Fortement médiatisée sur les deux rives, la visite que vient d'effectuer Jean-Marc Todeschini, le secrétaire d’Etat français aux Anciens Combattants et à la Mémoire s'est terminée en queue de poisson. Mis à part la remise de décorations à cinq anciens combattants autochtones - en présence de leurs enfants et petits enfants (sic)- le représentant du gouvernement socialiste français a juste eu le temps de déposer une gerbe de fleur devant la stèle érigée à la mémoire de Bouzid Saal, la première victime algérienne de l'insurrection du 8 mai 45...puis silence sur toute la ligne...pas un mot sur les massacres et sur leurs commanditaires...c'est la méthode "Hollande" du service minimum qu'il applique à la mémoire...ici une lecture de cette escapade en terre martyre de l'historien Olivier Le Cour Grandmaison...
Massacres du 8 mai 1945 en Algérie : des crimes d’Etat qui doivent être reconnus
Dimanche 19 avril 2015. Jean-Marc Todeschini, le secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants et à la Mémoire a déposé une gerbe devant le mausolée de Saal Bouzid, jeune scout algérien assassiné le 8 mai 1945 par un policier français dans la rue principale de Sétif en Algérie. De quoi était-il coupable ? D’avoir osé manifester pacifiquement, en portant le drapeau de l’Algérie indépendante, avec plusieurs milliers d’autres « indigènes » pour exiger la libération du leader nationaliste Messali Hadj et pour défendre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Dans les jours et les semaines qui suivent, les émeutes, qui ont gagné tout le Constantinois, sont écrasées dans le sang par les forces armées françaises et de nombreuses milices composées de civils d’origine européenne. Bilan : Entre 20 000 et 30 000 victimes, arrêtées, torturées et exécutées sommairement pour rétablir l’ordre colonial imposé par la métropole et terroriser de façon durable les autochtones. « Agir vite et puissamment pour juguler le mouvement » ; tels étaient, le 15 mai 1945, les ordres du général Raymond Duval qui commandait les troupes dans cette région. Ils ont été appliqués à la lettre car la France libre était prête à tout pour défendre l’intégrité de son empire jugée indispensable à son statut de grande puissance.Où sont les coupables et qui sont-ils ?
Ce bref rappel des faits,
aujourd’hui bien connus grâce aux travaux de celles et de ceux qui ont étudié
ces crimes de guerre, qui sont aussi des crimes d’Etat et des crimes contre
l’humanité, puisqu’ils ont été commis en « exécution d’un plan concerté à
l’encontre d’un groupe de population civile » - art. 212-1 du nouveau Code
pénal-, permet d’apprécier à sa juste valeur la visite de J-M. Todeschini à
Sétif. S’y ajoutent ces lignes écrites par lui dans le livre d’or du musée de
la ville : ma présence dit « la reconnaissance par la France des
souffrances endurées » et elle rend « hommage aux victimes
algériennes et européennes de Sétif, Guelma et Kherrata. » Mais comme le
déplorait un journaliste d’El Watan, le bref déplacement de ce
secrétaire d’Etat n’a été suivi d’aucune déclaration ce que confirme l’envoyée
spéciale du quotidien Le Monde qui précise qu’il s’agissait « de
limiter » ainsi « les polémiques. » Plus grave, les survivants,
les descendants des victimes et les dirigeants de la Fondation du 8 Mai 1945 en
Algérie n’ont pas été associés à la cérémonie et le représentant de la France
ne les a pas rencontrés.
Un « geste fort et
symbolique » selon J-M. Todeschini ? Une formule remarquablement
euphémisée, en fait, dont nul ne peut douter qu’elle a été ciselée à l’Elysée.
Sur ces sujets, entre autres, le président de la République et ses conseillers
sont des orfèvres puisque la lecture de leur prose sibylline révèle ceci :
au cours de ces semaines sanglantes, il n’y eut ni massacres, ni crimes bien
sûr, puisqu’aucun de ces termes n’est employé. Quant à ceux qui les ont commis,
qu’ils soient civils ou militaires, ils ne sont nullement désignés, ceci est
une conséquence de cela. De même nulle mention n’est faite du gouvernement de
l’époque sous la responsabilité duquel les forces armées ont agi. La rhétorique
élyséenne fait des miracles : des dizaines de milliers de morts algériens
mais ni assassins, ni commanditaires, ni coupables d’aucune sorte.
Etrange conception de l’histoire et
de la vérité. Elles sont toutes deux taillées en pièce par un exécutif plus
soucieux de défendre ce qu’il pense être les « intérêts du pays » que
de servir les premières. Seules compte la raison d’Etat et quelques menues
concessions au « devoir de mémoire » qui prospère ici sur le
n’importe quoi historique et factuel, et sur la neutralisation de ces
événements meurtriers afin de préserver la glorieuse mythologie d’une France
combattante, républicaine et fidèle à son triptyque : Liberté, Egalité,
Fraternité. Cette même raison d’Etat exigeait de satisfaire les autorités
d’Algérie pour renforcer la diplomatie économique chère au ministre des
Affaires étrangères et au ministre des Finances qui doivent se rendre
prochainement dans ce pays, et d’éviter, autant que possible, des polémiques
dans l’Hexagone où l’UMP et le FN défendent plus que jamais une interprétation
apologétique du passé colonial.
En finir avec le mépris,
l’occultation et les tergiversations
Sur ces sujets, n’oublions pas le
très médiatique Philippe Val qui vient de découvrir, dans un essai récent – Malaise
dans l’inculture –, que la colonisation française avait pour ambition
d’apporter la civilisation à des peuples qui en ignoraient les beautés et les
avantages. Remarquable, seule, est l’ignorance de l’auteur qui fait sien un
discours impérial-républicain éculé dont la version scolaire fut inlassablement
défendue par les historiens Albert Malet et Jules Isaac dans leurs nombreux
manuels. Risible et dérisoire serait cette écholalie grossière si elle
n’alimentait les discours toujours plus virulents des nostalgiques de l’empire.
Le 27 février 2005, l’ambassadeur
de France en Algérie, Hubert Colin de Verdière, présent à Sétif, évoquait
« une tragédie inexcusable. » Trois ans plus tard, son successeur,
Bernard Bajolet, en visite à Guelma, soulignait « la très lourde
responsabilité des autorités françaises de l’époque dans ce déchaînement de
folie meurtrière » qui a fait « des milliers de victimes innocentes,
presque toutes algériennes. » « Aussi durs que soient les faits,
ajoutait-il, la France n’entend pas, n’entend plus les occulter. Le temps de la
dénégation est terminé. » Ces massacres sont une « insulte aux
principes fondateurs de la République française » et ils ont « marqué
son histoire d’une tâche indélébile. » Autant de déclarations qui
éclairent d’un jour pour le moins singulier le « geste » muet,
puisque sans discours, du secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants.
Rappelons enfin au président de la
République que, sur proposition de D. Simonnet, le Conseil de Paris a adopté à
l’unanimité un vœu dans lequel les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata sont
qualifiés de « crimes de guerre » et de « crimes d’Etat. »
De plus, l’ouverture de toutes les archives et la création d’un lieu du
souvenir à la mémoire des victimes sont également demandées. A la veille du 8
mai 2015, il faut en finir avec le mépris, l’occultation et les tergiversations
qui, depuis trop longtemps, tiennent lieu de politique. Dire clairement et
explicitement ce qui a été perpétré il y a soixante-dix ans dans le
Constantinois est la seule façon de rendre justice à celles et ceux qui ont été
assassinés et à leurs descendants, qu’ils vivent en France ou en Algérie. A la
connaissance, désormais bien établie, doivent succéder le temps de la
reconnaissance et le courage de la vérité.
Olivier Le Cour Grandmaison. Universitaire. Dernier ouvrage paru L’Empire
des hygiénistes. Vivre aux colonies, Fayard, 2014.