lundi 29 janvier 2018

Meursault, un criminel innocent

Ce texte prémonitoire de Khaled Ouaddah. Que je republie à l'occasion de la venue dans le Dahra, pour un circuit mémoriel, du romancier et pamphlétiste Rachid Boudjedra ...le texte est a mettre en relief avec la parution de son nouveau livre " Les contrebandiers de l'histoire"...ou l'impossible réconciliation avec les groupies de Sansal, KD, Bachi et autres renégats...


Albert Camus, une œuvre toujours revisitée
L'Etranger : un criminel innocent ?

Publié dans El Watan le 02 - 02 - 2006

la réalité du roman L'Etranger met mal à l'aise le lecteur. Mais d'où vient la force d'impact qui a fait de ce court récit l'objet de tant de commentaires, d'analyses et de réflexions illimitées parmi les critiques littéraires et dans le monde universitaire d'une façon générale ?
C'est le caractère énigmatique du personnage de Meursault qui rend invisible la frontière entre la fiction et la réalité, à travers l'accomplissement d'un meurtre, pas n'importe lequel, celui de l'Arabe. Toute la ligne des commentaires, qui ont inscrit le roman dans la perspective historico-narrative, semblent privilégier cette représentation, comme si derrière cet acte criminel se profilait le crime colonial. Cette orientation a suscité diverses appréciations et a attiré l'attention de beaucoup d'écrivains et non des moindres, tel que le grand intellectuel américano-palestinien, Edward Saïd, qui, dans un livre remarquable - Culture et impérialisme - a démontré que l'auteur Albert Camus ne pouvait échapper à la mentalité coloniale de son temps. A la suite du grand philosophe J-P Sartre, d'autres critiques se sont penchées sur le chemin de la philosophie de l'absurde (suicide) qui imprègne « le mythe de Sisyphe », pour expliquer de façon plus ou moins exagérée les racines de L'Etranger. Si c'est à travers l'expérience du personnage de Meursault que l'écrivain Camus voulait révéler sa visée artistique, cette approche laisse échapper l'affectivité complexe et angoissante du livre, comme le laisse entendre le psychanalyste anglais, Masud R. Khan. Dérangeante, inclassable et irréprésentable, l'expérience criminelle du personnage de Meursault, énigmatique et innommable jusqu'à la méconnaissance du nom de la victime, identifiée par l'unique signifiant de différence culturelle, ne facilite guère ni l'accès ni l'entrée à une compréhension de ce que remue l'auteur dans son roman. Cette expérience a ouvert la voie à des lectures duels qui instruisent beaucoup plus le procès de l'écrivain (réalité) que le procès de vérité esthétique (fiction) à l'œuvre dans le roman. Est-elle indifférente au contexte de la réalité coloniale ? Certainement pas. Mais pour échapper au piège des lectures qui occultent l'interrogation sur les enjeux subjectifs qui poussent le personnage de Meursault à l'accomplissement de cet acte malheureux dans une situation sociale coloniale sans issue, il est peut-être nécessaire d'établir un lien avec le roman La Peste qui a été entamé en 1941, une année avant la publication de L'Etranger, pour n'être publié qu'en 1947, et ce, afin de circonscrire l'opacité et l'impasse criminelle du personnage de Meursault. Dans ce livre, Camus nous livre une figure de style paradoxal pour se représenter un archétype, où l'on peut reconnaître facilement le personnage de Meursault qui attente à la vie de l'Arabe. Voici un extrait de La Peste où l'écrivain déclare une vérité ultime : « J'ai pris le parti alors de parler et d'agir clairement pour me mettre sur le bon chemin. Par conséquent, je dis qu'il y a des fléaux et des victimes, et rien de plus. Si, disant cela, je deviens fléau moi-même, du moins, je ne suis pas consentant. J'essaie d'être un meurtrier innocent. Vous voyez que ce n'est pas une grande ambition. » Dans ce passage, Camus dépeint quelque chose de potentiellement nihiliste, à travers cette catégorie paradoxale du « meurtrier innocent ». Une innocence qui décharge le criminel de la culpabilité subjective et l'accusé de la culpabilité juridique. Cette figure du meurtrier innocent nous permet de réévaluer la sensibilité spécifique et paradoxale du personnage de Meursault afin de comprendre son incapacité d'entrer dans la symbolisation de son crime. Meursault ne manifeste aucune culpabilité, il est l'archétype même du « criminel innocent », pour qui la vie n'est que réalité sensible de pure corporéité, sans rapport d'altérité et sans représentation : « Le corps ne triche jamais ». Menacé par l'indifférenciation et la méconnaissance de l'autre, Meursault n'est que la révélation dramatique d'un personnage dans un contexte social dominé par la logique coloniale. S'il ne parvient pas à élaborer sa culpabilité pour se représenter son crime, c'est que le dogme de la violence coloniale l'enferme dans un duel et dans un non-sens qui l'aident de façon maladive à ne pas se reconnaître coupable : « J'avais remarqué que l'essentiel était de donner une chance au condamné. Une seule sur mille, cela suffisait pour arranger bien des choses. Ainsi, il me semblait qu'on pouvait trouver une combinaison chimique, dont l'absorption tuerait le patient (je pensais : le patient) neuf fois sur dix. » Que renferme cette nouvelle identité qui fait virer le récit où le personnage de Meursault ne se pense pas comme prisonnier, mais en tant que patient ? Le rapprochement a été vite fait par un grand nombre de critiques et par Camus lui-même qui pensait que le meurtre et le suicide sont les deux faces de la même pièce. La philosophie de l'absurde, qui s'est développée autour de ces grandes interrogations que soulève l'auteur, a oublié sinon occulté une grande vérité anthropologique de la tradition romano-canonique occidentale : le suicidé tue quelqu'un. Autre chose de beaucoup plus complexe. Si l'on s'interroge sur le suicide au Moyen Age, le désespoir n'était ni un sentiment ni un état psychique, mais un vice, une maladie. Même si le procureur déclare coupable Meursault d'indifférence filiale, le romancier Camus était loin d'être indifférent aux textes fondateurs de sa généalogie qui épongent la culpabilité.

dimanche 28 janvier 2018

Bouteflika sans Mehri...ou les clés de l'impasse


 En ces instants d'incertitudes, alors que le 5ème mandat est plus que possible, il est utile de revenir à l'essentiel. Sommes-nous en mesure de dégager une voie, meme très mince vers un changement de régime? Notre ami Djamal Eddine Belhadj, ancien sénateur et toujours patriote, vient de solliciter ses amis en vue de trouver un homme ou une femme capable de fédérer la sphère patriotique et de dégager un consensus en vue d'influer sur la future joute présidentielle de 2019. A lire les avis et commentaires, il est temps de cultiver le desespoir à grande échelle. Que l'on ne soient pas d'accord sur une personne, cela relève de l'entendement, mais que l'on se laisse aller au dépit ou au désespoir, cela n'est pas concevable. Modestement,j'ai donné mon avis...il n'est pas très optimiste, je le reconnais. Mais il a le mérite de fixer les limites de ce qui reste possible. Je disais donc qu'il est heureux que Bouteflika ne soit pas remplaçable. et que jamais le système n'admettra un changement en dehors des ses arcanes...Bien entendu qu'un sursaut auquel je ne crois plus serait salutaire! Mais le pays est réellement embourbé dans un après Bouteflika qui va perdurer. Pourquoi? pour la simple et bonne raison que les acteurs trouvent tous leur compte dans ce vaudeville. Alors, dans le souci de donner un éclairage sur cette tendance lourde, j'ai retrouvé cet article du journaliste Saïd Djaafer...à propos de l'attitude de feu Abdelhamid Mehri. Pour bien comprendre comment et pourquoi nous en sommes là, il faut le lire et le triturer...car à l'évidence Mehri avait cette rare étoffe d'un homme lucide et modeste...Lui a su dire NON au système...et le Système l'a rejeté...Avec un éclairage très original et tellement juste sur la complicité entre les tenants de la voilure et les responsables du Fis...Moi même, j'ai toujours soutenu que le Fis et le système ne sont pas la face et l'avers d'une même médaille...je continue de croire profondément qu'une alliance s'est nouée entre ce part islamiste et le système pour dégommer Mouloud Hamrouche et son équipe de réformateurs...C'est ce qui nous a valu la terrible tragédie...et c'est ce qui a valu à Abdelaziz Bouteflika ce retour triomphant et sans partage à la timonerie...Et comme le capitaine au long cour n'est pas né de la dernière pluie, il va falloir se résoudre à attendre...un autre Mehri...l'article ce dessous lui rend l'hommage qu'il mérite...à méditer profondément, même si l'horizon est des plus sombres...
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Abdelhamid Mehri: un immense politique
Saïd Djaafer Journaliste

“Je suis passé par des siècles de bouches cousues” disait le poète irakien Abdel-Amir Jaras. 


Abdelhamid Mehri aurait pris avec philosophie et sans se départir de son petit sourire ironique les hommages que lui rendent aujourd’hui certains de ceux qui n’ont pas hésité à lui faire un procès en trahison et en kofr après la rencontre de l’opposition algérienne à Rome.

Dans ces journées délirantes de 1994 où les médias publics se sont déchaînés contre l’homme et où le régime avec tous ses compartiments s’est mis en ordre serré pour une campagne de haine sans précédent, Abdelhamid Mehri, ne s’est pas départi de son calme.

Il a demandé un droit de réponse à la télévision algérienne et “ceux qui décident” ont estimé qu’ils avaient là une opportunité de le “confondre” devant l’opinion et qu’il suffisait de bien préparer l’émission. L’émission a eu lieu. En quelques phrases, le secrétaire général du FLN a ruiné toutes les manipulations et des semaines de propagande éhontée du régime. Il a dévoilé, une fois de plus, qu’il était sans arguments.

Après ce droit de réponse, la télévision qui était déjà fermée est devenue nord-coréenne. Abdelhamid Mehri qui en a vu au cours de son combat politique au long cours était d’une humilité et d’une disponibilité sans égale. Mais il ne pouvait s’empêcher d’exprimer, dans des cercles amis, son effarement et son mépris pour l’aplomb des médiocres serviteurs d’un régime qui peuvent énoncer les pires mensonges sans sourciller et décerner les pires accusations avec une légèreté inégalable.

Cela donnait lors des rencontres, fréquentes qu’il a eues avec les journalistes de La Nation, à des moments de déconstructions hilarants de ces affirmations des médiocres du régime. Juste pour rire. Car, et c’est la grande force de M. Abdelhamid Mehri, pour lui ces personnels mis en avant sont chargés d’organiser les diversions et de mener vers des discussions où les mots et les concepts sont continuellement pervertis. L’ancien ministre du GPRA, l’homme de Tanger, l’ex-Secrétaire général du FLN, l’homme du Contrat National savait les mettre de coté par une simple remarque caustique et terriblement expressive.

Un formidable travail de dévoilement

Ces personnels qui peuplent la devanture comme des marionnettes détraquées, il ne les attaquait même pas. Ce n’était que de l’écume. Pas plus qu’il n’a jamais accepté d’entrer dans les chemins des personnalisations des débats. Et s’il s’adressait à un président, c’était en tant qu’adresse officielle d’un régime qui n’a même pas l’alibi d’une quelconque efficacité dans n’importe quel domaine. La haine du régime contre Abdelhamid Mehri -et contre les réformateurs- tient au fait qu’il menait, sans faire dans le tapage, ni dans les accusations ad-hominem, un formidable travail de dévoilement.

Dans ce pays où la manipulation est constante, où la peur sert pour une partie des élites de grille d’analyse, défendre la démocratie, les libertés et la reddition des comptes des responsables, c’est faire œuvre sacrilège. Et quand on défend ces valeurs par conviction et sans aucune naïveté, on devient l’ennemi.

Abdelhamid Mehri dans un débat télévisé avec Abassi Madani qui se gonflait d’importance en jouant la pression de la rue, le mettait en garde sur le fait qu’il était le jouet d’une entreprise destinée à entraver le processus démocratique. Le message était clair, il avait bien été entendu par Abassi Madani et il n’en a pas tenu compte. Par arrogance. Et parce qu’Abassi Madani était dans les mêmes logiques des tenants du système.

Le chef du FIS devant la force de l’argumentaire s’en était tiré par un piteux : “M. Abdelhamid Mehri est un fils de bonne famille, que faisait-il dans ce régime”. En réalité, Mehri était déjà totalement hors d’un système qu’il estimait irrémédiablement condamné après les événements d’octobre 1988 alors qu’Abassi Madani, sous des dehors de révolutionnaire islamiste, était complètement dedans.

Ce n’est donc pas un hasard que le “fils de bonne famille” a continué, sans faille et sans arrêt, son combat pour la démocratie sans que ses actions ne servent d’alibi à une régression orchestrée par le système. Contrairement à Abassi Madani dont la naïveté politique et le mimétisme profond à l’égard des pratiques du pouvoir ont servi d’aubaine pour le régime.

La grande leçon est qu’on n’est pas révolutionnaire parce qu’on est bruyant. On l’est par la clarté des idées, la juste perception du rapport de forces et une conviction profonde qu’on doit contribuer à éclairer la société et non à la chauffer. Et éclaireur, Abdelhamid Mehri, il l’a été. Constamment.

Un homme politique face à la machine

L’écouter, c’est d’abord sortir de la naïveté, cesser d’être malléable -cela n’est pas donné à tous le monde d’être capable d’aider les gens à avancer- et entrer dans l’âge de la politique. Du politique.
Car précisons-le, Abdelhamid Mehri a été un homme politique, il n’a jamais été un politicien. Il ne s’agit pas d’une nuance.

Dans le régime algérien “spécifique”, être un homme politique est inacceptable. Une hérésie. La seule chose qui est acceptée est d’être un serviteur, un bureaucrate de la politique où un cabotin qui, par exemple, fait mine d’avoir organisé un complot scientifique.

On les a vus, en live, à l’hôtel Al Djazaïr, en 1996, rouler des mécaniques pendant que les organisateurs du complot planqués dans une suite géraient au corps à corps les membres du comité central. Défait, Abdelhamid Mehri? En réalité, il avait constaté, sans être vraiment surpris, que le régime pouvait aller jusqu’à menacer des membres du comité central d’un blocage de leur pension de retraite s’ils “votaient mal”.

Certains sont venus discrètement le lui dire et s’en excuser. On n’était plus dans une bataille politique. Mais dans des menaces d’une tout autre nature. Le FLN entrait dans la “maison de l’obéissance”. Il n’en est pas sorti depuis. Le “complot scientifique” ce ne sont pas les cabotins de la politique, les médiocres qui servent de faire-valoir, qui l’ont mené, c’est une machine. Et c’est Mehri qui explique lui-même ce traitement et cette “intrusion brutale du pouvoir” dans les affaires du FLN.

“Le traitement a consisté en une ordonnance grasse de la part de certains services de l’Etat qui croyaient, et sans doute le croient-ils encore, que les missions qui leur ont été confiées leur donnent le droit de gérer d’une manière ou d’une autre le fonctionnement des organisations sociales, des partis et des associations ; de promouvoir certains de leurs dirigeants, de sélectionner leur candidats aux assemblées élues, de rectifier leurs lignes politiques en cas de nécessité dans le sens qui sied à l’ordre établi (...) Cette forme de complot scientifique est en fait un composé organique du système de pouvoir et un instrument de gestion de la démocratie de façade”.

Jusqu’au bout pour la démocratie et le Maghreb

Aujourd’hui, le concert des louanges qui viennent, y compris de ceux qui l’ont vilipendé et trainé dans la boue et accusé d’être un traitre à sa patrie, ne doit pas faire illusion. Abdelhamid Mehri a combattu ce régime, il a défendu avec abnégation et sans relâche la démocratie et le Maghreb.

Il était scandalisé par la persistance, sans raison valable, de la fermeture de la frontière entre l’Algérie et le Maroc. Il a continué à apporter sa contribution par tous les moyens possibles. Et il était sans illusion sur les pseudos-réformes que le régime a annoncé récemment en notant que le pouvoir se refusait à un préalable élémentaire de permettre un débat sur l’état des lieux et sur ce qui doit changer. Mais Abdelhamid Mehri n’a jamais prêté flanc à la désespérance.

C’était un militant et il l’est resté. Et à tous les jeunes qui venaient lui exprimer leur désarroi, il leur rappelait qu’avant le 1er novembre, la scène algérienne était marquée par le marasme, le désarroi et l’absence de visibilité. Mehri était convaincu que les algériens ont les moyens de trouver, en eux-mêmes, les moyens de sortir de l’impasse. Il constatait que pour la plupart des algériens, le régime est totalement discrédité. Et que la seule question qui se posait à eux était de savoir comment le dépasser et le changer sans que cela ne soit trop couteux pour le pays.

Et il ne doutait pas qu’ils finiront par trouver la voie pour dépasser un système qui entrave la marche inscrite dans l’histoire des algériens vers la démocratie et l’union des peuples maghrébins.

Abdelhamid Mehri a été, pour nous, pour beaucoup, l’incarnation d’une Algérie rêvée : démocratique, ouverte, progressiste et ancrée dans ses cultures et ses valeurs. Et ce n’est pas une erreur de découvrir que cette Algérie-là, c’est bien celle qui a été énoncée dans la proclamation de novembre. Nous honorerons Abdelhamid Mehri si nous tous, jeunes et moins jeunes, continuons à nous battre et à ne pas renoncer à cette Algérie-là.

Article publié dans La Nation le 31 décembre 2012 sous la signature d’Ahmed Selmane

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