dimanche 29 juillet 2012

L'ultime cris de Damas


Avec la ruée des réfugiés syriens dans notre pays, c’est un peu comme si nous entrions de plein pieds dans ce conflit qui se déroule à plus de 5.000 km de l’Algérie. De nombreux collègues ont commis des chroniques, voire des éditoriaux, afin de nous rappeler à notre devoir envers le peuple syrien. Afin de permettre une bonne compréhension des enjeux, voici le texte d’une missive envoyée par un prêtre Syrien à François Hollande. Elle a le mérite de la clarté. Pour ma part, je n’ignore rien des souffrances que fait subir le dictateur et sa clique à un peuple que j’aime par-dessus tout. Ayant de nombreux amis Syriens, appartenant à toutes les croyances, je sais combien leur souffrance est insupportable et combien nous leur devons assistance. La première de ces actions consisterait à bien connaître les enjeux. Je cède la parole au père Elias Zahlaoui. Il vous en parlera bien mieux que moi.

LETTRE OUVERTE D’UN PRÊTRE ARABE DE SYRIE À M. FRANÇOIS HOLLANDE

(Damas, le 9 Juillet 2012)
Je m’en voudrais, en ce 30 Mai 2012, de troubler l’euphorie de votre récent succès aux élections présidentielles, tout autant que la joie de vos électeurs, et l’espoir, après tout, des français, maintenant que vous êtes, pour cinq ans, le Président de la République Française.
Aussi ai-je tenu à vous écouter de bout en bout, hier soir 29 Mai, lors de votre interview sur TV5. Je nourrissais le vague espoir de voir définitivement tournée, la politique de cirque de votre burlesque prédécesseur. À vous écouter, je me suis rapidement surpris à m’interroger sur le bienfondé de mon attente. Il m’a fallu vite déchanter. Je restais ébahi devant votre visage bon enfant, pendant que vous vous permettiez de prononcer des jugements péremptoires, sur tout et sur tous, sans la moindre nuance ni hésitation.
Mais quand je vous ai entendu parler de la Syrie et de son Président, j’ai bien cru entendre la voix même des Maîtres qui vous ont juché sur ce premier poste de France, dans l’unique but de mener à bien le projet de destruction de la Syrie, que votre prédécesseur a été incapable de conduire jusqu’au bout.
Pour une première à la Télévision, c’en était bien une ! Je vous attends de pied ferme, lors des tout proches désenchantements des français. Pour ma part, vieux connaisseur de la France et des français, je me suis surpris à me dire: quelle dégringolade depuis le départ du Général de Gaulle !
M. le Président, Avant de poursuivre, il est une coïncidence historique que je me dois de vous signaler, et que vous ignoriez sans aucun doute. Sinon vous auriez évité de vous laisser interviewer un 29 Mai! En effet, il est un autre 29 Mai, au cours duquel la France s’est misérablement déshonorée.
C’était en 1945. En ce jour même, la France “MANDATAIRE”, s’est permis de bombarder le Parlement Syrien à Damas, pour ensuite laisser ses soldats noirs, assassiner les 29 gendarmes en poste dans ce haut-lieu de la démocratie. Le saviez-vous ?
M. le Président, N’est-il pas temps pour la France, et donc pour vous-même, de réfléchir pour de bon sur cette ignoble politique qui, depuis 1916, année des accords aussi secrets que honteux, appelés depuis “Accords Sykes-Picot”, la conduit sur les ordres du Sionisme, à détruire la Syrie et le Monde Arabe ? N’y avait-il de clairvoyant et de noble, dans toute la France d’alors, que Mr Aristide Briand, Ministre des Affaires Étrangères, pour avoir donné à votre Consul Général à Beyrouth, Mr Georges Picot, en date du 2 Novembre 1915, en prévision de ces accords, cette consigne claire et perspicace: “Que la Syrie ne soit pas un pays étriqué… Il lui faut une large frontière, faisant d’elle une dépendance pouvant se suffire à elle-même” ?
Pour une Syrie “se suffisant à elle-même”, et telle que l’avait déjà tracée en 1910, une carte géographique émanant de ce même Ministère des Affaires Étrangères, vous devez savoir ce qu’il en fut, après qu’elle fût amputée, au Nord-Ouest de la Cilicie, au Nord-Est de la région de Mardine, dans ce qui est l’Irak actuel, de Mossoul, à l’Ouest du Liban, au Sud de la Jordanie et de la Palestine, pour être décapitée en 1939, d’Antioche et du Golfe d’Alexandrette, offerts en cadeaux à la Turquie !
[...]
M. le Président, Il est aussi une question capitale, que je me dois, en tant que citoyen arabe de Syrie, de vous poser, ainsi qu’à tous les “leaders” occidentaux : « Pourquoi vous faut-il systématiquement assassiner les peuples arabes et musulmans ? »
Vous l’avez déjà fait en dressant, entre 1980-90, l’Irak contre l’Iran, cet Irak, dont le malheureux Saddam Houssein se faisait traiter de “Grand ami”, tant par Donald Rumsfeld que par Jacques Chirac ! Ce fut aussitôt après, le guet-apens du Koweït, entraînant la guerre contre l’Irak, suivi d’un blocus de (13) ans, qui a causé à lui seul, d’après les rapports américains mêmes, la mort de 1.500.000 enfants irakiens! Ce fut ensuite la chevaleresque “guerre contre le terrorisme”… en Afghanistan! Aussitôt suivie d’une nouvelle guerre contre l’Irak.
Quant à l’immortelle épopée de l’Otan en Libye, conduite par “le général-philosophe” Bernard Henri Lévy, elle vint à nouveau compléter ces horreurs, sous prétexte de protection des droits de l’homme ! Et voici que depuis 15 mois, tout l’Occident s’acharne contre la Syrie, oubliant une infinité de problèmes très graves, à commencer par le Conflit israélo-arabe, qui menacent réellement la survie de l’humanité !
Or toutes ces tragiques politiques occidentales, vous les pratiquez sans honte et sans vergogne, sous couvert de tous les mensonges, de toutes les duplicités, de toutes les lâchetés, de toutes les contorsions aux Lois et Conventions Internationales. Vous y avez en outre engagé ces Instances Internationales, que sont les Nations-Unies, le Conseil de Sécurité et le Conseil des droits de l’homme, alors qu’elles n’ont existé que pour régir le monde entier vers plus de justice et de paix !
Seriez-vous donc, en Occident, en train de nourrir l’espoir stupide de mettre fin de cette façon à l’Islam ? Vos savants et vos chercheurs ne vous ont-ils pas fait comprendre que vous ne faites que provoquer un Islam outrancier, que vous vous obstinez d’ailleurs à financer, à armer et à lâcher avec nombre de vos officiers, un peu partout dans les pays arabes, et surtout en Syrie ? Ne vous rendez-vous pas compte que ce faux islam se retournera tôt ou tard contre vous, au cœur de vos capitales, villes et campagnes ?
Pour tout cela, laissez-moi vous rappeler, moi simple citoyen de Syrie, que cet islam que vous armez et dressez contre le Monde Arabe en général, et la Syrie en particulier, n’a rien à voir avec le véritable Islam, celui-là même que la Syrie a connu, lors de la Conquête arabe, ainsi que l’Égypte et enfin l’Espagne. Faut-il vous rappeler que les historiens occidentaux, dont des historiens juifs, ont dû reconnaître que l’Islam conquérant s’est révélé être le plus tolérant des conquérants ?
Ou ne seriez-vous, leaders occidentaux, dans vos différents pays, repus d’opulence et de “grandeur”, que les vils exécuteurs des projets sionistes, depuis ces fameux Accords Sykes-Picot, et l’ignominieuse “Promesse Balfour”, jusqu’à ce jour, et pour longtemps, semble-t-il, toujours empressés d’apporter à Israël, tous les soutiens possibles, connus et secrets, à tous les niveaux, aussi bien politiques et diplomatiques, que militaires, financiers et médiatiques?
Oui, pourquoi vous faut-il assassiner et détruire des peuples entiers, pour qu’ISRAËL SEUL puisse enfin vivre et survivre ? Est-ce de la sorte que vous cherchez à réparer votre terrible complexe de culpabilité vis-à-vis des juifs, dû à un antisémitisme plus que millénaire et proprement occidental ? Vous faut-il le faire au prix de l’existence même de ces peuples arabes et musulmans, au milieu desquels les juifs avaient mené une vie quasi normale, faite de cordialité, voire de riche collaboration ?
Si mes interrogations vous paraissent exagérées ou outrancières, permettez-moi de vous prier de lire ce qu’ont écrit sur l’emprise du Sionisme aux États-Unis, des hommes comme John Kennedy et Jimmy Carter, et des chercheurs courageux et connus, comme Paul Findley, Robert Dole, David Duke, Edward Tivnan, John Meirsheimer, Stephen Walt, Franklin Lamb, et surtout Noam Chomsky.
Pour ce qui concerne l’emprise du Sionisme en Europe, je m’en tiens aujourd’hui à la France seule. Vu la responsabilité qui est la vôtre, vous est-il permis d’oublier ou d’ignorer ce qu’ont, si courageusement, écrit : Roger Garaudy, Emile Vlajki, Pierre Leconte, Régis Debray, et surtout les juifs Michel Warshawsky, Stéphane Hessel, Serge Grossvak et le Professeur André Noushi ?
Si par impossible, tous ces noms ne vous disaient rien, laissez-moi vous rappeler quelques noms si connus en Israël même, qu’il serait malhonnête de les ignorer et d’ignorer ce qu’ils ont osé dire depuis quarante, voire cinquante ans, et certains bien avant la “création” d’Israël : Martin Buber, Albert Einstein, Yshayahou Leibowitz, Israël Shahak, Susan Nathan, Tanya Rheinhart.
Pour finir, laissez-moi vous rappeler un texte trop connu pour passer inaperçu. Il date du mois de février 1982. À lui seul, il constitue et condense l’implacable dictat sioniste, imposé depuis des dizaines d’années, à toute la politique occidentale. Il a paru dans la revue sioniste “KIVOUNIM”, publiée à Jérusalem. Il s’agit d’un article intitulé “Stratégie d’Israël dans les années 1980″, et il porte la signature de Mr Oded Yinon. Je me contente d’en citer un seul paragraphe, reproduit (p. 62) dans un livre récent, intitulé “Quand la Syrie s’éveillera…”, paru à Paris, chez Perrin, en 2011. Ses auteurs sont Richard Labévière et Talal El-Atrache. On y lit textuellement:
« La décomposition du Liban en cinq provinces, préfigure le sort qui attend le monde arabe tout entier, y compris l’Égypte, la Syrie, l’Irak et toute la péninsule Arabe. Au Liban, c’est un fait accompli. La désintégration de la Syrie et de l’Irak en provinces ethniquement ou religieusement homogènes, comme au Liban, est l’objectif prioritaire d’Israël, à long terme, sur son front est ; à court terme, l’objectif est la dissolution militaire de ces États. La Syrie va se diviser en plusieurs États, suivant les communautés ethniques, de telle sorte que la côte deviendra un État alaouite chi’ite; la région d’Alep un État sunnite; à Damas, un autre État sunnite hostile à son voisin du nord; les druzes constitueront leur propre État, qui s’étendra sur notre Golan peut-être, et en tout cas dans le Hourân et en Jordanie du Nord. Cet État garantira la paix et la sécurité dans la région, à long terme: c’est un objectif qui est maintenant à notre portée. »
[...]
M. le Président, Pour finir, laissez-moi vous prier vivement de chercher à vous rendre personnellement compte, de tout ce dossier, et à mesurer la responsabilité que vous y assumez, avant qu’il ne soit trop tard.
Un ami, prêtre français, fin connaisseur de la Syrie, le Père Jean-Paul Devedeux, vient de vous écrire en ce jour même. Sa lettre est une invitation pressante qu’il vous adresse, pour une meilleure connaissance des arabes en général, et de la Syrie en particulier. L’enjeu est de taille.
Veuillez donc vous libérer du “rôle” que vous êtes en droit de rechercher, et surtout de celui que l’on cherche immanquablement à vous imposer.
La Syrie, “seconde patrie de tout homme civilisé” comme l’a si bien dit votre grand savant “André Parot”, et terreau de toutes les civilisations, mérite une visite. Elle ne manquera pas de vous étonner, et même de vous captiver. Ayez le courage de la connaître de près. Vous en reviendrez porteur d’un projet de politique nouvelle, clairvoyante et juste, faite d’équilibre humain, qui repose sur les droits et devoirs de TOUS à l’égard de TOUS ! La vie, la liberté et la dignité sont pour TOUS !
Nouveau Président de la France, je vous souhaite d’en prendre l’initiative. Vous n’y serez pas perdant autant que vous l’êtes en ce moment, et moins que vous le serez demain, si vous vous défilez !
M. le Président, En vous confiant cet espoir, je vous dis mon respect.
Pr. Elias ZAHLAOUI Église Notre-Dame de Damas Koussour – Damas

mercredi 25 juillet 2012

Tirs croisés sur nos mémoires

Alors que les lampions commencent déjà à se faner sur notre cinquantenaire, voilà que le défilé du 14 juillet nous donne l'occasion de revisiter notre histoire coloniale. En effet, sur l'un des chars, une plan serré aura permis aux téléspectateurs non avertis de lire ceci: " Constantine 1837". Très vite, de nombreux observateurs, dont Boussayar, ont réagit à ce qui s'apparente à une malsaine provocation de la part de l'armée Française. En effet, pourquoi ce choix et pourquoi à ce moment précis où l'arrivée de François Hollande à l'Elysée semble ouvrir de perspectives prometteuses quant à une reconnaissance officielle de ses crimes coloniaux par la France? A l'évidence, 50 ans après avoir été chassé d'Algérie, le cercle algérianiste qui recoupe ce que l'extrême droite fasciste et militariste a de plus rétrograde, ne peut se satisfaire d'une relation apaisée entre l'Algérie et la France. Après, si certains nostalgiques invétérés continuent de tenir ce discours rétrograde, c'est bien leur droit; ce qui l'est moins, c'est lorsque ces manifestations sont relayées  par les médias publics et qu'elles sont le fait d'une institution républicaine comme peut l'être une armée. Outre son coté provocateur, ce char de l'armée, nous interpelle, citoyens et état Algériens, en ce sens qu'il ravive une mémoire qui peine à ce cicatriser. Un comportement provocateur qui n'a pas entrainé le moindre mouvement de protestation, ni au niveau de l'état Français ni à celui de l'Algérie. Pourtant, quelle gloire peut tirer l'armée française d'une bataille inégale, injuste et ravageuse, d'autant qu'elle opposa une population civile à une armée où le nombre d'officiers génocidaires est d'une telle éloquence. Ces mêmes officiers, qui durant les années de conquête s'illustreront surtout par les massacres et autres enfumades commis sur des populations indigènes démunies et sans défense. C'est Brahim Senouci, lors de sa conférence inaugurale des soirées du cinquantenaire, organisées par l'infatigable Med Bahloul au sein de l'IDRH de Canastel, qui rappelait que la plupart des tortionnaires du peuple algérien se sont retrouvés aux Invalides et ce malgré l'opposition soutenue des intellectuels de France et d'Algérie. C'est lui même qui fera un subtil parallèle entre le Panthéon Français et celui de Tokyo, la capitale de l'empire du soleil, rappelant que les incessantes réprobations de la Chine, ont fini par avoir raison de l'entêtement du Japon, l'obligeant à cesser les fastueuses célébrations de généraux connus pour leurs exactions et crimes en l'endroit du peuple chinois.  Accolées à l'intensité des échanges commerciaux entre les deux puissances asiatiques, les  récriminations répétées de la Chine sont parvenues à  donner un cachet délétère à un acte fondateur de l'arrogance japonaise. Mais dans ce cas, la volonté politique a prévalu sur tout le reste. malheureusement le char de la honte, celui se réclamant d'une bravoure jamais démontrée, n'a trouvé aucune réprobation officielle des deux cotés de la méditerranée. Mais, contrairement à ses dirigeants, le peuple algérien dispose encore de quelques ressorts de fierté que ni les chars de la honte, ni l'amnésie ne pourront taire. Ci dessous deux points de vue diamétralement opposés, celui de Badr Eddine Mili et de Abdelali Merdaci, deux Constantinois que tout oppose et qui s'affrontent sur les colonnes du Soir d'Algérie.


Badr’Eddine Mili semble s’étonner (Le Soir d’Algérie, 16 juillet 2012) que dans le défilé militaire du 14 Juillet, à Paris, un char rappelle Constantine et l’année 1837, celle de sa prise par l’armée française de conquête, dans la nuit désolée du 12 au 13 octobre. Le fait en soi est curieux, lorsqu’il ne verse pas dans la déplaisante démagogie. En quoi revient-il à un Algérien – farouchement indépendant et Badr’Eddine Mili l’est assurément, me semble-t-il — de mesurer les hommages de l’armée d’un pays étranger à son passé, à ses passés impériaux, républicains et coloniaux et en être publiquement outragé et mortifié ?
Faudrait-il exiger d’une institution d’un pays étranger, qui a été certes, hier, notre ennemi, de renier ce qu’ont été ses engagements et les combats qui ont forgé son histoire singulière ? Au nom d’un réalisme politique hasardeux. C’est bien de cela qu’il s’agit. Algérien et Constantinois, attaché à l’histoire de mon pays, et plus particulièrement à l’histoire tourmentée de ma cité, je ne me sens pas le droit de juger ou de censurer les célébrations de l’armée française. «CONSTANTINE 1837» sur un tank français, dans une manifestation commémorative qui s’adresse aux Français, ne m’émeut pas. Et je n’en ferai pas un problème de conscience. Il est vrai, que le 13 octobre 1837, à Constantine, retentissent tragiquement des blessures infligées à notre humanité. Comment, cependant, nier que les événements qui s’y déroulent appartiennent à la France, à son armée et à son aventure coloniale ? Mais, plus encore, aux Constantinois, dont il faudra se résoudre à dire les responsabilités dans une sombre déroute, longtemps inconsolée. Cent soixante-quinze ans, après le 13 octobre 1837, les historiens algériens n’ont pas su écrire cette page douloureuse et en relever les dures vérités. Le Traité de la Tafna, signé le 30 mai 1837 par Abd El Kader et Bugeaud, a rendu possible la prise de Constantine, stratégiquement isolée par l’envahisseur, désertée par le bey Ahmed (qui continuera, jusqu’en 1848, à guerroyer dans les sables au nom de la Sublime Porte, en rêvant de réinstaurer le glaive turc sur le pays ravagé) et par le gros de ses troupes, repliées dans les hautes plaines. Au bilan français du 13 octobre 1837, on recensa la disparition du général Danrémont et du colonel Combes et d’une centaine de soldats, sous les fortifications minées de la citadelle aérienne. Il y eut, sans doute, dans cette entreprise impérialiste française plus de victimes emportées par les fièvres dans les marécages de Sidi-Mabrouk que dans son éprouvant siège. Je m’attriste que — dans le décompte d’une journée sans gloire pour les Constantinois — soit convoqué à titre de rappel, par Mili, sur le registre d’une gravité cauteleuse, le spectacle effarant de ces «femmes, vieillards et enfants, jetés dans les précipices du Rhumel». Il convient de signaler que seules les femmes — sans distinction d’âge et de condition sociale — ont été poussées dans les précipices qui enserrent le rocher, subissant — en cette affligeante circonstance — la tyrannie des pères, maris et frères, qui les ont sacrifiées pour préserver leur honneur et aussitôt tomber dans la flétrissure de la reddition. Malek Bennabi a noté cette marche suicidaire des femmes, longtemps remémorée dans sa famille : «Mon aïeule, Hadja Baya, a vécu cette tragédie. Son père et sa mère, la poussant devant eux à travers les rues d’une ville en désarroi, la conduisirent au bord du précipice, comme Abraham avait conduit jadis son fils Ismaïl pour le sacrifice propitiatoire sur l’autel de Dieu. Cette fois, mon aïeule devait être immolée sur l’autel d’une patrie détruite pour sauver l’honneur d’une famille musulmane» ( Mémoires d’un témoin du siècle [1905-1973], Alger, Samar, 2006). Voilà le mot juste qui éveille le drame nocturne des Constantinoises au mois d’octobre 1837 : immolées ! J’ai aujourd’hui une pensée pour ces femmes qui ne sont sorties du gynécée — où elles étaient enfermées – que pour se perdre dans les coupantes falaises du martyre. Longtemps, au XIXe siècle, des veillées sororales éplorées ressourceront, dans le secret des patios embrumés, un chant de deuil, d’une désespérance jamais comblée :
Mon cœur est consumé par une flamme ardente
Car les chrétiens ont pris Constantine
Ô feu de mon cœur ils détruisent les mosquées
Où donc est le Croyant qui vaut dix hommes
Et dans le bras vengeur
Brandira la lame, ceindra l’épée,
Fera éclater la poudre et charger les fusils ?
Mais où étaient les cortèges de croyants dont chacun pesait dix hommes ? Les Constantinois devraient aujourd’hui encore porter l’opprobre de cette journée du 13 octobre 1837 où la seule liberté consentie à leurs femmes était de mourir – de mort violente — sur le lit putride du Rhumel. Qu’ils apprennent à lire leur propre histoire et à en faire un destin avant de s’en prendre à celle que savent écrire les autres. Ce serait une canaillerie de faire de cette date, de Constantine – qui n’aspire plus aujourd’hui qu’à être une ville d’amitié et de paix — et surtout de ce pacifique blindé du 14 Juillet sur les Champs-Élysées, qui n’est pas un stigmate jeté sur le front de l’auguste Algérie, des objets de ressentiment dans ses relations avec la France. Comment ne pas céder à ce cri salutaire : «Arrête ton char Mili !»
A. M.



Par Badre’eddine Mili, Ecrivain
Si les martyrs Boudjeriou, Hamlaoui, Aouati, Zaâmouche, Kitouni, Mentouri, Boudraâ, Meriem Bouattoura, Kaghouche et, avant eux, El Hadj Ahmed Bey, Benaïssa et Belabdjaoui revenaient, cette semaine, à Constantine et lisaient ce que les pyromanes de l’histoire et les adorateurs du veau d’or écrivent sur leur combat, ils reprendraient, sans doute, les armes pour parachever leur œuvre et laver l’injure faite à leur sacrifice suprême.
Ils constateraient avec stupeur et effarement, en ce cinquantenaire très révélateur, combien la gloire et la noblesse de leur victoire ont cédé, dans certains milieux, la place à la fascination du défaitisme et comment les révisionnistes de tous bords et de tout acabit redoublent de férocité et sonnent la charge contre la mémoire de toute une nation. Je n’aurais jamais pensé, un seul instant, que des personnes, apparemment maîtresses de leur raison, suffisamment dotées en faculté de discernement pour faire la différence entre l’idéologie et la science, soient subitement frappées de cécité et puissent s’autoriser, au nom d’on ne sait quelle aura ou représentativité historique et sociale, de blanchir les crimes de la colonisation, allant jusqu’à accorder leur ridicule caution à un défilé de chars français baptisés du nom de batailles d’extermination que celle-ci a menées durant l’occupation, en Algérie. Abdellali Merdaci, puisqu’il s’agit de lui, ose même se donner la douteuse liberté de dénier, à quiconque, le droit de perturber le bel et «pacifique» ordre de marche et la sérénité de cette démonstration macabre, nous chapitrant, au passage, en décrétant que chaque armée est légitimement fondée à glorifier les faits d’armes qui font sa «grandeur», fussent-ils criminels, sans que les «démagogues» et les «canailles» que nous sommes aient à s’en offusquer. Et nullement gêné par ce «détail» insignifiant, comme il le confesse sans mettre de gants, c’est tout juste s’il ne nous ordonnait pas de circuler parce qu’il n’y a rien à voir ! Mais, ma parole, j’ai la berlue, j'hallucine ou quoi ? Je me pince le bras et je me pose la question : où suis-je là ? Dans mon pays ou dans un bantoustan dans lequel j’aurais été parqué, au cours d’un profond sommeil, sans que je m’en rende compte, par une compagnie de bérets rouges de retour ! Et cela intervient au moment même ou la France officielle commémore, avec une grande solennité, la rafle du Vel’ d’Hiv’ et où un ancien chef nazi, âgé de 97 ans — excusez du peu—, traqué par les Klarsfeld et les agences du Mossad, a été arrêté et sera, immédiatement, transféré en Israël pour être, certainement, jugé, de façon expéditive, condamné à mort, exécuté et ses cendres jetées en haute mer, comme le furent, dans les années soixante, celles d’Adolf Eichmman. Les juifs qui se sont forgés, vis-à-vis de leur mémoire, une doctrine inébranlable et élevé la shoah – avec toutes les réserves qu’on peut formuler sur son utilisation machiavélique contre le peuple palestinien — au rang de source de législation, y compris dans des Etats étrangers souverains, pour interdire sa remise en cause ou sa dénégation, ne s’embarrassent pas de ce genre d’ états d’âme ainsi que le font certains de nos Tartuffes, subjugués, les pauvres naïfs, par les formules des laboratoires néocoloniaux et néo-harkis du type «histoire partagée» et «regards croisés», destinées à faire passer notre guerre de Libération par pertes et profits. Imaginez que l’armée allemande, qui n’en a pas encore le droit, s’amusait à faire défiler, sous le grand arche de la porte de Brandebourg, des chars portant le nom de code d’«Oradou», «Sedan 1870», «Guy Môque» ou «Jean Moulin», vous verrez, sur-le-champ, déferler, de la Bastille à la République, le peuple, le gouvernement et le chef de l’Etat français, en personne, pour protester contre ce qui sera jugé comme une provocation, de la même façon que le fit, naguère, Mitterrand en compagnie de ses ministres, Fabius, Jospin, Joxe, Lang, Badinter et des responsables de toutes les institutions nationales, kipa sur la tête, afin de condamner, dans une manifestation du 3e type, la profanation, par le Front national, de tombes juives à Carpentras. Alors, vérité en deçà, mensonge au-delà ? L’opinion algérienne s’attendait légitimement à ce que ce soit le chargé de communication de l’ambassade de France à Alger — si d’aventure il aurait bien voulu le faire — qui s’explique sur ce fâcheux impair qui vient jeter la suspicion sur les sentiments réels de «la grande muette» française à propos de la gestion du débat sur la mémoire, dans une conjoncture où les nouveaux dirigeants socialistes tentent de décrisper les relations entre notre pays et le leur. Eh bien non ! C’est un professeur d’université, qui pense qu’avec un diplôme de psy on peut insulter l’Algérie, qui y supplée, gracieusement, s’autosaisit de la question, remonte même plus loin pour apporter de l’eau ou moulin de nos ennemis et s’en va nous faire la leçon, règle en main, l’index vindicatif pointé sur nos turpitudes et nos responsabilités anciennes qui nous ont valu la déroute sur les remparts de Constantine, un certain 13 octobre 1837. Par un curieux masochisme qui aurait fait le bonheur des analyses de Frantz Fanon, il pousse — le malheureux ! – le bouchon jusqu’à affirmer que les victimes emportées par les fièvres des marécages de Sidi Mabrouk étaient plus nombreuses que celles de la bataille elle-même et que les Constantinois — les lâches ! – abandonnés par El Hadj Ahmed Bey, seulement intéressé par restaurer le glaive turc sur le pays ravagé, ont jeté leurs mères, leurs épouses, leurs filles et leurs sœurs dans les ravins du Rhummel pour les soustraire à l’infamie du viol et sauver, ainsi, leur honneur d’infects machistes. J’ai beau tourner et retourner la question dans tous les sens afin de trouver un brin de rationalité et de responsabilité à cette énormité, j’ai dû m’avouer vaincu et conclure qu’on a affaire là — et je suis généreux — au pètage de plombs d’un homme frappé par les coups de soleil d’une ville dont je connais les rigueurs estivales pour y avoir, longtemps, vécu. Je pense même que la gravité, sans précèdent, de ces accusations qui n’ont pas dû échapper à la sagacité des Constantinois, en particulier, et des Algériens, en général, devraient inciter les historiens, les juristes ainsi que la société civile, dans tous ses démembrements organisés, à réagir et à faire justice de ces assertions mensongères. Avant cela, je me dois d’apporter aux lecteurs, sur cette question et sur d’autres, concomitantes, toutes les clarifications nécessaires puisées dans des sources de première main et non pas dans les radotages de la vieille grand-mère de quelqu’un connu pour avoir fabriqué, de toutes pièces, le «concept» de la colonisabilité de la nation algérienne et j’ai nommé, là, Malek Benabi cité par notre imprudent contradicteur.
1- La ville de Constantine avait déjà repoussé une première attaque d’envergure menée contre ses défenses en 1836, grâce à la farouche résistance opposée par toute la population de la cité après que les Koutama et les tribus du Nord Constantinois, les Ouled-Ali, les Mechatis, les Beni-Fergane et les Beni- Belaid aient combattu, presque à mains nues, le général Saint Arnaud aux portes de Jijel. Pourquoi, à ce moment-là, El Hadj Ahmed Bey n’avait-il pas pensé fuir comme l’avait fait le dey Hussein six ans plus tôt ? Et pourquoi, devant le danger imminent de la razzia, les Constantinois ne se résolurent-ils pas à jeter leurs femmes dans les abîmes de l’oued ?
2- Le 13 octobre 1837 se présentèrent aux portes de la ville, sur le promontoire du Coudiat-Aty, les maréchaux et les généraux venus des champs de bataille les plus meurtriers d’Europe. Ils avaient pour noms : Perrégaux, maréchal de Camp, Valée, général, Rohault de Fleury, lieutenant-général, respectivement commandants de l’artillerie et du génie, Trezel, Rulhiere, Caraman et Lamy, généraux, chef des 2e, 3e et 4e brigades. Ils sont placés sous le haut commandement du chef d’état-major, le général Danrèmont, nommé quelque temps auparavant gouverneur général de l’Algérie. L’expédition décidée par Louis- Philippe 1er et le Comte Molé, son chef de gouvernement, est dirigée à partir du quartier général par le duc de Nemours, le fils du roi.
3- L’assaut fut lancé par trois colonnes militaires : la première, centrale, conduite par le général Lamoricière qui avait pour mission d’enfoncer les défenses de Bab- El-Oued tenues par Ali Benaïssa, bach’ hamba du bey et par Mohamed Belabdjaoui, son caid eddar ; la deuxième dirigée par le colonel Combes, à partir de la ravine de Aouine-El-Foul, située en contre-bas de la cité ; et la troisième, stationnée au Bardo et commandée par le colonel Corbin. Constantine avait au moment de l’assaut, selon le témoignage d’un Allemand présent sur les lieux, rapporté par l’historien Charles Mullié, 6 000 défenseurs dont de nombreuses femmes, fusils en main, occupant les créneaux de tout le rempart. Sous les ordres du bey, un des artificiers de la résistance, appelé El-Bombadji, visa l’état-major qui suivait les opérations, sur la colline de Coudiat-Aty. Avec sa longue vue, il repéra, d’abord, le général Danrémont et lui souffla la tête avec un obus tiré d’un canon coulé dans les fonderies de La Casbah. Au petit matin, vint le tour du maréchal Perrégaux qui succomba dans les mêmes conditions, suivi du colonel Combes.
4- Ce n’est qu’à 9 heures que le drapeau français fut hissé par le général Valée, successeur de Danrémont, sur la Brèche, le nom à la charge très politique, donné à l’endroit où rompit la digue du Rempart, sous la poussée d’une demi-douzaine de brigades qui s’engouffrèrent alors dans la ville pour procéder à un carnage que les légions romaines de Marius et de Sylla elles-mêmes n’eurent pas l’audace de commettre, lorsqu’elles s’installèrent à Cirta, la capitale de la Numidie de Jugurtha. Des milliers d’hommes furent tués ; des centaines de femmes violées et enfouies dans des sacs ficelés, hermétiquement fermés, en compagnie de vieillards et d’enfants lancés par-dessus les gorges afin de dissuader les résistants et, notamment, les «Arbaine Cherif », les «Quarante Purs» qui donnèrent leurs noms à l’emplacement où ils leur firent barrage, à l’entrée de ce qui fut, par la suite, appelé la rue Georges Clemenceau, face à l’actuel café El- Goufla, devenu plus tard, par un juste retournement de l’histoire, le siège du Mouvement national algérien à Constantine et celui de l’école libre de Cheikh Abdelhamid Ben Badis. La version du suicide assisté aussi horrible que le furent les enfumades du Dahra fut mise en circulation par les officiers français pour ternir la résistance, parce que, sinon, comment pourrions-nous imaginer l’égoïsme inhumain de ces Constantinois qui auraient accepté de survivre à la chair de leur chair et de ne pas se jeter, à leur tour, dans le vide.
5- J’ai raconté tous ces faits dans l’introduction de mon roman historique La Brèche et le Rempart paru en 2009 aux éditions Chihab, en m’appuyant sur les travaux du meilleur connaisseur de l’histoire de Constantine, Abdelkrim Boudjadja, ancien conservateur des archives de la ville et ancien directeur des Archives nationales, auteur des deux Bataille de Constantine publié en 1982 par Dar El Baâth. Pourtant, Abdellali Merdaci a rendu compte de mon ouvrage, il y a trois ans, dans les colonnes du Soir d’Algérie, et a lu ce passage sur lequel il n’a rien eu à dire, tout comme il s’abstint d’évoquer ou de faire allusion aux travaux de Boudjadja. Que s’est-il passé depuis qui lui a fait changer d’avis ? Mystère et boule de gomme !
6- La vérité est qu’un groupe spécialisé dans la contre-façon sévit à Constantine depuis quelques années, et tente, sous les auspices des révisionnistes en chef d’outre-Méditerranée, de monopoliser l’écriture de la cité sans disposer ni de la légitimité académique exigée ni des instruments de recherche et d’investigation appropriés.
7- Abdellali Merdaci n’en est pas à sa première provocation pour se faire un nom, me rappelant les petits poissons qui vivent sur le dos des baleines ou les oiseaux qui végètent autour des hippopotames. Il a déjà voulu – complexe d’Œdipe ? — déboulonner Kateb Yacine et Malek Haddad, le premier accusé de devoir sa notoriété des années 1950 à l’entregent d’une parente amie d’Yves Chataigneau, le gouverneur général d’Algérie de l’époque, le second, rattrapé, grâce à notre «encyclopédique» critique littéraire, par son passé de communiste — est-ce une tare ? — et son malheureux (?) second prénom, Aimé, qu’il agite pour en faire l’héritage transmis par des parents m’tourni, le principal tourment de l’écrivain. Il est regrettable qu’un enfant de l’indépendance se hasarde, aussi bassement, à s’attaquer à de hautes consciences de l’Algérie au lieu de chercher du côté des Arcady, des Estrozi and Co qui mènent, aidés par leurs sous-traitants locaux, un travail de sape souterrain, destiné à biffer, d’un trait, le génocide que leur pays et ses armées ont perpétré en Algérie. A cet égard, et je n’en terminerai pas là, j’exhorte notre cher professeur à s’isoler, quelque temps, dans la pénitence de la méditation, et à se rapprocher de la mémoire des glorieux Constantinois qui offrirent leur tête juvénile et leur poitrine nue au glaive des résidus des guerres napoléoniennes, puis, un siècle plus tard, de ceux de la guerre d’Indochine, assurant la survie d’une nation de héros, n’en déplaise à nos détracteurs. Je l’invite même à se rendre à Alger pour s’incliner sur la tombe de Hadj Ahmed Bey, enterré, au côté de Abderrahmane Ataâlibi, le saint patron de la capitale, après avoir terminé sa vie dans les affres de l’enfermement. Et je le tranquillise, dès maintenant : ce n’est pas auprès de vos amis qui «savent» écrire l’histoire qu’on ira chercher notre savoir-faire, mais auprès des survivants qui ont tant de choses à raconter en ce studieux cinquantenaire. Et on le fera, unis, non pas en s’opposant les uns aux autres, dans une guerre d’égos et de clochers, comme nous y poussent, insidieusement, nos adversaires, mais en concentrant nos efforts sur une lucide, véritable et puissante mise en cause du système colonial qui a tenté de nous faire disparaître de la surface de la Terre. Et tant que la France n’aura pas reconnu ses crimes, ni Constantine, ni Oran, ni Alger, ni aucune ville de notre pays ne sauront être des villes apaisées et amicales. Vous avez beau faire, pyromanes de l’histoire, adorateurs du veau d’or, le peuple algérien ne vous laissera pas passer.
B.-E. M.


Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/07/24/article.php?sid=137066&cid=41

Voici la mise au point de Abdellali Merdaci en réponse à l'article de Badreddine El Mili 



Contribution : Abdellali Merdaci répond à Badr’Eddine Mili

Vous avez été nombreux à me témoigner votre soutien après la lecture du factum rageur et enragé de Badr’Eddine Mili («Non aux pyromanes de l’histoire et aux adorateurs du veau d’or», Le Soir d’Algérie, 24 juillet 2012), en réponse à mes observations sur ses hypothèses à propos d’une inscription sur un char dans le défilé du 14 juillet 2012 sur les Champs-Élysées, à Paris («Arrête ton char, Mili !», Le Soir d’Algérie, 18 juillet 2012).
Au lieu du débat d’idées respectueux, l’imprécateur survolté choisit l’insulte, la calomnie et l’intimidation. Il en appelle aussi au meurtre, dans un terrible amalgame (qui confine à la discordance mentale), en suggérant que les martyrs constantinois de la révolution et les héros du beylicat de l’Est d’antan «reprendraient, sans doute, les armes pour parachever leur œuvre et laver l’injure faite à leur sacrifice suprême». Comment qualifier cet égarement et ne pas y lire une histoire contée par un idiot, pleine de fureur et de bruit et qui ne veut rien dire» (Shakespeare, Macbeth [1606], scène V, acte V ; trad. de Maeterlinck) ? Le tortueux contradicteur me traite dans sa réponse de «révisionniste de l’histoire», de «pyromane», d’«adorateur du veau d’or» et d’insortables noms d’oiseaux, dans une pathétique envolée de mystificateur en transe. Il utilise la désinformation et la manipulation de mes travaux d’histoire littéraire qu’il n’a pas lus, notamment sur Kateb Yacine (où donc ai-je écrit qu’Odette-Zoulikha Kateb a introduit le jeune Yacine auprès d’Yves Chataigneau gouverneur général de l’Algérie ?) Il est vrai que le poète adolescent de Soliloques [1946] a reçu de celui qui autorisera et commandera les répressions sanglantes de mai 1945, à Sétif, Kherrata et Guelma, un pécule et des lettres de recommandations, notamment auprès de l’écrivain André Chamson, (pour son premier séjour à Paris) et Malek Haddad (dont je n’ai jamais pensé que le communisme était une «tare», mais dont le prénom Aimé (Et je porte un prénom plus faux que mes façons), Cf. La longue marche, Le Malheur en danger [1956], nouvelle édition, Alger, Bouchene, 1988)], la langue française – ce symptomatique «défaut de langue» — et les origines sociales de sa famille ont effectivement constitué des blessures durables dans son parcours d’homme. Et par rapport à l’évocation de la douloureuse page de l’histoire de la Citadelle des vertiges qu’a été le 13 octobre 1837, il plonge dans la sordide fabulation et évite de nommer le sacrifice des Constantinoises pour l’honneur des familles musulmanes. Je n’ai pas manqué de respect à l’auteur du billet du 16 juillet 2012 ni cherché à le déconsidérer auprès des lecteurs. Je crois à un échange serein, une confrontation loyale d’idées, qui contribue à retrouver et à fonder les vertus du débat démocratique, plus que jamais nécessaire dans notre société. Les attaques ad hominem de l’ancien directeur général de l’APS, qui rabaissent la controverse intellectuelle au niveau du caniveau, n’appellent de ma part qu’un profond mépris.
A. M.




Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/07/30/article.php?sid=137285&cid=41

vendredi 20 juillet 2012

L'autre filière Mexicaine pour contrer Monsanto

Dans les pays du tiers monde, l'agriculture est sous la dépendance directe de quelques multinationales qui lui fournisse à la fois les pesticides et les semences. Qui sont dans une large majorité des variétés hybrides, donc quasiment incapable de donner des graines semencières. Ce qui entraine une dépendance vis à vis des compagnies qui peuvent faire la pluie et le beau temps. Très souvent, ces semences s'imposent au détriment d'autres variétés, souvent moins performantes, mais dont certaines potentialités peuvent sauver des mauvaises années. Résistance à la verse, résistance à la sécheresse, résistance à certaines maladies et parasites, facilité de conservation, cycle cultural plus court, moindre besoins en engrais chimiques, autant de caractéristiques qui peuvent s'avérer très utile pour assurer une relative sécurité alimentaire. Ici, l'exemple d'une entreprise Mexicaine spécialisées dans la production de semences de maïs.                                             La filière semences : produire de meilleures semences pour les petits agriculteurs
Source: CIMMYT (16 juillet 2012)
Auteur: s/o
Cet article met en exergue le rôle des petites et moyennes entreprises semencières, en particulier le lien crucial qu’ils établissent entre les agriculteurs et les chercheurs qui mettent au point de meilleures cultures. L’une d’elles est l’entreprise Bidasem, basée dans les plaines centrales du Mexique. Elle vend environ 10 000 sacs de 22,5 kilogrammes de maïs par an. Sa directrice générale María Esther Rivas indique : « Notre objectif est de fournir aux agriculteurs des semences de qualité à des prix accessibles, et adaptées aux conditions locales de Bajío. Lorsque les agriculteurs obtiennent les rendements dont ils ont besoin, c’est une grande satisfaction ». Rivas est en partenariat avec le Centre international pour l’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT) dans ses efforts pour fournir les meilleures semences à ses clients. Comme c’est le cas dans de nombreux pays en développement, la plupart des agriculteurs du Mexique ne plantent pas les semences les meilleures que l’on puisse trouver. Le maïs planté est en grande majorité des variétés traditionnelles à rendements relativement faibles. La disponibilité de semences améliorées est souvent un facteur limitatif, et c’est la raison pour laquelle les petites entreprises semencières régionales sont les mieux placées pour atteindre les marchés locaux et les petits agriculteurs. Il n’en demeure pas moins que l’on peut facilement se demander pourquoi les petites entreprises semencières sont vraiment nécessaires, compte tenu des variétés traditionnelles et de l’efficacité des entreprises semencières transnationales. Mme Rivas déclare : « Nous cherchons différentes niches. Nos matériels ne sont peut-être pas très attrayants, ni aussi uniformes que d’autres, mais ils sont vraiment résistants. Ils supportent bien la sécheresse et quand il y a un problème de pluies excessives, ils restent debout et peuvent toujours donner de bons rendements ». Les petites entreprises comme Bidasem cherchent également à produire des semences adaptées aux microenvironnements régionaux, et avec le changement climatique, de nombreuses variétés autrefois parfaitement adaptées doivent à présent lutter pour survivre. Les petites entreprises semencières peuvent toucher les agriculteurs pauvres et leur procurer des variétés qui donnent des rendements plus élevés et fiables, améliorant ainsi fortement leur sécurité alimentaire et leurs revenus. pour en savoir plus l'article en Anglais sur le sute dy Cymmitplus:

mardi 17 juillet 2012

Le jour où j’ai versé le sang pour Ouled Riah


En revenant vers Nekmaria, traumatisé par le choc de l’agression dont je venais d’être la cible, alors que je peinais à remettre de l’ordre dans la tête de ma fille, qui malgré une année exécrable, était parvenu à franchir sans dégâts l’écueil des examens, mon esprit était partagé tantôt par le discours que tenait à mes cotés le vieux Hamoudi -que son fils Mohamed, avant de quitter le plateau m’avait confié la tache de ramener à la maison-, tantôt par les sanglots persistant de ma fille. Le sang qui continuait à couler de ma joue n’arrangeait rien, en tous cas il ne m’aidait pas à donner l’image de sérénité que je voulais transmettre à mon entourage.

Surtout à ma fille, mais également au vieux Hamoudi, dont les mots me troublaient profondément. Parce qu’il expliquait à un de ses interlocuteurs que je n’étais pas un étranger mais un membre à part entière de sa famille… des mots que je garderais toute ma vie enfouis, comme les 1500 Ouled Riah. Parce qu’ils sont plus forts que la bêtise qui les a provoqué. Pour regagner Nekmaria depuis Chkarnia, lieu du drame qui venait de se jouer, il faut parcourir 3 km en lacets, avec une pente de plus 25%. J’explique alors à ma fille qui prépare son permis de conduire, en quoi consiste le frein-moteur. Mais elle repart en sanglots, car manifestement, dans sa petite tête, elle venait de vivre le drame qu’elle redoutait le plus, celui de voir son père dans pareille situation, la joue ensanglanté et une blessure de 9 cm qui évite miraculeusement l’œil droit. Et ce sang qui ne parvient pas à cicatriser. Ce n’est pas un flot, mais un mince filet que je perçois perler sur ma joue et que j’essuie machinalement de la main. Je dépose le vieux Hamoudi à Nekmaria, et prends la direction de Khadra. Mais à Doualia, je croise les gendarmes qu’Anis Benhalla ( En Nahar), depuis Mostaganem avait prévenus. Très vite je leur montre la photo de mon agresseur que ma file avait eut le réflexe de prendre juste au moment du drame.

Rigueur professionnelle
Les gendarmes me recommandent d’aller me faire ausculter à la polyclinique d’Aâchaâcha et de rejoindre la brigade de Khadra pour porter plainte. Le médecin de permanence, le Dr Med Amokrane m’ausculte avec grande attention. La tension, malgré les béta bloquants du matin, a atteint un seuil critique. On me fait une injection pour la faire tomber à un niveau normal. En quittant le centre de santé, je reçois un appel de Mohamed Bensmaïne l’ingénieur du son, qui m’apprend qu’avec l’équipe de l’ENTV, ils sont à mes trousses. C’est ensemble que nous rejoignons la brigade de gendarmerie de Khadra où je remets mon certificat médical et porte plainte. C’est à ce moment que mon agresseur, accompagné de son père et de son frère rentrent à la brigade. L’injection commence alors à faire son effet. Une fois entendu, je signe le PV et nous rentrons à Mostaganem. Faïza Mokrane, la réalisatrice est assise sur la banquette arrière. Elle me parle alors de sa perception de l’incident et me dit avoir envisagé de mettre fin au tournage. Je lui réplique que c’était le truc à ne pas faire, car les figurantes qui sont venues de Mostaganem n’allaient pas revenir une seconde fois. Dans pareille situation, il est prudent de ne pas réagir comme le veut la morale, mais seulement comme l’exige la rigueur professionnelle.
Je n’aurais jamais accepté que le tournage soit interrompu car ce documentaire, cela faisait exactement 4 ans que je le faisais dans ma tête. Depuis le jour où, accompagné de mon fils Ali, nous sommes rentrés dans la grotte de Ghar El Frachih.

La route de l’Histoire

C’était le 14 juin 2008, à 10h09. Depuis cet instant, je me suis juré de consacrer le restant de ma vie à rendre justice à la tribu martyre, mais également à toutes les victimes de la barbarie coloniale. A cette époque, la route qui part de la RN11 à Nekmaria était dans un état lamentable, mais celle de Nekmaria à Ghar El Frachih était absolument exécrable. Un papier publié le mercredi 18 juin dans la page Mosta Info d’El Watan avait fait l’effet d’une bombe au niveau de la wilaya. Si bien que le lendemain, et pour la première fois, la wali de l’époque allait organiser une sortie pour se confronter à la réalité. Nul doute que la décision de refaire la route de Nekmaria a été prise ce jour-là. Le 19 mars 2011, cimetière des chouhada d’Ouled Baroudi, j’interpelle le ministre des anciens moudjahidines sur le sort fait à cette tribu par son ministère lui rappelant les faits de manière aussi succincte que possible. Là encore, décision a été prise afin que cette tragédie des Ouled Riah sorte de l’oubli. Branlebas de combat dans les travées de la république, avec prolongements au niveau local. Le recteur de l’université me demande alors de participer à une manifestation commémorative. Ce qui donnera droit à une journée d’études qui aura mis à l’épreuve toutes les compétences universitaires. De son coté, l’école des Beaux Arts avait fait venir plus de 70 artistes algériens de l’intérieur et de l’exil. Le concept « Des artistes pour Nekmaria » voyait le jour. Le 19 juin 2011, la veille de la journée d’étude sur les enfumades, arrive une équipe de l’ENTV du siège. A sa tête, Faïza Mokrane, connue notamment pour son excellent travail sur les sites des essais nucléaires Français dans le Sahara Algérien. Elle avait programmé un reportage sur la rencontre universitaire et souhaitant se rendre à la grotte. Un enseignant sollicité pour l’accompagner, s’étant décommandé à la dernière minute, c’est vers moi que le recteur se retourna, tout en sachant que mon implication dans la manifestation du lendemain ne me laissait pas la moindre fraction de seconde de disponible. Dehors, il faisait une chaleur suffocante (39°) et les banderoles ainsi que les photos de l’exposition tardaient à sortir des ateliers de confection. On m’explique alors que j’étais le seul à pouvoir accompagner la TV sur le site. J’appelle alors Med Hammoudi pour lui demander de nous attendre avec des boissons fraiches au niveau du douar Chkarnia, là où l’oued Frachih prend sa source.

Les premiers ossements depuis 166 ans
Avec un groupe d’habitants, ils nous accueillent au lieu dit, vers 16h00. Après une série de prise de vues sur les alentours de la grotte, nous décidons d’entreprendre la rude descente vers le lit de l’oued puis vers la grotte où dorment depuis 166 ans, les Ouled Riah. Pendant que le cameramen filmait sans relâche, un jeune habitant me susurre à l’oreille que la veille, des bergers ont découvert un passage vers une des grottes. Il ajoute qu’ils ont retrouvés des restes ainsi que des reliques. Je décide alors de les suivre au fond de la grotte. J’ai fais un long récit de ce jour mémorable. Après 30 minutes dans la fraicheur et surtout la proximité des Ouled Riah, je remonte à la surface avec des os humains ainsi que du linge et des outils. Faïza Mokrane fait des plans serrés et nous remontons le ravin vers le plateau. J’informe mes responsables de l’université et nous retournons sur nos pas. J’ai pris conscience que 166 ans jour pour jour, je venais, bien malgré moi, de remonter à la surface les premiers ossements humains des Ouled Riah. Le lendemain, face à un auditorium plein à craquer, j’annonce que les Ouled Ryah sont dans la salle... tous le monde s’est tourné vers les Hammoudi et les Fellah, venus en force assister à la manifestation. En réalité, religieusement enveloppés dans un drap blanc, ce sont les reliques et les ossements retirés la veille que le vieux Hammoudi tenait sur ses genoux. Nous n’étions que trois à le savoir, Med Hammoudi, son père et moi-même. Je pense que c’est ce jour là que Faïza Mokrane a pris fait et cause pour les enfumades du Dahra.

L’hélicoptère de l’Armée Algérienne
Je n’aurai pas l’indécence de parler des multiples péripéties et obstacles que certains ont dressés devant nous ; ni des sacrifices que nous avons elle et moi consentis, mais également ceux qui l’encadrent et la soutiennent, techniciens, historiens et universitaires de Chelef, de Ténès, d’Oran, avec mention spéciale au wali et à la directrice de la culture de Mostaganem. Les seuls qui se sont véritablement engagés à nos cotés. Une mention particulière à L’Armée Nationale Populaire qui a mis à la disposition de l’équipe un hélicoptère de dernière génération conduit par un pilote d’élite, ce qui a permis, pour la première fois, des prises de vues aériennes de la région montagneuse du Dahra. Je ne peux ne pas citer le courage, la ténacité et la grande abnégation des filles et des femmes des associations de Mostaganem qui ont bravé la chaleur et l’adversité, se contentant d’un bout de galette et d’une gorgée d’eau et se prêtant avec joie à la cérémonie d’habillement que la jeune Medjaher Nihad, venue spécialement de Chlef, aura dirigée comme le ferait le plus percutant costumier de Cinéccita ou d’Hollywood. Ce qui donnera des images d’une grande fidélité et certainement d’une grande qualité, car sur le plateau, il y avait aussi deux cadreurs, dont un jeune venu spécialement d’Oran, suite à la demande expresse de la journaliste. Dans cet immense chantier, monté qu’avec de bonnes volontés et surtout contre de nombreuses inimitiés, c’est un miracle que vient de se produire dans la région du Dahra. Mais comme il fallait s’y attendre, la main du mal a agit en sourdine. Un jeune homme, à peine la vingtaine, voyant son papa mis à l’écart du film de sa vie, sans doute poussé par la haine de quelques uns, a cru bon de faire un acte qu’il croyait être de la bravoure. En s’attaquant à ma personne, il croyait certainement venger ses ancêtres. D’autant qu’à ce moment précis du travail, j’avais ramené des galettes et de l’eau afin de soulager les figurants que le terrain caillouteux avaient rendus grincheux.

Une mobilisation générale
Nous entamions les prises de vue des « plans de coupe »; surtout des plans rapprochés qui donnent une dimension intime au film. Au moment où la réalisatrice allait donner le clap de la dernière séquence, le vieux Fellah vient encore une fois tout remettre à plat. J’entreprends, à force de cris, de l’en faire évacuer. Mais comme il prenait un sadique plaisir à me narguer, avec un sourire en coin qui en dit long sur son sadisme avéré, je l’empoigne et le met hors du champ des caméras. Soudain la foule se met à crier. Je me retourne et aperçoit, fonçant comme un bolide, le bras armé d’un bâton d’oléastre, le jeune D. Fellah qui vise directement ma tête. Un réflexe me permet d’éviter le coup en anticipant. C’est le réflexe de survie, car franchement, bien après, j’ai encore dans ma mémoire, ce regard de haine d’un garçon qui aurait pu être mon fils. Dans ce regard, je vois la mort venir et je vois mon crane fondu en deux et mon sang couler à flots. Je sais que je suis passé très près de la faucheuse. Qu’elle belle moisson j’aurais fais ce jour là ! A qui dois-je la vie sauve ? A la chance, au destin, à la baraka de Sidi Lakhdar et de Sidi Laadjel, à l’instinct de survie ou tout simplement à ce cri anonyme m’indiquant le danger ? Certainement un peu de tout ça en même temps. Peut être à la bonne étoile qui m’a fait découvrir ce pays et ses malheurs passés et présents. Je me retourne sur ces 4 dernières années passées à faire revivre l’histoire des Ouled Riah. Je mesure le travail accomplis. Je sais combien il reste à faire et je m’y applique avec intensité, générosité et dévouement. J’ai mobilisé des nombreux amis Français et Algériens, des institutions, des entreprises, des associations caritatives et culturelles, des bailleurs de fonds et des porteurs de projets, des chercheurs et des hommes de lettres, des historiens et des artistes, des cinéastes et de simples citoyens, des hommes, des femmes, des enfants…ceci est indéniable et j’espère ne pas verser dans l’auto flagellation en rappelant tout ça…Comme je n’attendais aucune récompense et aucune gratification, je prends pour de la pénitence cet acte d’une grande gravité. Ce jeune aurait pu me tuer d’un seul coup de bâtons. Il le voulait manifestement. Voyant son père exclu du film qui devrait consacrer sa tribu, son sang n’a tourné qu’une fois. A défaut de me tuer, il aurait pu me handicaper pour le restant de ma vie. Tout ça pour une image. C’est tout de même un peu court comme argument. On ne tue pas par une image dans un documentaire.

Combattre l’amnésie
C’est juste fait pour raviver les consciences et surtout pour faire reculer l’amnésie qui entoure la conquête coloniale de l’Algérie. Mais ce que je ne lui pardonnerais jamais c’est l’intention qu’il avait de donner le statut d’orpheline à ma fille. Ça m’est insupportable, car je connais hélas ce sinistre statut depuis l’âge de 5 ans, lorsque le 23 aout 1955, des soldats Français ont emmené mon père, ses frères et ses cousins vers une destination inconnue. Quant à mon engagement vis-à-vis du Dahra et de son histoire tumultueuse, l’agression dont j’ai été victime ne fera pas changer d’un iota mon souci constant de raviver les mémoires et surtout de combattre l’amnésie que l’on veut nous imposer comme unique alternative à notre quête de vérité. Le lendemain de l’acte abject incident, je suis retourné sur les lieux. J’ai regardé l’évolution des soldats français  aux abords de la grotte. J’ai regardé les fabuleux costumes ramenés d’Echlef, j’ai noté que les casquettes que Halim Rahmouni a confectionnées à ma demande afin de compléter les uniformes des soldats de Pélissier. Je me suis rapproché de Ferraï Lounès, le discret et talentueux cadreur de l’ENTV, j’ai aussi parlé avec Mohamed Bensmaïne, l’ingénieur du son, j’ai lu dans leur regard la satisfaction du devoir accomplis. Manifestement, le documentaire sera une grande réalisation à l’actif de ceux qui, dans l’ombre et plus grave dans l’adversité, auront participé à raviver cette terrible tragédie. Le film qui en sortira rendra enfin compte de cette période trouble et tragique du Dahra, lorsqu’un jeune érudit du nom de Boumaza, fera se soulever les tribus, à un moment où, affaibli par les trahisons, l’Emir Abdelkader tentait de reconstituer ses forces. Ce pan inconnu de notre histoire sera à jamais transmis aux générations à venir.

La ruée vers Nekmaria
Alors que nous quittions, Madani Beghil, sa fille Kahina et mon ami Miloud Kadi, les lieux, je vois arriver un rutilant 4X4, avec à son bord un couple et leu enfant. Je leu demande comment ils ont fait pour venir jusqu’à nous. Ils m’expliquent qu’ils avaient pris connaissances de l’existence de cette grotte et qu’ils ont décidés de la visiter. Lui est Algérois et elle de Tebessa. Il y a 4 ans, nous étions seulement trois, Abdelkader, le guide, Ali, mon fils et moi même…aujourd’hui nous sommes des milliers à connaître la tragédie des populations du Dahra. Même avec des fous furieux, le miracle est devenu possible…et ça rien au monde ne pourra le changer…plus jamais…même si j’en souffre terriblement, d’une souffrance endogène, je ne suis pas prêt d’oublier que le Dahra n’est qu’une partie de l’Algérie. D’avoir aidé à la faire découvrir est pour moi une formidable compensation des souffrances et des trahisons endurées…A défaut d’avoir donné plus, j’ai payé la rançon due aux Ouled Riah par le sang…dans les petites cervelles des gens bien-pensants, je sais combien ça fait mal…pourtant je n’en tirerais aucune gloire, ni aucune honte…je n’ai fais que mon devoir, j’ai payé le prix le plus fort…la parenthèse est désormais fermée…le bébé du couple algérois que j’ai pris en photo prendra le relais. Un jour, le 5 juillet 2045, il ramènera ses enfants visiter l’endroit où, 2 siècles plutôt la colonne conduite par le colonel Pélissier, décima en les enfumant, 1500 Ouled Riah ainsi que leur bétail…lorsque sa fille de 20 ans lui demandera comment ce sinistre colonel était parvenu à retrouver la grotte, il pourra lui expliquer que parmi les 25.00 soldats, il y avait déjà 700 traitres, avec à leur tête le Khalife de Nekmaria…

« Nous venons d’enfumer Pélissier »
Ce sont ses descendants que j’ai croisé en ce funeste jour du 15 juillet 2012…lorsque j’ai frôlé la mort de si près…l’histoire est un éternel recommencement…il vaut mieux ne pas y entrer…car une fois pris dans la tourmente, on ne peut plus en sortir…après tout, ce qui compte, c’est que promesse a été tenue, désormais plus personne n’osera dire « je ne savais pas »…des femmes enceintes, des bébés, des gens humbles se rendent en procession à la grotte…les Ouled Riah ne sont plus seuls…le marquis de la Moscova peut dormir tranquille…le dernier message de Faïza Mokrane reçu le 16 juillet 2012 à 21h24, envoyé du lieu de tournage «  nous venons d’enfumer Pélissier !...

samedi 14 juillet 2012

Un colonisé au Carrefour du cinquantenaire

  Une chronique de mon amie Farida Tilikete, censurée par le Carrefour d'Algérie, un quotidien national, privé, paraissant à Oran et prenant ses sources à Mesra, non loin d'Aboukir...Oui ...Oui je dis bien Aboukir...du nom de la bataille menée par Napoléon durant sa fébrile conquête de l'Egypte...nom qui fut donné à la petite bourgade de Mesra par l'administration coloniale...qui fut effacé par l'indépendance de 62 et que le propriétaire du Carrefour a réintroduit sur le fronton de sa grosse maison, construite sur nos terre, celles irriguées à jamais par le sang de nos martyrs...Car en plus de se servir de notre histoire pour remuer le couteau là où ça fait toujours mal, ce sénateur qui se fait servir une pension de pacha par notre trésor public ne trouve pas mieux que d'insulter notre mémoire...en inscrivant en lettre latine le nom d'une bataille que Napoléon avait jadis remporté sur les descendants de nos Koutamas d'Egypte...que les descendants de Napoléon perpétueront en cette terre d'Algérie suite aux trahisons de nos garnisons Anatoliennes...et voilà qu'un 3/4 de sénateur, assis sur moins qu'un 3/4 de journal qui nous la rejoue avec son restaurant "Aboukir"...une insulte qu'aucune organisation d'anciens combattants, ni d'anciens patriotes, ni fils ou filles de la famille révolutionnaire n'est venue réparer...à l'abri derrière une feuille de chou putride, qui ne survivrait même pas un 3/4 de numéro sans le biberon publicitaire d'un 3/4 de président d'une moins que rien de république...qui se met à parader comme le ferait un coq sur son tas de fumier...tout juste pour ne pas déplaire à son 3/4 de maitre...J'imagine que la chroniqueuse avait déposé sa chronique bien avant le 5 juillet...date fatidique d'une indépendance chahutée...courageux au 3/4, le patron et le red-chef, voire les deux en même temps...ont tout  tenté pendant 2 semaines pour ne jamais annoncer leur sentence...courageux mais juste au 3/4, ils ont opté pour jouer le temps...s'ils avaient été intelligents à seulement 3/4 de ce qui est possible en intelligence, ils auraient certainement publié la chronique une fois les milliards des feux d'artifice complètement dilapidés...ils n'ont même pas eut ce courage...pour nous c'est ce qu'il y a de plus rassurant...nos chefs sont complètement dénués de bon sens...et il n'y a pas lieu de désespérer...ils ne sont pas prêts de changer...nous non plus...car on se dit que si avec une simple chronique on arrive à leur foutre la trouille c'est que la partie est déjà gagnée...mais eux le savent-ils?...c'est là le véritable drame du pays...car en définitive, Bouteflika lit-il le Carrefour? Assurément non, tout comme les 4/4 d'Algériens analphabètes qui l'entourent, le président au 3/4 de mandat ne lit pas la presse nationale et en tous pas le Carrefour; sinon pourquoi avoir gratifié le Monde de 9 millions d'Euros pour 16 feuillets à sa gloire? Vois-tu Farida, ce que je crains le plus, c'est que tu nous fasses le coup de ton compère Kamel Daoud...ayant été censuré, il a cédé sa place à un 3/4 de chroniqueur...le canard s'est effondré et nous avec...car votre sève nous aide à supporter ces imbéciles qui croient nous gouverner...parce que même censurée au 3/4, votre chronique fait toujours aussi mal...alors de grâce ne nous privez pas de cet élixir...Ta chronique n'est digne que de celles et ceux qui savent que le temps des médiocres est compté...
La voici dans toute sa splendeur
L’an cinquante de l’indépendance
Après cinquante ans d’indépendance officielle, un bilan objectif révèle pourtant une grande dépendance économique et une seconde, tout aussi impressionnante, culturelle. L’Algérie est indépendante mais les Algériens ne le sont pas. Un demi siècle après ce cinq juillet « originel », nous avons des milliards de réserve de change mais toujours pas d’économie et encore moins de culture. Nous n’avons rien construit, du moins, rien qui en vaille le détour. Nous n’avons rien appris de cette guerre, pire, nous avons perdu tous nos acquis, tous nos butins de guerre. Indignes enfants qui ont dilapidé l’héritage faramineux de leur Mère- patrie dans de faux projets de sociétés et de vrais projets mafieux. Résultat : l’Algérien achète encore son blé, ses pommes de terre, sa viande, sa voiture, sa chemise et même le pantalon qu’il tente de tenir bien serré avec une ceinture, de peur qu’on ne le lui enlève, encore. L’Algérien d’après 62 a bien changé. Nous ne sommes pas particulièrement nationalistes, ni particulièrement solidaires. Depuis 62, il n’Y a ni Français, ni Ottomans, ni Espagnols, ni Romains, ni, ni,…Et pourtant, l’Algérien n’aime plus son prochain depuis qu’il a appris à ne vivre qu’avec un autre Algérien. C’est comme dans un couple, les fantasmes et les rêves prénuptiaux d’une vie à deux sont vite anéantis par la réalité et la routine. La vie commune est un art dans lequel nous n’excellons guère, et ce n’est qu’un euphémisme. La nouvelle vie tant rêvée des Algériens avec les Algériens dans une Algérie libre et indépendante a été spoliée. Ce n’est pas pour être négatif, mais, c’est un constat : Notre identité n’a jamais été aussi « approximative » et notre culture n’a jamais été aussi dénigrée. A travers une simple scène de notre quotidien, toute la schizophrénie des Algériens est mise à nue : notre code linguistique hybride, et notre code vestimentaire « bâtardisé ». Nous sommes sans doute le seul pays indépendant au monde qui s’interdit de parler sa langue maternelle ! Le seul pays au monde qui a sacrifié plus d’un million de martyrs pour, au final, se renier. Nous avons troqué notre civilisation millénaire contre une pseudo alliance arabique plus « noble » semble t-il. Puis, dans la même lancée, Nous avons bradé notre Haïk blanc et notre Burnous séculaire contre des Jilbabs noirs, des Kamis courts et des barbes hirsutes, pour plaire à nos nouveaux colonisateurs. C’est triste, mais sans doute « normal », après tant de siècles de colonisations, l’Algérien a fini par développer un complexe du colonisé qui le sécurise. Au fond, tout aura été fait pour que l’Algérien ne sache ni ne puisse vivre qu’en sujet colonisé.
Farida T.

vendredi 6 juillet 2012

Le bonheur est dans la patate

A ma grande satisfaction, Farida Tilikete, la force tranquille de l'Oranie...et plus si affinités...est devenue AGRONOME...et quelle AGRONOME...un véritable génie qui défend mieux que bcp d'autres, dont c'est le métier, le développement de l'agriculture...et la transformation du pétrole noir en pétrole vert...désormais, elle fait partie de la famille...et c'est tout à fait à notre honneur...bienvenue là où ça fait mal...sauf que pour la Spunta...il n'y a pas de bonheur sans les frites...la patate est le meilleur allié du système...quand la Spunta va, tout va...bien... voici une chronique de Farida Tilikete pour feter le 50ème anniversaire de l'indépendance algérienne...ou plutôt de la dépendance...


L’Algérie, un pays heureux ?
L’Algérie a été consacré le pays le plus heureux d’Afrique, et par conséquent, l’Algérien, le citoyen le plus heureux d’Afrique ! Une révélation d’un site d’information en ligne qui ne laisse pas indifférent, et c’est le moins que l’on puisse dire. HEUREUX ? Nous ? Faudrait vraiment que l’on soit des imbéciles. Mais alors, ce serait comment si l’on était malheureux ...? Eh bien, juste pareil mais le pétrole en moins. 
Cette manne qui a perverti les décideurs et qui a, par ricochet, abruti le peuple. Difficilement imaginable l’Algérie sans pétrole. Carrément flippant. Si en plus de toutes les frustrations quotidiennes liées aux mentalités, aux incompétences, à l’analphabétisme, à la médiocrité, aux complexes et aux turpitudes de nos compatriotes il faille encore mourir de faim car on ne peut plus importer ces milliers de tonnes de blé ni ces millions de carcasses de buffles d’Inde à chaque ramadhan et encore moins tous ces fruits exotiques du Brésil…Ce serait malheureux, et c’est le cas de le dire. Sans le pétrole, l’Algérien serait non seulement sale, méchant, inculte, arrogant, fainéant, corrompu et corruptible, indiscipliné, extrémiste, comme il l’est actuellement mais en plus et par-dessus tout, il serait affamé. Et, comme un ventre affamé ne fait point de politique, heureux sera le gouvernement qui viendra lorsque la mamelle sera asséchée. Un sac vide ne tient pas debout. D’ailleurs, imaginer notre pays sans la rente et les vieux rentiers bedonnants, n’est pas le pire des scenarii qui puissent nous arriver, loin de là. 

Car, ce jour là, peut-être que nous retrousserons vraiment nos manches et que nous travaillerons, enfin. Ce jour là, on recommencera à labourer nos champs en se disant que le trésor est entre chaque sillon, on recommencera à y semer autre chose que de la « Spunta » et à y veiller comme à la prunelle de notre unique œil myope. On se lèvera tôt convaincus que la journée nous appartient, et l’espoir aussi. Certes, les cœurs bâteront plus ou moins vite au rythme des saisons et des pluies, certes, on connaîtra des périodes de vaches maigres selon les moissons, mais, on aura acquis de nouvelles valeurs. Ce jour là, le labeur connaîtra toute sa dimension et la compétitivité suivra forcément. Le meilleur survivra et le médiocre disparaîtra. 

Les Algériens deviendront inventifs, malgré eux. Polis, aimables, serviables, souriants et disciplinés. Ils deviendront dociles, par instinct de survie aussi… Si les puits disparaissaient…Mais, aujourd’hui, l’Algérie est le pays le plus heureux d’Afrique, « écologiquement » parlant, c’est ce qu’il fallait lire. La précision est de rigueur. En attendant, respirons, c’est encore ce qu’il ya de mieux chez nous, EL HWA WEL RIH (l’air et le vent).
Farida TILIKETE

mardi 3 juillet 2012

Les Réfutations de Med Harbi


Suite à la parution de l'article "Harbi a-t-il tué Chaabani?, paru sur ce blog, je viens de recevoir, de la part d'un ami historien, un texte de Med Harbi par lequel ce dernier réfute dans le fond et dans la forme les allégations contenues dans l'article de Mehdi Chérif. voici le passage le plus incisif de la réponse de Med Harbi
 
C’est la raison pour laquelle le journal que je dirigeais, Révolution africaine, a appelé le gouvernement à réagir. La dissidence de Chaâbani s’est produite le 4 juillet et a pris fin le 11 du même mois. Entre ces deux dates, Révolution africaine a publié trois articles ; deux éditoriaux sous ma signature, le troisième intitulé «Les féodalités bureaucratiques» exprimait le point de vue de la direction du FLN ; y était relaté le fond de l’affaire Chaâbani. Celui-ci a été jugé sans garantie de justice par un tribunal militaire les 2 et 3 septembre et la sentence exécutée dès le procès terminé. A cette date, je n’étais plus le directeur de Révolution africaine ; Amar Ouzeggane m’y avait remplacé dès le 29 août. Je ne pouvais, donc écrire, comme l’affirme Chérif Mehdi, un article incendiaire le lendemain de son exécution ! Pourquoi fausse-t-il la chronologie des faits sinon pour valider un mensonge et suggérer que j’étais l’inspirateur de l’exécution de la sentence évacuant la responsabilité des militaires qui l’ont condamné ?
"
 Je me dois de préciser que je n'avais pas connaissance de l'article de Med Harbi, d'autant que ma source est le Soir d'Algérie du 25 juin dernier, soit 21 jours après la publication de la mise au point de Med Harbi parue dans El Watan du 4 juin 2012. Si j'assume la paternité de mes papiers à travers ce blog, je me dois de dire toute la vérité à ceux et celles qui me font l'honneur de le consulter.
Voici donc le texte par lequel Med Harbi apporte son éclairage sur cette affaire qui n'a pas fini d'empoisonner l'histoire de l'Algérie...dès que je me ferais une idée précise de ces évènements, je me ferais un devoir de les publier ici.

L’armée est-elle une institution de l’Etat ou une caste ?
Mohamed HARBI
El Watan, 4 juin 2012
(Le Soir d’Algérie du 21 février 2012 a publié un récit consacré à l’affaire Chaâbani).
            L’auteur, Cherif Mehdi, revêtu du costume de l’inquisiteur, y fait le procès du régime de Ben Bella et, jouant de l’insinuation venimeuse, m’attribue un rôle dans l’exécution du colonel Chaâbani. Je reviendrais plus loin sur ce point. Mais pour édifier les générations étrangères aux événements des années 1960, je me dois de rectifier quelques opinions préconçues répandues sur mon itinéraire et ma position dans le régime Ben Bella.
Repères pour un itinéraire
            De septembre 1962 à mars 1963, je figurais parmi les opposants au bureau politique du FLN. Avec d’autres militants socialistes, j’ai condamné le sabotage du congrès de l’UGTA, l’interdiction du PCA et le code de nationalité qui emprisonnait les Algériens dans la confession musulmane. Ma réserve à l’égard des leaders de l’opposition s’est dessinée après une entrevue à Paris, le 17 novembre 1962, avec Mohamed Boudiaf en présence du colonel Salah Boubnider. Alger bruissait alors de mille rumeurs sur la préparation d’un nouveau 1er Novembre.
J’avais préalablement échangé, au mois d’octobre, mon analyse de la crise du FLN avec des amis que ses vues semblaient séduire, notamment le professeur Mohamed Abdelmoumène(1). Le recours à la lutte armée était, selon moi, la voie ouverte à la suprématie de l’armée. Si le pays ne s’est pas disloqué en juillet 1962, c’est grâce en partie à l’Etat administratif laissé en place par la France, c’est-à-dire l’Exécutif provisoire. Nous avons échappé de peu à la congolisation. Allions-nous y plonger à nouveau ? Il n’y avait, dans la situation d’alors, aucune alternative. Le peuple, hostile aux luttes civiles, s’était prononcé au mois d’août aux cris de «Sept ans ça suffit» ; la lutte pour sa survie était sa préoccupation majeure.
            Les factions issues des wilayas du FLN évoluaient au gré des événements et négociaient dans l’ombre leur retour au bercail. La décantation politique et les reclassements des forces de la résistance étaient loin de leur terme. L’urgence était à la construction de nouvelles médiations enracinées dans le social et se nourrissant des problèmes concrets des populations. Toute autre perspective ne ferait qu’aggraver la désintégration sociale et donner du grain à moudre aux tenants d’une «révolution par le haut» dont l’expression existait dans les sommets de l’armée et de l’administration. Je n’ai pas été écouté. La recomposition politique à laquelle j’aspirais s’inscrivait dans l’histoire du mouvement ouvrier et syndical. Le mode de fonctionnement des oppositions issues du FLN, très personnalisé, induisait des rapports de vassalité à des chefs. Tous ces courants, qui m’apparaissaient un moment comme des partenaires possibles, ne me séduisaient pas malgré la sympathie que j’avais pour eux.
            Les faits porteurs de changement vont apparaître, me semblait-il alors, avec les décrets de mars sur l’autogestion. Nommé ambassadeur à Beyrouth, j’étais à la veille de rejoindre mon poste, quand je reçus une convocation du président Ben Bella, celui-ci me proposait d’entrer dans son cabinet. Je lui ai rappelé qu’en l’absence d’un congrès des forces de la résistance, je considérais le bureau politique du FLN comme une autorité de fait et non de droit. Il a ri avant de m’assurer qu’il l’entendait ainsi et qu’il ferait appel à moi, le moment venu, pour la préparation du Congrès. C’est dans ces circonstances qu’au mois d’avril 1963, j’ai été nommé conseiller technique chargé du secteur socialiste et non conseiller politique, comme l’écrit Mehdi Cherif.
La gestion de ce secteur et son extension ne dépendaient pas de moi mais des ministres du secteur. Partisan d’une démocratie directe et donc adversaire d’une révolution par le haut conduite par une bureaucratie d’Etat, ma vision était d’œuvrer à construire des lieux d’autonomie pour lever l’hypothèque du monopartisme. Je suis devenu donc l’homme à abattre et l’objet de plusieurs cabales(2) montées aussi bien par la Sécurité militaire que par les amis intimes du Président.

A la veille de la conférence d’Addis-Abbeba qui a vu la création de l’OUA, le président Ben Bella m’a confié la direction de Révolution africaine. La responsabilité d’un journal m’a permis de faire connaître les idées du socialisme autogestionnaire et d’exprimer ma différence avec les partisans du capitalisme d’Etat et avec les staliniens, comme avec le Président. Il suffit de lire Révolution africaine pour s’en convaincre. Abordons maintenant l’affaire Chaâbani.
L’affaire Chaâbani
            L’affaire Chaâbani s’inscrit dans la perspective de la construction d’une armée nationale. Pour être bref et précis, disons que dans le processus qui y mène, il y eut une phase de prépondérance civile. Les chefs comme leurs recrues sont des guerriers improvisés. Il y avait bien peu de militaires de métier. Les wilayas comme corps armés sont fortement pénétrées par la société. On peut dire, sans risque de se tromper, qu’elles constituaient des armées totalement sociétales. Les troupes aux frontières en dépendaient malgré une coordination confiée à Krim Belkacem au niveau du CCE d’abord, puis du GPRA.
            La seconde phase commence avec le bouclage des frontières par l’armée française. Technicité, discipline et esprit de corps devenaient indispensables. On assiste alors à l’entrée en scène d’un encadrement de militaires de métier. Cela ne se fit pas sans secousses. L’amalgame entre guerriers improvisés, officiers déserteurs de l’armée française et officiers formés dans les académies militaires de pays amis ne fut pas un long fleuve tranquille.
            Cette tâche fut assumée d’abord par Krim Belkacem puis par un état-major général installé en 1960 et dirigé par le colonel Boumediène avec comme adjoints les commandants Mendjeli (Wilaya II), Zerrari Rabah (Wilayas III et IV), Kaïd Ahmed (Wilaya V). Ils héritaient d’un projet conçu par le commandant Idir en 1959. Dans ce projet, l’armée des frontières constitue la force principale. Une partie des effectifs des wilayas la rejoindrait, l’autre partie serait reversée dans des corps répressifs à créer. La mise en œuvre de cette troisième phase échut au colonel Boumediène et à ses collaborateurs. Elle se déroula après l’indépendance, dans un contexte marqué par l’implosion du FLN dans une société hétérogène, divisée par les rivalités anciennes et nouvelles et travaillée par des forces centrifuges. Les classes urbaines (bourgeoisie, classe ouvrière, intelligentsia) étaient à l’état embryonnaire et segmentées.
            Noyées dans l’océan rural et bousculées par la vague plébéienne, elles ne pouvaient prétendre au commandement de la société que par procuration. Le poids écrasant de la colonisation et l’effacement des notables compromis avec la colonisation ont créé un vide social.
On a vu alors surgir du sol l’insurrection déclenchée, des meneurs d’hommes courageux sortis du peuple, des chefs insolites, audacieux, conservateurs, indifférents aux idées, peu regardants sur les formes d’action et passant sans scrupules d’une faction dirigeante à l’autre.
            Ils évoluaient dans une situation où la crise du nationalisme a entraîné la marginalisation de secteurs civils et de personnalités qui ont tenté, des années 1920 à 1954, de construire dans les interstices laissées par le pouvoir colonial des espaces à potentialité démocratique. C’est à ces meneurs d’hommes que revint la sélection d’une nouvelle élite. Le rang qu’ils ont acquis à travers l’armée dépendait moins de leurs qualités intrinsèques que de la vague historique qui les portait. Le colonel Lotfi, mort au combat, en a dressé, dans des confidences au président du GPRA, Ferhat Abbas, un tableau saisissant : «J’ai observé, disait-il, chez le plus grand nombre d’entre eux (il s’agit des chefs), des tendances aux méthodes fascistes. Ils rêvent tous d’être des sultans au pouvoir absolu.
            Derrière leurs querelles, j’aperçois un grave danger pour l’Algérie indépendante. Ils n’ont aucune notion de la démocratie, de la liberté, de l’égalité entre les citoyens. Ils conserveront du commandement qu’ils exercent le goût du pouvoir et de l’autoritarisme. Que deviendra l’Algérie entre leurs mains ?» C’est à ces chefs liés au peuple et au travail politique des civils que l’Algérie doit d’avoir recouvré son indépendance. C’est également à ces chefs que Ben Bella et Boumediène doivent leur pouvoir. Mais très vite, ils vont leur apparaître comme un obstacle à la construction d’un Etat.
            Chaâbani considérait le Sahara comme sa chasse gardée. Il s’est dressé contre Boumediène pour maintenir son contrôle sur son fief régional et devenir un partenaire dans le partage du gâteau national. Contre le colonel Boumediène, il n’avait aucune chance. L’impunité dont il a bénéficié tout au long de sa carrière lui a fait perdre le sens de la mesure et des rapports de force. Sommé de quitter le commandement de la région saharienne, il refuse d’obéir et oblige l’administration à ne plus reconnaître l’administration centrale. Il ouvrait malgré lui un champ d’action à toutes les forces extérieures hostiles à l’Etat algérien.
             
C’est la raison pour laquelle le journal que je dirigeais, Révolution africaine, a appelé le gouvernement à réagir. La dissidence de Chaâbani s’est produite le 4 juillet et a pris fin le 11 du même mois. Entre ces deux dates, Révolution africaine a publié trois articles ; deux éditoriaux sous ma signature, le troisième intitulé «Les féodalités bureaucratiques» exprimait le point de vue de la direction du FLN ; y était relaté le fond de l’affaire Chaâbani. Celui-ci a été jugé sans garantie de justice par un tribunal militaire les 2 et 3 septembre et la sentence exécutée dès le procès terminé. A cette date, je n’étais plus le directeur de Révolution africaine ; Amar Ouzeggane m’y avait remplacé dès le 29 août. Je ne pouvais, donc écrire, comme l’affirme Chérif Mehdi, un article incendiaire le lendemain de son exécution ! Pourquoi fausse-t-il la chronologie des faits sinon pour valider un mensonge et suggérer que j’étais l’inspirateur de l’exécution de la sentence évacuant la responsabilité des militaires qui l’ont condamné ?
            Drôle de logique que celle qui épargne les militaires membres du tribunal pour incriminer celui qui a refusé la grâce, à savoir le président Ben Bella ! Pourquoi proférer à mon encontre une accusation grave sans citer sa source ? Pour qui roule-t-il et qui protège-t-il ? J’ai interrogé et enregistré le colonel Zbiri sur l’affaire Chaâbani. A aucun moment, il n’a évoqué mon nom. Il savait bien qu’entre la gauche socialiste et le président Ben Bella, le torchon brûlait depuis la fin du congrès du FLN, en avril 1964. En vérité, s’il fallait résumer la substance des luttes qui dominèrent la vie politique après 1962, elles s’ordonneraient presque toutes autour de la conquête du pouvoir, de son exercice et de l’usage qu’il convient qu’en fassent ses détenteurs du moment.
            Mais aussi sur leur identité et leur droit à l’occuper. L’affaire Chaâbani n’a pas dérogé à cette logique, le pouvoir au bout du fusil régissant les rapports entre les candidats à la succession de l’Etat colonial. Elle n’a été qu’un moment dans la dissolution de la faction qui a porté Ben Bella au pouvoir et de l’affirmation de l’autorité du colonel Boumediène sur l’ensemble de l’armée. L’article de Cherif Mehdi participe des usages politiques du passé et n’a rien à voir avec l’histoire. Le recours au passé n’est ni politiquement innocent ni fortuit. Il s’intègre à la campagne en faveur du général Nezzar organisé par le Soir d’Algérie et repose sur une interpellation fondamentale, la sacralisation d’un des chefs de l’armée. Depuis quand une armée s’identifie à ses chefs avant de s’identifier à la nation ? S’agit-il d’une caste ou d’une institution au service du pays ?
La désinformation est une technique vieille comme le monde. Elle vise ici à faire taire un homme qui dérange. On veut faire croire au lecteur qu’aujourd’hui, je dénonce les disparitions, les enlèvements, la torture, alors qu’hier, au cabinet de Ben Bella, j’étais moins regardant.
            Le procédé utilisé à cette fin est ignoble et soulève le problème de l’itinéraire des hommes qui l’utilisent, de leurs idées, de leurs pratiques. Contrairement à toute interpellation honnête d’un acteur politique où on produit, à la fois, le point de vue de l’accusateur et du défendeur, ici, on commence par publier l’article de l’accusateur et par lyncher le défendeur ; en ce sens, les médias ne sont plus un véhicule de l’information mais l’instrument de manipulateurs de l’opinion publique, d’un spectacle qui ne répond qu’à une règle : salir. Dénoncer le fait du prince devient un crime de lèse majesté. Prêtons l’oreille sur ce sujet à Saâd Dahlab, ancien membre du CCE et ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Ben Khedda : «Nous devons (au fait du prince) de voir nos concitoyens constamment s’incliner devant le fait accompli.
            Nous ne discutons jamais les initiatives unilatérales du chef, encore moins ses ordres, même lorsque nous sommes responsables devant la nation. Nous nous contentons d’entériner le fait du prince et même de l’applaudir quel que soit ce que nous pensons.» Ce comportement relève d’une culture politique archaïque encore en vigueur dans certains pays musulmans. Cette culture distingue, en matière d’autorité, le berger et le troupeau. Ce à quoi nous convie Chérif Mehdi, c’est de nous comporter comme un troupeau, de nous confier à un guide et de considérer l’arbitraire comme relevant de la nature des choses. Nous sommes au XXIe siècle. En entrant dans le monde moderne, nous avons acquis la conscience de nos droits et nous avons appris à les revendiquer et à les défendre.
            C’est grâce à cette mentalité nouvelle que nous avons vaincu le colonisateur. Là où la force tient lieu de droit, où les libertés individuelles, notamment la liberté de conscience, sont bafouées, il n’y a pas de place pour le progrès. Ne permettons pas à de mauvais bergers et à leur meddah de nous faire perdre la conscience de nos droits et de nous inculquer, par la répression, la corruption et le conditionnement, l’esprit de soumission. Les droits humains ne sont pas un luxe mais une nécessité politique et sociale, un bouclier efficace contre toutes les formes de domination qu’elles soient le fait de l’étranger ou des nationaux. Devons-nous nous taire sur la pratique de la torture ? Je réponds non. Ceux qui en usent doivent-ils en répondre devant les tribunaux ? Je dis oui.
            La question de la torture et de la violence contre les populations, je l’ai soulevée en 1964 à propos de la Kabylie, lors d’une session du comité central qui a montré, malheureusement, que cette instance était loin d’être mûre pour un tel débat. «Donnez-moi des preuves de torture», a demandé Ben Bella, désorienté. «J’en ai», réplique Saâdaoui de Draâ El Mizan en exhibant un dossier. Lui ravissant la parole, le colonel Boumediène intervient pour dire : «Donnez-moi un autre moyen pour avoir des renseignements» sans manquer de nous traiter de «rêveurs» ! Cherif Mehdi oublie-t-il, dans le procès qu’il m’intente, que de tels propos ont déjà été entendus lors de notre guerre de libération en France et qu’ils ont suscité une vague de protestations des intellectuels libéraux et de gauche ?
            Avaient-ils tort, ces intellectuels, de se dresser contre les méthodes barbares de leur armée dont les chefs les ont accusés de trahir la France et de manquer de patriotisme ? Lorsqu’il dresse un réquisitoire contre le régime du président Ben Bella, l’auteur de l’article en parle comme si lui était extérieur à l’Etat, que l’armée n’en était pas la colonne vertébrale et les militaires l’acteur hégémonique(3). Dois-je lui rappeler que sa conception du devoir en a fait le complice d’un sacrilège, à savoir le recel des cadavres des Colonels Amirouche et Si El Haouès. Un citoyen, conscient de ses droits et de ses devoirs à l’égard de son peuple, n’aurait jamais accepté de couvrir longtemps une telle vilénie. Sauver l’indépendance des menaces qui peuvent faire d’elle un non-événement relève de l’urgence. Mehdi Cherif a participé à trois coups de force : contre le GPRA, contre Ben Bella et contre Boumediène. N’est-il pas temps pour lui, comme pour nous tous, de réfléchir et de nous interroger autrement sur le rôle de l’armée et de sa place dans la nation ?
Renvois
-1) Le professeur Abdelmoumène a été arrêté en même temps que Ahmed Taleb Ibrahimi, Aït Challal et Mohammed Mellah. Abdelmoumène peut témoigner que je n’ai cessé d’intervenir en leur faveur jusqu’à leur libération. A ma connaissance, seul M. Mellah a été torturé par la gendarmerie. Il est significatif que Cherif Mehdi ne cite que les cas des personnalités promises à des carrières à l’ère de Boumediène. Il est également significatif qu’évoquant l’auditoire des manifestations politiques en faveur de Ben Bella, il parle «des foules qui hurlent». Comme dans d’autres révolutions, les plébéiens algériens notabilisés tournent le dos à leurs origines.
-2) J’en citerais trois : a) début novembre 1964, le colonel Tahar Zbiri proteste auprès de moi à propos de jugements que j’aurais tenus sur l’armée. Le lendemain, je suis convoqué par Ben Bella. Selon les services de renseignement, j’aurais dit à un journaliste de Libération que le défilé de l’ANP ressemblait à un défilé de l’armée française. Malheureusement pour les calomniateurs, à la date indiquée par les informateurs, je me trouvais à Constantine muni d’un ordre de mission. A la même date, Estier n’était pas en Algérie ; b) un jour vers minuit, la police de la présidence dirigée par le commissaire Hamadache frappe à ma porte. Un ministre, qui était mon voisin, l’avait avisé qu’une orgie se tenait à mon domicile. On y célébrait le mariage d’un opposant tunisien, Ibrahim Tobbal avec une diplomate algérienne ; c) un autre jour, un des fondateurs de l’association des Oulémas, Cheikh Kheireddine, se présente à mon bureau : «Je viens, me dit-il, d’acquérir une orangeraie pour inviter les amis qui nous ont aidés pendant la guerre. Les autorités veulent me la prendre en vertu de l’annulation des transactions sur les biens vacants. Hier, le colonel Boumediène est venu rompre le jeûne chez moi et m’a assuré que j’étais le seul à pouvoir régler ce problème. Tous les acquéreurs de biens vacants en litige avec l’Etat étaient sciemment orientés vers moi pour me faire endosser des décisions prises ailleurs.»
-3) On disserte beaucoup sur le pouvoir personnel de Ben Bella. Voici quelques preuves du contraire : lors de la préparation du congrès, la commission que le bureau politique a mise en place a rejeté, à plusieurs reprises, la demande faite par le président Ben Bella d’être élu secrétaire général par le congrès et non par le comité central. Cette requête n’a été agréée qu’après accord du chef de l’armée et de ses partisans. Autre fait : la proposition de Ben Bella de créer au FLN une commission militaire pour former politiquement les cadres de l’armée a été contestée par Boumediène, qui a eu gain de cause. Sur cette question, Zbiri, Chaâbani et Boumediène étaient du même côté.
Mohammed Harbi

20 Aout 55, les blessures sont encore béantes

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