En ces vacances d'hiver, la correction des épreuves de culture générale, mais néanmoins agronomique, dans les 2 langues et près de 400 fois, m’a pratiquement cloué à la maison. C’est ma collègue Malika Boualem, l'entomologiste, qui m’a permis d’aller prendre l’air. Ayant reçue deux amies venues de France, Claire Villemant (http://www.eyrolles.com/Sciences/Livre/portraits-d-insectes-9782020590969?PHPSESSID=) et Fatma Hérouali, elle m’a sollicité pour leur faire découvrir une petite facette du Dahra. Avec ma fille, nous étions donc 5 à l’intérieur du cockpit de la Clio familiale. Départ en fanfare en direction de Chaâïbya dont nous contemplons la merveilleuse plage depuis le phare de Cap Ivi. Ce lundi matin, en ce décembre finissant, la mer virait du turquoise au bleu de Prusse – plus à l’ouest, on dirait « Bleu Laârache- en moins éclatant. Car il n’est pas question ici de comparer les plages boueuses et capricieuses de l’Atlantique avec la splendide mer intérieure. Séance de photos sous un vent du Sud plus froid que jamais puis départ en direction de Ouillis- Honneur à Benabdelmalek Ramdane, héros sans pareil, puisque le premier des "22 historiques" à tomber sous les balles « amies » non loin du douar Ouled Larbi, là où on ne vend que du sable, y compris en défonçant l’une des plus belle et des plus anciennes forêt de pins et surtout de genévriers de Phénicie- que nous contournons juste pour voir les serres de l’Ami Mansour – le Maire le plus cool de la décennie noire, qui sauva l’honneur de la tribu, sans plus- où de jeunes berbères (de Damous ou de Gouraya) travaillent la terre à l’ancienne sans rien renier des techniques les plus avancées que beaucoup d’agronomes ne connaissent pas encore- il faut leur donner le temps !- pour nous retrouver au carrefour de la ferme Monsénégo (voir sur la toile), là où la première balle de Novembre fut tirée ! Puis la RN11 se fera plus agressive, entre Benabdelmalek Ramdane et sidi Lakhdar, on avait plus de budget, donc on a sauté ce passage de 11 km, du coup, on se replonge dans la période coloniale, avec une chaussée étroite et cahoteuse. Sidi Lakhdar est vite traversé comme un vrai embouteillage algérois, c'est-à-dire dans un insupportable désordre. Une si belle et si accueillante cité, transformée en un insupportable bidonville digne de Calcutta, fallait oser ! Heureusement qu’à la sortie vers Khadra, El Ghoul a bien fait les choses puisque la RN11 ressemble enfin à une route de Picardie. Ce sont les dames assises à l’arrière qui le soutiennent ; comme j’ai pris le plis de ne croire qu’aux femmes, -pas uniquement à cause de ma mère-, je me fais un plaisir de les approuver sans faille. Le macadam se faisant plus clément, la forêt de Dadès se laisse traverser avec délice, c’est ici que commence le territoire des Frachih. Car en bas du plateau de Dadès, sur la rive gauche de l’oued Zerifa, un peu à l’intérieur des terres, se trouve le site des grottes du Dahra (vite internet!), là où le sanguinaire colonel Pelissier – il sera fait maréchal, c’est qu’il a bien mérité de la république !- fera étalage de son talent génocidaire en enfumant une nuit durant, la tribu et les attributs des Ouled Ryah. C’était durant la sinistre nuit du 18 au 19 juin 1845. Grâce il est vrai à la généreuse sollicitude du Caïd de Nekmarya, qui se verra offrir un domaine de 50 hectares sur les terres des Frachih qui n’avaient strictement rien à voir. A part de s’être installés près des grottes de Ghar el Frachih que les Ouled Ryah allaient utiliser comme refuge, fuyant les troupes « civilisantes » de Bugeaud, sous les ordres de Pélissier !
Détour très instructifs par Ouled Boughalem, là où, au tout début du 19ème siècle, nait un certain Benabdallah Boumaza. L’homme à la chèvre, c’est tout ce que l’histoire officielle retiendra de lui. Pourtant, ce digne et fier fils du Dahra, fougueux soldat dans les troupes de l’Emir Abdelkader, ne se résignera pas lorsque l’aura de son chef commençait à décliner. Bien au contraire, c’est son jeune officier qui lèvera des troupes et qui mettra à mal les armées coloniales, embrasant toute la région du Dahra. Ce que Bugeaud, devenu Gouverneur Général pour sévices avérés sur les populations autochtones n’acceptera pas, ordonnant à Pelissier, Cavaignac et St Arnaud à écraser par tous les moyens cette révolte inattendue. Le summum de l’horreur sera atteint dans la grotte de Ouled El Frachih, non loin de Nekmarya.
Où nous arrivons à 15 heures tapantes. Après avoir traversé le douar Doualya – tribus des Dali ?- nous arrivons à l’entrée de Nekmarya et nous arrêtons au niveau de la station service des Hammoudi. Le père ayant émigré en France durant les années 60, -ses enfants, dont mon fidèle ami Mohamed, sont tous nés et ont grandis à Limoges- est retourné au bled pour y investir ses moindres économies. Pendant que le fils s’affaire à faire le plein à un fellah du coin, le père supervise la station de lavage, de l’autre coté de la bâtisse. Là où commence le jardin où un ouvrier tente de retourner la terre sans trop y croire. Sanglé dans une superbe tenue traditionnelle, les yeux pétillants et le geste ample, le maitre des lieux nous accueille sans fioritures, ni clinquant. Le verger de pommiers ainsi que quelques pieds de vignes attendent une taille bienfaitrice qui se fait désirer. Puis au moment de quitter nos amis pour aller voir le barrage du Kramis qui ne sert toujours pas à grand-chose malgré une réserve de 25 millions de M3, nos remarquons la présence de deux citronniers. Avec beaucoup de citrons, de toutes les couleurs et de toutes les tailles. Normal pour un « 4 saisons » ! Mais en plein hiver, ployant sous ses fruits pendant que des importateurs avisés le ramènent d’Espagne avec plein de cire autour ! Je me hasarde à récolter un fruit, suivis par le propriétaire qui se met de la partie, rapidement, toute la délégation se pare aux couleurs et surtout aux odeurs du citron sans fard et sans cire. L’arbre généreux à en rougir continue de nous abreuver de cet arôme si particulier. Peu de gens connaissent cette odeur sauvage des citrons. Surtout celle des citronniers de Nekmarya, à 10 km du rivage de Sidi Laadjel/port de Menard.
A plus de 100 mètres d’altitude. Sur ces terres arides où les marnes se laissent attendrir par les pluies printanières, un fils du bled est revenu depuis Limoges pour apporter le confort et surtout le réconfort à ses semblables. Jusqu’à offrir de vrais citrons sans insecticides et sans cire de maquillage à ses visiteurs.
S’il fallait garder une image de cette virée dans le Dahra, sur les traces deBenabdallah Boumaza et de Benabdelmalek Ramdane, en souvenir des années de souffrances et de bravoure, ce sont ces deux citronniers aussi généreux que leur propriétaire. Comme quoi, parfois, le bonheur surgit de là où l’on s’y attend le moins.