Comme
il fallait s'y attendre, les récupérateurs n'ont pas chômé en cette fin
d'année. On a eu droit à toutes les avanies et à toutes les indignités
possibles et inimaginables. L'occasion, le décès en terre helvétique de
Hocine Aït Ahmed.
Sans doute que même le pouvoir très personnel et très
singulier d'Abdelaziz Bouteflika ne s'était pas préparé à cette
éventualité, c'est dire l'incurie qui règne en haut lieu. Finalement,
cette disparition aura pris de court tout le monde politico-médiatique
national, jusque et y compris le sommet de l'Etat. En effet, attendre
plus de 24 heures pour décréter un deuil national pour la mort d'un
véritable combattant de la libération et de la liberté d'expression
n'est pas à la portée de n’importe quelle république, fut-elle
démocratique et même populaire. Il se trouve que dans cette course
effrénée et honteuse vers la récupération, il y a des attitudes qui
choquent bien plus que d'autres. Sachant que même le FFS que l'on
présente – à tort à mon avis – comme étant la seule force d'opposition
intelligente n’a pas été à la hauteur de cette réputation ; mais la plus
belle femme du monde n'offre que ce dont la nature l'a comblée.
Pourtant, c'est dans la sphère médiatico-politique, là où est censé se
trouver le creuset de la réflexion intellectuelle nationale, que les
prises de position des uns et des autres interpellent. Soit par leur –
rare – lucidité, soit par leur insoutenable dévoiement.
Un Panthéon indigène
Laissons le
temps décanter cette marmite à bouillabaisse et regardons de plus près
quelques attitudes. La plus naïve consista à jeter l'opprobre dans la
suspicion sur le choix du lieu de l'enterrement ; avec à la clé une
vision empruntée du concept de nation qui consiste à faire abstraction
des combats antérieurs – qui sont ceux de toute une vie pour ce qui est
de Hocine Aït Ahmed –, de se renier au profit d'une consécration post
mortem dont l'accomplissement serait un enterrement convenu dans une
sorte de «Panthéon indigène», qui serait la simple réplique de celui
érigé en France sous la bien-pensance d'un illustre ministre de la
Culture du général de Gaulle. Avouons que la démarche participe aussi
d'un sentiment d'appartenance à une culture et à des attitudes qu'il
serait pour le moins offensant d'imposer à l'un des chantres de la lutte
contre toutes formes d'aliénation et de colonisation, comme peut l'être
Hocine Aït Ahmed. Sans doute que le premier vrai couac est intervenu en
terre étrangère, lorsque le sieur Ferhat Mehenni a souhaité prendre la
parole et surtout serrer la main au fils d'Aït Ahmed qui l'aura évité
comme la peste. L'incident n'a pas échappé à un bouillonnant militant du
FFS -présent à Lausanne?- qui répercuta l'évènement sur la Toile.
Soulevant une multitude de réactions approbatives et d'autres plutôt
interpellatrices, certains, dont des journalistes, n'hésitant pas à
condamner non pas l'action d'évitement, mais plutôt le fait que
l'évènement ait été rendu public par ce cadre du FFS, député de son
état. A l'évidence, leurs auteurs, s'érigeant parfois en donneurs de
leçons – ceci n'est pas une nouveauté dans la presse locale, dont
certains acteurs ne s'embarrassent plus de scrupules, ni a fortiori de
déontologie ou simplement d'éthique –, faisant allègrement l'impasse sur
les attitudes et postures totalement opposées et contradictoires entre
la perception qui était celle de feu Hocine Aït Ahmed d'une «nation
algérienne», certes diverse, mais une et indivisible, et l'attitude sans
ambiguïté de Ferhat Mehenni, qui s'est érigé en chantre de
«l'indépendance de la Kabylie». A lire la véhémence de certains propos
visibles sur la Toile, on est en droit de craindre que ces déballages ne
parviennent à la rédaction des journaux et ne débordent sur la voie
publique à travers moult manchettes et autres chroniques. Si on
cherchait à enterrer une seconde fois le combattant et l'homme politique
aux postures tranchées que fut Aït Ahmed, on ne s'y prendrait pas
autrement. Car de prime abord, vu la réactivité et les tirs groupés, il
semble bien que l'affaire n'est pas une simple escarmouche et que les
longs couteaux sont déjà parfaitement aiguisés.
On peut comprendre
l'appel pressant de l'universitaire Ahmed Cheniki : «Personne n'a le
droit de s'accaparer d'une partie de l'Histoire, patrimoine de tous les
Algériens. C'est vrai que la formation politique et intellectuelle de
nombreux moudjahidine, même au faîte de la responsabilité, pose
sérieusement problème. Est-il normal qu'on continue à régler
gratuitement des comptes, sans aucune preuve ni argumentation ? Si tel
ou tel détient une preuve, qu'il la présente, sinon cela relèverait de
la justice (propos diffamatoires). L'égocentrisme de l'ignorance est un
plat désormais goulûment partagé par les uns et les autres. Il est
triste de voir des universitaires reproduire ce type de discours, sans
aucune prudence méthodologique ni distance. A ce stade, il n'y aurait
que des traîtres.»
Quand Saadi encense Yacef
Comme on ne peut que s'interroger sur les motivations
et surtout le contenu du message de Yacef Saâdi dans lequel ce dernier
s'est laissé emporter au point où son papier qui se voulait un hommage
au cher disparu a tout simplement été transformé en autoglorification de
son auteur ; ce dernier n'hésitant pas à mettre en relief les moindres
instants où des évènements fortuits lui ont fait croiser le chemin du
redoutable homme politique et d'action que fut Hocine Aït Ahmed.
Lorsqu'il souligne la rencontre avec ce dernier au niveau de la prison
de Fresnes, Yacef Saâdi ajoute : «Bien sûr, nos chemins se sont séparés,
mais ils sont restés toujours convergents vers un but unique : une
Algérie libre et indépendante ...Chacun avait sa propre façon et manière
pour y arriver, mais le contact entre nous est resté par des
intermédiaires. Nous nous sommes revus en 1957 à la prison de Fresnes ou
j'étais prisonnier en compagnie de Boudiaf, Khider, Lacheraf, Taleb
Ahmed, Boumaâza, Bencherif et des responsables FLN de France.» Tout est
dit... surtout lorsque l'auteur souligne « à la prison de Fresnes où
j'étais prisonnier», ajoutant sans vergogne que ses compagnons de
l'époque ne sont autres que Boudiaf, Khider, Lacheraf... Alors qu'en
réalité, ce qui est demandé à Yacef Saâdi aujourd'hui et devant
l'Histoire, c'est pourquoi et comment, à l'inverse de Ben M’hidi,
Hassiba Benbouali et Ali la Pointe, tous tombés au champ d'honneur, lui
est devenu, c'est lui qui le souligne, l'illustre prisonnier de Fresnes
aux côtés des autres historiques, les vrais. Au moment où Hocine Aït
Ahmed se fait inhumer auprès des siens et par les siens, sur les
majestueuses montagnes de Kabylie – n'en déplaise à mes amis
journalistes qui auraient préféré l'enterrer à El-Alia – l'intrusion de
Yacef Saâdi sonne comme une dernière pichenette de Da L'hocine envers
l'histoire et surtout envers la vérité. N'est-ce pas Madame Louisette
Ighil-Ahriz, notre héroïne nationale ?