vendredi 30 mai 2014

Propos sur le festival de Mosta



Dossier de presse concernant l’ouvrage :

« Des Louveteaux de Tigditt
Aux Ombres Chinoises »

(Épopée du Festival national de Théâtre Amateur de Mostaganem)
Parution le 31 mai 2014
Editions APIC, Alger
274 pages


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Avant-propos
Avant-propos
Voilà quarante sept ans de clameurs, sans que le festival du théâtre amateur ne montre le moindre signe d’essoufflement ou de lassitude. Ni les intrigues, ni les renoncements n’auront réussi à émousser l’engouement des jeunes comédiens envers cette glorieuse manifestation, dont la notoriété et l’éclat n’ont eu de cesse de s’amplifier. Pour autant, la première manifestation d’envergure nationale depuis l’avènement de l’indépendance de l’Algérie n’aura pas eu l’honneur d’un texte retraçant ses balbutiements premiers, ses coups d’éclats contre le FLN et ses intrigues de parti unique, ainsi que ses multiples impérities de l’après octobre 88. 

C’est désormais chose faite ! Il faut bien un début à tout. L’idée de consacrer un ouvrage à cette fabuleuse et ô combien singulière aventure, date de plusieurs années. Sans doute est-ce le jour où la manifestation retrouvait l’esplanade de l’ITA que l’idée commençait à germer. Voir ces cohortes de jeunes filles, de femmes et d’enfants, prenant résolument possession de cet espace, alors que dans la cité alentour, dans les dechra et les douars, de simples citoyens se laissaient surprendre par une mort violente, aussi stupide qu’inutile. En ces années de sang et de larmes, la venue de ces troupes venues depuis les contrées les plus lointaines, parfois des lieux même où des massacres collectifs se laissaient commettre dans une insoutenable indifférence, il fallait bien que des artistes amateurs, mais tout aussi convaincus de la justesse de leurs combats, puissent donner une autre dimension à notre rêve de liberté, à notre soif de vivre, et surtout de le faire savoir. Observer, non sans une réelle appréhension, ces interminables grappes se frayer une place face à la scène qu’un jardinier – l’ami Rabah Zaoui, l’horticulteur de nos jours sombres – se faisait un devoir de fleurir chaque soir d’une gerbe où les Zinnia trônaient orgueilleusement aux cotés des oeillets d’Inde et des roses, ne laisse aucun répit. Accueillir des nuits durant ces frêles fillettes de Miliana venues présenter, avec une telle audace, le Songe d’une nuit d’été de sa majesté Shakespeare, là, sur cette esplanade de l’ITA, il y avait de quoi stimuler les moins hardis.
Cependant, pour des raisons multiples, le projet n’arrivait pas à amorcer le moindre frémissement. Si bien qu’en 2009, à l’ouverture de la 42ème édition, plusieurs voix parmi les anciennes gloires, c’est-à-dire les plus autorisées, prenant conscience de cette lacune, abonderont dans le même sens que leurs compagnons du premier cercle : l’histoire du festival du théâtre amateur devait être écrite, et si possible de leur vivant ! Tous se désolaient que cette étape cruciale dans leur vie ne soit pas transmise à la postérité. C’est à ce moment là qu’intervient la disparition du Guerrab. Incontestablement, le décès d’Abdelkader Benmokaddem, l’inégalable marchand d’eau d’El Guerab Oua Es-Salhine servira de catalyseur. Si bien que l’idée de me consacrer à ce travail se mit à tournoyer avec insistance. Car si l’aventure intellectuelle en valait la peine, il fallait se rendre à l’évidence, sans archives et sans plan de travail, la tâche paraissait insurmontable. Comment en effet restituer fidèlement et entièrement cette grande épopée du théâtre, sans trahir ses géniteurs, sans réduire ni encenser les uns et les autres, et surtout sans altérer les faits ? D’autant que même les coupures de journaux d’époque se mirent à manquer. C’est pourquoi, lorsque Larbi Benzidane parviendra à réunir quelques articles de l’époque, il devenait patent que je disposais d’un levain, et qu’il m’appartenait de faire lever la pâte. C’était suffisant pour que l’écriture de cette épopée commence. Puis, au fil du temps, des recoupements avec des témoins faciliteront l’élaboration d’un projet qui me tenait secrètement à coeur depuis bien longtemps.
M’appuyant à la fois sur les archives des journaux, mais également sur des témoignages recueillis auprès de ceux qui furent les acteurs de premier plan, l’ouvrage offre un véritable condensé de ce que fut l’aventure du festival. Il a été écrit dans l’unique souci de renouer avec cette somptueuse entreprise, sans rien ajouter ni retrancher à la réalité. Car dans tout travail de mémoire, il y a toujours deux risques, celui impardonnable de la subjectivité et du parti-pris, et celui factuel de la défaillance mémorielle. Deux écueils qui vont inciter le rédacteur à faire des recoupements avant d’opter pour la version qui lui paraitra, en toute conscience, la plus consensuelle et la plus vraisemblable. 

C’est pourquoi, à tous ceux qui ont spontanément acceptés de participer à cette quête de la vérité, je voudrais leur dire ma reconnaissance et leur demander de ne pas tenir rigueur au travail accomplis, en grande partie grâce à leurs contributions. Certains de leurs propos pourront ne pas avoir été reproduits dans leur totalité, ni dans la fidélité, d’autres seront tout simplement occultés par souci d’objectivité et de cohérence. Malgré toutes les précautions, il n’est pas impossible que des parties du récit ne soient pas consensuelles, ceci n’enlève rien à leur force, ni à leur pertinence. Enfin, à l’orée de ce travail, il est une évidence que l’histoire du festival de Mostaganem reste à écrire. Cet ouvrage ne pouvait relater toutes les facettes de ce mouvement théâtral, sans précédent dans l’histoire de l’Algérie nouvelle. Il n’est que le reflet d’une activité bouillonnante à laquelle la jeunesse algérienne s’est toujours identifiée sans compter. 

Elle continue de le faire avec constance, afin que le droit à l’expression libre et multiple ne soit jamais un voeu pieux. Ce festival aura été une oeuvre éminemment civilisationnelle dans son essence, culturelle dans ses implications, et historique dans ses prolongements. Que ce soit au niveau de la salle Afrique, sur l’esplanade de l’ITA, durant la décennie rouge, ou sur les gradins du stade Benslimane, le festival aura su transcender les passions et raviver les pulsions chez ces jeunes généreux et impulsifs, besogneux et combatifs, confiants et insouciants ; mais toujours aussi profondément accrochés à une seule cause, celle de la vérité. Puisse ce travail rendre justice à tous ceux qui – à l’instar de l’Emir Khaled, dès la fin de la première guerre mondiale, auront mis sur rails le projet d’émancipation du peuple Algérien. Car il est indéniable que sans ces bruissements patriotiques des débuts du XXème siècle, jamais le peuple algérien n’aurait pris conscience de sa force, qu’il puisera avec justesse depuis son immense patrimoine. Que des générations, souvent démunies, auront su préserver, durant plusieurs millénaires, malgré toutes les injustices et toutes les oppressions.




Introduction
Il y a 24 ans, au moment où il tirait sa révérence, le 10 juin 1990, Mustafa Benabdelhalim, plus connu sous le patronyme de « Si Djilali », venait tout juste de fêter ses 70 ans. Ce jour là, ils n’étaient pas nombreux ceux qui croyaient en la survie du festival du théâtre de Mostaganem, dont lui seul assumera la paternité pour la postérité. Son géniteur et sa cheville ouvrière ne pouvait un seul instant imaginer sur son lit de mort, que son enfant terrible, fruit d’un libertinage tardif et d’une passion dévorante, allait se frayer au prix de mille convulsions et d’autant de renoncements, les chemins d’une consécration disputée. Mais non moins indiscutable !
Non pas celle qui permet d’atteindre le pinacle, ce n’était point l’objectif initial, mais celle qui aide à jalonner le temps. Et surtout pour prouver à tous les incrédules que la province peut parfois, et avec bonheur, damer le pion à Alger et à sa suffisance. A l’époque où le pays entrait tête enturbannée dans une période trouble, son festival allait souffler ses 25 ans, un quart de siècle de défis, d’espérances, de persévérances et d’obstinations. A cet âge, l’indécision se paye au comptant.
Sans rien laisser transparaitre de sa fébrilité, « Si Djilali » tirait définitivement sa révérence, laissant derrière lui une manifestation qui peinait à se frayer un chemin, mais qui ne doutait point de son destin.
Car contrairement à l’idée généreusement répandue que le festival amateur de Mosta était venu en réplique à celui du grand Jean Vilar, dans l’auguste cité d’Avignon, les compagnons de « Si Djilali », Mekki Bensaïd, Ghali Elakeb, ou Ahmed Boualem entre autres, tous d’anciens scouts, sont formels à ce sujet. Ni Mustafa Benabdelhalim, ni ses amis des premiers balbutiements post indépendance, n’avaient pour projet la reproduction d’une réplique sur la rive sud, du très prestigieux festival d’Avignon, là où, aux cotés de Jean Vilar, un certains Jacques Lang, fera ses premières classes dans la culture populaire et l’expression scénique, avant de s’arrimer au lancement du festival de Nancy. L’intrusion, dans ce frontispice du célèbre continuateur de l’oeuvre de Malraux, avec d’autres sensibilités, n’est pas fortuite, comme on le soulignera grâce à la perspicacité de l’une des mémoires vivantes du festival du théâtre amateur, l’incontournable Kémal Bendimered, dont la seule évocation, à ce niveau de ce travail d’introspection, n’est ni fortuite, ni usurpée, tant le personnage aura à sa manière imprimé un véritable label au festival.
Mieux, elle donnera à ce récit une réelle crédibilité, car à l’instar de ses pairs de la presse de l’époque, il donnera le meilleur de lui-même pour faire de cette manifestation singulière, un lieu où convergeront sans discontinuité tous ceux qui avaient la culture en partage. En héritage ne serait point excessif, tant leur engagement sera sincère, profond et totalement désintéressé.
Avec d’autres plumes toutes aussi érudites, toutes aussi sincères, toutes aussi engagées, toutes aussi incontournables, nous allons remonter le temps, grâce à leurs écrits et grâce à des témoignages d’autres acteurs de ce formidable mouvement culturel dont les vibrations continuent de stimuler des générations de jeunes acteurs amateurs qui, par vagues ininterrompues, n’hésiteront pas à faire des planches nomades de Mostaganem, un passage obligé. Mieux, un lieu de ressourcements.
En effet, après 45 ans, le festival de Mostaganem continue d’être le plus enviable passage dans la carrière de ceux et celles parmi les jeunes qui vibrent pour ce patrimoine culturel universel que seul le théâtre permet de véhiculer et de perpétuer. 

Annoncé pour définitivement mort à chaque édition, après le moindre couac dans la distribution, dans les gratifications ou dans l’organisation, le festival de Mosta se surprend lui-même par une survivance renouvelée que personne ne parvient à comprendre ; mais que tous dégustent à chaque édition, comme on le ferait pour un élixir divin aux suaves émanations.
Au moment où il égrène sa 45ème édition, il était naturel que ce formidable évènement, qui aura survécu à toutes les turpitudes inhérentes à la construction sans cesse différée d’un état national et démocratique, que l’évènement reçoive enfin une consécration sous la forme d’un livre dont la seule mission est de porter témoignage. 

En toute amitié à tous ceux qui ont fait ce festival, par leur présence dans les coulisses, sur la scène ou dans les travées. Mais également en toute reconnaissance à tous ceux qui, grâce à l’image et au texte journalistique auront permis à ce festival de tous les défis d’être connus et surtout reconnus, non pas seulement dans les moindres recoins de l’Algérie, mais bien au-delà de nos frontières. Car combien même à ce jour, les écrits journalistiques n’auront pas eut droit à la moindre manifestation d’un début de reconnaissance, il est indéniable que ce sont les centaines d’articles parus dans la presse nationale, essentiellement de langue française, qui auront frontalement participé à la notoriété de cette noce de Mostaganem avec le quatrième art.
Autant dire que la relation n’aura pas été aisée entre les troupes participantes, les artistes, les organisateurs et la presse. Dont les envoyés spéciaux auront fait montre d’une grande objectivité, d’une réelle liberté de ton et surtout d’un grand engagement auprès du festival. Un engagement sans lequel, cette manifestation n’aura jamais survécu aux impérities, aux entorses, aux injonctions et aux manipulations de tous ordres.
Le temps aidant, on peut aisément faire la part des choses entre un journalisme de complaisance et un journalisme rigoureux, critique et intelligent. Dans ce cadre également, il n’est pas possible de nier que Mostaganem fut une très bonne école. Celle d’un journalisme intransigeant, courageux, engagé, implacable et profondément patriotique en ce sens que pour lui, seul l’intérêt général primait. Ce n’est pas sans raison que les seules reliques que chaque festivalier gardera jalousement dans un placard, sont ces coupures de journaux de l’époque.
Au fil des éditions, la couverture médiatique se fera de plus en plus dense, de plus en plus diverse et de plus en plus professionnelle. Du moins durant les quinze, voire les vingt premières années. Car bien avant l’avènement de la presse privée, les écrits de qualité se feront moins prégnants. Une nouvelle génération venait de prendre le relais, dans des conditions très particulières.
Alors qu’il ne subsiste presque aucun texte de la première édition, il n’en sera plus de même pour les suivantes. Mais c’est incontestablement à partir de la 3ème édition, celle d’aout 1969, que les écrits journalistiques se feront plus nombreux et plus incisifs. Ce constat n’est pas uniquement dû à la qualité des spectacles ni à la prestation des jeunes acteurs qui feront vibrer les planches, au grand bonheur d’un public exigeant, chauvin, insatiable et parfois insolent. Il s’explique surtout par la présence chez les gens de la presse, de nombreux talents en herbe qui n’attendaient que ce challenge pour exploser.
Ce festival n’est qu’une insolence naturelle chez une jeunesse en quête de repères et de nouvelles sources de motivation. C’était çà l’ambiance bon enfant qu’offrait Mosta à un pays qui se cherchait une voie spécifique vers une nouvelle forme d’émancipation.

En guise d’épilogue

C’est non sans un pincement au coeur que ce dernier chapitre est rédigé. Car comment conclure, après plus trois années de travail ininterrompues, sur un sujet aussi prenant ? Le hasard du calendrier a fait que le dernier personnage à témoigner est sans doute celui qui imprima à tout jamais une cadence au festival de Mostaganem. En effet, Abdallah Hamlaoui n’est pas un comédien ordinaire. Arrivé à Mostaganem avec la troupe du GAC, c’est lui et ses compères qui donneront au festival, et ce dès la seconde édition de 1968, sa stature nationale, et surtout son cachet particulier d’un théâtre de combat et « d’un spectacle en totale rupture avec les pratiques théâtrales en vigueur jusque là ». Celui des pionniers du début du 20ème siècle, un théâtre truffé de pièces insipides, plein de dialogues décousus, le plus souvent empruntés au théâtre populaire, où Djéha n’était là que pour débiter un discours moralisateur. 

C’est à juste titre que dès la première participation des comédiens du Vieux Rocher, la pièce et les acteurs seront encensés aussi bien par le public que par le jury. Le GAC, dès le début, avait mis la barre très haute ; à chacune de ses présentations, il était craint comme le serait un adversaire redoutable et arrogant. Si bien qu’à chaque participation, comme le soulignera Abdallah Hamlaoui, les organisateurs prenaient soin de les programmer à l’ultime soirée, de crainte de provoquer une défection du public. L’acteur se souvient, quarante-trois ans plus tard, qu’à chaque édition, le public s’enquérait d’abord de la présence des Constantinois. Une participation c’était l’assurance d’un festival de très bonne facture. La seule présence du GAC était un gage de qualité ; elle rassurait les organisateurs et le public, mais n’était pas toujours appréciée par certaines troupes, à qui elle faisait toujours de l’ombre. Avec le temps, d’autres associations parviendront à s’inscrire leur nom en lettre d’or. On peut citer le MTK de Koléa, Mohamed Touahri de Miliana, Houari Boumediène de Guelma, le Mouvement Théâtral de Bordj Ménaiel, le CAC de Constantine, la Coopérative Animative de Guelma, ainsi que la troupe Emir Abdelkader de Stidia, sous la houlette de H’mida Belaâlem.
S’il n’est point aisé, à l’orée de ce travail, de faire un bilan définitif de cette folle aventure, il n’est pas exagéré de souligner qu’en dépit des multiples contreperformances, le festival du théâtre amateur demeure incontournable dans la vivification de l’art dramatique national. C’est lui qui permet, à la plupart des troupes amateurs, de passer sans difficultés le gué agité qui donne accès à un statut intermédiaire que Mohamed Kali désigne par « théâtre semi professionnel ». Un statut hybride qui permet aux troupes qui y accèdent de garder un pied dans le festival de Mostaganem et l’autre, dans le festival professionnel. 

Dans une contribution parue en juin 2011, Mohamed Kali donne à la fois les contours, les contraintes, et surtout les avantages qu’un tel statut met en perspective. Après avoir souligné que la majorité des troupes ont fait leur preuve au niveau de Mostaganem, le journaliste rappelle que la plupart d’entre elles proviennent des « coopératives théâtrales nées dans la tourmente des années 1990 ». Affublées du titre de « compagnies indépendantes par leurs fondateurs », elles se caractérisent par « un renouement du théâtre algérien avec une pratique universelle et universaliste du quatrième art, introduisant, en force, de nouvelles écritures scéniques et dramatiques ». Ce qui leur ouvre l’accès aux deux festivals locaux de théâtre professionnel de Sidi Bel Abbès et de Annaba. Ce sera alors la ligne droite pour « une sélection au Festival national de théâtre professionnel, un FNTP où seulement deux d’entre elles sont admises à la compétition et à son palmarès, alors que les spectacles des théâtres d’Etat y sont mandés d’office ». L’auteur ne manque pas de souligner qu’en « raison du petit nombre de ces spectacles admis en compétition », la participation des compagnies indépendantes « apparait de meilleure facture que celle du théâtre d’Etat ». Ajoutant que « ces troupes bénéficient de la part des pouvoirs publics, d’une aide à la production et à la diffusion. Quant aux troupes semi-professionnelles de seconde catégorie, elles aussi, pour les plus cotées d’entre elles, reçoivent des aides financières du ministère de la Culture. La grande différence vient du fait que contrairement à celles du premier collège, elles ne se sont affirmées que durant la décennie 2000. Et c’est parce qu’elles sont en manque de reconnaissance qu’elles ne boudent pas, comme les premières, le Festival de Mostaganem ». 

Un juste retour des choses, serions nous tenter d’ajouter. Car sans cette permissivité à double entrée, l’une pour le festival amateur et l’autre pour le professionnel, ces associations ne pourraient pas survivre. Car il n’est pas permis d’occulter le rôle fondamental du festival de Mostaganem, dont la survie dépend également de cette participation. Abdelouahab Bouhmame en a pleinement conscience. Avec d’autres, comme Abdallah Hamlaoui, Charef Berkani ou Omar Fetmouche, l’avenir du théâtre algérien serait entièrement sous la coupe de la vivacité du festival de Mostaganem. Si bien qu’à la clôture de la 44ème édition, nombreux sont les participants qui se mettront en tête de donner une autre assise à ce festival. Pour eux, seule une organisation réellement nationale pourrait fédérer l’action des troupes. Bouhmame penchent sévèrement vers la formule d’une fédération ou d’une ligue qui appuierait le commissariat, et qui lui fixerait les lignes rouges. 

C’est dire combien le malaise est profond. Lakhdar Mansouri, metteur en scène et enseignant au département théâtre de l’université d’Oran, tire une véritable sonnette d’alarme : « Le théâtre amateur est à la recherche d’un cadre artistique pour s’épanouir ». Med Kali n’hésite pas à parler d’enfermement. Il est vrai qu’à chaque édition, il ne se trouve personne, hormis les organisateurs, à trouver un zeste de satisfaction. Le jugement parait néanmoins un peu excessif. C’est sans doute Med Kali qui dressera un état des lieux sans concessions. Sa plaidoirie a le grand mérite d’interpeller des spécialistes, dont l’attachement au festival de Mostaganem se compte en fidélité, et surtout en plusieurs décades de présence effective. Il met en exergue l’absence d’une « politique en faveur de son développement, car il n’existe plus en tant que mouvance organisée comme auparavant ». Citant la ville de Saïda, un vivier des années 70, il rappelle que la cité qui comptait « près d’une quinzaine de troupes », a dû attendre l’organisation d’un stage de formation « pour que les candidatures affluent de toutes les agglomérations de la wilaya ». Mettant le doigt sur cette dynamique retrouvée, il admet presque à regret que cette nouvelle dynamique « est lestée par le fait que la plupart des stagiaires sont animés par l’espoir de faire partie de l’effectif artistique du théâtre de Saïda », un théâtre qui est encore en phase de gestation avancée. Sans en attribuer la paternité, il admet « qu’à ce rythme, le théâtre amateur va se vider de toute sa substance, car les amateurs en général aspirent à un statut professionnel, celui d’amateur étant vécu comme dévalorisant ». 

Reprenant à son compte les constats désabusés des amateurs, Med Kali souligne que « faute d’un cadre et d’espaces d’expression, il agonise ». A son corps défendant, il martèle que « la tenue d’assises du théâtre amateur s’impose, afin de décider de ses perspectives d’avenir».
Puisque la conclusion de ce modeste travail n’est intervenue qu’une fois les lampions de la 45ème édition éteints, il serait anormal de ne pas dire quelques mots sur cette ultime version qui s’est tenue sous la houlette d’un nouveau commissaire, dont la trajectoire et les ambitions sont à l’opposé de ce qui prévalu au niveau de la direction du festival depuis le départ de Ghali Elakeb, en 1975. Désigné à la tête du commissariat en juin 2012, Rachid Djerourou vient de boucler sa première épreuve dans une grande sérénité. La sélection, confiée en grande partie à des chevronnés des planches, à l’image de Charef Berkani, aura permis à des troupes d’inégales valeurs de venir se produire à Mostaganem. N’ayant suivi qu’une partie de la manifestation, j’en ai gardé trois images :
La première est celle de ces nouveaux et jeunes journalistes, quoique peu nombreux, mais tellement dignes et déjà si talentueux.

La seconde, est le retour, après une bien trop longue absence, des comédiens comme Abdallah Hamlaoui et Sid Ahmed Aggoumi, qui ont permis à d’anciens amis, tels Laaredj Ziane, Ghali Elakeb, et surtout le vénérable Mekki Bensaïd, de ne plus se sentir seuls.
Enfin, la troisième, elle est illustrée par le courage et l’application de cette jeune comédienne, j’ai nommé Manel Benhellal. Cette étudiante en Mathématiques à l’université de Bab Ezzouar (USTHB) est la preuve vivante que le festival du théâtre amateur de Mostaganem ne s’est jamais aussi bien porté. Cette frêle jeune fille est d’abord une actrice consacrée, puisque le jury présidé par Benachour Bouziane a eu la bonne idée de lui décerner le prix d’interprétation féminine, tandis que le premier prix « Djillali Benabdelhalim » est revenu à la pièce Harb el Gharayez, dont elle est l’unique auteure ! Un texte philosophique d’une très haute tenue, qui en a ébranlé plus d’un. Développée en neuf tableaux d’inégale valeur, la pièce aura tenu en haleine l’impétueux public de Mostaganem. Manel, la vingtaine encore verte, est la plus percutante preuve que le festival est entre de bonnes mains, et que le miracle a encore frappé trois fois sur les planches de Mostaganem.

Et maintenant…

A l’orée de cet ouvrage totalement dédié au mouvement culturel et son évolution à travers le parcours de quelques patriotes, dans une coquette ville de province, il n’est pas aisé pour l’auteur de mettre un terme à l’aventure bouillonnante de l’écriture. La tâche est d’autant complexe que durant quatre années, il ne se passait pas un jour, ni d’ailleurs une nuit, sans qu’une pensée pour ces centaines d’acteurs ne viennent rappeler combien la mission fut à la fois exaltante et contraignante.
De nombreuses fois, il arrivait que je songe à mettre enfin un point final. De nombreuses fois, une rencontre, un témoin, une anecdote, m’obligeait à revenir sur l’ouvrage. Au moment de la rédaction de ces lignes, je m’attache à un seul espoir, celui de passer enfin le témoin à d’autres, afin que l’aventure prenne d’autres chemins, avec d’autres acteurs. Car pour ce qui concerne cette longue histoire humaine, il est admis qu’elle ne cessera pas, tant elle aura eu des implications à l’intérieur de toute la société algérienne, depuis l’émergence du mouvement national à ce jour.
Demain, le festival du théâtre amateur de Mostaganem frappera les trois coups de sa 47ème édition, puisse ce livre inciter d’autres à continuer l’œuvre de consignation de ces années flamboyantes. Car, il serait malvenu de croire qu’avec ce premier ouvrage nous soyons parvenus à connaître toutes les facettes de cette fabuleuse aventure.
Ce livre est l’oeuvre d’un militant de la mémoire. Qui ne sait toujours pas d’où lui vient cette obsession de l’histoire. Exhibant sans jamais se lasser, des noms oubliés, comme d’autres se passionneraient pour des oeuvres d’art ou une collection de papillons. Un chasseur d’ombres qui passe son temps dans les bas fonds de l’histoire, en quête de noms disparus, qui au fil du temps deviennent des amis très proches, presque encombrants. Qui se soulagent de leurs peines en chargeant le conteur d’entretenir la mémoire. Redoutable est mon rôle de témoin de ces êtres à jamais disparus, de ces parcours ensevelis par la grâce de nos égoïsmes et de nos désinvoltures.

Quelques extraits du livre:

 « ... en 1970, il y eut quelques tentatives pour s'approprier abusivement ce que d'autres ont mis tant d'efforts à construire. Déjà l'année dernière, nous nous demandions si le Festival de Mostaganem deviendra national comme attendu et souhaité par tout le monde, ou s'il irait voguer sous d'autres cieux, pardon, d'autres yeux plus proches de la capitale, comme nous avons cru entendre ici et là. Les récupérations abusives, de tant d'abnégation, pour assister peut être ensuite à un enterrement sans fleurs ni couronnes, n'appellerons jamais notre silence ».
Kémal Bendimered, journaliste, critique
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 « J'étais présente lors de la première représentation à Alger, le 31  octobre 1962, je me souviendrais toujours de ce fabuleux spectacle (« 132 ans » de Kaki, ndlr) et de ses moindres scènes, mais là je vous félicite pour tout ce que vous avez effectué comme travail scénique et comme arrangements ; vous avez mis encore plus de lyrisme et plus de ferveur, vraiment c'est remarquable »
Z'hor Ounissi, Moudjahida, auteure, ministre
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 « Evidemment le festival, dans le contexte actuel, ne peut pas se limiter aux seules représentations, au cours des éditions précédentes du festival, des tentatives dans ce sens ont été entreprises mais qui n'ont pas abouti. Pour diverses raisons. Pour ce huitième festival, au programme des activités il a été prévu plusieurs demi-journées exclusivement consacrées à la communication sous forme d'exposés, des expériences des différentes troupes et ce, en dehors du cycle des conférences qui lui visait à l'enrichissement des connaissances des participants. Aussi dès cette année nous avons commencé à jeter les jalons d'une base tendant à une permanence des rapports entre le festival et les troupes du théâtre (...) Il faut d'abord revoir l'évolution du théâtre amateur par rapport au festival. Je crois qu'il est nécessaire pour nous qui avons participé à l'organisation du festival depuis bon nombre d'années de constater que le théâtre amateur a réellement évolué au contact de cette manifestation ».
 Ghali Elakeb, responsable du festival
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 «...si les troupes attendent qu'on leur fournisse l'encadrement souhaité, les subventions et l'aide matérielle, le théâtre amateur perdra de sa réalité. Non la paternité du TNA n'est pas nécessaire, que les autorités vous dispensent une aide dans le cadre des subventions allouées à la culture, je trouve cela normal, mais il est bon de rappeler que le théâtre amateur est avant tout un fait collectif et social et par conséquent vous ne pourrez trouver qu'en vous-mêmes ce qui vous fait défaut. Si vous attendez qu'on vous l'apporte d'ailleurs, je m'excuse mais ce n'est plus du théâtre amateur...Bien que certaines troupes continuent d'apporter une recherche d'expression dramatique assez aboutie, par contre d'autres troupes apportent des sujets assez importants et politiquement justes. J'ai toujours été pour un théâtre politique et engagé et j'estime que c'est très important et significatif que les jeunes fassent  du théâtre en abordant des problèmes de l'Etat ou du pays, c'est leur conscience parce que je crois que le théâtre est avant tout un fait social et par conséquent il doit traiter des réalités sociales. Le festival est une chose très importante puisqu'il aura contribué à cette saine évolution  du théâtre amateur ».
  Ould Abderrahmane « Kaki », dramaturge
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 «... le théâtre amateur n'est pas encouragé et les conclusions que  l'on  peut tirer à partir de ce 8ème festival, c'est que la plupart des troupes connues ont cessé d'exister (...) ... à mon sens il faudra  savoir si le théâtre amateur bénéficie d'une aide efficace de la part  des responsables locaux, puis s'interroger sur le manque de continuité dans le travail au niveau des groupes amateurs... qui ne peut être que  le fruit d'une formation politique. Je signale qu'en 1972 le TNA avait promis aux animateurs de troupes une formation, mais cette promesse  n'a jamais dépassé le stade de l'intention. Je crois aussi que ce  problème dure parce que le théâtre amateur n'a pas fait l'objet de  l'attention voulue. Ignoré, ce théâtre amateur continue de se débattre  dans ses problèmes ».
Hamlaoui Abdallah , acteur CRAC, GAC
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 « S'il est sain et légitime de s'indigner de la moindre dilapidation,  il est plus convenant de considérer qu'en art, une œuvre se condamne  d'abord par sa médiocrité, avec le discrédit pour son auteur… »
 Mohamed Kali, journaliste, auteur
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 « Vingt quatre ans d'existence et toujours pas de public. Le festival  a son histoire, ses heures de gloire, ses talents et ses périodes  noires. Au temps des censures bêtes et méchantes, il trouva son ton  dans la virulence. Manquant certainement de souffle et dans un climat  plutôt hostile à toute forme d'expression, depuis quelques années, il  patine sec. De Saïda à Constantine, de Tiaret à Alger, les grandes  formations se sont retirées en silence. Autrefois, vivier du mouvement  théâtral, aujourd'hui, juste une nostalgie qu'on égrène une fois l'an ».
 Abdelkader Djemaï, journaliste, auteur
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 « On avait pris l'habitude de ces échanges, nous étions convaincus  d'être sur la bonne voie car il y avait un public qui «fonctionnait » ... la mort de Boumediene a été vécue pour nous comme une  incommensurable désillusion, c'était la fin du socialisme, la fin de  l'égalité de tous en droits et en devoirs. Tout  de suite, sans aucune  consultation préalable, chacun dans son patelin, nous avions convenus  que c'était la fin des illusions et surtout la fin de mission ».
Omar  Fetmouche, acteur, metteur en scène
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 « Nous aussi nous sommes les enfants du FLN et nous sommes chez nous.  Si vous refusez de nous laisser entrer par la porte, nous reviendrons  par la fenêtre, si vous obstruez les fenêtres, nous entrerons par le  plafond !»
 Djilali Benabdelhalim, fondateur du festival
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samedi 24 mai 2014

Les 4ACG face à l’épreuve du Dahra



Oui elle a été bien drôle cette journée passée – écourtée, serait plus juste- avec les membres de la 4ACG (Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre) qui ne venaient pas pour la première fois à Mostaganem, mais qui ne voulaient pas se rendre dans le Dahra. Préparée avec persévérance depuis plus de deux mois, grâce à l’entremise de Malika Tazaïrt, l’organisatrice du voyage, il était bien entendu question d’une virée mémorielle dans le Dahra. Quoi de plus normal pour des anciens guerriers de la France coloniale que de retourner sur les lieux de leur folle jeunesse, là où appelés du service militaire, ils étaient venus crapahuter un peu et massacrer beaucoup. C’est dans une optique strictement individuelle d’expiation que cette association venait remonte le temps. 

A l’appui de cette forte demande  endogène en pardon et autre repentance, ces pionniers avaient eut la bonne idée de ne pas encaisser les 640 euros que leur verse annuellement le ministère français de la guerre et des anciens combattants. Et afin de joindre l’utile à l’agréable, ils se sont mis d’accord pour consacrer cette somme à des actions de bienfaisance au profit des régions où durant la guerre, ils ont eut à sévir contre les « fellaghas » mais aussi et surtout contre les populations démunies et désarmées. C’est nettement plus commode de faire application de la très fameuse « responsabilité collective », qui plaisait énormément aux généraux français et à leurs soldats qui vont s’adonner à cœur joie à ce sinistre jeux de massacres….bon et alors que vient faire la Dahra dans cette guerre mémorielle ? Tout simplement à faire en sorte que les tortionnaires d’hier, à qui personne ici n’ose demander la moindre reconnaissance ni la moindre faveur, ces soldats à la repentance à fleur de peau, puissent venir fouler ces terres où leurs prédécesseurs, depuis Clauzel et Bugeaud, en passant par Pélissier, Cavaignac, Canrobert et St Arnaud, n’ont laissé que crimes et désolation. Sollicité donc par l’organisatrice, je me suis fait un honneur de concocter un parcours mémoriel digne de ce nom. Tout avait reçu l’assentiment des participants, puisqu’à aucun moment de la préparation, je n’ai reçu la moindre objection. Cependant, alors que j’ai attendu jusqu’à la nuit d’hier -23 mai 2014- peu avant minuit, alors que l’organisatrice m’informait des ultimes décisions, le circuit du Dahra était retenu ; ce qui m’obligeât alors à confirmer notre passage à Sidi Ali où nous attendait le responsable du musée du Moudjahid, ainsi qu’à la grotte de Nekmaria où nous attendait Med Hamoudi, des Ouled Riah ainsi qu’à la ferme de Douaïlia où Dali s’était engagé à nous recevoir et à nous offrir une collation. On s’était même préparé à proposer un repas champêtre à nos hôtes. Il était évident que pour moi, peu avant minuit, le circuit avait été validé et tous nos relais étaient prêts pour nous recevoir. Passé minuit, je reçois un coup de fil de Malika qui me dit que quelqu’un lui avait susurré à l’oreille que Nekmaria c’était trop loin. Je tente de la rassurer en lui disant que le groupe pouvait rentrer à Oran aux environs de 18 heures. Ce qui semblait lui convenir puisqu’elle me disait qu’elle s’était engagée avec une association de lectures pour tous pour une rencontre discursive. Je lui réponds qu’en ce qui me concernait, je maintenais la visite du centre de torture de Sidi Ali, de la ferme Monsénégo de Hadjadj ainsi que de  la grotte de Ghar El Frachih, là où Pélissier fit périr 1500 âmes de la tribu des Ouled Riah. Ce samedi matin (25 novembre), nous accueillions nos hôtes à l’entrée de la ville et entamons le circuit par la stèle de Mazagran, le Fort de l’Est, le tombeau du bey Bouchelaghem, puis détour par le centre ville pour récupérer le père Bernard. Direction une pizzéria  sur les hauteurs de Mostaganem. Invités par l’association du quartier «Colonel Lotfi», le groupe s’était retrouvé autour d’une table et en attendant de se substancer, quelques uns  prendront la parole. Nos hôtes pour présenter leur travail de proximité à destination des jeunes du quartier, le père Bernard, 78 ans à peine, lui-même membre de la 4ACG et mon ami Abdelkader Boudjemaa qui avait entièrement chamboulé son agenda afin de nous accompagner pour nous donner de précieuses indications sur les batailles de Mazagran et sur les vestiges de Mostaganem. 

Une grotte repoussoir



Je n’avais nullement l’intention de parler, puisqu’il était convenu que je le fasse lors du voyage vers le Dahra. C’est lorsque le père Bernard parla de Limoges, sa ville natale, que j’ai demandé à Malika de me permettre d’enchainer sur le sujet. J’ai cru intelligent de rappeler les circonstances de ma première visite dans le Dahra, ma rencontre avec Med Hamoudi, descendant des Ouled Riah et lui-même natif de Limoges, tout comme le sanguinaire Bugeaud !   J’ai à peine eut le temps de finir ma phrase que les visages commençaient à s’assombrir, d’autant que j’avais souligné qu’une halte à la ferme Monsénégo se justifiait amplement du fait que c’est là que le 1er novembre 54, le jeune Laurent François reçut la première décharge de chevrotine tirée par les insurgés. J’ajoutais que son compagnon d’infortune, Jean François Mendez en personne était revenu dans la région pour dire que sa vie durant, il avait milité afin que la France reconnaisse son ami comme étant la première victime française de l’insurrection. Je ne sais pas pourquoi, les convives qui venaient à peine de finir le repas se sont levés et ont pris la direction de la sortie, me laissant à peine le temps de souligner à l’intention du père Bernard qu’il serait judicieux de ne pas trop nous retenir chez lui. Je l’invitais également à se joindre à nous pour la visite du Dahra. Et là, patatras ! Une levée de boucliers quasi unanime s’empara du groupe. De toutes parts, on me rappelait que la grotte c’était trop loin et qu’il fallait être rentré à Oran pour rencontrer une association de lecture pour tous, que d’aucuns s’échinaient, alors que nous étions à table, à joindre au téléphone sa responsable. Preuve que cette association n’était qu’un alibi que l’on brandissait afin de "zapper" la tournée à la grotte. J’ai bien tenté de faire admettre l’idée que des gens nous attendaient, que nous pourrions faire l’impasse sur le centre de torture de Sidi Ali…rien n’y fit…alors, je me suis rendu à l’évidence que cette grotte où gisent encore les restes des Ouled Riah ne « passait» pas chez nos invités. 

Il faut parler aux morts de Nekmaria

Sans rien dire, je suis remonté dans le bus pour récupérer mon sac et mon couffin chargé de gâteaux que je destinais à la collation chez Dali…et je suis allé prendre par la main mon ami Abdelkader Boudjemaa que je regrettais profondément d’avoir embarqué dans cette galère. Un taxi est vite repéré, nous nous glissons dedans tout en nous excusant auprès d’un étudiant qui venait nous le disputer. Je fais déposer mon ami devant sa maison et continue mon chemin à bord du taxi. Je mets mon téléphone à la charge, j’appelle mes amis de Sidi Ali, de Nekmaria et de Douaïlia pour leur présenter mes plates excuses et j’essaie d’oublier cette triste mésaventure…un seul mot me vient à l’esprit : désespoir ! Oui je suis désespéré de la nature humaine. Construite sur un bon sentiment que la guerre est stupide, la 4ACG semblait dans les meilleures dispositions pour faire table rase du passé et songer à ébaucher une relation apaisée entre jeunes Français et Algériens. Ça c’était la théorie…dans la réalité, il y a une grande force d’égocentrisme qui continuera pendant longtemps à miner les relations humaines entre le peuple de France et celui de l’ancienne colonie. Pour ce qui me concerne, je savais qu’il y a une  grande majorité des pieds-noirs qui ne parviennent pas à faire leur deuil de ce pays, ni à se départir de leur haine de l’Algérien ; cet empêcheur de mourir en paix ! Toutefois, il existe bien une minorité de pieds-noirs, si peu nombreux, mais qui sont mes véritables et sincères amis, qui sont aussi les amis de l’Algérie…à ceux-là -je ne les cite pas mais ils se reconnaitront-, je leur dis combien je suis fier de les reconnaître comme compatriotes, comme amis et souvent comme frères…Eux n’ont aucun complexe à reconnaître les crimes commis souvent en leurs noms, par la France colonialiste et revancharde. Eux savent faire la part des choses et savent aussi se taire lorsque les crimes sont évoqués. Cette force de discernement qui nous unie est notre seule arme contre l’amnésie. Ceux parmi les pieds-noirs qui ont atteint cette plénitude, n’ont aucune peine à reconnaître les fureurs commises sur le peuple Algérien, car elles ne sont pas de leurs faits ! Ce sont ceux-là les bienheureux. La volte face unanime des militants de la 4ACG m’a été imposée alors que je ne demandais rien à personne. C’est pourquoi elle m’a dérouté, parce que je m’étais trompé sur la sincérité des intentions. Finalement, ces anciens militaires du contingent ne sont que de pauvres malheureux qui éprouvent toutes les peines du monde à se faire pardonner des pêchés qu’ils sont les seuls à connaître. Il eut seulement fallu qu’ils acceptent d’aller parler aux morts de Nekmaria….ce sont eux qui détiennent les clés de la délivrance…
 
Les chemins de la rédemption se méritent

Avec mes amis Abdelkader, Mohamed, Dali, Kiès…nous voulions juste leur montrer le chemin. Ils ne nous ont pas fait confiance, préférant s’en retourner alors que la délivrance était à seulement 80 kilomètres. C’est très lourd de porter un fardeau durant plus d’un demi-siècle et de refuser d’aller le déposer à l’endroit idoine. Offrir des cahiers d’écoliers, distribuer des brouettes à Berbacha, remettre un chèque de 640 euros à une association de haute Kabylie et attendre que la charge s’allège, c’est aller un peu vite en besogne. Entre le peuple algérien et ses millions de victimes, et la France coloniale, il y a un fossé de sang, une montagne de cadavres  et un fleuve de larmes qu’aucun euro ne pourra assécher. Les rives escarpées d’Oued El Frachih, les ravins abrupts des Aurès et du Dahra, les cimes acérées de la Kabylie, les plaines fertiles de la Mitidja, les hautes plaines de Saïda, les coteaux verdoyant du Béni  Mélek et de Mascara, sont ces lieux où des victimes de tous âges et de toutes conditions attendent enfin une sépulture pour les restituer à  l’humanité. Il faudra bien plus que ces visites conventionnelles et toutes ampoulées pour que cette histoire retrouve les doux rivages de la réconciliation et de la rédemption.  De notre coté, nous les victimes et les descendants des victimes de la furie française, attendons autre chose  que ces actions furtives qui ne font que perpétuer la mésestime que nous avons de  nos tortionnaires.

 S’il est une chose que nous ne céderons pour rien au monde, c’est bien notre fierté d’appartenir à un peuple qui a accepté le sacrifice suprême plutôt que l’humiliation. C’est bien cette leçon que les Ouled Riah nous ont inculqué à jamais durant ces funestes journées des 18 et 19 juin 1845. J’ai tout de même l’impression que les militants de la 4 ACG l’auront enfin compris. A seulement une heure 15 minutes de la grotte de Nekmaria…et moins de 45 minutes du centre de torture de Sidi Al ! Le pardon, il est à ce prix, et c’est pourquoi il faut s’élever pour en être digne ! Sinon, bonne lecture, jamais le père Noël ne fera le printemps! Ceux qui ont buté sur les piémonts du Dahra doivent savoir qu’une visite à Nekmaria, ça se mérite et qu’il faut en être digne, car il n’est pas donné à tout le monde de guérir sans efforts des séquelles d’une guerre injuste.

20 Aout 55, les blessures sont encore béantes

  Propos sur le 20 Aout 1955 à Philippeville/Skikda  Tout a commencé par une publication de Fadhela Morsly, dont le père était à l’époqu...