Voici une excellente contribution du chercheur anticolonialiste et néanmoins historien " contesté par la bien pensance hexagonale et Algérianiste" mon ami Olivier Le Cour Grandmaison que l'Algérie patriotique accueille régulièrement. Dans cette contribution parue chez Médiapart, O. Le Cour Grandmaison rappelle ce qu'est devenu le droit d'asile au pays "des droits de l'homme et du citoyen", donnant une cinglante réplique à Bernard Cazeneuve, le petit Pasqua socialiste...
Droit d’asile et République: mythologie et propagande
Lundi 1er décembre
2014. Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, qui a beaucoup à
se faire pardonner depuis la mort de Rémi Fraisse, publie dans le
journal Libération une tribune pour défendre une « réforme ambitieuse de l’asile »
conforme, selon lui, à la tradition et aux valeurs républicaines. Pour
illustrer cette proposition générale par des exemples précis et flatter
tout à la fois sa faible majorité à l’Assemblée nationale et un
électorat socialiste qui, élections après élections, se dérobe toujours
plus, le ministre brosse le tableau avantageux d’une France depuis
longtemps terre d’accueil ; celle-là même qu’il prétend défendre grâce
au projet de loi présenté par le gouvernement. « Patriotes italiens et
polonais », « Arméniens, juifs persécutés, résistants antifascistes et
républicains espagnols » en témoignent pendant l’entre-deux-guerres.
Relativement à ces derniers, c’est ignorer l’histoire et le sort indigne
qui leur fut réservé par les autorités de la Troisième République.
Le 12 novembre 1938, en effet, le gouvernement Daladier adopte un décret-loi applicable aux étrangers résidant sur le territoire français. Elaboré par le ministre de l’Intérieur, le très radical-socialiste Albert Sarraut, ce texte invoque classiquement les impératifs de la « sécurité nationale » et ceux de la « protection de l’ordre public » pour justifier le placement « dans des centres spécialisés » des allochtones jugés « indésirables » alors qu’ils n’ont commis aucune infraction. D’origine coloniale, l’internement administratif, appliqué aux « indigènes » des possessions françaises, est ainsi importé dans la législation métropolitaine. Depuis longtemps déjà, des spécialistes de l’immigration mettaient en garde les pouvoirs publics contre la présence de nombreux ressortissants étrangers perçus comme la cause de maux multiples susceptibles de porter atteinte « à la raison, à l’esprit de finesse, à la prudence et au sens de la mesure qui caractérisent le Français. » Qui est l’auteur de ces lignes écrites en 1932 ? Un plumitif marginal qui s’exprimerait dans une obscure publication de l’époque à laquelle nous accorderions une importance démesurée ? Non. Il s’agit de Georges Mauco dans la thèse qu’il a soutenue en la prestigieuse Sorbonne avant d’être nommé secrétaire général du Comité français de la population puis d’exercer les fonctions de sous-secrétaire d’Etat chargé des services de l’immigration et des étrangers au début de l’année 1938. Belle consécration assurément pour celui qui, en quelques années, est devenu un expert connu et reconnu. Commune xénophobie aussi partagée alors par de nombreux contemporains et responsables politiques. En février 1939, les premières victimes de ces dispositions sont les 350 000 républicains espagnols qui, fuyant les troupes du général Franco, ont gagné la France où ils sont internés dans les camps de Saint-Cyprien, d’Argelès et de Gurs, notamment.
Quant aux Syriens aujourd’hui accueillis et qui témoigneraient de la « générosité de la France », selon Bernard Cazeneuve, rappelons quelques chiffres propres à répondre à ce mensonge par omission. Où se trouvent les trois millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont fui les ravages matériels et humains de la guerre civile, les crimes de Daech et ceux commis par les séides du dictateur Bachar el-Assad ? Dans les riches pays d’Europe ? Là où les conditions de la protection sociale seraient autant de « pompes aspirantes favorisant une immigration incontrôlée » et « l’engorgement de notre système d’asile » ainsi que le répètent les responsables de l’UMP et du Front national qui, sur ces sujets, parlent un langage commun ? Non dans les Etats limitrophes puisque ces réfugiés sont plus d’un million au Liban, soit près d’un cinquième de la population totale, 600 000 en Jordanie, 815 000 en Turquie et 100 000 en Irak. D’après le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), ils ne sont que 112 170 dans l’U.E et ils résident principalement dans cinq pays – la Suède, l’Allemagne, la Bulgarie, la Suisse et les Pays-Bas - qui ont reçu 70% d’entre eux. De plus, l’Allemagne a accepté de recevoir 10 000 syriens à titre humanitaire et la Suède 8000 où ils se sont vu accorder une carte de séjour permanente puisque le « conflit »est « appelé à durer un temps indéterminé » a déclaré Anders Danielsson, le directeur de l’Office de l’immigration. Et la glorieuse France, dirigée par un président et un gouvernement socialistes ? Elle n’en a accepté que 500 soit 0,02% du nombre total de personnes ayant quitté la Syrie. Tant de générosité laisse pantois, en effet.
Au-delà des formules ronflantes et des éléments de langage mobilisés par le ministre et ses conseillers pour entretenir le mythe d’un pays fidèle au triptyque républicain et pour défendre un projet de loi prétendument audacieux, prospèrent une pusillanimité réformatrice et une interprétation très restrictive de la Convention de Genève sur les réfugiés. A preuve, le taux de rejet des demandes d’asile par l’OFPRA est de 87% au deuxième semestre 2013 alors qu’il s’établit à 67% en Allemagne, 64% en au Royaume-Uni et 51% en Suède (Source Eurostat). Pis, de dangereuses concessions ont été faites aux droites parlementaires. En témoigne l’instauration d’un juge unique pour accélérer l’examen de certains dossiers, entre autres ceux déposés par des requérants originaires de pays considérés comme sûrs par les autorités françaises. Au principe de cette nouvelle disposition : une opinion partagée par de nombreux responsables politiques, la lenteur et le laxisme supposés des formations collégiales de jugement à la Cour nationale du droit d’asile. En vérité, toutes décisions confondues, la CNDA n’a reconnu comme réfugiés que 14% des demandeurs qui l’ont saisie. Même Le Figaro,qui a complaisamment donné la parole aux députés de l’UMP Eric Ciotti et Pierre Lellouche, doit reconnaître qu’au terme de la procédure quatre demandes d’asile sur cinq sont rejetées. Ces brillants résultats placent la France au 21ème rang pour l’octroi du statut de réfugié. « Restauration du droit d’asile » comme le prétend la députée socialiste Sandrine Mazetier, rapporteure à la Commission des lois lors du débat à l’Assemblée nationale ? L’esprit et la lettre de cette loi, les décisions de l’OFPRA et de la CNDA prouvent qu’il n’en est rien.
O. Le Cour Grandmaison, universitaire. Dernier ouvrage paru L’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies, Fayard, 2014.
Le 12 novembre 1938, en effet, le gouvernement Daladier adopte un décret-loi applicable aux étrangers résidant sur le territoire français. Elaboré par le ministre de l’Intérieur, le très radical-socialiste Albert Sarraut, ce texte invoque classiquement les impératifs de la « sécurité nationale » et ceux de la « protection de l’ordre public » pour justifier le placement « dans des centres spécialisés » des allochtones jugés « indésirables » alors qu’ils n’ont commis aucune infraction. D’origine coloniale, l’internement administratif, appliqué aux « indigènes » des possessions françaises, est ainsi importé dans la législation métropolitaine. Depuis longtemps déjà, des spécialistes de l’immigration mettaient en garde les pouvoirs publics contre la présence de nombreux ressortissants étrangers perçus comme la cause de maux multiples susceptibles de porter atteinte « à la raison, à l’esprit de finesse, à la prudence et au sens de la mesure qui caractérisent le Français. » Qui est l’auteur de ces lignes écrites en 1932 ? Un plumitif marginal qui s’exprimerait dans une obscure publication de l’époque à laquelle nous accorderions une importance démesurée ? Non. Il s’agit de Georges Mauco dans la thèse qu’il a soutenue en la prestigieuse Sorbonne avant d’être nommé secrétaire général du Comité français de la population puis d’exercer les fonctions de sous-secrétaire d’Etat chargé des services de l’immigration et des étrangers au début de l’année 1938. Belle consécration assurément pour celui qui, en quelques années, est devenu un expert connu et reconnu. Commune xénophobie aussi partagée alors par de nombreux contemporains et responsables politiques. En février 1939, les premières victimes de ces dispositions sont les 350 000 républicains espagnols qui, fuyant les troupes du général Franco, ont gagné la France où ils sont internés dans les camps de Saint-Cyprien, d’Argelès et de Gurs, notamment.
Quant aux Syriens aujourd’hui accueillis et qui témoigneraient de la « générosité de la France », selon Bernard Cazeneuve, rappelons quelques chiffres propres à répondre à ce mensonge par omission. Où se trouvent les trois millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont fui les ravages matériels et humains de la guerre civile, les crimes de Daech et ceux commis par les séides du dictateur Bachar el-Assad ? Dans les riches pays d’Europe ? Là où les conditions de la protection sociale seraient autant de « pompes aspirantes favorisant une immigration incontrôlée » et « l’engorgement de notre système d’asile » ainsi que le répètent les responsables de l’UMP et du Front national qui, sur ces sujets, parlent un langage commun ? Non dans les Etats limitrophes puisque ces réfugiés sont plus d’un million au Liban, soit près d’un cinquième de la population totale, 600 000 en Jordanie, 815 000 en Turquie et 100 000 en Irak. D’après le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), ils ne sont que 112 170 dans l’U.E et ils résident principalement dans cinq pays – la Suède, l’Allemagne, la Bulgarie, la Suisse et les Pays-Bas - qui ont reçu 70% d’entre eux. De plus, l’Allemagne a accepté de recevoir 10 000 syriens à titre humanitaire et la Suède 8000 où ils se sont vu accorder une carte de séjour permanente puisque le « conflit »est « appelé à durer un temps indéterminé » a déclaré Anders Danielsson, le directeur de l’Office de l’immigration. Et la glorieuse France, dirigée par un président et un gouvernement socialistes ? Elle n’en a accepté que 500 soit 0,02% du nombre total de personnes ayant quitté la Syrie. Tant de générosité laisse pantois, en effet.
Au-delà des formules ronflantes et des éléments de langage mobilisés par le ministre et ses conseillers pour entretenir le mythe d’un pays fidèle au triptyque républicain et pour défendre un projet de loi prétendument audacieux, prospèrent une pusillanimité réformatrice et une interprétation très restrictive de la Convention de Genève sur les réfugiés. A preuve, le taux de rejet des demandes d’asile par l’OFPRA est de 87% au deuxième semestre 2013 alors qu’il s’établit à 67% en Allemagne, 64% en au Royaume-Uni et 51% en Suède (Source Eurostat). Pis, de dangereuses concessions ont été faites aux droites parlementaires. En témoigne l’instauration d’un juge unique pour accélérer l’examen de certains dossiers, entre autres ceux déposés par des requérants originaires de pays considérés comme sûrs par les autorités françaises. Au principe de cette nouvelle disposition : une opinion partagée par de nombreux responsables politiques, la lenteur et le laxisme supposés des formations collégiales de jugement à la Cour nationale du droit d’asile. En vérité, toutes décisions confondues, la CNDA n’a reconnu comme réfugiés que 14% des demandeurs qui l’ont saisie. Même Le Figaro,qui a complaisamment donné la parole aux députés de l’UMP Eric Ciotti et Pierre Lellouche, doit reconnaître qu’au terme de la procédure quatre demandes d’asile sur cinq sont rejetées. Ces brillants résultats placent la France au 21ème rang pour l’octroi du statut de réfugié. « Restauration du droit d’asile » comme le prétend la députée socialiste Sandrine Mazetier, rapporteure à la Commission des lois lors du débat à l’Assemblée nationale ? L’esprit et la lettre de cette loi, les décisions de l’OFPRA et de la CNDA prouvent qu’il n’en est rien.
O. Le Cour Grandmaison, universitaire. Dernier ouvrage paru L’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies, Fayard, 2014.