vendredi 29 juin 2012

Une soif Américaine...


 Contrairement aux idées reçues, le problème de la gestion des ressources hydriques concerne au plus haut chef, les Etats-Unis d'Amérique...la preuve cette réflexion sur la politique US en la matière...juste pour ne pas avoir soif...autant des pistes pour nos universitaires et nos responsables...

Gestion de l’eau aux États-Unis
La promotion des filières de formation scientifique au travers de projets collaboratifs : exemple du pôle de compétence de l'eau dans le Wisconsin
Afin de soutenir l'innovation dans les domaines de la science et de la technologie, les Etats-Unis développent une politique volontariste pour former et conserver plus d'étudiants diplômés dans les filières des sciences, de la technologie, de l'ingénierie et des mathématiques (STEM).
Selon les recommandations émises par les Conseillers du Président suite aux conclusions d'un rapport national sur la Science et la Technologie intitulé Engage to Excel: Producing One Million Additional College Graduates with Degrees in Science, Technology, Engineering, and Mathematics [1], il faudrait 1 million d'étudiants supplémentaires dans les domaines STEM pour satisfaire les demandes des industriels. D'ici 10 ans, les offres d'emplois devraient croître de 17%, dont 60% pour des postes requérant des diplômes universitaires ou au-delà. Selon ce même rapport, il a été constaté que 50% des étudiants entrant dans une filière STEM ressortaient au plus tard après deux ans et se réorientaient vers des filières non STEM. C'est le maintien de ces étudiants dans ces filières qui représente un véritable enjeu pour l'augmentation du nombre de diplômés.
Au printemps 2011, le Forum de l'Enseignement Supérieur des Entreprises (Business Higher Education Forum (BHEF) - organisation qui regroupe 500 présidents et directeurs de centre de recherche universitaire) a mis en place le projet BHEF STEM pour une plus grande synergie entre les milieux de l'enseignement supérieur et professionnels. Ce projet a pour principal objectif d'accueillir puis de maintenir les élèves dans les filières STEM, notamment les femmes et les minorités ethniques, afin de les amener jusqu'à l'obtention du diplôme.

Dans le cadre de cette initiative, des programmes opérationnels se sont développés au niveau local au travers des états américains. Parmi les derniers projets mis en place, nous allons évoquer un projet développé dans la région du Midwest relatif au développement durable des ressources en eau.
Le BHEF a lancé ce nouveau programme mobilisateur le 11 juin dernier piloté, par l'université du Wisconsin et le Conseil de l'Eau de Milwaukee (Milwaukee Water Council). Ce projet entre dans l'objectif du BHEF pour la diminution de l'écart qui persiste entre les connaissances théoriques transmises au niveau de l'enseignement supérieur et les mises en application dans le milieu professionnel.
Cinq campus universitaires de l'université de Milwaukee participent à ce projet dont l'objectif est de mettre en place un système durable d'utilisation de l'eau sur leur campus. Au travers de ce projet, les étudiants vont pouvoir aborder les problématiques du secteur industriel et mettre en application leurs acquis théoriques dans le cadre de projets concrets.
Nous allons détailler les cinq projets mis en place par ces campus universitaires et interagissant ensemble pour atteindre l'objectif défini :
=> Le premier campus est celui de l'Ecole des Sciences de l'Eau Douce basée à Milwaukee (UW-Milwaukee's School of Freshwater Sciences) et qui est la première école au niveau national délivrant un diplôme dans le domaine des sciences de l'eau douce [2]. L'école travaille à la mise en place d'une initiative dans le domaine de la recherche aquatique pour les étudiants de second cycle. D'autres étudiants venant des institutions de science, technologie, ingénierie et mathématiques de l'université de Milwaukee s'associeront au projet ;
=> Le programme de l'Institut de la Mer basé à Madison (UW-Madison's Sea Grant Institute) : il s'agit d'un programme national basé sur la recherche fondamentale et appliquée, l'éducation, la sensibilisation et le transfert de technologie relatif à la gestion et l'utilisation durable des ressources des Grands Lacs et plus largement des ressources océaniques [3]. En collaboration avec son centre de limnologie, l'Institut va présenter et promouvoir, auprès des étudiants de classe de Terminale et post baccalauréat, les ressources des Grands Lacs et la science océanographique ;
=> L'Ecole Stevens Point (UW-Stevens Point), avec ses 1600 étudiants dans le domaine des ressources naturelles, souhaite augmenter le nombre d'étudiants en filière STEM et leur donner accès à différents laboratoires tels que la Station Environnementale Centrale du Wisconsin (Central Wisconsin Environmental Station), le laboratoire d'analyses environnementales et de l'eau (Water and Environmental Analysis Laboratory), et l'Institut pour les technologies durables (Wisconsin Institute for Sustainable Technology Laboratory) qui travaillent en collaboration avec l'école [4] ;
=> L'université de Wisconsin-Superior, en collaboration avec plusieurs organisations professionnelles, a mis en place un partenariat pour un programme de formation (Partnerships in Education Program) visant à offrir des possibilités d'interaction entre les étudiants et les entreprises locales sur des initiatives centrées sur l'eau [5]. Ce projet se fera en lien avec l'Institut de Recherche du Lac Supérieur (Lake Superior Research Institute) et la Réserve Nationale de Recherche des Estuaires du Lac Supérieur (Lake Superior National Estuarine Research Reserve). Au travers de ce partenariat, des programmes d'études focalisés sur l'eau seront mis en place afin de développer les compétences des étudiants sur les connaissances de base liées à la gestion de l'eau ainsi que la qualité et la conservation de l'eau douce.
=> L'Ecole Whitewater (UW-Whitewater), qui oeuvre dans les domaines du développement durable et reconnue comme l'un des 100 meilleurs lieux d'études du Sud du Wisconsin, participera également à ce projet [6].
Ce projet d'ensemble a pour but, d'une part, de mettre en place un système durable pour la gestion des ressources en eau ; et d'autre part, de familiariser les étudiants au développement d'applications pratiques à partir des concepts théoriques afin qu'ils abordent de manière plus opérationnelle les problématiques diverses liées au secteur industriel local.
Pour en savoir plus, contacts :
- [1] Report to the President - Engage to excel : Producing one million additional college graduates with degrees in Science, Technology, Engineering, and Mathematic - 25/02/2012 - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/gtMoY
- [2] School of Freshwater Sciences -
http://www4.uwm.edu/freshwater/
- [3] University of Wisconsin Sea Grant Institute -
http://www.seagrant.wisc.edu/home/
- [4] Welcome to the College of Natural Resources -
http://www.uwsp.edu/cnr/Pages/default.aspx
- [5] Business and Economics Department - Partnerships in Education -
http://redirectix.bulletins-electroniques.com/g9nQy
- [6] University of Wisconsin-Whitewater -
http://www.uww.edu/campus-info/about-uww

mercredi 27 juin 2012

Harbi a-t-il tué Chaabani?


Attention, cet article c'est de la dynamite...son auteur, ancien SG de l'EMG (Etat Major Général) de l'Armée Algérienne, en principe très bien informé, attaque frontalement l'historien Mohamed Harbi . Il l'accuse d'avoir été l'inspirateur de la cabale qui a abouti à l'exécution du colonel Chaabani par le couple Ahmed Benbella/ Houari Boumediene...l'affirmation est énorme et va certainement provoquer l'un des débats les plus acharnés de ce 50ème anniversaire de l'indépendance...à lire, à méditer...en attendant la réplique qui ne peut tarder de Mohamed Harbi...qui sera au forum d'El Watan sur le 50ème anniversaire ( du 5 au 7 juillet prochain) à coté de Gilbert Meynier, Gilles Manceron, Omar Carlier, Med Hachmaoui, Benjamin Brower, René Galissot, Mathieu Connely, H'mida Ayachi...et tant d'autres historiens, juristes et hommes et femmes de médias...La conférence de cloture "Bilan de la colonisation et de l'indépendance" sera animée par Mohamed Harbi... après cette incursion de l'ancien SG de l'EMG, il va falloir que Harbi se décarcasse sérieusement et sorte enfin de sa réserve afin de nous éclairer en toute sérénité sur cette accusation gravissime...sa crédibilité étant sérieusement mise en cause, il ne pourra pas éluder le débat par une simple pirouette toute Harbienne...j'en connais une tranche puisque jamais l'historien n'a daigné répondre à mes interrogations sur une partie des évènements ayant secoué le Nord Constantinois durant les premiers mois de la guerre d'indépendance...d'autant que son ancrage dans la région d'El Harrouch Skikda (Philippeville) fait de cet historien un observateur appliqué et surtout irremplaçable de par sa connaissance ainsi que ses liens de sang avec de nombreux acteurs du mouvement national...je n'ai pas oublié que lors de la sortie du film de JP Lledo " Algérie, Histoires à ne pas dire" les prises de position de Mohamed Harbi n'ont pas été aussi claires que l'exigeait la situation...sa lecture que j'ai trouvée un peu éculée de l'état d'esprit de la population et de ses liens avec la religion et l'islamisme m'a personnellement choqué au point que j'avais rédigé une mise au point...mais sur l'insistance de quelques amis communs, j'ai du la mettre au frais...on peut lire le texte rédigé par Med Harbi et rapporté par le site de la LDH Toulon:http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article2666

 Voici une copie intégrale de la contribution de Mahdi Chérif dans le Soir d'Algérie du 25 juin 2012. J'ai inséré quelques photos afin de donner au visiteurs de ce blog une lecture aérée...ils en auront bien besoins, eut égard à la gravité des accusations portées par l'auteur à l'encontre de Med Harbi.  Naturellement, dès que ce dernier apportera sa propre interprétation des faits, Boussayar en fera étalage ici.

 Harbi, l'armée et les faussaires de l'histoire
Par Mahdi Cherif,
Moudjahid, ancien secrétaire général de l’EMG de l’ANP
Dans mon écrit paru dans le Soir d’Algérie, le 21 février 2012, concernant l’exécution sommaire du colonel Mohamed Chabani, le 3 septembre 1964 à Oran, j’ai rappelé l’avis déterminant de Mohamed Harbi, lorsque, pendant quelques heures, la vie du jeune colonel a balancé au bout du bon plaisir d’Ahmed Ben Bella.
Mohamed Harbi a mis quatre mois pour imaginer une réponse et trouver les mots pour la formuler ! Surprenante lenteur chez un homme prompt à faire dans les grandes amplitudes dès qu’il s’agit de pontifier sur les médiocrités des Algériens ! Sans doute a-t-il fallu tout ce temps au professeur reconverti dans l’exploitation juteuse des archives de la révolution qui ont été, à un moment de sa vie, opportunément à la portée de sa main pour retrouver la mémoire. Il est difficile, il est vrai, de se souvenir des actes de ses vies antérieures lorsque ce n’est pas la conviction qui trace la cohérence et la linéarité d’un itinéraire. Ou bien a-t-il attendu la disparition d’Ahmed Ben Bella de peur, sans doute, qu’il ne lui dise : «Oui, tu étais là !» Dans un plaidoyer embarrassé, l’ancien Souslov algérien du FLN et conseiller du «Zaïm», reconnaît – je n’en demandais pas tant – qu’il a requis par trois fois contre le jeune colonel. Dans le texte confié à El Watan,le 4 juin 2012, Mohamed Harbi, l’historien qui se souvient de l’histoire des autres, mais qui donne l’impression d’avoir oublié la sienne, refait le procès de Mohamed Chabani. Il rappelle, la prenant ainsi à son compte, la principale – et fausse – accusation formulée contre le chef de la Wilaya VI, et, tout en essayant de nier sa responsabilité par de laborieuses pirouettes, il affirme que ce sont des cercles occultes intéressés à le perdre de réputation qui ont inspiré mon exercice. Dans le présent écrit, je cite mes sources. Elles sont irréfutables. L’inquisiteur impitoyable et sans état d’âme, qui requérait la mort contre les opposants et qui l’obtint maintes fois, déguisé aujourd’hui en fougueux défenseur des droits de l’homme, nous explique lui-même – nous allons le relire – quelle était sa conception des droits de l’homme et de la justice au temps où il était puissant.
«Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens»* 

Relisons ce qu’écrit Harbi : «Sommé de quitter le commandement de la région saharienne, il (Chabani) refuse d’obéir et oblige l’administration à ne plus reconnaître l’administration centrale. Il ouvrait malgré lui un champ d’action à toutes les forces extérieures hostiles à l’Etat algérien, c’est la raison pour laquelle le journal que je dirigeais ( ! ) a appelé le gouvernement à réagir…». Relevons d’abord le «la région saharienne» au lieu de la Wilaya VI, qui ne couvrait qu’une partie du Sahara, avec ce que cela suggère comme dangers potentiels pour l’unité nationale et les richesses énergétiques, et soulignons au passage la pirouette qui fait endosser au journal ses propres décisions. Le révolutionnaire flamboyant, rattrapé par l’histoire, tente de diluer sa responsabilité et de se faire tout petit en se cachant derrière le journal (les appariteurs, les secrétaires, les chauffeurs, les pigistes, les commis aux chiens écrasés et les tâcherons obscurs de la pointe Bic). Glorieuse mise en page du rôle principal qui fut le sien à côté de Ben Bella. Passons, mais retenons au passage le terrible aveu : «Malgré lui» !... Chabani s’est donc retrouvé devant le peloton d’exécution pour un crime qu’il n’a pas commis, mais dont Harbi, cinquante ans après, l’accuse encore. Harbi écrit, écoutons-le bien : « Révolution africaine a publié trois articles, deux éditoriaux sous ma signature, le troisième intitulé, Les féodalités bureaucratiques, exprimait le point de vue de la direction du FLN, y était relaté le fond de l’affaire Chabani. Celui-ci a été jugé sans garantie de justice par un tribunal militaire les 2 et 3 septembre, et la sentence exécutée dès le procès terminé…» Le «sans garantie de justice» donne froid dans le dos. Il a été codifié dans le texte intitulé : «Les féodalités bureaucratiques» publié le 4 juillet 1964, dans Révolution africaine. Le morceau de bravoure explique et justifie la façon d’administrer la justice aux opposants. Il est de la main de Harbi sous le pseudonyme El Harrouchi (Harbi est né à El Harrouch en 1933). Après avoir longuement chargé Chabani et insisté sur la «nécessité» de la peine capitale, Harbi conclut : «(…) Ou la révolution se défend par la violence révolutionnaire ou la révolution hésite et démissionne. ‘’Nous ne sommes pas dans un débat juridique’’. Qui renonce à la violence renonce à la révolution.» Pol Pot n’aurait pas désavoué El Harrouchi. Après avoir lu cela, on peut faire grâce à Harbi des autres appels au meurtre contre les pseudos opposants dont sont remplis les éditoriaux signés par lui. Harbi, dans le puéril jeu de cachecache auquel il s’adonne pour ne pas reconnaître son écrasante responsabilité dans la mort de Chabani (le journal, puis une collégiale et anonyme direction du FLN et enfin Omar Ouzegane), convoque le témoignage de Tahar Zbiri «(…) J’ai interrogé et enregistré le colonel Tahar Zbiri sur l’affaire Chabani. A aucun moment, il n’avait évoqué mon nom (…)» Tahar Zbiri, Harbi devrait le savoir, a gardé la mémoire de ce qui se passait audessus de 1000 m d’altitude. Au ras des pâquerettes, il y avait trop de monde et trop de mochetés. Tahar Zbiri a bien raison de ne pas s’en souvenir. L’exécution de Chabani était voulue et demandée par Harbi, non que ce dernier eut été un être assoiffé de sang, ou qu’il eut un compte personnel à régler avec le chef déchu de la Wilaya VI, mais comme un jalon visible, une démarcation nette entre les tenants de la révolution socialiste, dont il s’était autoproclamé le grand prêtre, et les aspirants au grand burnous. Chabani, «le féodal», était jugé ès qualités, un peu comme les GIA condamnaient, ès qualités, le jeune appelé sans avoir jamais eu à pâtir de ses agissements.
Schizophrénie révolutionnaire 

L’inquisiteur trotskyste, qui avait l’oreille du raïs, avait fulminé contre Chabani non parce que ce dernier s’était rendu coupable de crime de rébellion, mais pour des raisons idéologiques. Mohamed Chabani était aux yeux du quarteron trotskyste, qui sévissait dans la proximité immédiate de Ben Bella, le représentant parfait des féodalités qui menaçaient «la révolution socialiste». C’était une vision dogmatique, froide, consciente, déterminée, mais fausse. Ben Bella, Harbi et leurs proches amis n’avaient rien compris à l’Algérie, pourtant simple, de l’immédiat après le 5 juillet 1962. Ce n’était pas de pseudos féodalités présentes partout, dangereuses et dont «les légions» de Mohamed Chabani auraient été le bras armé qui menaçaient l’Algérie, mais l’incompétence, le brouillamini doctrinaire, l’égocentrisme du dirigeant qui avait conquis le pouvoir par le coup d’Etat contre le GPRA et l’erreur de latitude des clercs gauchistes qui avaient investi la direction du FLN et qui inspiraient sa décision politique. Ce noyau dur et prépondérant était essentiellement constitué par Harbi, chantre de l’égalitarisme par le bas, inquisiteur impitoyable à l’affût d’opposants à abattre, redoutable et sans état d’âme quand il a atteint les hautes sphères du pouvoir et eu en mains le levier d’un journal influent et par Lutfallah Suleiman, le marxiste égyptien sorti tout droit des géôles cairotes par Nasser et envoyé en Algérie auprès de Ben Bella. Les militaires, qui ont condamné à mort Mohamed Chabani, ont eu à gérer, chacun, des rébellions militaires pendant la guerre de Libération, ils les ont résolues sans recourir aux exécutions capitales. Saïd Abid et sa participation efficace à la solution de la sédition du djebel Chaâmbi, Abderrahmane Bensalem confronté au bunker «Hama Loulou» et qui sut le réduire sans mort d’homme, comme il a su ramener à la raison Slimane Laceu de retour d’une mission d’acheminement d’armes, en proie à un accès de rage subite, et qui menaçait de lancer son commando sur «laârab et l’francis» de la Calle à Tamanrasset ! Sans compter une bonne demie-douzaine d’humeurs chagrines qui ont hérissé les crêtes des djebels frontaliers, de 1956 à 1960, d’ires, de dires et de délires. Bensalem et Abid savent que les coups de sang de tel ou tel chef de guerre se concluent toujours à l’avantage de l’autorité centrale et sans effusion de sang, sauf celle de Ali Hambli à l’Est et celle de Zoubir à l’Ouest pour des raisons particulières. La rébellion à laquelle s’est essayé Chabani n’a pas dérogé à la règle générale. Juste une effervescence de quelques jours, à peine un baroud d’honneur. Harbi n’a pas siégé dans le tribunal qui a condamné Chabani mais par ses appels au châtiment suprême à longueur d’éditorial ; il a créé une atmosphère empoisonnée de révolution en péril qui a rendu légitime le recours aux gibets. (Chabani n’a été que le premier des suppliciés de l’ère Ben Bella. Il y en aura d’autres. La liste existe et les témoins se souviennent). Harbi a été objectivement celui qui a facilité la tâche aux deux véritables tueurs de Chabani – Ben Bella et Boumediène – en leur fournissant le prétexte imparable «de l’atteinte à l’intégrité territoriale». Il a donné aux officiers qui ont voté la mort, par soumission à l’ukase, la bonne conscience «du devoir accompli». Harbi, en ce temps-là, je le souligne encore, tenait bien droit la première hampe de l’oriflamme idéologique du régime en se faisant le meddahinspiré du pouvoir des masses, du hammam réservé aux nantis, de la justice révolutionnaire appliquée aux opposants et des milices populaires. La deuxième hampe, l’ordonnance d’application sans laquelle la théorie demeure lettre morte, était tenue, de la façon qu’on sait, par le commissaire Hamadèche. Les solutions mécanistes prônant une justice sociale basée sur l’exclusion et la violence, aveugles devant les véritables défis d’un pays tentant de se relever d’une longue guerre de libération, qui décrètent, par le haut, la stratification en classes et en intérêts de classes d’une société recroquevillée sur des valeurs ancestrales, telles les coutumes et la religion et qui tentent d’imposer une dynamique brutale de changement sans le moindre relais dans cette même société, sont vouées à l’échec. La greffe artificielle, bulbe étranger sur le corps algérien de l’époque, ne pouvait qu’échouer. Ben Bella, tonitruant désert politique, a trouvé dans les théories semi-rigides prônées par des gauchistes pressés matière à meubler son vide. A peine arraché du terreau où il s’était introduit par l’effraction de l’entrisme, le greffon rougeâtre s’est rabougri et desséché. Mais il a eu le temps de marquer son temps et les esprits. Je n’ai nullement l’intention de disserter sur les envolées lyriques des idéologues autistes du début de la décennie 1960 – autant en emporte le vent – et il est hors de question de faire dans l’outrance en tenant Harbi pour seul responsable des copiés-collés qui ont inoculé un increvable virus à l’Algérie. Cinquante ans plus tard, les mimétismes dont certains apprentis marxistes ont été les hérauts, ont érigé, année après année, pierre après pierre, le mur de nos lamentations. Il y a des gâchis dont un pays ne se relève jamais. L’infortuné Mohamed Chabani et les autres opposants suppliciés ont été les premières victimes de l’amour inconsidéré pour le pouvoir et des idées fixes schizophréniques.

Docteur Jekyl et mister Hyde 
Et puis un jour, le 19 juin… Oui, entre-temps le 19 Juin – la fameuse journée des dupes – passa par là, réduisant à leur vraie dimension les prématurés de la couveuse de l’oncle Pablo, à peine barbouillés de barbe à papa et effarés de se retrouver seuls, tragiquement, à l’étroit dans l’espace de leurs incertitudes. Il y a des désillusions plus terribles que la plus étroite des géôles.
Foin de révolution. Sauve qui peut ! Ceux qui ont choisi, une fois un levier de pouvoir en main, les raccourcis de la violence dite «révolutionnaire», confirmant par l’extrême leur vraie nature, connurent pendant quelque temps les culs de basse fosse ; j’étais de ceux que Abdelaziz Zerdani avait quotidiennement harcelés afin que j’agisse auprès de Zbiri pour qu’il obtienne, sinon la clémence pour nos idéologues bien marris, au moins l’adoucissement de leurs conditions de détention. Harbi, une fois que Kasdi Merbah lui eut encadré la poterne de «l’évasion», s’en va, penaud, sans pouvoir cette fois-ci prendre les archives, surtout celles où figurent ses confessions chez la SM. Il changea de registre, abjura sa première communion et entra en éclipse, faisant la preuve par «terre neuve» qu’il n’était apparenté aux authentiques trotskystes que par l’hématome rougeâtre du «kyste». D’autres, en Algérie ou ailleurs, les réalistes qui ont opté pour «un programme minimum» et qui ont su revenir à la charge malgré les incompréhensions, les rejets, les calomnies, les répressions ou les exils, ont fini par gagner le droit à l’existence et à la parole, respectés même par leurs plus féroces contradicteurs. La cohérence dans les idées et le courage face aux épreuves sont toujours payants. L’ancien champion de la réduction des problèmes complexes de l’Algérie en facteurs s’insérant dans une équation simple par la catégorisation et infaillible par la coercition, s’est reconverti, un ton plus bas quand même, dans l’enseignement de l’histoire à ceux qui ne la connaissent pas. Il leur apprit, avec des mots savants, que l’ALN était composée d’ignares et de rustres. La mode aidant, il embrassa la carrière du droit de l’hommisme, celle des gesticulations guerrières du droit d’ingérence fondé sur les mots au sens perverti, usinés dans les ateliers cyniques où travaillent les artisans émérites des «printemps arabes» où, de Damas à Tunis, en passant par le Caire et Tripoli, la mort danse la farandole. Au fond, à bien relire la prose étalée dans El Watan du 4 juin 2012, du spécialiste en histoires tristes de son pays, on découvre que sa seconde préoccupation, après celle qui tend à nier le rôle qui fut le sien dans l’affaire Chabani, est la réaffirmation de ses positions connues sur l’armée algérienne. Pour se ménager encore une fois — motion Elkabbach — les rescousses utiles des grosses pointures de la démocratie appliquée aux autres selon le modèle libyen, il avance qu’il est victime de calomnies destinées à ternir son image par un Mahdi Chérif qui roule pour on ne sait qui. N’est-il pas, lui Harbi, l’homme qui dénonce les atteintes aux droits de l’homme et les crimes de torture ? Il fait feu par les ingrédients qui ont fait, il y a quelque temps, la fortune des concepteurs de l’inusable «qui tue qui ?». Par une embardée acrobatique, il suggère qu’il est victime d’un tir de ricochet provenant de cercles proches du général Nezzar. On veut, à ce qu’il paraît, lui faire payer son noble combat contre la torture. «(…) Le recours au passé n’est ni politiquement innocent ni fortuit. Il s’intègre à la campagne en faveur du général Nezzar organisée par le Soir d’Algérie (…)», affirme Harbi. Merci pour le Soir d’Algérie et merci pour les éminents membres de l’intelligentsia algérienne qui ont soutenu Nezzar, victime d’un guet-apens organisé de main de maître en Suisse. Le pavé en page 2 du Soir d’Algérie, du 5 juin 2012, a la consistance d’un pavé de schiste dense, aiguisé et tranchant. Certaines outrances de langage ne méritent qu’un jet de pierre. L’écrit de Mahdi Chérif, mon écrit, Harbi l’affirme haut et fort, est donc un tir provenant de l’entourage du général Nezzar. On découvre, on s’en doutait un peu – et désormais les choses sont nettes – que Harbi est partie prenante dans les cabales fomentées d’une façon récurrente contre le principal artisan de l’arrêt du processus électoral qui a empêché le FIS d’empocher l’Algérie. Je ne suis pas mandaté pour défendre Khaled Nezzar ; il s’est toujours bien défendu tout seul. Je viens d’écrire tout seul. Je retire. Le 10 mai écoulé, beaucoup d’Algériens ont voté Khaled Nezzar. Le résultat du scrutin a été, d’une certaine manière – je suis de ceux qui l’interprètent ainsi – l’approbation de l’acte nezzarien de janvier 1992. Je viens d’inventer un mot : «nezzarien». Il figurera tôt ou tard dans le lexique. Il est déjà chanté «en Caire». Libre à Harbi de dire, et il le dira sans aucun doute : «Quelle belle solidarité de caste !» Je ne suis pas un proche de Nezzar. Pendant les évènements du 14 décembre 1967, qui m’ont valu les galères, il était d’un côté et j’étais ailleurs. Mais plus tard, lorsque l’Algérie s’est trouvée face aux périls, le sens de l’intérêt national a gommé les divergences et a rapproché les fils de l’ALN autour de l’ANP – leur œuvre commune – mobilisés, toutes générations confondues, pour l’Algérie. J’ai lu l’article de l’excellent Salah Guemriche paru dans le Quotidien d’Oran, le 14 juin 2012. Il avance, à propos de l’absurdité de certains destins, que «tout acte de vigilance citoyenne et toute critique d’un système passé maître en manipulation relève du devoir de tout intellectuel digne de ce nom…». Je souscris pleinement à la sentence et j’insiste, pour ma part, pour écarter toute équivoque, que l’intellectuel doit être à l’avant-garde pour défendre tout simplement l’Etat de droit. Harbi a le droit, et surtout le devoir, de faire campagne pour les droits de l’homme et du citoyen. J’ajoute, en plagiant un tantinet Guemriche (guillemets) : «Mais passer sans état d’âme du lynchage médiatique dont furent victimes d’autres Algériens» au statut de moraliste et de censeur, une fois qu’on a quitté le pouvoir, est assurément une étrange métamorphose. Le lecteur me pardonnera, avant de revenir aux sentiments que nourrissent à l’égard de l’armée algérienne certains intellectuels algériens, in céans ou auto-exilés, de vider d’abord les deux mandats de dépôt que m’a notifiés le procureur Harbi : Les trois coups d’Etat que j’aurais perpétrés et ma complicité dans la rétention des restes des chahids Amirouche et Si El Haoues. Trois coups d’Etat ? Question au docteur Bonatiro : le ridicule peut-il être mesuré à l’échelle de Richter et, si oui, à partir de quel degré peut-il tuer ? Puisque nous sommes dans le registre de l’ironie, autant l’effeuiller jusqu’au bout. Voyons cette variante : le premier coup d’Etat vous a donné le pouvoir, le deuxième vous a empêché de continuer d’en mal user et le troisième devait vous tirer de la mauvaise situation où vous vous êtes mis. Pourquoi donc me reprochez-vous ma charité ? La rétention des restes des deux martyrs ? Harbi tente d’imprimer un effet boomerang à mes révélations et essaye d’ouvrir une polémique malvenue, et surtout indécente, sur un sujet douloureux entre tous. Il en sera pour ses frais. Bic). Saïd Sadi a écrit un livre émouvant et très documenté sur la vie et le parcours patriotique de Amirouche. Saïd Sadi sait très bien qui était Ben Bella, ce qui se passait autour de Ben Bella et qui étaient les conseillers de Ben Bella. Il n’a pas voulu aller dans cette direction par honnêteté intellectuelle lors de ses investigations sur les tenants et les aboutissants de cette affaire. Pas de preuves ! La terrible tache noire de la séquestration des restes n’a pas encore livré tous ses secrets. Nourredine Aït Hamouda et Saïd Sadi savent qui étaient les militaires qui ont découvert les dépouilles, comment ils ont agi et quelles étaient leurs possibilités et leurs limites d’action. Sadi, quoi qu’il ait pu affirmer un jour, ne s’est jamais trompé de peuple.
Le traumatisme originel
Comment peut-on être aveugle quand on ne souffre pas de cécité ? Certains plateaux de télévision outre-Méditerranée ressemblent à des divans de psychanalystes. On découvre alors, au gré des étranges logomachies de la gent intellectualisée conviée pour légitimer les verdicts précieux assénés sur l’Algérie et les prédictions de l’inéluctable chaos qui l’attend, combien on peut être aveugle alors qu’on ne souffre pas de cécité. Question de vision. Les choses apparaissent déformées quand on les regarde à travers l’écran opaque d’une carte de séjour. Je sais, Harbi, au contraire des autres canassons (tiens, encore Nezzar) qui font partie de l’attelage, n’a pas besoin d’officier traitant ou de montrer «patte verte» pour obtenir droit de cité là où il le désire. Ses titres universitaires sont reconnus. La pathologie dont souffre Harbi est d’un autre ordre. Elle remonte à l’époque où il était resté sur le quai quelque part chez lui-même, en lui-même, en orbite autour de lui-même, emmailloté par les fils velus de l’araignée, celle qui se tapit toujours au bord du Rubicon quand il est en crue. Le carrefour des années 1950 était bien périlleux. Harbi a passé sous silence, dans Une vie debout, son grand silence au moment du grand appel. Il salivera toute sa vie sur les états de service de ses compagnons de lycée qui ont eu le courage d’aller au-delà du piémont, d’où ses jugements dévalorisants — c’est le moins qu’on puisse écrire — sur l’ALN. Il y a des non-accomplissements qui minent pour la vie, une vie. Ce sont de vrais traumatismes. Et le mal s’ajoutant au mal, Harbi croisa un jour le chemin du commandant Mendjeli. Avril 1960, l’homme de gauche était venu prêcher, sur la frontière Est, la révolution à ceux qui la faisaient. Son discours, sans points ni virgules, était un mélange de Abane : «Nécessité d’une organisation d’avant-garde liée aux combattants et au peuple et dirigeant le pays de l’intérieur», un peu de Fanon : «Coupure brutale entre les forces vives de la révolution...», et beaucoup de Pablo (alias Michel Raptis qui créa en 1944 le PCI, Parti communiste internationaliste) : «Lutte contre les tendances opportunistes…» Sa leçon fut comprise comme une tentative de tamisage des rangs de la révolution pour ménager les premiers rôles à ceux qui pensaient être les seuls à pouvoir «définir les mots d’ordre et à encadrer l’éducation politique». Les membres de l’état-major général ont remis à sa juste place l’aspirant maître à penser. Venir faire un cours de stratégie appliquée à ceux qui étaient confrontés au réel et qui connaissaient l’état des lieux de la révolution en ces débuts de l’année 1960 (reprise en main difficile de l’ALN après la disqualification du COM, développement des opérations Challe sur les wilayas combattantes, fermeture quasi hermétique des frontières, regroupement massif des populations et mobilisation sans précédent des lobbies ultras en Algérie) était un peu présomptueux. C’était toute la différence entre les faiseurs de révolution en éprouvette aseptisée de laboratoire et ceux qui étaient dans le chaudron en ébullition du terrain. Mendjeli, l’irascible commandant Mendjeli, au revers de la main douloureux, avait dû faire un gros effort pour contrôler les pulsions de sa dextre. Harbi a eu de la chance, l’ulcère de Si Ali était, ce jour-là, en période de somnolence. Dans les Archives de la Révolution algérienne (document n°89, page 410), Harbi donne une version arrangée de l’incident. 

La problématique de l’ANP
Au lendemain de l’indépendance, l’armée échappait au contrôle total de Ben Bella et de son groupe. Houari Boumediène n’était pas convaincu par la politique du soi-disant «pouvoir des masses». C’était pour lui la feuille de vigne qui cachait les attributs impudiques du pouvoir personnel. Face aux réticences de l’opinion et aux oppositions déclarées de ceux qui l’ont aidé à défaire le GPRA, Ben Bella, conseillé par Harbi, imposa la création d’une milice populaire. Mise rapidement sur pied, elle commença à recruter et à recevoir, par bateaux entiers, des armes. Sa mission de gardienne de l’orthodoxie idéologique, telle que définie par Harbi, et de contre-poids militaire à l’ANP était évidente. On connaît la suite. Au cours de la décennie 1990, après son intervention pour briser la dynamique qui conduisait le pays à l’abîme, l’armée algérienne, accusée d’être «un corps conservateur, réactionnaire, prompt à user de violence pour protéger ses intérêts ou ceux des oligarchies dont elle est la garde prétorienne », est devenue l’obstacle qui fait barrage au «printemps » algérien, selon Saint Bernard. Les commanditaires cachés de la déstabilisation de l’ANP activèrent des relais qui se constituèrent en une redoutable coalition : institutions chrétiennes, ONG plus ou moins catholiques, personnalités emblématiques de l’intelligentsia française influencées par des analyses consciemment orientées d’une poignée d’intellectuels aigris et par la peinture de l’apocalypse algérienne racontée par de blanches et innocentes icônes de l’ex-FIS. Pourquoi interpeller les petites mains de la «régression féconde» et autres fariboles ? L’étal des bons apôtres, malgré le fardage et la criée, n’a pas connu d’affluence. Mais lorsqu’il s’agit d’un homme qui se revendique de grands principes et de grandes idées et qui affirme qu’il a toujours eu de l’ambition pour son pays, le mélange des genres est intolérable. Le palier annonciateur de l’escalier étroit, sombre et glissant est souvent bien éclairé. Harbi, tête de liste du parti du chaos algérien annoncé à chaque pleine lune, complice des compassions suspectes envers les tueurs, répercutant dans tous les Sant’Egidio de la planète les sommations à son pays qui ressemblent à des tirs à balles réelles. Vocations affichées et vacations acceptées, mues de mots et mutations de sens. Chemins chaotiques… Fiction ? Simple sujet de philo ? Non, drame pathétique des sorties ratées. Banal et triste destin algérien. Hélas !

La ligne de démarcation
L’armée algérienne a résisté. Nous avons résisté. J’écris le mot «nous» avec une intense émotion. Il y a huit jours, j’ai présidé les travaux du 3e congrès de l’Organisation nationale des retraités de l’ANP. Dans la salle, au gré des interruptions de séances, des groupes se formaient. Parfois, parvenait à mes oreilles un nom. Le nom d’un compagnon mort, assassiné par l’hydre infernale. La minute de silence observée avant l’ouverture, et dédiée aux morts de l’Algérie, est propice à l’émotion et à l’évocation. Des noms… Du général à l’homme de troupe. Tous les niveaux de la hiérarchie. Des morts par milliers. L’armée algérienne est restée debout. Lorsque Harbi interroge, provocateur : «Depuis quand une armée s’identifie à ses chefs avant de s’identifier à la nation ? S’agit-il d’une caste ou d’une institution au service du pays ?» se rend-il compte de la gravité de ses propos ? Vingt ans de résistance et de sacrifices sont réduits à un combat de mercenaires, mobilisés pour les intérêts de quelques parrains. Ce n’est pas Nezzar que Harbi vilipende, ce n’est pas la SM ou le DRS ou une quelconque police politique qu’il cible, Harbi s’attaque à l’ANP en tant qu’institution nationale, rejoignant ainsi les rangs de ceux qui, patiemment, insidieusement, par la sape sournoise de la défense des droits de l’homme, tentent de la découpler de notre peuple pour le réduire à merci. Pendant le fameux procès de Paris que Khaled Nezzar a intenté à ses détracteurs, Harbi est allé encore plus loin dans l’offense : «Tous les peuples du monde ont une armée. En Algérie, l’armée possède un peuple.» Après avoir proféré de telles énormités attentatoires à l’honneur de tous ceux qui ont porté un jour l’uniforme de l’ANP, Harbi peut encore venir commémorer des dates et parler d’histoire. Juste quelques petites précisions avant de revenir à mon sujet. J’ai fait partie du groupe de militaires qui après s’être opposés à la dictature de Ben Bella, se sont insurgés contre la dictature de Boumediène qui l’a remplacée. J’ai souffert des conséquences de mes choix. Je gagne ma vie à la sueur de mon front. Je ne défends aucun privilège et je ne roule pour personne. Je ne défends pas, sous un prétexte grandiloquent, le système qui prévaut en Algérie ou le régime actuel. Les jeunes Algériens ont suffisamment de discernement et de ressort pour imposer, tôt ou tard, les changements que le pays attend. La première pierre qu’ils devront polir et cimenter sera celle d’un véritable Etat de droit. Ils y parviendront s’ils savent imposer le changement sans remettre en cause la stabilité du pays. Aucune évolution positive ne sera menée à terme et rendue pérenne si la colonne vertébrale du pays – l’armée algérienne – est ébranlée. Or, c’est de cela justement dont il est question dans les diatribes récurrentes dont l’armée est l’objet. Dans un monde compliqué régi par la loi du plus fort, dans un contexte géopolitique local perturbé, au moment où des bouleversements inattendus risquent de se produire, l’armée algérienne demeure la garante de notre survie. Le consensus sur cette question est la ligne de démarcation qui sépare la zone d’occupation tenue par ses pourfendeurs, de la zone libre où se placent ceux qui ont une vision nationale des enjeux. 
Pour l’édification de ceux qui espèrent casser le lien qui existe entre l’ANP et le peuple algérien, il est peut-être utile de rappeler cette réalité : l’ANP n’est que la partie visible de la véritable armée algérienne. Je laisse à Harbi le soin de déchiffrer le sens de cette phrase. Un rappel pour l’aider : l’armée algérienne n’a pas été constituée selon le modèle qui a prévalu pour d’autres armées à travers le monde. Elle est née – immédiatement – multiple, le même jour, partout à travers l’immense territoire national. Chaque chaumière du pays profond lui a donné avec un de ses fils, un peu de sa substance. Ainsi elle a été, dès sa venue au monde, authentiquement populaire. Ainsi elle a pu tenir tête à une force qui avait la tradition de la chose militaire, l’expérience d’innombrables champs de bataille et une considérable puissance mécanique. Les conditions de sa venue au jour la marqueront à jamais. Après l’indépendance du pays, au-delà des conjonctures, des péripéties et des erreurs de celui qui a été à sa tête dans les années 1960 et 1970, elle a su préserver l’essentiel : demeurer populaire. Elle a pu le rester grâce au service national et à sa présence aux côtés du peuple dans les grandes épreuves : les tremblements de terre, les inondations, le terrorisme, les froids sibériens ou encore lorsqu’elle a veillé à ce que le dialogue s’instaure entre les Algériens au lieu d’imposer la solution «des bruits de bottes et des gradins des stades». Les Algériens ont de la mémoire. Tôt ou tard l’histoire, lorsqu’elle ne sera plus l’otage de Harbi et de ses amis, reparlera de ce qu’ont accompli dans la discrétion et la modestie ou le panache et la morgue, les hommes qui ont été immenses sur ces champs d’honneur. Leur Histoire, n’en doutons pas, aura les accents de l’épopée.
M. C.
 

samedi 23 juin 2012

Sanglantes pièces à conviction

 C'est très juste que la diplomatie allait jouer un grand rôle...mais ce sont nos souffrances et nos morts qui allaient lui servir de pièces à conviction....et ce dès le premier jour...il fallait que cela soit dit....sans nos luttes, sans nos martyrs, sans notre résistance...nos diplomates auraient été bien embarrassés...ce n'est point un hasard si à la veille de chaque session de l'ONU, le FLN de l'intérieur organisait une insurrection, une grève générale, un attentat, une manifestation...les diplomates ont fait le reste...il suffit de reprendre le fil des évènements et la chronologie des faits pour ne plus accepter que nos souffrances n'aient servie que comme palliatifs...la révolution a été possible parce le peuple a adhéré à l'appel du FLN et surtout qu'il ne voulait plus que le système colonial continue à nous opprimer...on peut effectivement souligner que les actions des militants et de la population ont été admirablement relayées par une diplomatie habile, patriotique et révolutionnaire...

 

 

Extraits du livre de Matthew Connely

«L’arme secrète du FLN»

  El Watan du 23.06.2012 

Un matin de mai 1961, vers dix heures, trois hélicoptères de l’armée suisse survolèrent à basse altitude le lac Léman et franchirent la frontière française.

Une fois sur l’autre rive, ils atterrirent tour à tour en déposant chacun trois passagers. Sous les pales tournoyantes, les hommes fraîchement débarqués lissèrent leurs costumes avant de s’avancer vers les représentants de la France venus les accueillir. Non loin de là, des batteries anti-DCA étaient positionnées le long d’un périmètre défensif, tandis que les routes avoisinantes grouillaient de patrouilles armées et de barrages routiers. Même le lac, sous son aspect pacifique, dissimulait des hommes-grenouille dans ses profondeurs. Ces hommes représentaient le «Gouvernement provisoire de la République algérienne» (le GPRA), bien que celui-ci ne pût réellement prétendre gouverner un quelconque territoire en Algérie.
Tous ses ministres étaient exilés à Tunis ou au Caire, ou emprisonnés dans la forteresse de l’île d’Aix. Ses forces en Algérie étaient tombées à moins de 15.000 hommes, répartis en petits groupes de dix à vingt combattants. Armés simplement de mortiers et de mitrailleuses, les moudjahidine affrontaient une armée d’occupation d’un demi-million d’hommes qui procédait alors à ses premiers essais nucléaires dans le Sahara. (…)
Le rapport inverse entre la supériorité militaire de la France en Algérie et l’affaiblissement progressif de sa position de négociation avec les nationalistes fut, selon l’expression de Jean Lacouture, «le paradoxe absolu» de la guerre d’Algérie. Pour expliquer ce paradoxe, il faut considérer la ténacité et la bravoure des rebelles, des ruelles d’Alger aux villages frontière du Constantinois, qui luttèrent et s’organisèrent pendant plus de sept ans contre une terrible répression. Mais la réponse, et son histoire, se trouvent en fait bien au-delà des frontières de l’Algérie.
Fondé sur une recherche dans les archives et sur des entretiens menés en Europe, en Afrique du Nord et aux États-Unis, ce livre soutient que ce que les Algériens ont appelé «la Révolution» était d’une nature résolument diplomatique, et que ses luttes les plus décisives se sont déroulées sur la scène internationale. Les meilleures armes des Algériens furent des rapports sur les droits de l’homme, des conférences de presse et des congrès de la jeunesse, qui livrèrent bataille sur le front de l’opinion mondiale et des lois internationales, bien plus que sur celui des objectifs militaires conventionnels. Vers la fin du conflit, quand les rebelles ne faisaient plus que de rares tentatives pour ouvrir des brèches dans les fortifications érigées autour de la frontière algérienne, le GPRA avait rallié une majorité contre la France aux Nations-unies, gagné la reconnaissance de conférences internationales, et s’était vu accueillir par 21 coups de canon dans certaines capitales du monde. Ces succès poussèrent les moudjahidine pressés de toutes parts à persister dans leur combat. (…)


La lutte de l’Algérie pour l’indépendance fut aussi une révolution diplomatique au sens plus conventionnel où l’entendent les historiens, puisqu’elle contribua à réorganiser les relations internationales. Là aussi nous voyons un
paradoxe : les tentatives répétées de la France de contenir le conflit eurent pour seul effet de lui assurer des répercussions plus lointaines. Paris fut ainsi conduit à concéder l’indépendance aux protectorats du Maroc et de la Tunisie, et la décolonisation de l’Afrique subsaharienne s’en trouva accélérée. Sa détermination à combattre les soutiens étrangers des rebelles contribua à la crise de Suez et déclencha les événements qui allaient entraîner la chute de la IVe République et le retour du général de Gaulle. Celui-ci commença par retirer les forces françaises de l’OTAN, en partie en représailles contre le refus des États-Unis de soutenir la guerre. Pendant toute cette période, l’Algérie fut le point de ralliement du mouvement des non-alignés et du nationalisme arabe. De fait, c’était la première fois qu’un peuple assujetti, dépourvu de tout moyen de contrôler ne serait-ce qu’une partie du territoire qu’il réclamait pour sien, déclarait son indépendance et obtenait la reconnaissance qui allait rendre cette indépendance possible. (…)

Dans la lutte pour l’opinion mondiale, les deux bords employèrent des propagandistes et cultivèrent la presse et les intellectuels étrangers. L’Algérie étant à certaines périodes la seule guerre ouverte dans le monde, elle était assurée d’un public attentif, d’autant plus que les questions posées – nationalisme arabe, décolonisation de l’Afrique et tensions dans l’Alliance atlantique – étaient toutes en tête de l’agenda international. Paris reconnut très vite que les médias pouvaient maintenir la question algérienne sur cet agenda même si l’armée réduisait le FLN à la clandestinité. La lutte se déroulait dans les studios de radio et de télévision, dans les couloirs de l’ONU et dans les débats universitaires, et les échos s’en faisaient entendre jusqu’au plus haut niveau des États. (…)

L’énorme influence de la guerre d’Algérie s’est poursuivie par le biais des écrits de Frantz Fanon – lui-même diplomate du GPRA – et du film de Gillo Pontecorvo, La Bataille d’Alger. Elle est devenue emblématique d’une révolte plus vaste «contre l’Occident» qui a repris une puissante résonance avec la fin de la guerre froide et la montée des mouvements djihadistes dans le monde musulman. On pourrait penser que ce n’était qu’un des nombreux mouvements anticoloniaux résultant de développements économiques, sociaux et culturels plus profonds, liés à des événements politiques plus vastes comme la Seconde Guerre mondiale et la lutte entre l’URSS et les États-Unis qui s’ensuivit. Mais à cet égard, l’Algérie fut en première ligne, à la crête d’une vague d’anticolonialisme qui commença à enfler dans le Sud-Est asiatique dans les années 1930 pour aller se briser dans les parties les plus méridionales de l’Afrique quarante ans plus tard. En fait, le statut officiel de l’Algérie comme département français et la violence avec laquelle Paris lutta pour la garder en firent une sorte d’anomalie.
Mais l’Algérie était extrême quasiment à tous points de vue, ce qui explique que son histoire continue à attirer l’attention bien au-delà de la France et de l’Afrique du Nord. Elle était extrême dans l’intensité de son expérience coloniale et dans l’aspect destructeur de sa décolonisation. Elle était extrême même dans ce qui la rendait typique : rapide croissance de la population, surexploitation des terres, exode rural, émigration et influence des réformes religieuses – les principaux moteurs du changement révolutionnaire dans l’ensemble du monde colonial.
En outre, des crises marocaines d’avant 1914 jusqu’à l’indépendance de l’Algérie, l’Afrique du Nord fut continuellement secouée par les conflits entre grandes puissances. Pour toutes ces raisons, l’Algérie constituait un cas extrême d’un problème connu : la fragmentation et l’intégration simultanées de la communauté mondiale. La ligne de faille socioéconomique divisant le Nord et le Sud y était plus profonde et plus étroite, et nulle part la pression pour l’intégration économique, politique et culturelle, et l’affrontement qui en résulta ne furent si puissants, provoquant des secousses partout dans le monde. En étudiant cet épicentre du conflit Nord-Sud naissant, nous voyons comment et pourquoi le sol a commencé à bouger sous l’influence de la compétition entre superpuissances, annonçant l’ère de l’après-guerre froide. (…)
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Avec leur faible connaissance de la société algérienne, les observateurs de la métropole recouraient à des explications naturalistes pour des actes de violence apparemment dépourvus de sens : «On a tué pour tuer, tiré pour tirer, brûlé pour brûler», opinait le journal de la SFIO, Le Populaire. L’affirmation récurrente que les rebelles tuaient sans raison laissait entendre qu’il s’agissait d’un comportement instinctif. Ainsi, quand un article sur les mutilations faciales commises par le FLN parut  dans une revue médicale française – repris ensuite par le ministère de l’Intérieur pour une distribution à l’étranger –, il était illustré d’une gravure montrant «les supplices pratiqués en Algérie», tirée d’un ouvrage de 1637, «Histoire de Barbarie et de ses corsaires».
Une autre réédition, dont 500 exemplaires furent envoyés à la délégation française à l’ONU – s’accompagnait d’un article intitulé «Aspects particuliers à la criminalité algérienne», qui précisait que «huit siècles d’anarchie sanglante ont développé des réflexes qui paraissent impensables à des hommes civilisés. Un siècle de présence française n’a pas suffi à les effacer». La revue officielle du ministère de la Défense allait encore plus loin, expliquant que la révolte était particulièrement forte dans les Aurès parce que les populations «y ont conservé la plupart des traits psychologiques et sociologiques qu’elles avaient il y a deux mille ans». (…)
L’idée que la résistance anticoloniale était inspirée par la ferveur islamique était littéralement institutionnalisée. Ainsi, après le début de l’insurrection en Algérie, le Conseil supérieur du renseignement constitua une «Commission sur l’information musulmane» pour traquer tous les signes d’islamisme par le biais d’échanges réguliers d’information et de réunions entre la police, le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), les militaires et plusieurs ministères. De son côté, le cabinet du président du Conseil établit bientôt son propre Bureau central de documentation et d’information, spécifiquement chargé de rassembler des informations «sur les problèmes de l’Afrique du Nord en particulier et de l’islam en général…». Mais la pauvreté et l’inégalité partout présentes dans l’Algérie française ne pouvaient éternellement échapper à l’attention d’un nombre croissant de fonctionnaires, de correspondants et de conscrits qui s’y rendaient. Par leurs récits, le public français apprit que les rebelles n’avaient pas seulement «tué pour tuer», mais avaient de réelles doléances.

Présentation :

Matthew Connely est professeur d’histoire à l’Université de Columbia. Son essai magistral et pertinent, réédité en Algérie par Média-Plus, a paru aux USA puis en France (Payot & Rivages, 2011). Il développe deux idées principales : fondée sur la lutte armée, la Révolution algérienne s’est affirmée et réalisée par la diplomatie et la communication (au point que la conférence de presse du GPRA, lors des accords d’Evian, s’est faite par téléconférence, procédé tout récent !) ; elle a cristallisé et influé grandement sur la recomposition des équilibres géostratégiques mondiaux post Guerre Froide.
«L’arme secrète du FLN», Matthew Connely. Ed. Média-Plus, Constantine, 2012. 512 p. Titre original : «A Diplomatic Revolution, Algeria’s fight for Independence and the Origine of the Post-Cold War Era».

Dans l'enfer de Barberousse, la carré des condamnés à mort

Babouche Saïd : ce martyr oublié de l’histoire de la Révolution

  Un récit poignant d'un jeune condamné à mort durant la guerre d'Algérie...les derniers instants de Zabana, de Farradj, et de tant d'autres combattants...mais aussi le soutien sans limite et très risuqé de la part des avocats, dont l'inépuisable Gisèle Halimi, native de Tunisie et qui défendit avec les tripes les insurgés d'El Alia...elle rencontra le Général de Gaulle pour demander la grâce présidentielle ...qu'elle finira par obtenir...ce qui n'éparnera nullemnt les innocentés qui seront tous massacrés juste après leur remise en liberté...mais revenons au  témoignage du Moudjahid El Djouzy Aomar, paru dans El Watan du 23.06.2012 | 10h00 


 

| © D. R.

A l’aube du 8 avril 1957, un lundi, le huitième jour du mois sacré du Ramadhan, dans la cour d’honneur de cette légendaire prison, naguère appelée Barberousse, tomba la tête du moudjahid Babouche Saïd Ben Mohamed dans le panier de la guillotine.

Un mois auparavant, précisément le 12 mars, je comparaissais devant le sinistre Tribunal militaire des forces armées françaises en Algérie, siégeant au centre-ville d’Alger, à la rue Cavaignac.
Au milieu du rang de soldats qui me présentaient les armes (c’était de  coutume), je me tenais debout, face au commissaire du gouvernement qui me lisait le verdict. «Le tribunal vous condamne à la peine de mort», me déclara-t-il. J’avais dix-neuf ans et un mois. Ensuite, j’ai été invité par le commissaire du gouvernement à formuler une demande d’appel. J’ai consenti à signer la feuille, mais sans aucune conviction quant à une éventuelle révision du procès.
D’ailleurs, huit jours plus tard m’a été notifiée la confirmation du jugement rendu par le tribunal. Il faut dire que pour cette instance judiciaire, les circonstances atténuantes ne figurent pas dans ses registres. La vie que j’avais menée jusqu’à cet âge n’ayant pas été celle d’un enfant gâté, et mon appartenance aux groupes de militants qui activaient pour la cause nationale ont créé en moi une foi inébranlable. Aussi, j’ai sereinement accepté la peine qui m’était infligée. Le lendemain, soit le 13 mars 1957, le quotidien d’Oran, L’Echo, publiait un article dont le titre, assez révélateur du degré de professionnalisme de la presse d’alors, se passe de commentaires : «Le tribunal militaire d’Alger, a condamné hier un terroriste âgé de 14 ans à la peine de mort.»
En fin de matinée, le fourgon cellulaire me ramène à la prison. Au greffe, les formalités d’enregistrement sont vite accomplies. J’enfile la tenue vestimentaire réservée aux condamnés à mort. Signe distinctif : la lettre x de couleur jaune (faite probablement au pinceau) est tracée sur le dos de la jaquette. Les formalités au greffe accomplies, je suis conduit, immédiatement après, les mains menottées, à la geôle n° 3 à l’intérieur de laquelle se trouvaient Babouche Saïd et Si Moh, tous deux anciens maquisards de la région de Kabylie. Leurs âges respectifs approchaient la quarantaine.
Une profonde fatigue
Le visage patibulaire, le regard hagard, parfois d’acier avec sous les yeux de lourdes poches qui reflétaient, manifestement, les signes d’une profonde et longue fatigue, ces deux hommes, résignés à leur sort, guettaient chaque matin, à l’aube, et ce, depuis plus de 15 mois, un quelconque mouvement des gardiens, annonciateur de leur mise à mort. Cette attitude de Babouche et de son ami ne me plaisait guère et je n’ai pas tardé à le leur faire comprendre. Plus tard, j’ai compris qu’ils étaient beaucoup plus méfiants de moi que craintifs. «Qu’a pu faire ce jeune homme pour que la sanction soit si importante», se sont-ils probablement posé comme question à mon propos ? Durant la quatrième semaine de ce même mois, j’ai eu l’agréable surprise d’être appelé au parloir. Je distinguais parmi les gardiens qui s’articulaient dans la sphère du greffe un grand monsieur dont l’impressionnante carrure vous intimide.
Je suis resté pantois à la vue de Maître Braun, l’un des plus renommés avocats de France, qui s’était déplacé de Paris pour me rendre visite. Je n’étais pas simplement honoré de la constitution par «l’organisation» d’un avocat dont les compétences dépassent les frontières même de France, mais surtout du risque que celui-ci a pris en se déplaçant sur Alger, compte tenu de l’attitude des ultras et des menaces qu’ils ne cessaient de proférer à l’encontre d’autres avocats, à l’exemple de Maître Giselle Halimi qui a assuré, à Alger, la défense de jeunes combattants pour l’indépendance de l’Algérie. Dans la soirée de cette fin du mois de mars, le temps était clément. Babouche et Si Moh faisaient leurs ablutions et se préparaient pour la cinquième prière.
J’en profitais pour me lever, coller mon visage au guichet (30 cm/15, ouvert à hauteur de ma tête, sur la partie supérieure de la porte de la cellule), et observer notre ami Mohamed Gacem, un enfant du Clos-Salembier qui occupait cette geôle depuis plus de trois mois. Une serviette sur la tête, très absent de ce qui se passait dans le couloir. Il consumait, songeur, sa cigarette en pensant probablement que c’était la dernière.
Après l’indépendance, l’autorité locale a fait baptiser au nom de Gacem Mohamed un boulevard sur les hauteurs d’Alger. Dans la cellule attenante à celle de Gacem, il y avait Makhlouf Ferradj, le frère cadet de Abdelkader, monté sur l’échafaud le 19 juin 1956, au même moment qu’Ahmed Zabana, dont l’exécution est commémorée chaque année, attitude qu’il est permis de considérer comme discriminatoire, antinomique. Le lendemain matin, au moment de sortir pour la promenade quotidienne dans la cour, il m’informa qu’une douzaine de dossiers de condamnés à mort avaient été envoyés en France pour être soumis au président de la République (à l’époque René Coty), seule autorité habilitée à décider de la mise en application de la décision du tribunal. Bien que la date de ma condamnation n’ait pas été lointaine, mon dossier faisait partie du lot.
La cellule, au bout du couloir, regroupait les quatre inculpés dans l’affaire de l’explosion de la bombe au stade d’El Biar. Parmi eux, Boualem Rahal qui ne me dépassait d’âge que de deux mois. Frêle, il ne pesait certainement pas plus qu’un boxeur de la classe «poids plume». En plus de sa condamnation à la peine capitale, il subissait la sanction que lui avait infligée la direction de l’administration pénitentiaire : le port des entraves (fers) aux pieds, même à l’intérieur de la cellule. En fin d’après-midi du 8 avril 1957, le crépuscule envahissait peu à peu le couloir de la mort. Les rondes ont commencé bien avant que la nuit ne soit totalement franche. C’était la huitième journée du mois sacré, de piété et de sacrifice, le Ramadhan. A l’intérieur de la cellule, Babouche et Si Moh bavardaient de choses et d’autres, des banalités, sans un sujet de discussion précis. Ils ne consommaient pas de tabac. J’ai donc ouvert un paquet de cigarettes et chauffé une tasse de café en brûlant une mèche faite d’un morceau de ma chemise et imbibée de graisse de la gamelle.
En plus de la pesante atmosphère dans le couloir, le quartier a été mis dans un isolement total par l’administration pénitentiaire, qui a fait suspendre, à l’entrée, un grand rideau de couleur bleu foncé. L’endroit était devenu plutôt un mouroir.  Assurément, le condamné à mort n’avait plus la possibilité de distinguer, à partir de sa cellule, de nuit comme de jour, les mouvements que cachait ce rideau. La première ronde commença vers dix-huit heures. C’est Fréna, un pied-noir qui assurait le service en compagnie d’un autre surveillant. Fréna entretenait de bons rapports avec les détenus. Il tentait toujours d’humaniser leurs conditions de détention. Son comportement affectif était très apprécié par la grande partie des prisonniers. Tout au début de sa ronde, Fréna s’arrêta devant la cellule, le visage blafard, il fit pivoter la grosse chaîne attachée à la porte et demanda à Babouche, tout en jetant un regard furtif à l’intérieur, s’il recevait normalement des nouvelles de sa famille.
Il était très rare qu’un gardien de prison se permette, au cours d’une ronde, le soir, une familiarité avec un détenu, de surcroît un condamné à mort. Babouche, dont le séjour dans cette geôle faisait exception (près de deux années) a fini, par la force des choses, par nouer une sorte de relation amicale avec Fréna.
Ce soir là, le teint blême du visage du gardien et les balbutiements de ses lèvres trahissaient un événement que Babouche tente de déceler : «Vous avez doublement vérifié la serrure et la chaîne, avez-vous peur qu’on s’évade, dans ce cas vous pouvez entrer à l’intérieur de la cellule. A part cela, est-ce qu’il y a des préparatifs pour une exécution ?». «Non, répond Fréna, tu peux dormir tranquille». Sur ce, Babouche retourna s’asseoir et continua de consumer sa cigarette, Fréna rejoignit son collègue qui le devançait déjà. Les miaulements d’un chat s’approchaient peu à peu du quartier des condamnés à mort. Vers le milieu de la nuit, alors que les prévenus, dans leur majorité, sommeillaient, on percevait le ronronnement des moteurs de camions, certainement militaires, venus encercler la prison à titre sécuritaire.
événement fatal
On entendait également des bruits, supposés venir de la cour d’honneur, ce qui laissait présager l’assemblage des éléments métalliques de la guillotine. C’était donc la préparation de l’événement fatal pour un ou plusieurs des condamnés à mort. Au début de la seconde ronde, Fréna, dont le regard était larmoyant, s’immobilisa de nouveau mais un peu plus longuement devant la porte de la cellule. «Tu n’es pas encore couché Babouche, tu parais nerveux, pourquoi ?», questionna Fréna. «Je ne suis pas nerveux», répondit Babouche, mais j’aimerais que vous soyez franc avec moi et que vous me dites la vérité sur ce que je soupçonne, une exécution». Babouche ajoute, en murmurant au gardien de façon que je ne l’entende pas : «Vous pouvez me faire la confidence, vous savez que je n’ai aucune peur de cela.».
Pendant ce temps, j’étais allongé sur mon paillasson faisant semblant de lire l’ouvrage que j’avais en main.  D’un ton rauque, Fréna finit par avouer à Babouche : «Je sais que tu as du courage, cela fait si longtemps que tu es là ; mais dis-moi franchement, as-tu toujours ce courage, toi qui as vu défiler de nombreux gars aller vers la guillotine ?». Avant même que Babouche ne donne sa réponse, Fréna le fixa de nouveau d’un regard perçant, une grosse larme sur sa joue. Les lèvres tremblotantes, il lui déclara en tournant sa tête de façon à cacher ses larmes : «Alors, c’est ton tour Babouche, prépare-toi.» Babouche tourne légèrement la tête dans ma direction. Je reprends le livre qui m’était tombé des mains à l’écoute de cette annonce, feignant n’avoir rien entendu.
Un peu plus tard, intervient le changement de brigades de surveillance. Les rondes qui ont suivi corroboraient les préparatifs de la cérémonie, mais on ne pouvait pas deviner qui des condamnés allait monter la marche de l’échafaud. Vers deux heures du matin, Babouche me demande de chauffer un peu de café ; nous avions fait la réserve pour ce mois de Ramadhan. J’enroule un morceau de tissu que j’avais gardé la veille et l’allume après l’avoir trempé dans un liquide huileux. Sirotant le café que je venais de préparer, Babouche ouvrit à son tour le carton où étaient stockées les cigarettes et en alluma une. Peu de temps avant l’aube, instant fatidique, Babouche fit quelques ablutions et commença une prière. Après cela, il s’assied face à moi et enchaîna sur un sujet tout à fait banal ; une façon de détourner mon attention de ce destin qui ne lui accordait encore que quelques instants à vivre. Vu mon jeune âge, Babouche a eu une attitude de sagesse qu’il n’est pas aisé d’oublier. Il n’a pas osé m’alarmer en m’informant de ce qui se préparait. Il avait d’ailleurs compris que j’étais inquiet à la vue du teint livide du visage des surveillants qui assuraient la ronde à cette heure tardive.
Quant à moi, je ne voulais pas lui avouer avoir entendu la nouvelle que lui a communiquée le gardien Fréna. Je continuais donc à bavarder avec Babouche, mais en le dévisageant de temps à autre. Quelquefois, je décelais une métamorphose dans son regard ; un regard glacial mais plein de compassion. La minute qui passait me paraissait très longue. J’essayais constamment d’imaginer ce que ressentait un homme qui se savait aller mourir quelques instants plus tard. Entre-temps, Si Moh qui n’avait pas été mis au courant de l’événement dormait paisiblement, les yeux grands ouverts. Une habitude qu’il a acquise durant les campagnes auxquelles il a pris part dans les maquis. J’étais heureux de rencontrer Babouche Saïd.
Cet homme natif de Mizrana. Mon estime était née d’abord du fait qu’il ait fait partie premiers groupes de maquisards qui activaient dans la région de la Kabylie, et également par respect à son âge et à son humilité, puis à son humanisme et à son courage, et par dessus tout à sa façon de respecter  autrui. A trois heures du matin, soit une heure environ avant l’échéance, Babouche me demanda de lui écrire une lettre à l’adresse de son frère. J’écrivais ce qu’il me dictait. Arrivé au passage où il chargeait son frère de prendre soin de ses enfants, je n’ai pu me contenir et j’ai éclaté en sanglots.  «Mais qu’as-tu Si Omar ?», me dit-il. Difficilement, je me suis ressaisi et essuyé mes larmes. «Je me suis rappelé mes parents», lui ai-je répondu.
Babouche me donna une tape sur l’épaule compatissant à mon inquiétude. Il me prodigua quelques encouragements en me disant : «Si Omar, l’indépendance du pays est pour bientôt, nous ne n’éterniserons pas dans cette prison. Les actions armées de fidayine ont commencé dans la partie Ouest du territoire.» J’ai achevé la lettre en constatant cette fois encore que le teint du visage de Babouche avait changé. Il y avait quelque chose que je n’arrivais pas à discerner, mais qui avait un lien avec ce qu’observait Babouche. Il s’était rendu compte que dans l’allée de l’étage au-dessus où étaient incarcérés des prévenus, les gardiens marchaient sur la pointe des pieds, ce qui était tout à fait significatif. Sans faire de bruit, ils procédaient doucement à la fermeture du guichet de leur cellule. Babouche avait compris que l’heure était finalement arrivée. Cinq minutes ne s’étaient pas écoulées quand la lumière s’éteignit, jetant la prison dans une totale obscurité.
A cet instant précis, les autres détenus, dans les salles, entamaient une véritable manifestation dont les échos atteignaient les quartiers des profondeurs de La Casbah : «Assassins, criminels, tahya El Djazaïr», hurlaient ces prisonniers avec tous les slogans qui leur passaient par la tête. Une minute après, le rideau bleu foncé suspendu à l’entrée du couloir s’ouvrit, un groupe de gardiens émerge et s’avance rapidement vers notre cellule, des torches allumées aux mains. Voyant le groupe arriver presque à hauteur de la cellule, Babouche se tourne vers moi et Si Moh qui s’était réveillé, nous tranquillise, en nous déclarant que c’était lui que les gardiens venaient chercher. Accompagnés de quelques-uns de leurs responsables, les gardiens s’empressent d’ouvrir la porte de la cellule, illuminent le visage de Babouche et s’apprêtent à l’empoigner. «Ne me touchez pas, je sais marcher tout seul», leur dit-il.
Ensuite, il s’avance vers nous, nous étreint fortement un par un, le visage en larmes, «Soyez courageux, n’oubliez pas votre serment et transmettez le message, il servira aux générations à venir», nous dit-il. Il franchit vaillamment le pas de la porte et commence à marcher, entouré des gardiens, en direction du bourreau. Au milieu de deux gardiens, son compagnon d’armes, Mansri Amar, suivait le même chemin, les mains enchaînées. Arezki Louni faisait également partie du groupe sélectionné pour la décapitation.
Nos larmes n’ont cessé de couler que longtemps après l’achèvement de l’exécution et le retour au calme à l’intérieur de la prison. Nous continuions à répéter l’adieu à ce valeureux combattant, l’adieu à ce grand frère qui a sacrifié sa vie pour que vive l’Algérie, une Algérie souveraine, sereine et prospère, pas celle que nous connaissons aujourd’hui.

El Djouzi Aomar: un compagnon de cellule

mercredi 20 juin 2012

La repentance, ce faux-fuyant ...

Grotte de Nekmaria ou Ghar El Frachih
Rien de plus juste...rien de plus raisonnable...rien de plus insupportable...surtout que nos tortionnaires se taisent à jamais...moi meme je n'ai nullement envie d'entendre leurs implorations, parce que je sais qu'elles seront hypocrites...et dénuées de sincérité et de courage...les massacres auxquels j'ai été confrontés ne seront jamais pardonnés parce qu'ils l'ont été de sang froid et dans un pur et stupide esprit de vengeance...contre une famille insoumise et qui a toujours refusé le fait colonial...la France impériale nous a tout pris jusqu'à notre fierté...alors je la rappelle à son devoir de décence...la repentance n'étant qu'un faux fuyant...167 ans après les enfumades de Nekmaria -19 et 20 juin 1845-
voici un lourd papier de mon compatriote Brahim Senouci, un document à verser dans le jardin de nos souffrances:
 

Algérie-France, pardonner ou non ? Brahim Senouci

 
Algérie-France, pardonner ou non ?
 
En 2008, la médaille de l’Ordre du Mérite de la République fédérale d’Allemagne est attribuée à cinq personnalités françaises, à l’occasion du 45èmeanniversaire de la signature du traité de l’Elysée, acte fondateur de l’amitié franco-allemande. L’une de ces personnalités la refuse. Il s’agit de Marc Ferro, historien français de renom.
Marc Ferro avait œuvré pourtant pour cette entente, notamment par la célèbre émission télévisée qu’il anima sur Arte pendant une douzaine d’années, Histoire parallèle. Dans la lettre qu’il adressa à la chancellerie allemande, il exprime sa reconnaissance pour la distinction qui lui est offerte et l’impossibilité de l’accepter, en tant que fils d’une mère déportée au camp de Buchenwald dont elle n’est pas revenue. Assumer cet honneur sur ma poitrine me serait insupportable. Je n’ai jamais fait mon deuil de mon être chéri, déclara-t-il. L’ambassadeur allemand accueillit cette attitude avec compréhension et respect. En France, l’opinion manifeste la même attitude bienveillante.
Primo Levi, écrivain juif italien, rescapé du camp d’Auschwitz, est mort à Turin en 1987. Le médecin légiste avait conclu à un suicide. Cette thèse est d’autant plus plausible que Levi ne s’était jamais remis de sa déportation. Il la raconte dans un livre très célèbre, Si j’étais un homme. On lui a souvent demandé s’il avait pardonné aux Allemands. Sa réponse était ambiguë. Il déclare que le pardon est impossible parce que le repentir n’est pas sincère. Il dissocie dans un premier temps les coupables du peuple allemand qu’il innocente du crime. Mais c’est pour ajouter que ce même peuple ne pouvait pas ignorer l’existence des camps et donc qu’il doit assumer une part de la culpabilité. Primo Levi bénéficie du respect universel, non seulement en Italie mais dans toute l’Europe, Allemagne comprise.
Vladimir Jankélévitch, philosophe et musicologue juif d’origine russe, a une attitude beaucoup plus tranchée. Il refuse totalement le pardon et renonce à ouvrir un livre ou une partition allemande et s’abstient de parler la langue allemande dans laquelle il excelle… Il explique son attitude par l’abomination des camps. Il insiste sur ce qui fait l’originalité selon lui du génocide juif, la normalité de l’horreur. Il parle des orchestres qui jouaient Schubert pendant les séances de pendaison et l’absence de haine chez les SS qui pratiquaient la torture. Ainsi, ce massacre n’était pas commis sous l’empire de la colère mais organisé de manière froide, réfléchie. Contrairement à Primo Levi, il déclare coupable le peuple allemand dans son ensemble, puisqu’il a porté au pouvoir Hitler, qu’il l’a plébiscité avec enthousiasme comme en témoignent "les affreux hurlements des congrès de Nuremberg". Enfin et surtout, il trouve insupportable "l’absence de culpabilité du peuple allemand dans son ensemble qui jouit tranquillement du plan Marshall sans la moindre gêne". Là, ses déclarations deviennent véritablement haineuses. Il cite ainsi un rescapé d’Auschwitz : On nous reprochera de comparer ces malfaiteurs à des chiens ? Je l’avoue en effet : "la comparaison est injurieuse pour les chiens. Des chiens n’auraient pas inventé les fours crématoires, ni pensé à faire des piqûres de phénol dans le cœur des petits enfants…". Et Jankélévitch d’ajouter : "Le pardon ! Mais nous ont-ils jamais demandé pardon ? C’est la détresse et c’est la déréliction du coupable qui seules donneraient un sens et une raison d’être au pardon. Quand le coupable est gras, bien nourri, prospère, enrichi par le miracle économique, le pardon est une sinistre plaisanterie. Non, le pardon n’est pas fait pour les porcs et pour leurs truie". Il conclut par une sentence sans appel : "le pardon est mort dans les camps de la mort".
Tout comme Primo Levi et Marc Ferro, Jankélévitch bénéficie du respect et de la considération de toute l’Europe. En dehors de quelques voix bien timides, personne ne s’est avisé de lui tenir rigueur de ses propos.
Jankélévitch n’ignorait pas que des massacres ou des tortures étaient pratiqués à grande échelle sur des populations jugées "inférieures". Il citait en particulier le cas du colonialisme. Il établissait toutefois un distinguo entre le massacre des juifs et la situation des peuples colonisés. Le premier avait un caractère "ontologique". Le Juif était assassiné parce que juif. Les peuples colonisés étaient voués par leurs maîtres à les servir. Leur disparition n’était donc pas programmée. Les exactions dont ils étaient l’objet n’avaient pour but, pour le colonisateur, que de s’assurer de leur soumission. Cela rendait, selon Jankélévitch, l’horreur coloniale moins inhumaine que la Shoah.
Pierre-Vidal Naquet, historien français, a écrit plusieurs ouvrages sur la colonisation, en particulier sur les actes de torture et d’assassinats commis en son nom. Un livre, ou plutôt un dossier a paru aux éditions Maspéro en 1975. Il s’intitule « Les crimes de l’armée française, Algérie 1954-1962 ». Il s’agit d’un recueil de témoignages de soldats français. Il dit l’horreur dans sa nudité. En voici quelques exemples :
De Jacques Chégaray,  paru dans Témoignage chrétien, le 29 juillet 1949:
Dans un petit poste à Cholon, il voit quelque chose comme un crâne humain sur le bureau d'un adjudant "jovial et sympathique".
« - Ce n'est pas un vrai ..., demandais-je.
- Quoi? ce crâne! Mais si bien sûr. Un sale Viet, vous savez, c'est moi qui lui ai coupé la tête. Il criait... il fallait l'entendre! Vous voyez, ça me sert de presse-papier. Mais quelle affaire pour enlever la chair. Je l'ai fait bouillir quatre heures; après j'ai gratté avec mon couteau ... »
Quinze jours plus tard à Phul-Cong au Tonkin. Un jeune officier français lui fait visiter le PC de la compagnie :
« Ici, [...], c'est mon bureau. Table, machine à écrire, lavabo et là, dans le coin, la machine à faire parler. »
Comme j'ai l'air de mal comprendre, il ajoute :
- Oui, la dynamo, quoi! C'est bien commode pour l'interrogatoire des prisonniers. Le contact, le pôle positif et le négatif; on tourne et le prisonnier crache. »
Chégaray ajoute : "On pourrait multiplier à plaisir les faits de cet ordre. [...] Ce qui m'a frappé dans cette torture, c'est qu'elle est admise, reconnue, et que nul ne s'en formalise. Dans les trois cas cités plus tôt, je me suis présenté comme "journaliste de France". [...] Mais, chaque fois, on m'a présenté la chose comme normale, si normale, qu'on ne songeait jamais à la cacher. "
Un colonel qu'il interroge au sujet de la torture, la justifie par les cruautés des "Nha-Qués" (terme péjoratif pour désigner les Vietnamiens) et formule le raisonnement qui permettra à "notre pays civilisé" de commettre toutes les horreurs :
"Et puis vous savez, dans les combats de guérilla, l'importance des renseignements. Un prisonnier qui avoue l'endroit précis où il a caché une mine piégée, c'est la vie de dix gars de chez nous qui est sauvée. Il faut y songer. [...] La vie de dix jeunes français ne vaut-elle pas une heure d'interrogatoire?"
L’Algérie à présent…                       
Ecoutons Robert Bonnaud (Les Temps Modernes, septembre 1957) :
À Chéria, dans les postes du G.M.P.R.(Groupe Mobile de Protection Rurale), un suspect, ligoté, couché dans la poussière, en plein midi, au soleil de juillet. Il est nu, enduit de confiture. Les mouches bourdonnent, jettent des éclairs verts et dorés, s’agitent voracement sur la chair offerte. Les yeux fous disent la souffrance. Le sous-officier européen en a marre ! « S’il n’a pas parlé dans une heure, je vais chercher un essaim d’abeilles. »
À Guentis, quatre gendarmes tiennent garnison avec nous. Ils occupent un gourbi de l’ancien hameau et y interrogent les suspects cueillis dans la montagne. Peu de temps après notre arrivée, un gendarme rend visite à l’électricien de la compagnie, lui demande deux morceaux de fil téléphonique. Le camarade propose de faire la réparation lui-même et, intrigué par le refus du gendarme, le suit, assiste à l’interrogatoire, revient horrifié. Le suspect est ligoté sur une table avec des chaînes, garnies de chiffons mouillés, auxquelles on fixe les électrodes. Un gendarme tourne la manivelle du téléphone de campagne ; il fait varier l’intensité de la décharge en changeant le rythme de son mouvement ; il sait que les variations d’intensité sont particulièrement douloureuses ; il raffine, il fignole, il est à son affaire. Le supplicié hurle, se tord dans ses liens, a des soubresauts de pantin burlesque, des convulsions désespérées d’agonisant. « Tu parleras, salopard ? tu parleras ? »
Les électrodes se fixent aussi bien aux tempes, sous la langue, au sexe ou à toute autre partie sensible du corps humain. Des piles ou une génératrice peuvent remplacer la dynamo du téléphone. Le supplice ne laisse pratiquement aucune trace. Il procure à ceux qui y assistent sans préjugés moraux un plaisir d’ordre sexuel d’une qualité rare.
La France a-t-elle encore des préjugés moraux ? Les gendarmes de Guentis en avaient-ils ? Entre les siestes, les parties de bridge, les lectures érotico-policières, les tournées d’anisette au Foyer, les repas chargés et les discussions vantardes, ils exerçaient la surabondante énergie de leurs grands corps adipeux sur les minables constitutions des fellahs sous-alimentés du canton.
Je me souviens du jour où la compagnie, d’une patrouille matinale ramena deux Algériens, rencontrés dans la steppe, que le capitaine, je ne sais pourquoi, avait trouvés suspects. Ils s’en occupèrent aussitôt, sans même prendre la peine de préparer "l’électricité". Poings velus armés de lourdes chevalières, avant-bras charnus, pieds chaussés de pataugas : ils visaient le bas-ventre, le foie, l’estomac, le visage. Quand le sang coula, quand le sol du gourbi en fut trempé, les malheureux, agenouillés, durent lécher le terrible mélange de leur propre terre et de leur propre substance. C’est dans cette position qu’ils reçurent, pour terminer (les tortionnaires étaient en nage) un grand coup de pied en pleine figure. On leur fit pendant une heure encore, déplacer d’énormes pierres, sans autre but que de les épuiser et d’aggraver les saignements. Et le soir même ils furent libérés.
Histoire absurde, sadisme gratuit ? Non. Dans ce pays, l’énorme majorité des suspects, et aussi de ceux qui ne le sont pas, aident réellement les patriotes, ne serait-ce que par leur silence. On ne court pas grand risque, par des tortures ou des brimades intempestives, de se mettre à dos la population : le peuple algérien a perdu confiance en notre faux libéralisme et nos promesses menteuses.
Les gendarmes de Guentis, comme tous les pacificateurs de quelque expérience, partaient du point de vue qu’on ne saurait être Algérien innocemment. Le déchaînement de brutalité perverse dont ils nous donnaient l’exemple, exemple parfois suivi hélas, dérivait de cette constatation élémentaire, de l’exaspération aussi et du sentiment d’impuissance.
Il faut savoir ce que l’on veut. Le maintien de notre domination a exigé, exige, exigera des tortures de plus en plus épouvantables, des exactions de plus en plus générales, des tueries de plus en plus indistinctes. Il n’y a pas d’Algérien innocent du désir de dignité humaine, du désir d’émancipation collective, du désir de liberté nationale. Il n’y a pas de suspect arrêté à tort et torturé par erreur. Ces deux Algériens de Guentis dont je parlais tout à l’heure, tellement silencieux et tellement pitoyables avec leur démarche chancelante, leur visage ensanglanté, leur accoutrement bizarre (l’un portait un sarouel rouge vif que nos yeux perçurent longtemps dans le poudroiement jaune de la steppe), ces deux misérables devaient bien avoir quelque relation avec les patriotes des djebels, puisque, la nuit qui suivit leur aventure, le bordj fut harcelé par le tir des Statti, sanction habituelle de nos écarts de conduite.
Dans ces conditions, les mieux intentionnés et les plus naïvement pacificateurs glissent très vite sur la pente de l’immoralisme répressif. J’ai vu des officiers s’initier au tabassage et, empruntés au début, devenir d’excellents auxiliaires ès tortures ; d’autres, qui en avaient déjà le goût, comme ce forcené, lieutenant du Bataillon de Corée, qui commanda quelque temps une compagnie en poste dans la montagne, se réserver l’interrogatoire des suspects, c’est-à-dire des Algériens quelconques, parfaitement en règle souvent, rencontrés au hasard des patrouilles. J’ai vu des soldats, saisis d’émulation, encouragés par les gendarmes, frapper eux aussi, garder trois jours la main enflée, recommencer à la première occasion.
Et qui s’étonnait à Chéria de la baignoire du G.M.P.R. dans laquelle on mettait d’abord le suspect, ensuite l’électricité ? Qui s’étonnait des ongles arrachés et du gonflage à l’eau ? Qui ignorait qu’à Tébessa, dans les salles de police où on interrogeait, les portes étaient, vers le bas, d’une étrange tonalité grenat sombre, parce que, la peinture partie, le sang des malheureux avait imprégné le bois, ineffaçablement ?
Que les victimes de ces horreurs soient favorables aux rebelles, que les rebelles tuent et supplicient éventuellement des civils français, est-ce une bonne raison ? Car précisément celui qui a commencé, celui qui a imposé à l’Algérie cette guerre civile, celui qui le premier a torturé et massacré des non-combattants, qui est-ce, sinon l’envahisseur colonial, sinon le mainteneur de l’ordre colonial ?
C’est une chose atroce de tuer nuitamment la famille d’un fermier de la Mitidja, ou de mitrailler la foule des promeneurs dominicaux dans une rue de Bône. Mais c’est une chose incommensurablement plus atroce de fonder sur des dizaines de milliers de cadavres périodiquement rafraîchis un régime d’abjection que huit millions d’Africains vomissent. La majorité africaine ou ses défenseurs emploient depuis 1954 les procédés de la terreur de masse contre la minorité européenne. Mais il est bon de se souvenir que depuis 1830 les procédés de la terreur de masse sont employés par la minorité européenne et ses défenseurs contre la majorité africaine. Priorité dans l’horreur. "Que messieurs les terroristes européens commencent. "Commencent à sacrifier des privilèges qui n’ont pu s’établir et ne sont protégés que par des bains de sang épisodiques et une oppression permanente.
Il y a dans le livre de Pierre-Vidal Naquet plusieurs témoignages plus atroces que celui qui précède. Le plus horrible est l’indifférence qui préside à ces crimes, comme celle de cet officier qui avait coutume de tirer une balle dans le foie, de laisser le sang couler lentement avant d’égorger non moins lentement ses victimes. Cette indifférence renvoie à celle des généraux et des maréchaux qui emmuraient, enfumaient, brûlaient des femmes, des enfants et des hommes par milliers...
Le distinguo de Jankélévitch n’est pas pertinent en ce qui concerne la situation faite aux Algériens. On les massacrait d’abord parce qu’ils étaient Algériens. Il n’y a pas d’images des massacres du début de la conquête de l’Algérie. Il y en a quelques-unes en revanche de mai 1945 par exemple. On voit ainsi des soldats intimant l’ordre à des bergers de quitter leurs tentes et les abattre sans autre forme de procès. L’attitude de ces soldats, sous les auspices des gouvernements et le silence du peuple de France de l’époque, renvoie tout à fait à l’entreprise qui a eu cours dans les camps de la mort allemands.
Il y a une différence de taille. L’Allemagne a demandé pardon, ne cesse de demander pardon. Elle a totalement assumé son héritage. Même si Jankélévitch, Ferro ou Levi jugent cette demande hypocrite, elle n’en existe pas moins. Il est remarquable qu’en dépit de son attitude, beaucoup de gens, en France notamment, à l’image de ces trois personnalités, lui refusent le pardon. Il est surtout remarquable que la société française dans son ensemble juge ce refus respectable.
A contrario, quand il s’agit de l’Algérie, entre tentative de révisionnisme tendant à faire passer la parenthèse coloniale comme une œuvre positive, amnistie des tortionnaires, glorification des Bigeard…, la demande de pardon n’est pas de mise. C’est tout juste si on concède une certaine violence de l’armée coloniale, tout de suite expliquée par "la violence terroriste" des rebelles. En somme, ce qu’on demande au peuple algérien, c’est une réconciliation fondée sur un mensonge. Ceux qui la refusent sont accusés d’être des messagers de la haine et du ressentiment.
Marc Ferro n’a pas pu enterrer sa mère. Il ne sait même pas si elle a eu une sépulture. 70 ans plus tard, il ne peut se résoudre à l’oublier. Des dizaines de milliers d’Algériens ont été ainsi massacrés, jetés dans des fosses communes, précipités dans les gouffres qui environnent les villes de Sétif, Guelma et Kherrata. Les descendants de ces victimes n’ont-ils pas droit au même respect que celui manifesté à l’égard de Marc Ferro ? Non ? Parce qu’Algériennes, donc inférieures ?
La question même de la réconciliation n’est pas envisageable tant que la demande de pardon ne sera pas exprimée. La mémoire des morts sans sépulture exige le respect de cette clause !

20 Aout 55, les blessures sont encore béantes

  Propos sur le 20 Aout 1955 à Philippeville/Skikda  Tout a commencé par une publication de Fadhela Morsly, dont le père était à l’époqu...