vendredi 31 décembre 2010

Les citronniers de Nekmarya



En ces vacances d'hiver, la correction des épreuves de culture générale, mais néanmoins agronomique, dans les 2 langues et près de 400 fois, m’a pratiquement cloué à la maison. C’est ma collègue Malika Boualem, l'entomologiste, qui m’a permis d’aller prendre l’air. Ayant reçue deux amies venues de France, Claire Villemant (http://www.eyrolles.com/Sciences/Livre/portraits-d-insectes-9782020590969?PHPSESSID=) et Fatma Hérouali, elle m’a sollicité pour leur faire découvrir une petite facette du Dahra. Avec ma fille, nous étions donc 5 à l’intérieur du cockpit de la Clio familiale. Départ en fanfare en direction de Chaâïbya dont nous contemplons la merveilleuse plage depuis le phare de Cap Ivi. Ce lundi matin, en ce décembre finissant, la mer virait du turquoise au bleu de Prusse – plus à l’ouest, on dirait «  Bleu Laârache- en moins éclatant. Car il n’est pas question ici de comparer les plages boueuses et capricieuses de l’Atlantique avec la splendide mer intérieure. Séance de photos sous un vent du Sud plus froid que jamais puis départ en direction de Ouillis- Honneur à Benabdelmalek Ramdane, héros sans pareil, puisque le premier des "22 historiques" à tomber sous les balles « amies » non loin du douar Ouled Larbi, là où on ne vend que du sable, y compris en défonçant l’une des plus belle et des plus anciennes forêt de pins et surtout de genévriers de Phénicie- que nous contournons juste pour voir les serres de l’Ami Mansour – le Maire le plus cool de la décennie noire, qui sauva l’honneur de la tribu, sans plus- où de jeunes berbères (de Damous ou de Gouraya) travaillent la terre à l’ancienne sans rien renier des techniques les plus avancées que beaucoup d’agronomes ne connaissent pas encore- il faut leur donner le temps !- pour nous retrouver au carrefour de la ferme Monsénégo (voir sur la toile), là où la première balle de Novembre fut tirée ! Puis la RN11 se fera plus agressive, entre Benabdelmalek Ramdane et sidi Lakhdar, on avait plus de budget, donc on a sauté ce passage de 11 km, du coup, on se replonge dans la période coloniale, avec une chaussée étroite et cahoteuse. Sidi Lakhdar est vite traversé comme un vrai embouteillage algérois, c'est-à-dire dans un insupportable désordre. Une si belle et si accueillante cité, transformée en un insupportable bidonville digne de Calcutta, fallait oser ! Heureusement qu’à la sortie vers Khadra, El Ghoul a bien fait les choses puisque la RN11 ressemble enfin à une route de Picardie. Ce sont les dames assises à l’arrière qui le soutiennent ; comme j’ai pris le plis de ne croire qu’aux femmes, -pas uniquement à cause de ma mère-, je me fais un plaisir de les approuver sans faille. Le macadam se faisant plus clément, la forêt de Dadès se laisse traverser avec délice, c’est ici que commence le territoire des Frachih. Car en bas du plateau de Dadès, sur la rive gauche de l’oued Zerifa, un peu à l’intérieur des terres, se trouve le site des grottes du Dahra (vite internet!), là où le sanguinaire colonel Pelissier – il sera fait maréchal, c’est qu’il a bien mérité de la république !- fera étalage de son talent génocidaire en enfumant une nuit durant, la tribu et les attributs des Ouled Ryah. C’était durant la sinistre nuit du 18 au 19 juin 1845. Grâce il est vrai à la généreuse sollicitude du Caïd de Nekmarya, qui se verra offrir un domaine de 50 hectares sur les terres des Frachih qui n’avaient strictement rien à voir. A part de s’être installés près des grottes de Ghar el Frachih que les Ouled Ryah allaient utiliser comme refuge, fuyant les troupes « civilisantes » de Bugeaud, sous les ordres de Pélissier !
Détour très instructifs par Ouled Boughalem, là où, au tout début du 19ème siècle, nait un certain Benabdallah Boumaza. L’homme à la chèvre, c’est tout ce que l’histoire officielle retiendra de lui. Pourtant, ce digne et fier fils du Dahra, fougueux soldat dans les troupes de l’Emir Abdelkader, ne se résignera pas lorsque l’aura de son chef commençait à décliner. Bien au contraire, c’est son jeune officier qui lèvera des troupes et qui mettra à mal les armées coloniales, embrasant toute la région du Dahra. Ce que Bugeaud, devenu Gouverneur Général pour sévices avérés sur les populations autochtones n’acceptera pas, ordonnant à Pelissier, Cavaignac et St Arnaud à écraser par tous les moyens cette révolte inattendue. Le summum de l’horreur sera atteint dans la grotte de Ouled El Frachih, non loin de Nekmarya. 

Où nous arrivons à 15 heures tapantes. Après avoir traversé le douar Doualya – tribus des Dali ?- nous arrivons à l’entrée de Nekmarya et nous arrêtons au niveau de la station service des Hammoudi. Le père ayant émigré en France durant les années 60, -ses enfants, dont mon fidèle ami Mohamed, sont tous nés et ont grandis à Limoges- est retourné au bled pour y investir ses moindres économies. Pendant que le fils s’affaire à faire le plein à un fellah du coin, le père supervise la station de lavage, de l’autre coté de la bâtisse. Là où commence le jardin où un ouvrier tente de retourner la terre sans trop y croire. Sanglé dans une superbe tenue traditionnelle, les yeux pétillants et le geste ample, le maitre des lieux nous accueille sans fioritures, ni clinquant. Le verger de pommiers ainsi que quelques pieds de vignes attendent une taille bienfaitrice qui se fait désirer. Puis au moment de quitter nos amis pour aller voir le barrage du Kramis qui ne sert toujours pas à grand-chose malgré une réserve de 25 millions de M3, nos remarquons la présence de deux citronniers. Avec beaucoup de citrons, de toutes les couleurs et de toutes les tailles. Normal pour un « 4 saisons » ! Mais en plein hiver, ployant sous ses fruits pendant que des importateurs avisés le ramènent d’Espagne avec plein de cire autour ! Je me hasarde à récolter un fruit, suivis par le propriétaire qui se met de la partie, rapidement, toute la délégation se pare aux couleurs et surtout aux odeurs du citron sans fard et sans cire. L’arbre généreux à en rougir continue de nous abreuver de cet arôme si particulier. Peu de gens connaissent cette odeur sauvage des citrons. Surtout celle des citronniers de Nekmarya, à 10 km du rivage de Sidi Laadjel/port de Menard.
A plus de 100 mètres d’altitude. Sur ces terres arides où les marnes se laissent attendrir par les pluies printanières, un fils du bled est revenu depuis Limoges pour apporter le confort et surtout le réconfort à ses semblables. Jusqu’à offrir de vrais citrons sans insecticides et sans cire de maquillage à ses visiteurs.
  S’il fallait garder une image de cette virée dans le Dahra, sur les traces deBenabdallah Boumaza  et de Benabdelmalek Ramdane, en souvenir des années de souffrances et de bravoure, ce sont ces deux citronniers aussi généreux que leur propriétaire. Comme quoi, parfois, le bonheur surgit de là où l’on s’y attend le moins.

samedi 25 décembre 2010

Éclairages sur le 20 Aout 55


 Ci dessous le message que vient de me faire parvenir l'historienne Claire Mauss-Copeaux, la plus intrépide historienne des massacres du 20 aout 55, dans le Nord Constantinois. Son dernier ouvrage arrive au bon moment pour rappeler aux états Algérien et Français que nous sommes de plus en plus nombreux à lutter contre l'amnésie qui frappe depuis 55 ans ces douloureux évènements et ce que furent ces jours de terreur.  Ce cadeau est sans doute le plus beau et le plus utile, car pour ce qui me concerne, -bien que ne l'ayant pas encore lu- il n'est que le début d'une réhabilitation que les deux pays - pour des raisons différentes ou convergentes (?)- continuent d'ignorer. Deux jours après "Fraicheurs de Novembre" (voir infra) le message de Claire Mauss-Copeaux vient à point nommé remettre les pendules à l'heure. 
Merci infiniment Claire


“Le 20 août 1955 en Algérie, insurrection, répression, massacres”, Payot-Rivages, 2010, 260 pages, 22 euros, disponible en librairie courant janvier 2011. (Les exemplaires offerts par l'éditeur sont réservés à mes interlocuteurs algériens.)
Après Jean-Pierre Peyroulou qui a fait la lumière sur les événement de Guelma en mai 1945, Claire Mauss-Copeaux a entrepris de défricher une autre période de la guerre d’Algérie, celle des événements d’août 1955 dans le Constantinois.
Fautes d’archives aisément disponibles, l’événement n’avait pas été étudié par les historiens. Claire Mauss-Copeaux a mené sa recherche en croisant les informations apportées par des documents du Service historique de la défense et par les publications de l’époque. Elle a rassemblé et analysé des récits d’acteurs, de témoins et de survivants. Elle a longuement arpenté les lieux où se sont déroulées l’insurrection et la répression. Tout en replaçant l’événement dans son contexte, elle éclaire les zones d’ombres, sources des rumeurs les plus folles Au terme d'une enquête minutieuse, elle apporte des informations inédites à propos des deux massacres d’Européens. Elle révèle également une partie des massacres d’Algériens perpétrés par les “forces de l’ordre”françaises.

 
La violence de la guerre coloniale apparaît dans toute son horreur. Mais il n'y a pas de fatalité, ce sont bien des hommes qui sont à l'origine et au cœur de la tragédie qu’elle analyse.
"

Voici également ce qu'en dit la Ligue des Droits de l'Homme de Toulon:
L'insurrection du Nord-Constantinois, le 20 août 1955, est un moment important de la guerre d'Algérie. Ce jour-là, une trentaine d'agglomérations de la région de Philippeville ont été attaquées de façon simultanée. La répression qui s'ensuivit fut terrible... Claire Mauss-Copeaux vient de terminer une recherche sur ces événements qui n'avaient jusqu'à présent pas été analysés par des historiens. Le résultat de son travail fait l'objet d'un livre qui sera disponible en librairie en janvier 2011. http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article4153

El Watan du 27/12 revient sur la sortie du livre, sous le titre:

"Le 20 août 1955 en Algérie, insurrection, répression, massacres de Claire Mauss-Copeaux"

voici le lien:

vendredi 24 décembre 2010

Fraicheurs de Novembre


La première balle est-elle retombée?
Il y a des jours où la vie s’arrête. En ce 22 décembre, au douar Ouled El Hadj, il y avait foule. Ce matin, au niveau du vieux cimetière, on saluait le combat d’un brave du coin, tombé au champ d’honneur le 22 décembre 1954, soit à peine 52 jours après le début de la guerre d’indépendance. Et seulement 48 jours après la mort de Benabdelmalek Ramdane. C’est dire qu’ici, le déclenchement de la lutte armée n’est point un vain mot. Oui, je sais que de toutes parts, on tente bien futilement de s’accaparer la première balle, comme si les autres balles n’ont eut aucun impact sur la poursuite et sur l’issue de la guerre. Moi qui suis né et grandis à l’ombre de Sidi Ahmed, le marabout qui domine la vallée du Béni Mélek et qui surplombe majestueusement la ville de Skikda, qui fut le théâtre de la première grande offensive de l’ALN, je me sens tout à fait en droit de dire que c’est ici, dans cette région du Dahra, entre Ouillis, Bosquet et Sidi Ali, que la guerre d’Algérie a pris son envol pour ne jamais s’estomper. C’est un digne fils de la région, Amor Brodji, qui a permis l’organisation de plusieurs groupes, qui, durant la nuit de la Toussaint, un peu plus tôt que les autres valeureux combattants de la Mitidja, des Aurès et du Djurdjura, ont tiré les premières salves de Novembre. Il était donc écrit que je serais de ce 56ème anniversaire de la mort aux cotés de son neveu Kaddour du chahid Amor Bordji, celui qui durant toute sa vie n’aura qu’un seul objectif : rendre à l’Algérien sa fierté, son drapeau et sa terre. En cette nuit pluvieuse du 21 décembre 1954, 52 jours après l’insurrection, 48 jours après la mort de Benabdelmalek Ramdane – qui fut le premier membre des 22 à tomber les armes à la main-, ce sont les traces de pas laissées sur la terre mouillée par son neveu Kaddour, qui mèneront les supplétifs de l’armée française, renforcés par des soldats et des gendarmes, vers le refuge de Amor Bordji. Encerclés de toutes parts, ils ne se rendront pas et tomberont au champ d’honneur dans cette grotte qui surplombe la majestueuse vallée du Cheliff, non loin du douar Ouled El Hadj. 



Ce matin, 56 ans après, de la montagne voisine, de toute la région du Dahra, de Mostaganem, ils sont venus. Emmitouflés dans leur djellaba, les derniers résistants n’ont rien oublié. Plus démunis et plus nombreux étaient les enfants de chouhada. A l’intérieur du cimetière, un groupe de scouts et un grand nombre d’écoliers, dont certains en très bas âge qui se faufilaient avec délicatesse à travers les tombes des martyrs. Un groupe de jeune tenaient chaleureusement une gerbe de fleur.

« Kassamen » résonne dans les collines
Comme lors de la première fois, le temps est couvert et quelques gouttes se sont même hasardées à taquiner les présents. Un groupe de jeunes journalistes entourent le député Becheikh, qui est une véritable mémoire vivante. A ses cotés, une dame qui avait beaucoup de peine à cacher son émotion. Elle parle de son père et de son combat. Responsable d’une association caritative très engagée au niveau de Mostaganem, elle ne pouvait rater ce moment de recueillement sur la tombe de son propre père et sur celle de la centaine de martyrs que compte la commune de Benabdelmalek Ramdane. Ici tous le monde reconnaît la fille unique de Amor Bordji, c’est elle qui la première, salue avec déférence la délégation que préside le Wali de Mostaganem.
Une section de gendarmes, en tenue impeccable rend les honneurs. Deux jeunes pandores se délestent alors de leurs casquettes, et procèdent minutieusement et dans un silence parfait à la levée des couleurs. Une fois le drapeau à mi- mât, une sono que personne n’avait remarquée lâche « Kassamen », hymne national que ni Bordji, ni Benabdelmalek n’ont connus, comme d’ailleurs tous les martyrs tombés avant son officialisation. Pour ma part, servitudes obligent, je continue de prendre des photos. Mais c’est bien la première fois que j’entends « Kassamen » sur cette colline oubliée où dorment plus de 100 martyrs. C’est aussi la première fois que j’ai vivement regretté que l’on arrête au premier couplet. C’était certainement l’unique lieu et l’unique instant où, moi, une vieille pupille de la nation, je me sentais en phase avec cette cérémonie et j’aurai voulu que « Kassamen » soit exécutée en boucle ! Car devant moi, s’étalaient dans toute leur splendeur, les vrais héros de l’Algérie moderne et indépendante. A coté d’eux, nous n’étions que des lilliputiens agités. Dignes et souvent anonymes, ils semblaient ricaner dessous leurs tombes. Même « Kassamen » ne leur parvenait pas à leur soutirer le moindre souffle que celui du vent frais qui balaye la colline. Impressionnant hommage que celui du 56ème anniversaire de la mort de Amor et Kaddour Bordji. Seul le jeune imam se hasardera à faire une brève biographie des héros que nous sommes venus célébrer. Dommage que pour eux qui ne l’ont jamais entendu, l’hymne national ait été écourté. Peut être que pour le 57ème anniversaire…..inchallah.

lundi 20 décembre 2010

"Je suis pied-noir, j'ai vu le film de Jean-Pierre Lledo et je réponds à Aziz Mouats"


Par
Marie Claude San Juan
Le Matin : 10 - 02 - 2008
C'est très étrange que vous vous sentiez trahi, professeur Aziz Mouats. Et cela me donne envie de vous répondre. Car vous exprimez, dans le film, beaucoup de choses qui correspondent à ce que vous dites là, dans cet entretien. Je me demande si le débat douteux qu'il y a autour du film n'a pas provoqué cette impression de trahison. J'ai trouvé, pour ma part, que tout le passage où vous interveniez était douloureux, au sens où, justement, l'histoire de votre oncle, et la vôtre, tout ce témoignage, cela faisait passer un message nettement indépendantiste, nettement tragique, concernant les luttes et les souffrances endurées, les déchirements, la guerre. Rien dans tout cela n'édulcore quoi que ce soit, rien. Au contraire, vous apparaissez comme un témoin d'une histoire terrible, un visage qui pourra rester dans la mémoire du monde, comme celui d'un Algérien torturé par un drame révélateur d'un moment de l'histoire algérienne. Je pense vraiment que les spectateurs s'identifient à vous et sont, alors, en empathie avec les Algériens, et non dans l'effacement des crimes des uns pour le déni des réalités autres. Cependant le but du film étant de témoigner des fraternités aussi, le couple qui a protégé pendant une période témoigne pour lui-même, pas plus. Exemple et trace de ces fraternités et de la complexité des postures et positions... Je ne sais comment on pourrait dire à un personnage réel, une personne, qui témoigne sur plusieurs moments et ne les retrouve pas tous, que c'est toujours le cas : on ne se retrouve jamais quand on est traduit. On croit être trahi mais on ne le serait que si les spectateurs ne recevaient pas le message essentiel qu'on voudrait faire passer. Or le message passe, que vous puissiez le croire ou pas. Et la vérité. Une vérité, car ce n'est jamais, forcément, qu'une vérité fragmentaire faite de morceaux à mettre bout à bout, en les reliant aux autres films, et pas seulement à ceux du cinéaste, mais à tout un tissu de réalisations, qui font la trame de la perception totale de ce qui fut. Dans ce tissu de films portant témoignage je mets aussi, par exemple (mais pas seulement), « Cartouches gauloises », film sur la guerre vue par un enfant, œuvre qui m'a touchée, ou «Pieds-Noirs, histoires d'une blessure », documentaire sur l'exil et ses douleurs... Et je mets aussi des films que j'aime moins, ou même d'autres que je n'aime pas du tout ou ne supporte pas. Là, vous donnez un visage à l'Algérie de votre oncle, un visage. Et à votre oncle le plus bel hommage qu'il pourra jamais trouver dans un film. Une existence d'une force insoupçonnée. En voyant le film je me disais que j'aurais aimé pouvoir vous parler. Et autour de moi les spectateurs, Algériens ou pas, pleuraient sur cette tragédie d'une mort gardant sa part de mystère, mais étant la mort de quelqu'un pour un avenir qu'il voulait autre. Comment le dire? Si on voit dans le passé une guerre qui fut aussi une guerre civile, si on essaie de ne pas regarder notre histoire en ne retenant que ce qui était nôtre, chacun dans sa communauté, on peut alors accepter que dans une œuvre la réalité soit complexe et que dans cette œuvre des aspects nous dérangent, y compris dans ce qui nous concerne, y compris dans la traduction de ce que nous avons voulu dire de nous-mêmes. Pour moi, née en Algérie, mais vivant en France depuis l'adolescence, et ayant observé la réalité avec mes yeux d'alors, et les adultes avec cette lucidité douloureuse de l'enfance, je pense que toute représentation me trahit toujours un peu. Ou me blesse. Même quand elle montre ce que je sais vrai, mais n'accepte pas de devoir laisser définitivement dans cette réalité passée, qu'on ne peut plus changer. Je regarde les témoignages à partir de mon identité (« Pieds-Noirs », dit-on). Forcément d'abord à partir de mon identité, dans cette connaissance et ce souci des miens. (Mais qui sont les miens ? Il y a un moment où cette notion bascule. Miens les autres. Autres les miens. Je ne suis pas « que » cette identité.). Si cela bascule et ouvre la conscience, c'est justement grâce à des films comme celui-ci, qui font entrer en empathie avec des êtres dont les vécus et les choix furent parfois loin de nous. Et trop montrer, trop raconter, ce serait un obstacle à ces prises de conscience, à ces bouleversements du spectateur. (Vous regrettez l'absence de certains moments ou témoignages, mais peut-être qu'ils auraient eu l'effet contraire, qu'ils auraient empêché de recevoir l'essentiel de « votre » témoignage. Pour moi, c'est mieux ainsi. On comprend autrement, on entre dans votre parole et votre émotion, on intègre ce qui est montré et dit.). Je parlais du visage que vous donnez à voir, sans image bien sûr, par les mots, à travers ce portrait fait de votre oncle. Mais le vôtre aussi compte beaucoup, et donne une épaisseur et une présence, par l'image et la voix. Ce n'est pas trahi, puisque c'est.

mercredi 15 décembre 2010

Le LMD et l'Orphelinat

Les pupilles de la nation se souviennent, non sans douleurs, comment ils apprenaient de manière insidieuse la disparition de leur papa, tombé au champ d'honneur.
L'administration coloniale l'avait remplacé par un tuteur. En agriculture, les jeunes pousses s'accrochent avec ardeur à un tuteur dont la fonction consiste à les protéger contre les vents violents et surtout à les élever aussi droit qu'une règle. Cette assistance à plantule en croissance permet de franchir sans encombres les premières années de la vie. En principe, dès la vie adulte, le tuteur n'a plus sa raison d'être. Sauf dans le cas de persistance de la vie infantile. D'où la notion d'éternel assisté qui sied parfaitement aux peuples immatures. Avec l'intrusion du système LMD que certains voudraient généraliser à l'université algérienne sans jamais l'avoir éprouvé, on assiste au retour du tuteurage dont la nouvelle mouture consiste à affecter un groupe d'élèves à la garde d'un enseignant. Premier couac, les tuteurs n'ont aucune notion de leur nouvelle fonction. Souvent les néo tuteurs s'avèrent être dans le besoin. Car un tuteur doit nécessairement avoir les pieds bien ancrés dans le sol, sinon il pencherait à la moindre brise. Second couac, un tuteur devrait avoir un local pour y exercer sa nouvelle science. Consacrer les après-midi au tuteurage nécessite des locaux que les tuteurs n'ont pas. C'est pourquoi, l'opération est en train de tourner court. Sauf pour les affidés à la carotte qui, comme chacun sait, n'est qu'une vulgaire racine coiffée d'une touffe d'herbe. Juste de quoi humer le vent et faire courbette. Un peu à l'image du LMD. Sans tuteurs confirmés, il aura juste droit à l'orphelinat et des tuteurs de remplacement.

Chronique parue dans El Watan du 14 - 11 - 2007

mardi 14 décembre 2010

La trahison de trop

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 «Dos à dos» est une expression qui symbolise une singulière prestation de laquelle il ne sortira ni vainqueur, ni vaincu ; autant dire sans gloire et sans panache.
S’il s’était agit d’un vulgaire match de football que les protagonistes auront malencontreusement tronqué devant un public peu regardant, l’affaire aurait été entendue. Il ne s’agit même pas d’une banale altercation larvée entre deux bandes d’adolescents en mal de virilité, ni d’une inutile bagarre de chiffonniers. L’affaire concerne toute une filière dont le chiffre d’affaires peut parfois atteindre 1 milliard de dollars. En assurant annuellement à chacun des 33 millions de citoyens pas moins de 45 kg de patates, la filière de la pomme de terre est devenue sans doute la culture la mieux pratiquée par nos fellah. Cependant, ce tubercule n’a qu’un seul défaut, son extrême sensibilité au Mildiou. Pendant que les firmes proposent une large série de parades – depuis une multitude de fongicides jusqu’à la production de plants résistants-, nos braves paysans éprouvent les pires difficultés à asseoir une stratégie de lutte. Tout ceci en l’absence sidérale des universitaires. Y compris à l’ère du LMD triomphant censé rapprocher la science des préoccupations citoyennes. Réunis récemment à Tipaza, les pontes de la recherche agronomique se sont tout de même entendus sur une révision de la Constitution. Il parait que c’est très bon pour le statut quo. Pour le mildiou, faudra attendre le passage du facteur. Dans ce dos-à-dos mortel entre les universitaires et les redoutables champignons, il y a malheureusement place pour la trahison des scientifiques. Lorsqu’un sujet d’une aussi intense actualité ne mobilise personne dans la communauté universitaire, il y a de quoi désespérer.

Boussayar


Chronique publiée dans El Watan du 05/03/2008

dimanche 12 décembre 2010

Ghrib Elektroniks contre SAG



Oui ! Ça ressemble à un groupe de musique, ça ne fait pas de bruit mais quelle vague !
Quelle souffle et à quel rythme ! Franchement pendant deux heures, les plus courtes de ma vie ! nous étions une bonne cinquantaine venus à l’invitation de Med Bahloul, au siège de son institut, en plein cœur du vieux Canastel, parce que plus loin c’est toujours la jungle. Pas très nombreux, mais sereins. Moi je ne le connaissais que de par son appartenance aux « réformateurs ». C’était largement suffisant comme argument pour se convaincre que le personnage avait de l’étoffe et des choses à dire. Il faut cependant rendre à Kasdi ce qui appartient à Merbah. C’est lui, dès sa nomination au poste de chef du gouvernement, qui fera appel à Med Ghrib. C’est la preuve que l’ancêtre du DRS savait reconnaître les compétences nationales et leur faisait appel sans rougir. Lui était en voyage à l’étranger lorsque le wali de SBA se mettra à sa recherche. C’est de l’étranger qu’il apprendra l’appel du devoir. Car jusque-là, Med Ghrib était un simple réparateur de téléviseurs sur les bords de la Mékérra. Il en produisait 100.000 par an et tous les algériens en voulaient un. En couleurs SVP. Les premiers seront écoulés grâce à l’insistante vigilance des wali ; car ce sont ces commis de l’Etat qui ont servis de commerciaux à la SONELEC ! La SONACAT avait le monopole mais la liste des heureux bénéficiaires c’était au wali à l’approuver. Vous imaginez un jeune et fringant ingénieur, qui fit un détour comme auxiliaire à l’école normale d’Oran pour y enseigner la physique à nos futures institutrices, qui se retrouve à la tête de l’une des plus grandes usines de téléviseurs du monde. Avec siège à Sidi Bel Abbès. Une technologie Américaine (echchchah fi hizb França) avec un niveau technologique similaire à celui du français Thompson ! Rien que ça ! 
J’arrive dans la salle Mahmoud Darwich et Med Ghrib venait à peine d’entamer sa conférence. En quittant l’hôtel MontParnasse où la sympathique Stéphanie Maurice de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille, nous entretenait mes collègues et moi, du journalisme de proximité – stage organisé uniquement pour les correspondants de l’Ouest du quotidien El Watan-, j’ai dû faire un détour par la pêcherie afin de contourner les embouteillages Algérois d’Oran, - c’est la même chose, la "tchi tchi" en moins, faut pas exagérer, Oran est vraiment moins coincée qu’Alger. 

A peine assis, j’ouvre grand mes oreilles et j’ai un peu de difficultés à entendre cette petite voix, presque inaudible, un débit sans aspérités, puis je me dis que c’est peut être la sono que Med loue à un jeune groupe d’ansejiens. Très rapidement, le récit se fera plus audible et le discours se transformera en un conte. Car notre électronicien, contrairement l’idée que j’en avais, ça sait aussi parler et ça sait surtout convaincre. Je découvre alors un grand orateur, sans les éclats de voix, ni les vociférations d’un Saadi ou d’un Touati. Un discours limpide, cohérent, sérieux, serein, riche en anecdotes aussi succulentes les unes que les autres, un discours responsable. Celui d’un Monsieur qui sait de quoi il parle et qui mesure la gravité de ses propos. Le long, tortueux et complexe parcours d’un ingénieur qui se transforme rapidement en chef de projet, qui forme une équipe, qui la soude, -normal pour un électronicien, ça travaille sur les électrons et tout le monde sait qu’il faut une bonne soudure grâce à un excellent amalgame à base de bon sens et de générosité- et lui fait confiance ! La recette est toute trouvée ! Hé bien non ! C’est compter sans les interférences du politique. Avec Belaid Abdeslam ça allait, un peu, tout le monde connaît ses bourdes et son entêtement, mais comme en face il y a avait le bon sens et la générosité, ça suffisait pour arrondir les bords et pour avancer. Mais à la mort de Boumediene, c’est le début de la chasse aux sorcières ! Très vite, le nouveau « Système » se rend compte que le Boumediénisme continuait à travers les cadres formés à cette époque. Ceci explique en partie la grande saignée de la décennie d’avant ! Puis l’entrée en disgrâce avec l’interruption du gouvernement Hamrouche (le 3 juin 91 ?) et l’arrivée des nouveaux « Harkis » selon l’expression de Sid Ahmed Ghozali.

 Justement quel lien entre Med Ghrib et SAG ? 

 A priori il n’y en a point. Pourtant, lors de sa très instructive conférence, Med Ghrib, dans une des multiples digressions – c’est aussi ça la richesse de son discours- il écorchera à deux reprises celui qui fut l’inamovible PDG de Sonatrach. Une fois en parlant des allocations journalières versées aux stagiaires de Sonatrach (par Ghozali) et de Sonelec ( par Med Ghrib) lors de leur séjour aux States : 20 et 7 dollars, respectivement, mais ça vous l’aviez compris !
 L’autre fois c’est à propos du transfert de technologie et de sa maitrise : Alors qu’après 6 ans de coopération américaine Sonelec est parvenue à se séparer définitivement de la main-mise américaine, dans une technologie de pointe, celle de l’électronique, tandis que Sonatrach est toujours incapable de réparer la moindre pièce sur un module GNL dont elle a eut la primauté à l’échelle mondiale.
 L’autre grande différence c’est que l’un est chef de parti et l’autre chef d’orchestre. Ils ne jouent pas sur la même partition, d’où la cacophonie Iranienne de l’un et la sérénité électronique et algérienne de l’autre. Pour info, Med Ghrib est avec d’autres, dont des jeunes ansejiens, à la tête d’un bureau d’engineering de renommée mondiale. 
Les habitués des chuchotements sur une (imminente?) succession - que l'on dit difficile- seraient bien inspirés de s'en rapprocher, il a un seul défaut, il est réformateur et apparemment ça ne se soigne pas.
Pas même au Val de Grasse? 

Voici par ailleurs l'article paru dans le quotidien Réflexion du 15/12/2010 


lundi 6 décembre 2010

L’Adieu à Hadj Boukli


panoramique de l'ITA ( au fond 2 nouvelles bâtisses) Photo DR
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Inéluctable est la mort. Insoutenable est notre destin. Mais nous n’avons d’autres choix que de l’assumer. Après tout nous avons eut un parcours très particulier. Tout le monde n’a pas eut la chance de participer à l’expérience de l’ITA. En 1970, Mostaganem était une coquette mais modeste ville de moins de 70.000 habitants. Avec l’encadrement et le personnel de soutien, environ 500 personnes, il y a avait deux promotions, soit près de 900 jeunes de tous horizons. Cela faisait du monde dans la ville. L’enseignement c’était pas moins de 8 heures par jour, tous les jours. La cafétéria était tenue par Hadj Bouchachi au cercle Fromentin, qui deviendra quelques temps après le siège du Planning, un service où Nicolas allait exceller, après avoir mis sur rail « la vie collective » avec Bouzid Mezardja. A midi tapante, c’était la ruée vers le restaurant. C’est le royaume de Hadj Boukli. Les cuisines étaient sous la responsabilité directe de Hadj Maâta, beau père de HBA Benzaza et transfuge de l’hôpital de Mostaganem. Déjà aux premières lueurs de l’aube, le café était toujours accompagné de gâteau secs, de beurre et de confiture. C’est là que je découvrais pour la première fois la « noix de beurre » que l’on façonne avec une cuillère spéciale. Hadj Boukli qui nous gâtait comme pas possible, avait une très belle formule. Il disait toujours «  la première promo c’était beurre et confiture, la deuxième promo ce sera beurre ou confiture ! Mais c’était plus tard lorsque les effectifs atteindront les 2000 élèves ingénieurs et après que Hadj Maâta ait rejoint l’hôpital. Pour tout dire, nous étions choyés comme des princes. On dirait que Hadj Boukli avait une mission spéciale, celle de ne jamais nous froisser. Il avait cette autorité à nulle autre pareille de privilégier toujours ses élèves au détriment de tous les autres. Pour lui l’élève ingénieur avait toujours raison et il avait tous les droits. Il était le premier à ouvrir le restaurant et le dernier à le quitter. Jamais sous son règne les élèves ne seront brimés. C’est à l’arrivée de Benosmane, un autre enfant de Tlemcen que les choses se compliqueront entre lui et Hadj Boukli. Rapidement, les rapports entre les deux responsables étaient devenus exécrables, ce qui incitera HBA  à les séparer. C’est alors qu’un mauvais matin, Hadj Boukli se retrouvera à la tête des moyens généraux. Là aussi, il fera montre d’une abnégation et d’un engagement à toutes épreuves. L’homme était droit dans ses bottes. Auréolé de sa filiation avec Nordine Boukli, son neveu, alors SG du ministère et très proche de Tayebi Larbi, il était l’intransigeance personnifiée. Rigoureux comme une règle, fier comme un léopard, Hadj Boukli avait une seule famille, celle de l’ITA. Contrairement à tant d’autres, cette passion il la maintiendra jusque dans son exil. Jusqu’à ces dernières années où ses forces le lâchaient inexorablement, jamais lors d’un bref séjour à Mostaganem il ne fit l’impasse sur l’ITA. Nous sommes des milliers à lui vouer une admiration sans limite et un respect légitime. Je l’ai connu en ma qualité de délégué auprès de l’intendance, donc de l’intérieur du système, et je suis sans doute le mieux placé pour le connaître dans ses moindres recoins. Je ne peux rien faire d’autre que de dire qu’en face de lui, je n’ai jamais senti ni mépris, ni félonie, ni malice. Il était juste et parfois excessif dans sa justesse. C’est pourquoi, à jamais, il le savait parfaitement, je lui serais redevable de quelque chose. Je suis convaincu que je ne suis pas seul à partager ce sentiment. Mais s’il y a en un qui l’a connu et compris parmi les milliers d’élèves de l’ITA, je serais celui-là que ça ne m’étonnerait pas. Je dirais même que j’en tire une certaine fierté. Car il n’est pas donné à tous le monde de pénétrer le monde intérieur de Si Boubaker Boukli Hacène Thani ! Adieu l’artiste ! Tu nous a toujours manqué, car ton amour pour le travail et pour les « ITA » se confondaient allègrement. Tu étais vraiment des nôtres ; tu partageais nos joies et nos peines. Désormais nous serons bien seuls. Il reste ta mémoire que nous honorerons comme le ferait un de tes fils. C’est le plus bel hommage, d’autant que tu savais à quel point nous tous te respections. C’était la page de Hadj Boukli, sous la plume de Boussayar. 

Je me joins à tous les collègues qui ont connu feu El Hadj Boukli pour exprimer à sa famille mes sincères condoléances, tout en priant Dieu le tout Puissant de l'accueillir dans son vaste paradis.
Bouzerzour

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