samedi 20 juin 2015

De la Régence à la VIème Flotte US

Ou lorsque la Régence provoque a création de l' US Navy...à lire pour ne plus méconnaître son histoire...très instructif et très complet, on y apprend aussi comment est mort Raïs Hamidou



Il y a 200 ans, la guerre algéro-américaine et la mort de Raïs Hamidou

 
Par Contribution | 20/06/2015 | 9:15
8901c8f7e38db5b1530aabddd42f4063_XLIl y a deux siècles, le 17 juin 1815, une imposante armada navale américaine détruisait le vaisseau du plus célèbre corsaire de l’époque Raïs Hamidou, et sonna le glas de la légendaire invincibilité de la ville d’El Djazaïr et de toute la Régence d’Alger, qui ne tardera pas ensuite à tomber sous le joug colonial français.
L’amiral (Raïs) Hamidou lui-même trouvera la mort au cours de cette bataille, lui qui avait pris part pendant sept ans (1808-1815) aux expéditions de la Régence d’Alger contre les navires de commerce croisant en Méditerranée et dans l’Atlantique. Les bateaux américains étaient particulièrement visés car privés, depuis la proclamation de l’indépendance des Etats-Unis en 1783, de la protection de la Royal Navy, le pavillon britannique.
Les tensions nées des actions des corsaires algériens contre les navires marchands américains conduisirent le parlement des Etats-unis à demander – et à obtenir – la constitution d’une force navale suffisamment puissante pour assurer la sécurité du commerce américain dans la région. Cette force n’a pu été utilisée, dans un premier temps, contre la Régence d’Alger en raison d’un accord de paix, signé entre les deux parties en1795, mais qui ne tiendra que quelques années, avant qu’une multiplication des affrontements entre les deux flottes n’engendre des pertes humaines, la détention de nombreux captifs et des incidents diplomatiques incessants.
Il a fallu attendre la fin de la guerre anglo-américaine, en 1814, pour voir les Américains s’octroyer les moyens de se recentrer sur la « lutte contre la piraterie » et de lever une flotte destinée, en priorité, à faire la chasse aux croiseurs algériens. L’évènement marquait un retour retentissant à la guerre aux Etats « barbaresques », en référence à la Barbarie (c’est ainsi que les Européens appelaient le Maghreb central actuel) pour stopper, disait-on, la piraterie (course) en Méditerranée.
Le blocus du détroit de Gibraltar par une croisière perpétuelle espagnole puis par une escadre portugaise préserva momentanément le commerce américain dans l’Atlantique des attaques des croiseurs de la Régence d’Alger. Le début des négociations de paix, en juin 1785, entre l’Espagne et la Récence et l’armistice conclue plus tard entre celle-ci et le Portugal, ouvrit le détroit aux croiseurs algériens qui se ruèrent dans l’Atlantique à la recherche de navires de commerce américains.
En plus de deux navires pris en 1785, les corsaires de la Régence capturèrent, pendant le seul mois d’octobre 1793, dix navires américains et cent dix neufs captifs s’entassaient dans les bagnes d’Alger à la fin de l’année 1793. Le Dey Hassan (1790-1798) refusa toute négociation avec les américains et déclara « Qu’il avait assez de pain pour les nourrir et qu’il ne les libérerait jamais même si des millions de dollars devraient couler dans ses coffres ».
L’opinion publique américaine, relayée par les exportateurs des produits agricoles réclama au gouvernement des mesures énergiques.
Au Congrès, les Fédéralistes du Nord, partisans avec John Adams, d’une solution avec Thomas Jefferson, recommandent le recours à la force.
La Chambre des Représentants finit par voter, le 2 janvier 1794, par deux voix de majorité, une résolution « exigeant de prévoir, de suite, une force navale suffisante pour assurer la protection du commerce des Etats-Unis contre les corsaires algériens. » Un bill conseillant la création d’une flotte de six frégates fut adopté par le Congrès et signé par le Président Georges Washington.
La doctrine militaire retenue était que ces frégates « devraient réunir les qualités de résistance, de rapidité et de force telles qu’elles soient supérieures à n’importe quel type de frégate européenne. » La « quasi guerre » avec la France devenant inévitable, les Etats-Unis s’empressèrent d’achever ce programme de construction et de procéder à l’achat de navires de guerre si bien qu’ils se trouvèrent, en 1798, en possession de 38 excellentes unités.
Cette force ne trouva pas à s’employer contre la Régence d’Alger avec laquelle la paix avait été signée en septembre 1795, moyennant un fort tribut annuel et la fourniture d’une frégate de 36 canons construite et équipée aux frais des Etats-Unis.
Cette flotte s’illustra par contre pendant la « quasi guerre » contre la France, durant laquelle elle prit, entre le début des hostilités à la fin de l’année 1800, pas moins de 90 navires de guerre et de commerce. Les relations entre les Etats-Unis et la Régence d’Alger ne furent pas troublées jusqu’en 1800, lorsque la frégate « Georges Washington », du capitaine William Bainbridge, fut réquisitionnée par le Dey Mustapha Pacha pour conduire une délégation à Constantinople auprès du Sultan Selim III. Bainbridge en appela, en vain, au droit international et finit par céder sous la menace d’une rupture avec les Etats-Unis.
Les incidents se multiplièrent. Au début de 1808 le Dey Ahmed Khodja réclama et obtint 18000 dollars en compensation de la perte de huit marins algériens jetés par-dessus bord, trois mois auparavant, par l’équipage du Shooner « Mary Ana » de New York. Le 17 juillet 1812, le Dey Hadj Ali réclama le paiement d’un arriéré de 27000 dollars sur les sommes payées depuis le traité de 1795 et ordonna à ses croiseurs de courir sur les navires américains, si bien que des captifs américains furent à nouveau des pensionnaires des bagnes d’Alger.
La fin de la guerre Anglo-américaine (Traité de Gand en 1814) permit aux Américains de dépêcher en Méditerranée une imposante escadre commandée par le commodore Stephen Decatur (2).L’escadre qui fit sensation à son arrivée à Gibraltar se mit immédiatement à la recherche de croiseurs algériens. Le 17 juin 1815, elle identifia, au large du cap de Gate, le Meshouda, vaisseau amiral d’Alger portant le pavillon du Raïs Hamidou et équipé de 44 canons. La doctrine militaire adoptée par la marine américaine s’avéra payante. Les navires l’Epervier, la Guerrière et l’Ontario, aussi fins voiliers que le Meshouda lui coupèrent toute possibilité de retraite vers un port espagnol neutre et l’obligèrent à prêter le flanc à la frégate Constellature qui foudroya le pont du navire algérien. Malgré sa blessure qui l’obligea à se tenir assis, l’Amiral algérien continua à diriger son navire lorsqu’il fut carrément coupé en deux par un boulet de la frégate la guerrière montée par Decatur.
Il a fallu neuf bordées tirées par le Sloop « Epervier » pour que l’équipage amène son pavillon et cesse sa défense héroïque qui fit l’admiration des américains. Les sources américaines font état de 4 morts et 10 blessés côté américain, contre 50 morts et 400 prisonniers côté algérien.
Pendant ce temps, un autre drame se nouait à Waterloo où un général de l’armée de Napoléon déserta et se rendit aux lignes prussiennes avant la bataille. L’escadre américaine qui captura en plus le brick algérien, se dirigea vers Alger, où tous les croiseurs algériens se trouvaient en mer. Decatur et le commissaire William Shaller exigèrent que les discussions aient lieu à bord de la Guerrière. La ville sans défense capitula et le Dey Omar se résigna, sous la bouche des canons américains à la signature d’un traité imposé par les Etats-Unis y compris, chose inouïe depuis la création des la Régence, le paiement d’indemnités de guerre.
Cette défaite de la régence ouvrit la voie, l’année suivante au bombardement de la ville par une flotte ango-holandaise qui acheva le mythe de l’invincibilité d’El Djazaïr et mahroussa. Pendant les années qui suivirent ces défaites, les sept plaies d’Egypte s’abattirent sur la Régence (peste endémique, famine, sauterelles, révoltes paysannes, dépréciation vertigineuse de la monnaie etc). La Régence ainsi affaiblie et minée de l’intérieur constitua une proie idéale pour les milieux d’affaires et autres ultra français, qui procédèrent au blocus d’Alger dès 1827 pour aboutir à la chute de la Régence en 1830, mais ceci est une autre histoire.
Avec la doctrine Monroe et le corollaire Roosevelt les Etats-Unis se détournèrent de la Méditerranée et concentrèrent leurs activités économiques et militaires en Amérique latine.
Les protagonistes de cette histoire tumultueuse connurent des fortunes diverses. Le Raïs Hamidou fut enseveli, à sa demande, dans les eaux de Gibraltar. Omar Pacha que l’Odjak accusa d’apporter le mauvais œil sur la Régence fut exécuté par la milice. Decatur fut tué lors d’un duel avec son collègue le commodore Barron ; il mourut dans d’indicibles souffrances en s’écriant « I did not Know that any man could suffer such a pain ». Les chroniqueurs du temps y voient une vengeance posthume du Raïs Hamidou. William Shaler fut nommé en 1815 Consul Général des Etats-Unis à Alger jusqu’en 1828 puis muté à la Havane où il mourut du choléra en 1833. Le général français déserteur à Waterloo, de Bourmont fut désigné comme commandant en chef du corps expéditionnaire français qui envahit l’Algérie en 1830. La troupe qui n’oublia pas sa trahison à Waterloo le railla et chantait en sourdine :
« Alger est loin de Waterloo
On ne déserte pas sur l’eau
De notre général Bourmont
Ne craignons pas la trahison »
Du côté américain, le personnage le plus attachant demeure Thomas Jefferson. Gouverneur de Virginie, ambassadeur à Paris, secrétaire d’Etat sous Georges Washington et deux fois présidents des Etats-Unis. Philosophe, agronome, inventeur et architecte, il fut l’auteur principal de la déclaration d’indépendance de 1776. Il était arabisant et grand lecteur du Coran dont un exemplaire lui appartenant se trouve de nos jours à la bibliothèque du Congrès à Washington. Il fut un protecteur vigilant de la minorité musulmane descendant des morisques expulsés d’Espagne par l’inquisiteur. Il donna même un iftar à la maison blanche le 9 décembre 1805 en l’honneur de l’envoyé tunisien Sidi Soliman. L’ironie du sort voulut qu’il décéda 50 ans après la déclaration d’indépendance dont il fut l’architecte, le même jour que son prédécesseur John Adams qui, à l’article de la mort, s’écria « Thomas Jefferson est-il encore de ce monde ? »
Par Nouredine SMAIL : Essayiste, ami du vieil Alger
Note 1: Sous l’appellation générique de « Barbary Wars » la première guerre (The Just Barbary Wars de 1801 à 1805 qui est appelée également « the Tripolitanian War » qui vit un affrontement cornée direct avec la seule Régence de Tripoli.
La seconde guerre dirigée contre la Régence d’Alger en 1815 est également nommée « The Algerine War
Note 2 : Stephen Decatrur réussit un célèbre coup de main contre Tripoli qui a suscité l’admiration de l’amiral Nelson qui qualifia la Provence du commodore de « The most bold and daring act of the age ».
Le Commodore fut l’auteur du fameux toast longtemps en usage dans la marine américaine « A notre pays qu’il eut tort ou raison ».
Bibliographie sommaire
Les lecteurs intéressés par cette histoire consulteront avec profit :
Histoire de la guerre entre les Etats-Unis et Tripoli- (Stephen Cleveland Blyth)
Américains et barbaresques (Emil Dupuy)
Histoire d’Alger sous la domination turque 1815-1830 (Henri-Demals de Grammout)
Alger et Tunis au 18è siècle (Ventur de Paradios)
Le Miroir (Hamdan Ben Othmane Khodja)
La France, les Etats-Unis et la guerre de copurse 1797-1815 (Ulare Bonel)

Mesra vaut bien une fetwa


Encore une fois, je suis pris dans un tourbillon que j'avais malheureusement prédis dès le passage devant JP El Kabbach de Kamel Daoud...j'avais dis à l'époque combien je trouvais cette invitation suspicieuse et j'avais demandé à Kamel Daoud pourquoi il n'avait pas décliné ce passage devant le sioniste El Kabbach...cela m'avait valuune levée de boucliers de la part de certains amis...et des échanges en privé avec Kamel himself...échanges qui nem'ont pas convaincu et qui resteront pour l'histoire...a la demande et sur insistance de Mohamed Bahloul, j'ai mis un point d'honneur à ne jamais participer à une curie contre Kamel...et m'étais engagé à ne jamais permettre que ce brillant écrivain soit mis sur les pas de JP Lledo et Boualem Sansal...ça n'a pas été du gout de Kamel qui me l'a fait savoir...puis nous en sommes resté là...il se trouve qu'en ce 3ème jour du Ramadhan 2015, grace à mon ami Mohamed Bouhamidi, descendant du dernier khalife de Telmcen sous Abdelkader, je sois destinataire de cette nouvelle contribution du professeur Abdellali Merdaci...dans laquelle il revient sur un texte éloquent de Régis Debray...retour à la case départ...j'avais donc bien raison en réagissant rapidement à l'émission de Kamel sur LCP dans le prestigieux plateau sioniste d'El Kabbach....en coici quelques extraits en gars, le reste de la contribution suit...bonnelecture et sans rancune...Aziz MOUATS

"Debray peut insister sur cette obligée réinsertion de l’auteur de Meursault contre-enquêtedans le souvenir de Camus et dans une francité littéraire éternellement dévoreuse : « Vous avez rapatrié L’Étranger dans la culture algérienne, fait de Camus un indigène à part entière, si je puis dire. Un écrivain qui parle de vous et à vous, arabes, Algériens, maghrébins. Eh bien, votre contre-enquête algérienne, écrite dans un français que peu de Français savent encore écrire ou même parler, sachez que nous la rapatrions à notre tour dans le trésor de notre llittérature, je devrais dire la Littérature, celle qui peut faire de nous un peu mieux que des confrères, des frères. »Ainsi, quels que soient l’intérêt et la valeur littéraire de l’œuvre de Daoud, elle devient naturellement française et éligible à un transfert au « trésor » de la littérature française. Il s’agit, en fait, d’un déni écrasant et humiliant de l’autonomie et de la personnalité de la littérature d’un pays indépendant".


Régis Debray, Kamel Daoud et l’Algérie.
Une répétition néocoloniale

Par Abdellali Merdaci*


          Toute une Algérie vaniteuse, cultivant l’art de la sottise, est derrière Kamel Daoud. Et aussi la France littéraire et médiatique, en rangs serrés, toutes idéologies et chartes professionnelles confondues. Est-ce seulement pour célébrer un court récit, qui n’est pas encore un vrai roman, qui est la plate imitation, à rebours, d’une histoire racontée par l’auteur colonial pied-noir Albert Camus dans L’Étranger (Paris, Gallimard, 1942) ? Ce retentissement d’un texte d’occasion publié une première fois en Algérie, en 2013, par l’éditeur algéroisBarzakh, est parfaitement bien orchestré à Paris. Lorsqu’il parait, en 2013, le récit, qui prend prétexte du centenaire de la naissance d’Albert Camus, ne rencontre que l’indifférence de la grande masse des Algériens qui se précipitent aujourd’hui sur les réseaux sociaux pour le défendre, le plus souvent sans l’avoir lu, au seul motif qu’il est adoubé par la France. Au printemps 2014, l’éditeur Actes Sud, domicilié à Arles, rachète les droits de Meursault contre- enquêtepour lui donner un destin français. Contre la tradition même des jurys littéraires germanopratins qui ne retiennent que les ouvrages originaux publiés dans le courant de l’année par des écrivains de nationalité française, le récit de l’Algérien Daoud (qui porte le millésime de 2013) figure dans les premières sélections de l’année 2014 des jurés des principaux prix littéraires parisiens, notamment le Goncourt et le Renaudot. Il le doit essentiellement à Pierre Assouline, membre de l’Académie Goncourt, qui a demandé à ses pairs de l’intégrer dans leurs listes de lectures estivales et de le soutenir.

          Quels peuvent être les raisons d’un attachement sans faille de l’intelligentsia française à un ouvrage qui n’aurait pas ameuté les grandes foules et les happenings médiatiques s’il était écrit par un Français ? Et, c’est précisément le cas : cette année sort chez Allary Éditions, à Paris,La Joie, un roman du philosophe Charles Pépin, fils de pieds-noirs d’Oran, inspiré du même récit de Camus, mais qui ne connaîtquatre mois après sa diffusion ni le succès ni la fortune qui ont consacré celui de Daoud, caracolant dans les palmarès de meilleurs ventes.Si Charles Pépin nomme son héros Solara, un double antithétique de Meursault, dans une recréation littérairement jouissive, les raisons de la gloire médiatique et du succès de librairie du récit de Daoud ne doivent pas à sa qualité d’écriture ni à son inventivité : il est possible de dresser dans son « Meursault » le catalogue d’une langue française erratique, qui ne témoigne pas d’une quelconque créativité littéraire,qui serait fondamentalement postcoloniale. 

Ce sont davantage les impertinences et les intempérances du chroniqueur du Quotidien d’Oran que l’ingéniosité de l’écrivain qui ont accompagné l’équivoque réception d’une pâle copie littéraire dans la presse spécialisée française. Daoud se voit ouvrir les colonnes des journaux parisiens qui ne pouvaient que rêver d’un trublion qui parle à leur inconscient colonial, qui massacrait uniment la politique de son pays en déréliction pendant l’élection présidentielle de 2014, et allait bientôt afficher un sordide mépris envers le malheur des Palestinienscanonnés par la puissante armée israélienne, l’été 2014. Mais aussi brimer l’Islam, lui, qui fut un spadassin de l’islamisme armé dans les années 1990, qui déclare désormais ne plus être l’homme d’un seul Livre. Voilà donc l’étrange conjonction d’événements qui a suscité un candidat aux basses manœuvres, un nouvel « Arabe de service » sans foi ni loi, inespéré pour les champs médiatique et littéraire français.

          Comment ne pas reconnaître que cette carrière de briseur d’idoles et de convictions a été scrupuleusement encadrée par l’élite intellectuelle parisienne qui découvre en Kamel Daoud un rabouilleur plus percutant que ne le fut BoualemSansal, pourtant inféodé aux « diners du CRIF » et aux injonctions du sionisme ? Et dans un deuil irrésolu de l’ancienne colonie, tout ce qui vient de France est révéré par une chienlit algérienne, qui se répand en injures et ignominies sur les réseaux sociaux contre ceux qui tiennent un discours autre sur Daoud et son œuvrette. Si elle n’était le fait que d’incultes cisailleurs anonymes, cette logorrhée de laudateurs pitoyables ne mériterait aucune attention. Mais elle est aussi celle de bataillons de petites mains de l’Université et des médias. Et surtout d’écrivains, qui n’hésitent pas à traiter de « clowns » ceux qui refusent de participer à cette infâme célébration du journaliste et écrivain oranais, et, malheureusement, de critiques considérables qui ont fait le choix du clinquant.

Est-il possible de rappeler à tous que Kamel Daoud et son insignifiant essai littéraire sont plus une mise en scène française, particulièrement germanopratine, qu’algérienne. L’auteur de Meursault contre-enquête, habilement pris en charge par l’institution littéraire française,s’inscrit dans les attentes de ce qui est appelée la « littérature-monde en français », phénomène proprement néocolonial qui sévit depuis le fameux « Manifeste des Quarante », en 2007, qui a décidé de créer dans les marges de la littérature française une périphérie littéraireregroupant plusieurs écrivains du monde, justifiée par l’usage commun de la langue française. Auteur algérien, Daoud n’espère désormais qu’une carrière littéraire française, loin d’une littérature nationale algérienne, subissant encore l’hégémonie d’un champ littéraire parisien mû en recruteur de nouveaux bataillons d’Afrique, les célèbres « Bat d’Af » de jadis, faisant entendre aujourd’hui, signe des temps changeants, le cliquetis de la plume comme, hier, celui du mousquet,ferraillant au service de la France.

          Les médailles et brevets littéraires ont remplacé, dès lors, les hochets militaires pour de nouvelles « harkas » d’Algérie sans état d’âme. Comment expliquer que toute une phalange d’écrivains algériens (dont certains ont déjà renié leur nationalité) se déploie en France pour mener une carrière littéraire rythmée par une course effrénée aux récompenses littéraires ? Avec un seul texte, Daoud fait mieux que Sansal, Benmalek, Djemaï, Bachiet bien d’autres, qui en ont publié plusieurs et fourni suffisamment de gages à une institution littéraire française dominante, détruisant les velléités de formation de littératures nationales dans ses anciennes possessions, notamment en Afrique. Et qui ne tarde pas à les missionner ! Régis Debray, membre de l’Académie Goncourt, en donne une raison dans son discours d’attribution du prix Goncourt du premier roman au lauréat Daoud, en insistant sur ce qui l’a fait prodigalement élire par l’élite littéraire et médiatique parisienne : « Je crois savoir que vous n’êtes pas un type de bonne composition, mais d’assez mauvaise humeur qui ne craint pas de déplaire ni d’aller à contre-courant. 

Un exemple d’homme révolté, aurait dit Camus, votre compagnon, votre alter ego. Un emmerdeur, en colère. En colère contre les autres, c’est rituel et c’est facile. On sent en vous lisant que votre âpreté est d’une autre nature, que vous êtes, vous, en colère contre vous, vos fantômes et vos fantasmes et contre la situation faite aux vôtres – ce qui ne va jamais sans risque ». Au-delà d’un paternalisme visqueux et détestable, d’une imagerie reclassée de « l’homme révolté », le philosophe français désigne une qualité de Daoud : celle de ne pas voler dans les plumes du colonialisme, d’être si éloigné d’« un règlement de compte avec le colonisateur » pour paraître consensuel. Régis Debray exsude, en vérité, ce vieux racisme colonial qui énonce sa sempiternelle règle d’un monde divisé entre colons et colonisés ; les mots changent mais l’idée grotesque demeure : le médiologue le répète en lointain écho à une gnose qui fut sacrée dans les latifundia de la Mitidja : « Chacun sa famille, mais, sachez-le, elles se rejoignent. » Face à l’écrivain algérien, qui n’a jamais su se débarrasser de ses oripeaux d’indigène falot, le Français Debray n’a pas requis les mots d’une égale humanité, ceux-là même qu’il aurait adressés à un écrivain d’Allemagne ou d’Europe. « 
Chacun sa famille », certes, et une mauvaise conscience coloniale en appoint. Ces familles, pour ne pas dire « communautés », ne se sont pas davantage rejointes dans la France coloniale d’Algérie que dans la France actuelle qui en est encore à opposer et à imposer des quotas pour ses nationaux d’origine étrangère, et à pourchasser dans ses écoles, au nom de la lutte contre l’islamisme, de petits Français d’origine maghrébine. Il est difficile d’effacer une histoire, précisément celle de l’enfantement d’une nation algérienne, qui reste toujours douloureuse pour la France et ses élites ; ce qui nous vaut les formules circonstanciées de Debray, qui ressortissent d’un racisme refoulé insurmontable.
         
 Les aspirants « néo-indigènes » au succès littéraire parisien savent maintenant, comme Daoud, ce qu’ils doivent faire et ils peuvent apprécier profondément l’amer prix de vilénie à payer. Debray l’a martelé à propos de l’écrivain-chroniqueur oranais : « traitre à son pays dans son pays lui-même ». Et si Daoud n’était, au fond, que cela dans une enrageante comédie politique où les rôles sont bien partagés. L’intelligentsia française continuera à dézinguer le pouvoir d’Alger et à porter sur les fonds baptismaux des Daoud, rebelles en service commandé, utilement parés pour exprimer une nième révolte contre le vieux et incorrigible système qui dirige l’Algérie, dont Paris, tout en commerçant avec lui et avec ses hommes, ne manque aucune occasion de le conforter contre sa propre population et son opposition démocratique. D’Alger à Paris, cette ambiguïté est parfaitement entretenue. Daoud y garde sa place, au moins momentanément. 

Sur le front littéraire, rien n’est cependant jamais acquis. En 2014, son« Meursault » est porté par la pesante présence de Camus et surtout par une odieuse surenchère sur son pays. Comme pour BoualemSansal, autrefoisillusoirement menacé de « deux balles dans la tête », Kamel Daoud,qui ajoute une breloque au musée des fantasmes de la littérature algérienne, une fausse fetwa d’un hurluberlu médiatique, a pris le maquis dans les rassurantes rédactions parisiennes, sans jamais se risquer sur le terrain fangeux de la politique algérienne, lui qui ne sévit que dans les colonnes hyper-protégées de son journal oranais.Quels sombres parrainages le prochain opus de Daoud requerra-t-il pour attiser de nouvelles passions dans le landerneau littéraire parisien ? Et le savoir-faire seul (pour autant qu’il existe) suffira-t-il encore à porter l’auteur, en dehors des poisseuses coulisses du microcosme politique algérois qui l’ont accrédité à Paris, dans ses médias et dans sa littérature ? Quelle recette fumante à l’aïoli ressourcée sera concluante ? Comment Daoud saura-t-il réinventer le pire pour s’accrocher au succès de scandale ?

          Comme beaucoup d’écrivains français d’origine algérienne, Kamel Daoud prétend faire de la littérature algérienne dans les basse-fosses de la littérature française et de son champ littéraire germanopratin. Il y a, fichtrement enraciné derrière cette intention, la croyance confondante que l’Algérie joue et jouera toujours dans les basses divisions, dans tous les domaines de l’activité humaine. Si un footballeur a du talent, on a vite fait de le vendre à l’étranger, parce qu’il a transcendé le niveau national et la seule reconnaissance ne peut lui être consentie que par un ailleurs magnifié (le symptomatique « là-bas »). C’est ce principe misérabiliste qui guide l’expatriation de sportifs, d’écrivains, d’universitaires et d’artistes, poursuivant hors du vrai pays de folles chimères.

Le seul avenir possible pour une littérature algérienne autonome ne peut être envisagé hors sol, « là-bas », mais dans un ici résolu, avec ses éditeurs, ses auteurs, ses lecteurs et ses institutions qui ne devraient plus lui manquer.Faut-il l’édifier, cet avenir, contre une France littéraire sans honneur, qui continue à débaucher ses écrivains et qui a fait de Kamel Daoud l’oiseau rare d’une saison littéraire désenchantée ? Debray peut insister sur cette obligée réinsertion de l’auteur de Meursault contre-enquêtedans le souvenir de Camus et dans une francité littéraire éternellement dévoreuse : « Vous avez rapatrié L’Étranger dans la culture algérienne, fait de Camus un indigène à part entière, si je puis dire. Un écrivain qui parle de vous et à vous, arabes, Algériens, maghrébins. Eh bien, votre contre-enquête algérienne, écrite dans un français que peu de Français savent encore écrire ou même parler, sachez que nous la rapatrions à notre tour dans le trésor de notre littérature, je devrais dire la Littérature, celle qui peut faire de nous un peu mieux que des confrères, des frères. »Ainsi, quels que soient l’intérêt et la valeur littéraire de l’œuvre de Daoud, elle devient naturellement française et éligible à un transfert au « trésor » de la littérature française. 

Il s’agit, en fait, d’un déni écrasant et humiliant de l’autonomie et de la personnalité de la littérature d’un pays indépendant. Nul n’a jamais entendu cette revendication de la littérature de leurs anciennes dépendances par Londres, Madrid et Lisbonne. Paris peut le faire sans mesurer le champ de l’histoire et des décolonisations. Et pour autant, il convient de redire que l’Algérie, qui n’est pas fermée aux relations littéraires avec toutes les nations du monde, n’est plus la France. Si l’institution littéraire française respectait l’Algérie et sa littérature, si elle tenait à primer un auteur algérien ou à le promouvoir dans une compétition, elle aurait pu recommander Daoud et son maigrelet « Meursault » pour concourir dans un prix littéraire (il en est même de prestigieux) réservé aux littératures étrangères dans lequel ils auraient été confrontés aux plus grands noms et œuvres de la littérature mondiale. Car, en France, la littérature algérienne doit être une littérature étrangère et non un greffon importé. Cela devait être le choix le plus légitime et le plus honorable pour ses auteurs et pour leur pays. C’est le contraire qui a été fait : Algérien, Daoud concourait comme un postulant français (ou assimilé, en version « néo-indigène ») à des prix littéraires typiquement franco-français.
L’intention néocoloniale est bien forte dans cette démarche. Debray évoque donc un rapatriement dans « le trésor » de la littérature française. Troublant mot, en vérité. Le dictionnaire Larousse l’explique ainsi : « Faire revenir des personnes, des biens, des capitaux dans leur pays d’origine ». Le médiologue ne perçoit pas la lourde signification de ce mot en Algérie, lorsque les bateaux chargés de Français d’Algérie quittaient les ports du pays exsangue, laminé par une longue et dévastatrice guerre. Contre les attentes du FLN et de son gouvernement provisoire, la minorité française, juive et européenne, qui avait sa place dans le nouvel État le désertait, pour forger dans la société française et dans sa langue le mythe des « rapatriés ». C’est en ces moments de terrible récession sociale, économique et culturelle que la fraternité aurait triomphé de tous les extrêmes, mais il est admis que Français d’Algérie et Indigènes (les « Arabes » de Camus) n’étaient pas des « frères ». L’Histoire et ses violences nombreuses l’établissent.

Le seront-ils nécessairement aujourd’hui derrière le paravent des mots qui séparent plus qu’ils ne rassemblent et unissent ? L’Algérie littéraire et artistique devrait être vigilante face aux sergents-recruteurs de France qui, à l’instar d’un Régis Debray,agitent une insondable fraternité afin de revivifier leurvieille nation par le « rapatriement »d’écrivains et artistes de ses anciennes colonies, comme en témoignent les élections caractéristiques d’étrangers (entres autres l’Algérienne AssiaDjebar et, récemment, le Haïtien Dany Laferrière) à l’Académie française. Il est clair qu’on est devant un processus de dénationalisation et de naturalisation pernicieux, qui prolonge le drame colonial. En l’espèce, il n’y a pas de maladresse dans le propos de Régis Debray ; il a bien raison : Daoud, le « rebelle », à la langue « charnue » (remarquable oxymore pour un baragouin d’auteur) a été « rapatrié » et il est définitivement perdu pour son pays et pour sa littérature. Au moment où l’emprise de la France sur l’Algérie, sur sa politique, sur son économie, sur son industrie, n’a jamais été aussi visible, voire même choquante, il est souhaitable que les Algériens, soucieux de leur indépendance nationale, ouvrent le débat sur l’inconséquente prédation culturelle française, à la mesure d’une douteuse entreprise néocoloniale.

Professeur de l’enseignement supérieur, écrivain. Enseigne la théorie littéraire à l’Université.


vendredi 5 juin 2015

Charles Martel avait tout faux

Comment le mythe de Charles Martel et de la bataille de Poitiers en 732 s’est installé
Le Monde.fr | 05.06.2015 à 14h37 • Mis à jour le 05.06.2015 à 16h24

Par Salah Guemriche

Treize ans après le cri de ralliement frontiste : « Charles Martel 732, Le Pen 2002 ! », voilà que les Identitaires, un groupe d’extrême droite, nous remettent ça, en appelant à faire Bloc ce 7 juin, à Poitiers… Les mythes, on le sait, ont la peau dure. De ce mythe-là, la peau est tellement dure que même des historiens de la trempe d’un Marc Bloch ou d’un Lucien Febvre n’ont pas réussi à la fendre. Faut-il pour autant continuer à laisser libre cours aux obsessions des esprits frileux, mus par un nationalisme étroit quand ce n’est pas par une fière ignorance ?
Depuis Chateaubriand (pour qui « Les Maures, que Charles Martel extermina, justifiaient les Croisades ! »), les Français ont appris que le héros de Poitiers avait sauvé la chrétienté en sauvant la France. Mais quelle France ? Au VIIIe siècle, le christianisme était loin de représenter un dénominateur commun entre l’Austrasie (fief de Martel) et le sud de la Loire. Du reste, l’entité « France » n’existait même pas, en tant que telle, et Charles, grand spoliateur des biens de l’Eglise, était un envahisseur et un conquérant au même titre que le chef des hordes mahométanes...
En 732 (ou 733), Poitiers ne fut pas le Waterloo des Sarrasins. Et, malgré les lourdes représailles exercées par les Francs dans le Midi, y compris contre des autochtones, accusés d’intelligence avec l’ennemi, beaucoup de musulmans (Arabes et Berbères) y firent souche. Voire, selon Ernest Sabatier, historien de la ville de Béziers, « beaucoup d’habitants (biterrois) se firent musulmans ». En 739, ayant échoué à déloger les Sarrasins de Narbonne (c'est son fils, Pépin le Bref, qui réussira en 759 à prendre la ville), Charles se vengera sur Agde, Béziers, Maguelone, Nîmes (dont il incendie les arènes).
Si je tiens, ici, à invoquer des historiens du cru, c’est pour souligner l’occultation qui est faite de ces sources chez les auteurs des manuels d’histoire qui auront contribué à entretenir le mythe d’un Charles sans peur et sans reproche. Ce qu’un autre historien, du XIXe siècle, Augustin Thierry, déplorait déjà, en écrivant : « Mais ce qui est imprimé dans tant de livres, ce que tant de professeurs enseignent, ce que tant de disciples répètent, obtient force de loi et prévaut contre les faits eux-mêmes. » Le constat sera encore plus sévère, sous la plume de Marc Bloch : « Aussi bien que des individus, il a existé des époques mythomanes (…) Comme si, à force de vénérer le passé, on était naturellement conduit à l’inventer ».
Une bataille peut en cacher une autre
« Inventer le passé »… Sait-on, justement, que la bataille de 732 fut connue d'abord sous le nom de « Bataille de Tours » ? Que s’est-il donc passé pour que Poitiers vienne détrôner la « Rome des Gaules » ? En fait, la dénomination poitevine devait servir à l’édification du mythe « Martel », au fil des siècles, pour occulter une autre bataille, postérieure, qui fut une défaite humiliante pour la France : la bataille de 1356, où le roi de France, Jean le Bon, fut fait prisonnier par les Anglais du prince de Galles, dit le Prince noir, et pour la libération duquel la France fut obligée de payer une rançon qui mettra en grande difficulté le royaume.
Mais pourquoi l’année 732 devait-elle rester dans les annales, alors que l'islam avait déjà subi des défaites bien plus décisives que celle de Poitiers ? Notamment à Toulouse, en 721, où Eudes, le duc d'Aquitaine, gagna le titre de « bouclier de la chrétienté », et, un an plus tard, à Covadonga (en Espagne) : la victoire écrasante des Asturiens eut un tel éclat que des historiens y situeront le point de départ de la Reconquista (qui ne débutera en fait qu'au XIe siècle, pour s’achever en 1492)… Oui, pourquoi, sans avoir eu l'importance des précédentes batailles, et sans avoir mis fin à l'occupation musulmane (la Narbonnaise n'est libérée qu’en 759, et la présence arabe est attestée dans le Jura jusqu'en 972), pourquoi la bataille dite de Poitiers devait-elle avoir un tel retentissement, faisant oublier jusqu’aux propres forfaits de Charles Martel contre l'Eglise ?
Il y a bien de quoi se demander si les faits recueillis sur le champ de bataille de 732 ne concernaient pas une autre bataille, toujours près de Poitiers, un événement resté honteux dans la mémoire collective, et qui porta longtemps le même nom de « bataille de Poitiers », avant que l’on ne décidât de réserver l’appellation à la seule bataille qui méritât les lauriers de la nation…

Je suis donc allé voir d’un peu plus près ce que fut cette autre bataille… Et j’y ai trouvé matière à trouble. En effet, dans le récit de 1356, je relève une structure narrative et plusieurs éléments communs aux deux batailles : la même évocation de pillage (ici, par les troupes anglo-gasconnes, là, par les troupes arabo-berbères) ; la proximité d’une même forêt, celle de Moulière ; la même Vienne à traverser : ici, à Chauvigny, par le roi Jean ; là, à Vouneuil, par Abd er-Rahman ; deux armées d’invasion tout aussi hétéroclites l’une que l’autre, composées de « nationaux » et de mercenaires : celle du Prince Noir comme celle de l’émir de Cordoue ; et, enfin, une même référence à une chaussée romaine : pour le roi Jean, la voie Bourges-Poitiers, et pour l’émir, la voie Bordeaux-Poitiers-Tours !... La seule différence entre les deux batailles, c’est que l’une fut une défaite et l’autre une victoire. Si la défaite avait été antérieure, on comprendrait qu’un heureux événement plus récent finisse par effacer le mauvais dans la mémoire collective. Mais comme c’est le cas contraire, pour que l’événement postérieur, funeste, puisse être atténué et même oublié, il faudrait que l’événement antérieur ait la charge symbolique suffisante pour cela !...
Autre curiosité : les historiens passeront longtemps sous silence un épisode singulier qui précéda de peu la bataille de 732, et en fut même une des causes occultes : une histoire d'amour ! Entre la fille du duc d'Aquitaine, à la beauté légendaire chantée par les troubadours, et le gouverneur berbère musulman de Narbonne. Le mariage, officiel, provoqua à la fois les foudres de Charles Martel et de l'émir Abd er-Rahman : le premier, redoutant les conséquences d’une telle alliance, attaquera les terres du vieux duc ; le second décrétera une fatwa contre le renégat berbère, qu'il fera décapiter avant d'envoyer la chrétienne à Damas, dans le harem du calife, puis de monter ravager l'Aquitaine et le Poitou…
Dans le même temps, il y avait un autre péril qui inquiétait l’Eglise : la menace des Lombards sur les terres pontificales. Sauf que… notre « sauveur de la chrétienté » ignorera complètement l’appel au secours du pape, comme le révèle cet extrait de la lettre de Grégoire III à Charles Martel :
« (…) Quoique nous nous soyons adressé à vous, très excellent fils, nous n’en avons reçu jusqu’à présent aucune consolation (…) Nous craignons qu’il ne vous soit imputé à péché, car on nous insulte et l’on dit : “Que Charles en qui vous avez mis votre refuge, vienne avec l’armée des Francs, qu’ils vous secourent, s’ils peuvent (…)”. Quelle douleur nous perce le cœur à ces reproches, voyant des enfants si puissants ne faire aucun effort pour défendre leur mère spirituelle, la sainte Eglise de Dieu (…)
Ne rejetez pas notre prière, ne fermez pas l’oreille à nos supplications (…) Ainsi, votre foi et votre nom seront célébrés et bénis en toutes les nations… ».
« Célébré et béni », Charles n’aura pas besoin de l’intercession de l’Eglise auprès du Seigneur… 
Et « Poitiers » ressurgira dans l'histoire par intermittence, au gré des impératifs du moment. D'abord, avec les Croisades. Puis, avec Jeanne d'Arc : la légende dit que, parmi les voix que la Pucelle entendit, celle de sainte Catherine lui enjoignit de se rendre à Fierbois (entre Châtellerault et Poitiers), pour y déterrer l'épée de Charles qui devait lui donner la force de bouter les Anglais. Au XIXe siècle, avec la pédagogie coloniale, Poitiers réinvestit les manuels. Pendant la Seconde Guerre mondiale, dans l’Indre, un réseau de résistants prend le nom de Brigade Charles Martel. En pleine guerre d'Algérie, les écoliers indigènes étaient tenus de déclamer la formule choc : « En l'an 732, Charles Martel écrasa les Arabes à Poitiers ». Dans les années 1960, un courant d'extrême droite, issu de l’OAS et hostile à l'immigration, prendra le nom de Charles Martel. Pour la petite histoire, signalons qu'en 1989, lorsque la France voulut « porter un coup d'arrêt décisif à l'invasion » (sic) des magnétoscopes japonais, Poitiers fut choisie comme centre de contrôle des importations, pour lequel les services de douanes eurent recours à un code chiffré, à usage interne : 7.3.2 !... Plus près de nous, le FN et son affiche-collector : « Martel 732, Le Pen 2002 ». Et en 2015, ce 7 juin, revoici donc les Identitaires et Riposte laïque qui, face à l’avancée inexorable de l’Antéchrist mahométan, remettent en selle un croque-mitaine portant la croix et le marteau. Vénérer le passé à ce point conduit à l’inventer, en effet. 

Salah Guemriche est essayiste et romancier algérien, auteur notamment de : Abd er-Rahman contre Charles Martel (Perrin 2010) ; Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou (Denoël 2011) ; Dictionnaire des mots français d’origine arabe (Seuil 2007, Points 2012 et 2015) ; L’homme de la première phrase (Rivages / Noir 2000).
Vos réactions 
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PIERRE-MARIE MURAZ 
05/06/2015 - 17h22
En 732, l'Islam avait déjà amplement démontré son pacifisme, de Médine à Poitier en quelques dizaines d'années les armes à la main ... Et bien sûr, les successeurs de Clovis, les Mérovingiens, sont décrits comme de simples envahisseurs ! ...Les Gallo Romains et la Chrétienté sont traités par un "tchip" aussi bref que de mauvaise foi !


FRANCOIS JOURDIER 
05/06/2015 - 17h22
Charles Martel fut quand même le grand père de Charlemagne n'en déplaise à votre Algérien


PIERRE-MARIE MURAZ 
05/06/2015 - 16h43
Que la bataille ait eu lieu à quelques KM près, je m'en fiche, que la France n'exista pas encore sous ce nom, également ... Charles Martel successeur de Pépin arrêta les Arabes envahisseurs et les Francs sont à l'origine de la monarchie Française et du nom de notre Nation ... Cela dérange, tant mieux .


Nawak 
05/06/2015 - 16h38
Franchement, j'en ai ras-le-bol de constater qu'à peine une de mes réaction sur dix est publiée. C'est un des seuls avantages d'être abonné. Pourrais-je avoir une explication?


Atchoum 
05/06/2015 - 15h43
Un mythe peut-être, mais un mythe, c'est intéressant et celui là en particulier à l'heure ou les résurgences de l'Islam guerrier, obscurantiste et dévastateur sont à nos portes. et sur nos écrans
PIERRE-MARIE MURAZ 05/06/2015 - 17h22
En 732, l'Islam avait déjà amplement démontré son pacifisme, de Médine à Poitier en quelques dizaines d'années les armes à la main ... Et bien sûr, les successeurs de Clovis, les Mérovingiens, sont décrits comme de simples envahisseurs ! ...Les Gallo Romains et la Chrétienté sont traités par un "tchip" aussi bref que de mauvaise foi !
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FRANCOIS JOURDIER 05/06/2015 - 17h22
Charles Martel fut quand même le grand père de Charlemagne n'en déplaise à votre Algérien
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PIERRE-MARIE MURAZ 05/06/2015 - 16h43
Que la bataille ait eu lieu à quelques KM près, je m'en fiche, que la France n'exista pas encore sous ce nom, également ... Charles Martel successeur de Pépin arrêta les Arabes envahisseurs et les Francs sont à l'origine de la monarchie Française et du nom de notre Nation ... Cela dérange, tant mieux .
En savoir plus sur
 http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/06/05/comment-le-mythe-de-charles-martel-et-de-la-bataille-de-poitiers-en-732-s-est-installe-dans-l-histoire_4648311_3232.html#Bgr43W2SXj9ReZsh.99

Nawak 05/06/2015 - 16h38
Franchement, j'en ai ras-le-bol de constater qu'à peine une de mes réaction sur dix est publiée. C'est un des seuls avantages d'être abonné. Pourrais-je avoir une explication?
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Atchoum 05/06/2015 - 15h43
Un mythe peut-être, mais un mythe, c'est intéressant et celui là en particulier à l'heure ou les résurgences de l'Islam guerrier, obscurantiste et dévastateur sont à nos portes. et sur nos écrans
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Raulhac 05/06/2015 - 15h18
Autrefois , il ne fallait pas "désespérer Billancourt". Aujourd'hui, on cherche plutôt à "désespérer" Poitiers mais aussi Beziers Orange...On aimerait que l'auteur étende sa déconstruction désespérante à la soit disant merveilleuse Andalousie musulmane multiculturelle de la fin du moyen age. Faute de quoi on l'accusera d'instrumentalisation de l'histoire à des fins purement idéologiques

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