’euros…sans
aucune subvention. La petite ville marocaine a même été obligé d’ouvrir, le
temps de son festival de 3 jours, un aérodrome qui reçoit du monde entier des
vols charters ! Aucun clin d’œil coquin à la ville de Mostaganem, trop empêtrée
avec son Mostaland et son chantier poussiéreux et poussif, trop poussif du
tramway nommé désir. La journée du samedi a été d’une rare densité. Car, dans
la salle, alors que personne ne savait qu’il était parmi nous, -et pour cause moi-même
dans mon intervention je lui avais souhaité un prompt rétablissement- il y avait
Ali Aïssaoui ! Journaliste, réalisateur, producteur, amateur de théâtre et
grand ami du festival ! Mais aussi homme d’une grande culture et d’une
plus grande humilité. Le jeune universitaire venu de la perle Tlemcen, ne le
connaissant pas, a failli provoquer un incident malencontreux…alors qu’il s’apprêtait
à clore la séance du matin, je lui ai soufflé à l’oreille afin qu’il donne la
parole à Ali Aïssaoui. Il a très bien fait de m’écouter ! Debout, sans
micro et sans filet, Ali Aïssaoui nous annonce que lors de la séance de l’après
midi, il allait présenter un documentaire où Djillali Benabdelhalim délivrait
son testament. En effet, pendant une dizaine de minute -alors que le film d’une
durée de 52 minutes sera offert au festival, à l’occasion de ce cinquantenaire,
le réalisateur, qui fut proche collaborateur de mon ami Hosni Kitouni, une
belle référence que cet homme de culture et historien passionné…et passionnant !-
nous délivra des images d’une rare beauté. Et des entretiens menés avec
déférence avec certains acteurs de premiers plans comme Mekki Bensaïd,
Benmokaddem, Ghali Elaakeb, Bouziane Benachour, et le monumentale – pas seulement
par la taille !- Ssi Djilali Benabdelhalim…avec à ses cotés, excusez du
peu…Abdelkader Alloula et sa majesté « Kaki »…qui l’écoutaient
religieusement…grillant continuellement une cigarette…mais tellement concentrés
sur les mots que chacun savaient comme étant à la fois prémonitoires et…testamentaires.
Cherchant ses mots, les ajustant comme un bon cantonnier, Ssi Djilali
manifestement très atteint demande alors à ce que l’on prenne soins du festival…son
festival, l’œuvre de sa vie…de toute sa vie…se sachant arrivé au bout du
rouleau, il dira, la gorge nouée combien il fallait tout faire pour maintenir
en vie l’esprit du festival amateur…puis, hésitant, cherchant un mot de
réconfort qui ne viendra pas…il fond en larmes ! Et toute la salle, comme
pétrifiée, se laisse envahir par une grande émotion…et un sentiment de
responsabilité…et de culpabilité. Sommes-nous capables de respecter le vœu ultime
de Mustafa Benabdelhalim ? Avons-nous trahis son testament ?
La réponse viendra de la bouche de Halim Zéddam…et de Raïs
Boualem. Ce dernier, assis à ma gauche, est resté scotché pendant toute la projection.
Puis, cachant difficilement son émotion, il me chuchotera avec conviction, tout
en montrant la photo que Ssi Djillali qui nous faisait face « c’est pour
lui que je suis encore là » !
La génération sacrifiée
Invité donc à parler des perspectives et de la feuille de
route post cinquantième, Halim Zeddam, avec des mots d’une rare sincérité et d’une
inébranlable conviction, fera un feed-back qu’il qualifiera lui-même de
nécessaire. Sans forcer le trait, il reprochera à l’ensemble des intervenants d’avoir
essentiellement axé leurs discours sur la première période du festival. Occultant
par là celle de la décennie noire, égrenant
les martyrs ayant versé leur sang pour avoir maintenu la pratique théâtrale en
vie malgré la déferlante intégriste. C’est nous, dira-t-l avec force, les
cinquantenaires qui avons lutté, chacun dans son coin pour que le théâtre ne
soit pas assassiné. C’est nous qui avons bravé la déferlante intégriste au prix
de notre sang ! C’est nous, la seconde génération qui avons maintenu le
festival à flots, traversant au prix de tous les risques toute l’Algérie pour
venir nous produire à Mostaganem. Sans rien renier des apports et contributions
de nos ainés, nous avons aussi assurés notre part d’histoire, alors, je ne
comprends pas ce silence, je ne comprends pas cette amnésie.
A plusieurs reprises, enlevant puis remettant ses lunettes,
signes d’une grande effervescence intérieure, Halim fera un procès en règle de
cette mise en sourdine des acteurs de la décennie 90. Entrecoupant son discours
de longs moments de silence, il égrènera les noms de ses camarades. Sid Ahmed
Kara, l’un des fers de lance de cette génération, parvenait à peine à retenir
sa colère…et son émotion. Il prendra lui aussi la parole pour abonder dans le même
sens, soulignant combien lui et ses compagnons n’ont manqué n’i d’audace, ni de
témérité, ni d’insolence. Pertinence ne serait pas de trop. Car, c’est dans
cette période trouble que moi-même j’avais accueilli le festival à l’ex ITA…avec
en sublime récompense une grande affluence du public mostaganémois, avec jeunes
filles, femmes et enfants. Ceci pour abonder dans le même sens que Halim qui en
appellera à « rendre le festival à la population de Mostaganem » et à
le réintégrer dans la cité qui l’a vu naitre, qui l’adopté, choyé et aimé.
Le Temps de l'Audace
Ces larmes de ssi Djilali, ces cris de Halim et d’Abdelkrim
Ghribi, ces appels répétés pour une nouvelle gouvernance, ces jeunes qui en
veulent, sont les prémices d’un sursaut que le symposium se doit de
concrétiser. Il est bon se passer le témoin, mais il serait encore plus
valeureux de l’arracher par la force…pas la force brutale, ni celle de certains
trainards qui n’ont pas compris qu’il ya le feu en la demeure. Non la force
dont il s’agit est celle émanant du constat sans détours que le festival n’est
pas l’apanage des « gens de Mostaganem ». Sans ne veux rien dire,
mais c’est vital…Certe, il y les larmes de Ssi Djilali, mais il y a aussi le cri
– en anglais le cri signifie aussi larme ! de Halim, de Sid Ahmed, de
Boualem, de Abdelguerfi…de Watteau…du Prolet Kult…et de tant d’autres…Oui la
matrice du festival c’est la ville de Mostaganem…mais sa nourrice c’est toute l’Algérie…alors,
encore un effort…retour à une association ? Création d’une fédération des
troupes amateurs ? Mise en place d’un conseil artistico-scientifique
NATIONAL ? Après les larmes, les cris et les incantations, ne voilà-t-il
pas venu le temps de l’audace ? Et cette déclaration à minima du symposium
de « Mosta50’th » ne mérite-t-elle pas de porter le paraphe de l’ensemble
des participants à son élaboration? C’est aussi ça l’écriture de l’histoire !
Ou alors faudrait-il que dans 50 ans, nos arrières petits enfants en viennent à
se demander qui était là lors de sa vagissante naissance ? Non les larmes
de Ssi El Djillali méritent plus de considérations…Merci à Ali Aïssaoui pour
cette fabuleuse offrande…et merci à toi Halim Zeddam pour ce cris incandescent
qui brulera longtemps nos méninges.
Mostaganem le 15 juillet 2017
Aziz Mouats
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