vendredi 23 mars 2012

Camus face à la censure


 Un document inédit que "Le Monde" nous restitue avec gravité...surtout au moment où la mort médiatisée de Med Merah est en train de se transformer en une affaire d'Etat....à cause de nombreuses ombres qui la jalonne...j'ai apprécié la célérité et la précision du comptage de douilles....à croire qu'elle étaient marquées à la fluorescine....c'est d'autant plus suspect que c'est très curieusement ce seul chiffre qui a été repris par l'ensemble des médias alors que ni les douilles, ni le corps déchiqueté de Med Merah n'avaient refroidis....l'affaire n'en est qu'à son début...car elle est loin d'avoir livrée tous ses secrets....ses maladresses....et surtout ses non-dits...à commencer par les séjours en Afghanistan/Pakistan qui sont démentis par El Khabar qui cite des sources américaines...l'Amérique, un système si cher à Sarkozy...et à DSK...pas pour les mêmes raisons...

Les devoirs du journaliste selon Albert Camus

LE MONDE CULTURE ET IDEES |

Le manifeste que nous publions a été rédigé par Albert Camus (1913-1960) près de trois mois après le début de la seconde guerre mondiale. Il a alors 26 ans. Non signé, le texte est authentifié. Il est aussi d'actualité. Il pourrait tenir lieu de bréviaire à tous les journalistes et patrons de journaux qui aspirent à maintenir la liberté d'expression dans un pays en guerre ou soumis à la dictature, là où le patriotisme verrouille l'information. "Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu'un esprit un peu propre accepte d'être malhonnête", écrit Camus, pour qui résister, c'est d'abord ne pas consentir au mensonge. Il ajoute : "Un journal libre se mesure autant à ce qu'il dit qu'à ce qu'il ne dit pas."
Cet article de Camus devait paraître le 25 novembre 1939 dans Le Soir républicain, une feuille d'information quotidienne vendue uniquement à Alger, dont Camus était le rédacteur en chef et quasiment l'unique collaborateur avec Pascal Pia. Mais l'article a été censuré. En Algérie, sa terre natale, qu'il n'a, à l'époque, jamais quittée hormis pour de brèves vacances, Camus jouit d'un petit renom. Il a déjà écrit L'Envers et l'Endroit (1937) et Noces (mai 1939). Il a milité au Parti communiste pour promouvoir l'égalité des droits entre Arabes et Européens, avant d'en être exclu à l'automne 1936 - il a consenti à cette exclusion, tant les reniements politiques du parti l'écoeuraient.
Secrétaire de la maison de la culture à Alger, il a monté la première compagnie de théâtre de la ville, adapté Le Temps du mépris, de Malraux, et joué des classiques. Sa première pièce, Révolte dans les Asturies, coécrite avec des amis, a été interdite par Augustin Rozis, le maire d'extrême droite d'Alger. Le jeune Camus, orphelin d'un père mort en 1914, fils d'une femme de ménage analphabète, fait de la littérature une reconnaissance de dette. Fidélité au milieu dont il vient, devoir de témoignage.
Pascal Pia, vieil ami d'André Malraux, l'a recruté en 1938 comme journaliste polyvalent pour Alger républicain, quotidien qui entendait défendre les valeurs du Front populaire. Ce journal tranchait avec les autres journaux d'Algérie, liés au pouvoir colonial et relais d'une idéologie réactionnaire. Ainsi Camus a publié dans Alger républicain une série d'enquêtes qui ont fait grand bruit, la plus connue étant "Misère de la Kabylie".
Camus est pacifiste. Mais une fois la guerre déclarée, il veut s'engager. La tuberculose dont il est atteint depuis ses 17 ans le prive des armes. Alors il écrit avec frénésie. Dans Alger républicain puis dans Le Soir républicain, qu'il lance le 15 septembre 1939, toujours avec Pascal Pia. Ces deux journaux, comme tous ceux de France, sont soumis à la censure, décrétée le 27 août. Par ses prises de position, son refus de verser dans la haine aveugle, Camus dérange. L'équipe, refusant de communiquer les articles avant la mise en page, préfère paraître en laissant visibles, par des blancs, les textes amputés par la censure. Au point que certains jours, Alger républicain et surtout Le Soir républicain sortent avec des colonnes vierges.
Moins encore qu'en métropole, la censure ne fait pas dans la nuance. Elle biffe ici, rature là. Quoi ? Des commentaires politiques, de longs articles rédigés par Camus pour la rubrique qu'il a inventée, "Sous les éclairages de guerre", destinée à mettre en perspective le conflit qui vient d'éclater, des citations de grands auteurs (Corneille, Diderot, Voltaire, Hugo), des communiqués officiels que n'importe qui pouvait pourtant entendre à la radio, des extraits d'articles publiés dans des journaux de la métropole (Le Pays socialiste, La Bourgogne républicaine, Le Petit Parisien, le Petit Bleu, L'Aube)...
Ce n'est jamais assez pour le chef des censeurs, le capitaine Lorit, qui ajoute d'acerbes remarques sur le travail de ses subalternes lorsqu'ils laissent passer des propos jugés inadmissibles. Comme cet article du 18 octobre, titré "Hitler et Staline". "Il y a là un manque de discernement très regrettable", écrit le capitaine. Ironie, trois jours plus tard, à Radio-Londres (en langue française), les auditeurs peuvent entendre ceci : "La suppression de la vérité, dans toutes les nouvelles allemandes, est le signe caractéristique du régime nazi."
Le 24 novembre, Camus écrit ces lignes, qui seront censurées : "Un journaliste anglais, aujourd'hui, peut encore être fier de son métier, on le voit. Un journaliste français, même indépendant, ne peut pas ne pas se sentir solidaire de la honte où l'on maintient la presse française. A quand la bataille de l'Information en France ?" Même chose pour cet article fustigeant le sentiment de capitulation : "Des gens croient qu'à certains moments les événements politiques revêtent un caractère fatal, et suivent un cours irrésistible. Cette conception du déterminisme social est excessive. Elle méconnaît ce point essentiel : les événements politiques et sociaux sont humains, et par conséquent, n'échappent pas au contrôle humain" (25 octobre).
Ailleurs, sous le titre "Les marchands de mort", il pointe la responsabilité des fabricants d'armes et l'intérêt économique qu'ils tirent des conflits. Il préconise "la nationalisation complète de l'industrie des armes" qui "libérerait les gouvernements de l'influence de capitalistes spécialement irresponsables, préoccupés uniquement de réaliser de gros bénéfices" (21 novembre). Il n'oublie pas le sort des peuples colonisés en temps de guerre, dénonçant la "brutalisation" des minorités et les gouvernements qui "persistent obstinément à opprimer ceux de leurs malheureux sujets qui ont le nez comme il ne faut point l'avoir, ou qui parlent une langue qu'il ne faut point parler".
Bien que les menaces de suspension de leur journal se précisent, Albert Camus et Pascal Pia ne plient pas. Mieux, ils se révoltent. Pascal Pia adresse une lettre à M. Lorit où il se désole que Le Soir républicain soit traité comme "hors la loi" alors qu'il n'a fait l'objet d'aucun décret en ce sens. Parfois le tandem s'amuse des coups de ciseaux. Pascal Pia racontera que Camus, avec malice, fit remarquer à l'officier de réserve qui venait de caviarder un passage de La Guerre de Troie n'aura pas lieu qu'il était irrespectueux de faire taire Jean Giraudoux, commissaire à l'information du gouvernement français...
Le Soir républicain est interdit le 10 janvier 1940, après 117 numéros, sur ordre du gouverneur d'Alger. Camus est au chômage. Les éventuels employeurs sont dissuadés de l'embaucher à la suite de pressions politiques. Tricard, le journaliste décide de gagner Paris, où Pascal Pia lui a trouvé un poste de secrétaire de rédaction à Paris Soir. La veille de son départ, en mars 1940, il est convoqué par un commissaire de police, qui le morigène et énumère les griefs accumulés contre lui.
L'article que nous publions, ainsi que les extraits cités ci-dessus, ont été exhumés aux Archives d'outre-mer, à Aix-en-Provence. Ces écrits, datant de 1939 et 1940, ont été censurés par les autorités coloniales. Ils n'ont pas été mis au jour par les spécialistes qui se sont penchés sur l'oeuvre de Camus. Notamment Olivier Todd, à qui on doit la biographie Albert Camus, une vie (Gallimard 1996). Ni dans Fragments d'un combat 1938-1940 (Gallimard, "Cahiers Albert Camus" n° 3, 1978), de Jacqueline Lévy-Valensi et André Abbou, qui réunit des articles publiés par Camus alors qu'il habitait en Algérie.
C'est en dépouillant carton par carton que nous avons découvert les articles manquants d'Alger républicain et du Soir républicain dans les rapports de censure. Car cette dernière a pour qualité d'être une greffière rigoureuse. De même que les services des renseignements généraux, qui notent tous les faits et gestes des individus qu'ils surveillent - ce fut le cas d'Albert Camus en Algérie. C'est ainsi qu'ont surgi, sous nos yeux, les mots, les phrases, les passages et même les articles entiers qui n'avaient pas l'heur de plaire aux officiers chargés d'examiner les morasses des pages des journaux.
"Ces archives-là n'ont pas été utilisées", confirme le spécialiste Jeanyves Guérin, qui a dirigé le Dictionnaire Albert Camus (Robert Laffont, coll. "Bouquins", 2009). Même confirmation d'Agnès Spiquel, présidente de la Société des études camusiennes.
Dans l'inédit publié ici, Camus considère que "la vertu de l'homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie ". Dans L'Homme révolté, il ne dit pas autre chose, estimant que la révolte, "c'est l'effort pour imposer l'Homme en face de ce qui le nie".
"Les quatre commandements du journaliste libre", à savoir la lucidité, l'ironie, le refus et l'obstination, sont les thèmes majeurs qui traversent son oeuvre romanesque, autant qu'ils structurent sa réflexion philosophique. Comme le football puis le théâtre, le journalisme a été pour Camus une communauté humaine où il s'épanouissait, une école de vie et de morale. Il y voyait de la noblesse. Il fut d'ailleurs une des plus belles voix de cette profession, contribuant à dessiner les contours d'une rigoureuse déontologie.
C'est aux lecteurs algériens que Camus a d'abord expliqué les devoirs de clairvoyance et de prudence qui incombent au journaliste, contre la propagande et le "bourrage de crâne". A Combat, où Pascal Pia, son mentor dans le métier, fait appel à lui en 1944, Camus poursuit sa charte de l'information, garante de la démocratie pour peu qu'elle soit "libérée" de l'argent : "Informer bien au lieu d'informer vite, préciser le sens de chaque nouvelle par un commentaire approprié, instaurer un journalisme critique et, en toutes choses, ne pas admettre que la politique l'emporte sur la morale ni que celle-ci tombe dans le moralisme."
En 1951, il laisse percer sa déception dans un entretien donné à Caliban, la revue de Jean Daniel : "Une société qui supporte d'être distraite par une presse déshonorée et par un millier d'amuseurs cyniques (...) court à l'esclavage malgré les protestations de ceux-là mêmes qui contribuent à sa dégradation."

 

Afrique

Le manifeste censuré de Camus

Il est difficile aujourd'hui d'évoquer la liberté de la presse sans être taxé d'extravagance, accusé d'être Mata-Hari, de se voir convaincre d'être le neveu de Staline.
Pourtant cette liberté parmi d'autres n'est qu'un des visages de la liberté tout court et l'on comprendra notre obstination à la défendre si l'on veut bien admettre qu'il n'y a point d'autre façon de gagner réellement la guerre.
Certes, toute liberté a ses limites. Encore faut-il qu'elles soient librement reconnues. Sur les obstacles qui sont apportés aujourd'hui à la liberté de pensée, nous avons d'ailleurs dit tout ce que nous avons pu dire et nous dirons encore, et à satiété, tout ce qu'il nous sera possible de dire. En particulier, nous ne nous étonnerons jamais assez, le principe de la censure une fois imposé, que la reproduction des textes publiés en France et visés par les censeurs métropolitains soit interdite au Soir républicain (le journal, publié à Alger, dont Albert Camus était rédacteur en chef à l'époque), par exemple. Le fait qu'à cet égard un journal dépend de l'humeur ou de la compétence d'un homme démontre mieux qu'autre chose le degré d'inconscience où nous sommes parvenus.
Un des bons préceptes d'une philosophie digne de ce nom est de ne jamais se répandre en lamentations inutiles en face d'un état de fait qui ne peut plus être évité. La question en France n'est plus aujourd'hui de savoir comment préserver les libertés de la presse. Elle est de chercher comment, en face de la suppression de ces libertés, un journaliste peut rester libre. Le problème n'intéresse plus la collectivité. Il concerne l'individu.
Et justement ce qu'il nous plairait de définir ici, ce sont les conditions et les moyens par lesquels, au sein même de la guerre et de ses servitudes, la liberté peut être, non seulement préservée, mais encore manifestée. Ces moyens sont au nombre de quatre : la lucidité, le refus, l'ironie et l'obstination. La lucidité suppose la résistance aux entraînements de la haine et au culte de la fatalité. Dans le monde de notre expérience, il est certain que tout peut être évité. La guerre elle-même, qui est un phénomène humain, peut être à tous les moments évitée ou arrêtée par des moyens humains. Il suffit de connaître l'histoire des dernières années de la politique européenne pour être certains que la guerre, quelle qu'elle soit, a des causes évidentes. Cette vue claire des choses exclut la haine aveugle et le désespoir qui laisse faire. Un journaliste libre, en 1939, ne désespère pas et lutte pour ce qu'il croit vrai comme si son action pouvait influer sur le cours des événements. Il ne publie rien qui puisse exciter à la haine ou provoquer le désespoir. Tout cela est en son pouvoir.
En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d'opposer quelques refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu'un esprit un peu propre accepte d'être malhonnête. Or, et pour peu qu'on connaisse le mécanisme des informations, il est facile de s'assurer de l'authenticité d'une nouvelle. C'est à cela qu'un journaliste libre doit donner toute son attention. Car, s'il ne peut dire tout ce qu'il pense, il lui est possible de ne pas dire ce qu'il ne pense pas ou qu'il croit faux. Et c'est ainsi qu'un journal libre se mesure autant à ce qu'il dit qu'à ce qu'il ne dit pas. Cette liberté toute négative est, de loin, la plus importante de toutes, si l'on sait la maintenir. Car elle prépare l'avènement de la vraie liberté. En conséquence, un journal indépendant donne l'origine de ses informations, aide le public à les évaluer, répudie le bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des commentaires l'uniformisation des informations, en bref, sert la vérité dans la mesure humaine de ses forces. Cette mesure, si relative qu'elle soit, lui permet du moins de refuser ce qu'aucune force au monde ne pourrait lui faire accepter : servir le mensonge.
Nous en venons ainsi à l'ironie. On peut poser en principe qu'un esprit qui a le goût et les moyens d'imposer la contrainte est imperméable à l'ironie. On ne voit pas Hitler, pour ne prendre qu'un exemple parmi d'autres, utiliser l'ironie socratique. Il reste donc que l'ironie demeure une arme sans précédent contre les trop puissants. Elle complète le refus en ce sens qu'elle permet, non plus de rejeter ce qui est faux, mais de dire souvent ce qui est vrai. Un journaliste libre, en 1939, ne se fait pas trop d'illusions sur l'intelligence de ceux qui l'oppriment. Il est pessimiste en ce qui regarde l'homme. Une vérité énoncée sur un ton dogmatique est censurée neuf fois sur dix. La même vérité dite plaisamment ne l'est que cinq fois sur dix. Cette disposition figure assez exactement les possibilités de l'intelligence humaine. Elle explique également que des journaux français comme Le Merle ou Le Canard enchaîné puissent publier régulièrement les courageux articles que l'on sait. Un journaliste libre, en 1939, est donc nécessairement ironique, encore que ce soit souvent à son corps défendant. Mais la vérité et la liberté sont des maîtresses exigeantes puisqu'elles ont peu d'amants.
Cette attitude d'esprit brièvement définie, il est évident qu'elle ne saurait se soutenir efficacement sans un minimum d'obstination. Bien des obstacles sont mis à la liberté d'expression. Ce ne sont pas les plus sévères qui peuvent décourager un esprit. Car les menaces, les suspensions, les poursuites obtiennent généralement en France l'effet contraire à celui qu'on se propose. Mais il faut convenir qu'il est des obstacles décourageants : la constance dans la sottise, la veulerie organisée, l'inintelligence agressive, et nous en passons. Là est le grand obstacle dont il faut triompher. L'obstination est ici vertu cardinale. Par un paradoxe curieux mais évident, elle se met alors au service de l'objectivité et de la tolérance.
Voici donc un ensemble de règles pour préserver la liberté jusqu'au sein de la servitude. Et après ?, dira-t-on. Après ? Ne soyons pas trop pressés. Si seulement chaque Français voulait bien maintenir dans sa sphère tout ce qu'il croit vrai et juste, s'il voulait aider pour sa faible part au maintien de la liberté, résister à l'abandon et faire connaître sa volonté, alors et alors seulement cette guerre serait gagnée, au sens profond du mot.
Oui, c'est souvent à son corps défendant qu'un esprit libre de ce siècle fait sentir son ironie. Que trouver de plaisant dans ce monde enflammé ? Mais la vertu de l'homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie. Personne ne veut recommencer dans vingt-cinq ans la double expérience de 1914 et de 1939. Il faut donc essayer une méthode encore toute nouvelle qui serait la justice et la générosité. Mais celles-ci ne s'expriment que dans des coeurs déjà libres et dans les esprits encore clairvoyants. Former ces coeurs et ces esprits, les réveiller plutôt, c'est la tâche à la fois modeste et ambitieuse qui revient à l'homme indépendant. Il faut s'y tenir sans voir plus avant. L'histoire tiendra ou ne tiendra pas compte de ces efforts. Mais ils auront été faits.


L'article que nous publions devait paraître le 25 novembre 1939 dans "Le Soir républicain", un quotidien limité à une feuille recto verso que Camus codirige à Alger. L'écrivain y définit
"les quatre commandements du journaliste libre" : lucidité, refus, ironie et obstination. Notre collaboratrice Macha Séry a retrouvé ce texte aux Archives nationales d'outre-mer, à Aix-en-Provence (lire son enquête page 2). Camus dénonce ici la désinformation qui gangrène déjà la France en 1939. Son manifeste va plus loin. Il est une réflexion sur le journalisme en temps de guerre. Et, plus largement, sur le choix de chacun, plus que celui de la collectivité, de se construire en homme libre.
par Albert Camus

mercredi 14 mars 2012

France2 restitue la couleur de l'horreur


De nombreux amis m'ont téléphoné, d'autres ont envoyé des SMS alors que les plus modernes m'ont interpellés sur Facebook. L'objet de toutes ces sollicitudes, un documentaire de France2, le fleuron de la télévision publique Française et par extension Sioniste "Guerre d'Algérie, la déchirure" du réalisateur Gabriel Le Bomin et de l'historien Benjamin Stora. Je sais déjà que mon attitude de total détachement en aura choqué quelques uns et déçus bcp d'autres. Le 14 mars, lendemain de sa diffusion, de très nombreux collègues et néanmoins amis m'ont également interpellé sans gégène...j'admets volontiers que mon attitude n'a pas fait que des heureux...échaudés depuis très longtemps, autant par le néocolonialisme primaire des médias Français que le révisionnisme avancé et imbécile des médias Algériens, j'ai préféré consacrer ma soirée à regarder un match de foot-ball. Le coloriage des scènes de la guerre faite à mon pays et à mon peuple étaient déjà suffisamment horribles en noir et blanc...je n'allais tout de même pas m'éclater à regarder les nomades de Aïn Abid se faire tirer comme de vulgaires lapins...sous prétexte que la version couleurs allait mettre du rouge vif sur le sang de ces victimes expiatoires...et surtout innocentes. Je fais grâce à Claire Mauss-Copeaux d'avoir définitivement levé le voile sur ces massacres d'innocentes familles de nomades venues des confins sahariens faire paitre leurs troupeaux sur les chaumes coloniales des terres de nos ancêtres. La chasse à l'homme Arabe allait se traduire par l'assassinat voulu, prémédité et exécuté par les ultras et l'armée d'Afrique...comme à travers les autres villes, villages, mechta et douars du Nord Constantinois, la France coloniale, en toute conscience, allait massacrer plus de 12.000 algériens. Même lorsqu'elles ne reflètent qu'une infime part de l'horreur (il y eut plus de700 victimes dans les alentours immédiats d'Aîn Abid-, ces images tournées dans la région sont à ce titre fort éloquentes. Non seulement, les familles entières, sans aucune défense, seront décimées, mais dans sa furie, le colonialisme Français ne se refusera même pas " le plaisir" de graver ces images pour la postérité...comme dans un véritable western...où le Blanc, en bon chrétien, procède à un nettoyage ethnique en tuant dans de terribles convulsions, des Indiens...

Mes amis, ce soir là, je n'avais pas du tout l'âme de téléspectateur en mal de d'images sensationnelles...alors qu'elles ont la preuve concrète du massacre de mes frères...ces images je les ai vu des milliers de fois, parce que je les connais et je les ai vécues dans ma chair...au moment où ce cameramen fixait pour l'histoire ce massacre sans discernement, chez moi, au Béni Mélek, les memes atrocités étaient commise à l'encontre de ma famille...pendant plusieurs jours, j'ai regardé pétrifiés les maisons se consumer... au Béni Mélek, mais également au Zef Zef et aux Carrières Romaines....ainsi qu'à Filfila...j'ai vu pour la première fois les tuiles rouges de nos maisons monter très haut vers le ciel...et je ne comprenais pas ce qui se passait...je n'ai toujours pas compris pourquoi la France, avec son armée nous a fait autant de mal...je croyais bien naïvement que nous étions chez nous et que nous ne voulions de mal à personne...je voyais bien que nos colons de voisins avient plus de terres que nous...ils avient aussi bcp de travailleurs, tous indigènes d'ailleurs....je voyais bien que mon père portait une chéchia tunisienne rouge et que Lucien portait une casquette, tandis que Pépine, un Italien lui aussi portait un béret basque...eux mangeaient du pain qu'ils achetaient chez le boulanger...nous n'avions droit qu'à la galette que ma mère et mes tantes préparaient à tour de role...je voyais bien que nos voisins habitaient dans de grandes maisons avec des fenetres, un balcon et des carreaux aux couleurs vives...tandis que nos maisons étaient faites de terres et de bouses de vaches...avec les colons, nous n'avions que les tuiles de Marseille en partage....trop peu pour etre civilisé...puis voici venue la journée de l'insurrection....une chaleur suffocante que seul le moi d'Aout savait concocter....c'était la semaine qui précède les vendanges....nous venions à peine de finir la récolte de la Madelaine et du Chasselas....les grappes de Gros Noir prenaient leur couleur définitive tandis que le Muscat offrait déjà quelques juteuses et aromatiques baies que mes mains fouineuses allaient chercher à l'ombre des ceps verdoyants...en face, chez les Messina, les interminables alignements de vignobles me faisait languir de jalousie. Les préparatifs des vendanges annonçaient une grande récolte. Depuis plusieurs jours déjà, les ouvriers s'affairaient à préparer les bordelaises. Dans cette vallée du Béni Mélek, le travail du vignoble rythme les saisons. J'aimais par dessus tout la période des vendanges. Lorsque des centaines d'ouvriers, dont certains venus de Touggourt ou de Kabylie, se donnaient rendez-vous dans les fermes des  colons. Avec le binage manuel des vignobles et le sulfatage, les vendanges sont très gourmandes en main d'œuvre indigène. En raison de la configuration de la vallée, nous pouvions entendre les discussions, souvent entrecoupées d'injures en kabyle, dont ces ouvriers venus de toutes parts, faisaient un usage immodéré. Puis survint l'insurrection du 20 aout 55...ce jour là, une foule de plusieurs milliers de fellah de la région, armée de serpes, de faux, de faucilles et de quelques fusils son regroupés à l'appel du FLN et vont déferler sur la ville de Philippeville/Skikda...la suite la planète entière va en prendre connaissance....une répression sans limites, 123 victimes chez les pieds-noirs et les militaires et les gendarmes et plus de 12.000 victimes chez la population indigène...ce que le film diffusé par France2 occultera, préférant focaliser, comme au premier jour, sur l'enterrement des victimes d'El Alia...

Seul Benjamin Stora osera parler, en l'attribuant au FLN, du chiffre de 12.000 victimes indigènes...perpétuant ainsi la double amnésie....celle de la France coloniale dont la 5ème république est encore de nos jours l'incarnation....et celle de l'Algérie, qui bien que disposant des archives du FLN, dont l'organisation avait effectué un recensement de l'ensemble des victimes, se refusent à rendre publique ces données irréfutables que même le New York Times daté du lundi 22 aout 1955 en avait rendu compte...Car même en cultivant la naïveté à l'extrême, on peut imaginer que les chiffres du grand tabloïd américain sont puisées aux meilleurs sources...de l'Otan et des services Français...je ne me fais aucune illusion sur les capacités de l'Etat Français, de ses relais médiatiques et de ses hommes politiques de droite et de gauche - petite exception pour certains intellectuels et autres historiens dont l'engagement et l'honnêteté ne sont nullement mis en cause ici- de continuer à se voiler la face et de ne rien faire qui puisse s'apparenter à une reconnaissance des crimes et atrocités commis à l'égard du peuple algérien...la même suspicion vaut à l'égard du système hérité de l'indépendance...une attitude parfaitement compréhensible à la lumière éblouissante des écrits et analyses de Frantz Fanon et des prédictions parfaitement vérifiées de Larbi Ben M'hidi...

Hélas....une grille de lecture que nous sommes plusieurs à partager, comme les deux articles, ... suivants, le premier publié par La Nation et le second est de Brahim Senouci une vieillissante et néanmoins clairvoyante pupille de la nation…


Article de Ahmed Selmane publié dans La Nation

Cinquantenaire : Le révisionnisme est dans l’ADN du régime

Ahmed Selmane
Mardi 13 Mars 2012



Bigeard, Trinquier, Massu, Léger, à l'époque de la bataille d'Alger (1957).
Bigeard, Trinquier, Massu, Léger, à l'époque de la bataille d'Alger (1957).
Un documentaire du style « Paris-Match » – fondé sur l’esthétique de l’omission et la cosmétique de la généralisation à outrance – a été diffusé sur France 2, dans la soirée du 11 mars. Le documentaire, « Guerre d’Algérie, la déchirure », a été réalisé par des Français pour un public français et on pourrait ajouter, sans l’ombre d’un doute, d’abord pour une certaine France en mal de réhabilitation morale face à sa « grande œuvre » algérienne.  L’insertion de quelques images inédites ne change rien au fait que cette énième compilation d’archives, n’apporte rien de vraiment inédit ; la colorisation d’images donne surtout l’impression qu’on a fait du neuf avec du vieux. Et osons le dire, il ne choque même pas de ce côté de la Méditerranée. Bien entendu, ce documentaire de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora, respecte strictement la ligne officielle. Nicolas Sarkozy, en campagne chez les pieds noirs et les harkis à Nice, en a rappelé le principe essentiel : « Il y a eu des abus. Des atrocités ont été commises, de part et d'autre ». Et le tour est joué, victimes et bourreaux sont logés à la même enseigne, en attendant de ces victimes qu’elles présentent des excuses… Le documentaire relève bien de ce relativisme mensonger qui conduit les historiens sérieux à prendre leurs distances avec Benjamin Stora, spécialiste médiatique exclusif (embedded ?) de l’histoire de l’Algérie. Ce documentaire, présumé historique, ne rentrera donc pas dans l’Histoire. Mais, pour nous Algériens, il n’est pas totalement sans utilité. Il révèle à quel point le régime algérien, à force de s’éloigner des valeurs du mouvement national, en mettant en place un système antidémocratique et brutal, a fait le lit du révisionnisme néocolonial. La dictature, la torture, la corruption, le mépris du peuple au nom de l’anti-populisme… font partie de l’hallucinant bilan du cinquantenaire du régime. Et c’est cela qui permet, aujourd’hui à la France officielle de solder, dans la fiction, l’histoire, tout en s’érigeant en donneur de leçons. La commémoration du cinquantenaire, en France, ne se rapporte pas à la réalité des faits avérés de l’ordre colonial, des enfumades inaugurales au napalm de clôture en passant par la dépossession et la clochardisation d’un peuple tout entier. Au contraire, par occultation sélective et formulations sibyllines, les faits sont systématiquement distordus. Pour aboutir à une authentique  forfaiture. Laquelle n’est rendue possible que par la faiblesse politique et morale d’un régime algérien contraint d’aller au-delà des conseils, de « modération » en matière de commémoration, énoncés par le ministre français des affaires étrangères. Sans que cela ne choque personne chez nos « gardiens de la patrie »… Ici, on ne célèbre rien, on se contente de regarder  passer silencieusement le train du révisionnisme. Commémorer cinquante ans d’indépendance, c’est bien entendu parler du combat des Algériens pendant un siècle et plus ; mais c’est aussi immanquablement interpeller ceux qui ont confisqué le pouvoir et mis la population sur la touche, sur l’usage qui a été fait de l’indépendance, sur le respect des engagements et des valeurs du mouvement national, sur la gestion privative du bien commun, sur la reproduction de pratiques éhontées combattues, au prix fort, par les militants de la liberté. C’est cela la génétique du révisionnisme, parfois subtil, souvent grossier, qui s’exprime en France, là où le cinquantenaire de l’indépendance est marqué «sans complexe » aucun, avec la certitude que ceux qui sont en place, en Algérie, sont trop faibles moralement et politiquement pour dire les choses avec l’éclat d’un Franz FANON, ou la concision d’un Larbi BENMHIDI offrant d’échanger les couffins des femmes d’Algérie contre quelques avions de la très civilisée OTAN. Ces célébrations qui n’en sont qu’à leur début – et qui in fine sont dans le droit fil de la théorie abjecte des « bienfaits de la colonisation » - démontrent le niveau de nuisance atteint par le système. Il ne se limite pas à détourner la rente pétrolière vers des usages privatifs et à faire fuir, régulièrement, les compétences que le pays forme. En portant atteinte à ce qui constitue la conscience nationale, il permet une insidieuse dilapidation de l’histoire. Il offre une opportunité, à un négationnisme de boutiquiers-historiens, de s’exprimer sans crainte d’être contestés. Le documentaire de France 2 en est une des plus éloquentes expressions. D’autres viendront, sans nul doute, pour maquiller l’histoire et dénaturer le présent. Ici, on « modère » comme l’a exigé Alain Juppé. Et pour ne pas se tromper dans l’art de « modérer » l’expression, on se tait. On ne dit rien, de crainte d’un retour de bâton. On laisse quelques-uns évoquer, de manière approximative une curieuse « repentance » dont les Algériens n’ont que faire. On est « modérés » donc on est silencieux. Et on laisse dire, dans la veulerie, que la guerre d’Algérie, ce ne furent que des violences et abus, de « part et d’autre ». 
 Article de Brahim Senouci
Algérie-France : réconciliation impossible ?
Il y a cinquante ans, l’Algérie accédait à l’indépendance. Cent-trente-deux années de colonisation et de massacres féroces ont trouvé leur terme dans une dernière explosion de violence. Depuis, les dirigeants algériens et français tentent, sans succès, de trouver la voie vers une relation apaisée, voire amicale. La tentative de Jacques Chirac, du temps de sa présidence, d’établir un traité d’amitié entre les deux pays, constitue le dernier échec en date.
Les raisons ne manquent pas.
La plus généralement invoquée est l’instrumentalisation de cette question par la classe politique des deux rives. A l’évidence, la normalisation des rapports entre la France et l’Algérie ne saurait relever stricto sensu de la politique étrangère des deux pays. Elle a un impact lourd sur les enjeux intérieurs. Dans un tel cas, on sait depuis longtemps que l’immobilisme constitue le plus sûr des refuges pour les dirigeants politiques. Cette explication reste sans doute trop courte.
La violence extrême de l’invasion coloniale et de la guerre d’Indépendance est également mise en avant. Elle aurait engendré un tel fossé, soulignent certains, qu’il faudrait des décennies pour le combler. L’exemple de la réconciliation franco-allemande, intervenue peu de temps après la fin de la boucherie de la Seconde Guerre Mondiale, milite contre cette hypothèse.
Que l’on permette à l’Algérien que je suis de proposer un point de vue.
Deux digressions…
Dans les années quarante, la ségrégation était pratiquée officiellement aux Etats-Unis. L’armée n’y échappait pas. Le corps expéditionnaire dépêché en Europe à l’époque y était soumis. Les campements comportaient ainsi des toilettes pour les Blancs et des toilettes pour les Noirs. Les prisonniers allemands avaient accès aux toilettes pour les Blancs. Leur couleur leur donnait ainsi une supériorité sur les soldats noirs d’une armée dont la mission était, en principe, de libérer l’Europe de l’emprise allemande…
Le 8 mai 1945, le monde vivait dans l’exaltation de la fin du nazisme. L’avenir était paré des plus belles couleurs, celles de la démocratie, de la justice, de l’égalité. Le monde y croyait, du moins le monde libre, pas celui des damnés de la terre qui vivaient sous le joug colonial et qui étaient exclus de cette vision édénique. Pour preuve, le jour même de la victoire sur le nazisme, le gouvernement français mettait à mort des dizaines de milliers d’Algériens, dans la plus gigantesque, la plus barbare, la plus aveugle des ratonnades… Très peu de voix s’élevèrent à l’époque pour pointer la concomitance temporelle entre l’ouverture supposée d’une ère nouvelle et la perpétration de ce massacre.
Ces deux digressions illustrent l’existence d’une grille de lecture occidentale qui transcende les frontières géographiques au profit de frontières mentales. Le premier exemple montre ainsi un télescopage entre l’ennemi égal (l’Allemand) et le compatriote inférieur (le Noir). Ainsi, le fracas de la guerre n’empêche pas que la paix s’inscrive comme une suite évidente du silence des armes. La réconciliation franco-allemande était inéluctable puisqu’à Paris, on n’a jamais cessé de lire Goethe ou Schopenhauer et d’écouter Beethoven pendant qu’à Berlin, Diderot et Voltaire trônaient sur les chevets et que Debussy régnait sur les gramophones. A l’inverse, l’attitude vis-à-vis de minorités nationales, perçues comme porteuses d’un imaginaire étranger, est marquée par la méfiance, voire l’hostilité. Aux Etats-Unis, la question noire, bien qu’ayant perdu de son acuité, demeure prégnante. Pour s’en persuader, on peut débusquer sans trop de mal les relents de racisme qui imprègnent les critiques vis-à-vis d’Obama dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a guère bousculé l’establishment étatsunien. En France, retenons deux faits entre mille. Après la première guerre mondiale, un ossuaire a été érigé à Douaumont en 1921. Il comportait les dizaines de milliers de noms des soldats morts sur le champ de bataille. Aucun patronyme à consonance africaine ou arabe n’y figure. Pourtant, des dizaines de milliers de fantassins issus des colonies sont morts dans les combats. A la fin de la seconde guerre mondiale, l’armée d’Afrique qui s’était illustrée lors du débarquement de Provence a été blanchie. Après avoir remporté la victoire, ses soldats noirs et arabes ont été remplacés par des Blancs. Il fallait éviter de voir défiler sur les Champs-Elysées une armée trop colorée. La victoire devait être blanche…
Même des esprits réputés libres ne sont pas exempts de cette attitude. Au 19ème siècle, les exemples sont légion, du doux Victor Hugo s’indignant devant les exactions commises contre les Arabes, tout en rappelant que la barbarie est africaine, à Tocqueville approuvant les massacres et l’incendie des villages. Plus près de nous, Albert Camus manifestait certes de la compassion à l’égard des Algériens ; pour autant, cette compassion n’allait pas jusqu’au soutien à leur lutte de libération. Il ne s’est manifesté que pour condamner la violence d’où qu’elle vienne, mettant sur le même plan celle de l’oppresseur et celle de l’opprimé. Il était sans aucun doute de bonne foi. C’est bien cela le plus choquant. Sa structure mentale lui interdisait de penser l’indigène comme un acteur possible de son propre destin.
En fait, il faisait partie de ces nombreux amis condescendants que Hannah Arendt détestait autant que les ennemis malveillants. Cette profession de foi n’a pas empêché la philosophe juive de tomber dans le même travers. Elle avait adopté le selber denken, le penser par soi-même qu’elle estimait inséparable du penser en se mettant à la place de tout autre. Cette attitude indépendante lui a valu d’encourir les foudres de l’écrasante majorité de la communauté juive, notamment après son livre-reportage sur Eichmann dans lequel elle pointait la célèbre thèse de la banalité du mal. Ses positions publiques contre l’Etat juif auquel elle préférait l’Etat binational y ont également contribué. Néanmoins, son inconscient parle même quand elle déclare son soutien aux Palestiniens. Elle appelle ainsi à l’édification d’un Etat dans lequel les Arabes apporteraient leur contribution à l’œuvre de construction par les Juifs de la Palestine. Elle s’est donc arrêtée sur le chemin qui mène du penser par soi-même au penser en se mettant à la place de tout autre. Reconnaissons toutefois son immense mérite de l’avoir ouvert.
Dans l’inconscient collectif de l’Occident, il s’agit d’un impensable, sauf s’il s’applique à l’intérieur de sa propre sphère. Un Français pourra ainsi aisément s’identifier à un Allemand ou à un Etasunien. Que l’on se souvienne de l’éditorial de Jean-Marie Colombani dans le Monde daté du lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Le titre se suffit à lui-même : « Nous sommes tous des Américains ». Il aurait pu faire des variations infinies autour de cet intitulé. Nous aurions eu droit ainsi à : Nous sommes tous des Irakiens, après les dizaines de milliers de morts qui ont suivi la « libération » de l’Irak, ou Nous sommes tous des Congolais après les millions de morts du Kivu, voire Nous sommes tous des Palestiniens après le massacre de Gaza. Ce n’était tout simplement pas possible : les Irakiens, les Congolais, les Palestiniens sont dans une altérité, une infériorité qui supprime toute possibilité de se mettre à leur place.
L’Algérie s’apprête à fêter le cinquantième anniversaire de son indépendance. Fêter est un bien grand mot. Pour l’heure, le mot d’ordre semble être curieusement la discrétion. Cela aurait pourtant été l’occasion de rassembler le peuple, au-delà de tout ce qui le divise, en lui proposant de revisiter son histoire récente. Rêvons un peu : Cela aurait été surtout l’occasion d’en finir avec un discours mortifère qui attribue à la colonisation tous les bienfaits ! Un sentiment très (trop) largement répandu au sein de la population relaie la thèse pied-noir du paradis perdu. Cette commémoration aurait eu pour mérite de montrer la colonisation sous son vrai visage, celui des coupeurs de têtes, des enfumades, des emmurements, qui l’ont rythmée. On aurait su ainsi que des millions de gens ont été massacrés de différentes façons depuis 1830 jusqu’en 1962. Les Algériens auraient appris ce qu’ils ne savent pas nécessairement puisque personne ne le leur dit, à savoir qu’à la veille de l’indépendance, ils étaient analphabètes à 90 %, que leur espérance de vie était inférieure de 25 ans à celle de leurs « compatriotes » Français. Ils auraient appris les villages de regroupement, les camps d’internement, les grandes famines comme celle de 1926 dans laquelle un quart de la population disparut. Une occasion de ratée, une de plus ?
De ce côté-ci de la Méditerranée, on met les bouchées doubles. Malgré la campagne électorale, l’Algérie se taille la part du lion dans les médias, notamment publics. C’est qu’il s’agit de profiter du silence officiel algérien pour faire avancer la thèse française. En réalité, l’Algérie n’est qu’un prétexte. Elle n’est montrée que comme une parenthèse dans la longue Histoire de France. Même si les paysages sont Algériens, les acteurs sont Français. On s’acquitte rapidement du devoir de vérité en montrant des soldats indifférents assassinant des paysans dans l’Est algérien, paysans dont on ne verra pas les traits. En revanche, les visages des soldats sont montrés plus souvent qu’à leur tour. On les verra dans les bras de leurs mères, embrassant leurs fiancées en pleurs avant de monter sur le pont du navire qui les emmène vers Alger. On les retrouve sur la route de Lakhdaria (ex Palestro), effrayés mais juvéniles et le teint frais. On nous annonce en voix off qu’ils mourront dans quelques jours dans une embuscade. Si je n’avais pas été Algérien moi-même, peut-être que j’aurais réagi comme au spectacle des vieux westerns où je prenais parti pour les cow-boys contre les méchants Indiens. Les mêmes recettes, largement éprouvées, sont mises en œuvre dans ces prétendus documentaires. Quand on voit des Algériens, il s’agit soit d’une masse informe, vociférante, soit l’ombre d’un paysan marchant courbé sous son turban. Les Français nagent, dansent, s’inquiètent. Il en est même qui compatissent, ou tout au moins se posent des questions sur la misère indigène. Cela ne dure pas. L’essentiel est consacré aux tourments moraux des soldats et aux intrigues politiques qui secouent le cénacle français…
Surprenant ? Certes non. La guerre du Vietnam s’est arrêtée sous la pression de l’opinion publique aux Etats-Unis, nous dit-on. C’est faire bon marché de l’héroïque résistance du peuple vietnamien ! Disons que la pression populaire étasunienne y a contribué. Sage réaction d’un peuple désireux de retrouver les chemins d’une morale mise à mal par son armée ? Pas vraiment. 50.000 GI sont morts au cours de cette guerre. Les télévisions montraient tous les jours des cercueils en provenance du Vietnam. L’opinion a définitivement basculé au 50.000ème ! Il y eut dans le même temps 5.000.000 de morts vietnamiens. Ceux-là n’émouvaient pas grand monde… Bush fils s’en est souvenu. A l’époque de son expédition en Irak, il avait interdit aux journalistes de filmer les cercueils de soldats étasuniens. En revanche, ils avaient toute latitude pour montrer les cadavres d’Irakiens, qui se comptaient, se comptent encore en dizaines, voire en centaines de milliers, sans troubler la conscience du monde dit « civilisé »
Revenons au sujet de l’article.
La réconciliation entre l’Algérie et la France ne doit pas être l’alpha et l’oméga de la politique algérienne. En tout cas, il est hors de question de s’installer dans une demande permanente qui s’apparente à la quête de l’aumône d’une excuse de la part de l’ancienne puissance coloniale. L’Algérie doit travailler à se constituer, trouver enfin la voie vers la modernité et le développement. Quand ce jour sera venu, elle sera en situation d’exiger avec force le réexamen du passé.
Pour autant, il n’est pas interdit de s’interroger sur les raisons profondes qui ont conduit à la faillite des démarches visant à « rabibocher » les deux nations. L’examen de cette faillite montre qu’elle a des résonances universelles.
Le principal empêchement à la réconciliation entre l’Algérie et la France réside dans l’incapacité française à éprouver de l’empathie vis-à-vis de ses anciens sujets. Pire encore, alors que les décennies qui ont suivi l’indépendance algérienne ont vu un recul du colonialisme, celui-ci retrouve des couleurs au moment où le monde semble basculer vers un nouvel ordre. Le discours occidental retrouve (mais les a-t-il jamais perdus ?) des accents très 19ème siècle. Du discours de Dakar à la libération de la parole raciste, le sentiment de supériorité de l’Occident, mis en veilleuse à la suite du mouvement de décolonisation, retrouve voix au chapitre. Le spectacle de divisions de l’OTAN investissant des pays arabes ou africains n’est plus une vue de l’esprit. Visiblement, des penseurs occidentaux pensent que la crise que traverse l’Empire peut être résolue par l’aventurisme, la guerre et la rapine coloniale. Seul problème, la configuration du monde a changé. De nombreux acteurs ont émergé. La prééminence occidentale est de fait remise en cause et son primat fortement contesté. Si l’Occident cédait à ses démangeaisons historiques, les conséquences seraient autrement plus importantes qu’au 19ème siècle. Crispation passagère ou lame de fond ? La réponse à cette question conditionne la suite de l’histoire. La manière dont l’Algérie et la France solderont le passé colonial préfigurera le monde de demain, un monde de guerre de tous contre tous, ou de paix dans une égalité élargie aux confins de la Terre.

vendredi 9 mars 2012

Le "8 Mars" dans une poubelle


Le canular du sénateur
Ça avait très mal commencé avec cette entourloupette d’un sénateur qui avait fait courir le bruit – et les gogos comme moi- que la moudjahida la plus célèbre du monde Arabo- Berbère allait faire la fête sur les traces de Lakhdar Benkhlouf. L’information, qui n’était qu’un canular- le sénateur en est un grand amateur et un friand consommateur- avait fait comme il se doit, le tour de la blogosphère. Si bien que depuis les confins du Dahra occidental, de nombreux amis ont failli faire le déplacement jusqu’à l’école des beaux arts de Mostaganem pour ne rien rater de cette visite hautement symbolique de Djamila Bouhired. Avec le soutien d’une énigmatique académie de la société civile, pilotée comme une vieille barque du FLN finissant, par un personnage hirsute droit sorti des archives encore gluante du vieux parti unique et pas seulement, la cérémonie avait tout de même réussi le tour de force de faire venir depuis Alger une escouade d’anciens et de nouveaux talents du théâtre et du cinéma national et pompeusement patriotique. Sur place, une invitation expresse avait été envoyé au maitre incontestable du Chaabi, l’infatigable Maazouz Bouadjadj. 
Invitation que ce dernier ne déclinera point, se faisant même accompagner par un authentique militant du FLN historique. Djamila Bouhired en valait bien le déplacement. Avant de rejoindre l’école des beaux arts où avait été organisé une exposition et une collation, j’avais pris le soin d’informer ma collègue Farida que je serais probablement en retard. Grosse déception, j’étais parmi les premiers à rejoindre le lieu de ralliement. Ce qui n’a pas manqué d’interloquer mes amis, du moins ceux qui étaient dans la confidence. Puis au bout d’une bonne demi-heure d’attente, on annonce le cortège du préfet. 


Un flair intact
Mais au débarquement, point de préfet, mais une escouade d’invités, dont l’académicien à la moustache rebelle, trop heureux d’avoir mobilisé autant de monde. Point de Djamila, non plus, mais là personne ne semblait s’en soucier le moins du monde. L’absence du wali avait éclipsé celle de Djamila Bouhired. 
Les apprentis chroniqueurs du coin s’en iront de leurs commentaires à quatre sous…Après une courte halte dans le patio des Beaux-arts, avec Hachemi qui s’affairait à expliquer une installation à base de billes, qu’une dame respectable avait pris pour un chapelet…les convives sortent dans le jardin où une table à « gazouze » avait été dressée. Puis dans un silence assourdissant, le sénateur et l’académicien se mettent à distribuer des paquets cadeaux…de minuscules reproductions qu’aucun convive n’a eut la maladresse d’ouvrir, comme le veux la tradition, surtout s’agissant d’un cadeau sénatorial. Dans ma petite tête, je me suis imaginé le chef de cabinet du préfet, la plus importante autorité présente à cette cérémonie, remettant ce minuscule cadre 24x30 à notre majestueuse Djamila Bouhired…la combattante qui a fait frissonner le monde entier lors de son procès, grâce à son combat mais aussi à un certains Jacques Vergès dont les envolées auront fait trembler le parquet général de la France coloniale…ainsi que les fondements même de la république et de l’état français…comme quoi, une révolutionnaire, même 55 ans après ce procès retentissant, n’a rien perdu de sa vitalité, ni à fortiori de son flair…la gloire est à ce prix…

La seconde défection du wali
Alors que je m’apprêtais à m’éclipser, j’entends Hachemi et son voisin de sénateur m’appelant à haute voix. J’ai de suite compris qu’étant en manque de convives, ils avaient décidés de me compter parmi les personnes à honorer…tout juste pour que ce dernier paquet, probablement celui destiné à Djamila Bouhired…ne reste pas orphelin ; qui sait ? 
Interloqué par autant d’égards, je fais signe que je ne suis nullement concerné, d’autant que personne ne m’avait préalablement informé de ce soudain retour en grâce….surtout pour pallier la défaillance de Djamila Bouhired, un outrage que je ne me serais jamais pardonné….Direction, la maison de la culture que j’atteins en 5 minutes. Après avoir garé la voiture, j’entends les sirènes….tous le monde se met au garde-à vous, les voitures rutilantes de la république arrivent en trombe, vitres fermées et gyrophares déployés. Tous les regards se tournent vers la voiture du wali. C’est le chef de cabinet et l’académicien de la société civile qui en sortent…le temps d’ajuster les mèches rebelles, de jeter un regard hautain, peut être un peu condescendant, envers la foule qui écarquille les yeux à la recherche de la silhouette devenue célèbre du wali…et voilà que convives et officiels se remettent en procession. Ils sont canalisés vers le salon d’honneur où des journalistes avaient déjà pris place. Les tables sont désespérément vides, obligeant tous le monde à se congratuler en attendant le festin. Certains n’ont même pas le temps de s’installer qu’un ordre venu d’on ne sait qui fait repartir la procession. Habituellement, ces tables sont bondées de victuailles, de boissons et de thermos dégoulinants de café et de thé. Pourtant, il y avait bien des verres à thé et des tasses en porcelaine chinoise de mauvais gout.

Courageuse mais pas téméraire
C’est le minium…En face du salon, la salle d’exposition. Des travaux de femmes, cela va sans dire. Zinou, fils de Mazagran, un préposé et néanmoins peintre de talent me donne un « catalogue » surchargé de photos. Une simple feuille que je plie en 4 afin de le faire tenir dans la poche arrière. Des vigiles intransigeants mais courtois, -normal nous sommes en pleine célébration de la journée internationale de la femme-, filtrent les entrées. Ce n’est pas une raison pour interdire à un groupe de jeunes filles de voir l’exposition, mais les vigiles sont intransigeants. Je croise mon patron à l’université qui avait tenu à accompagner sa secrétaire générale – avec un « e » à la fin, ça fait moins peur. Un chauffeur d’une des voitures « fumée » passe avec un grand tableau (au moins du 70x80, plus c’est grand, plus ça compte, surtout un 8 mars). J’essaie de le prendre en photo, me disant que c’est peut être celui-là qui est destiné à Djamila…pas le petit 24x30 que le sénateur voulait me refourguer à l’école des beaux arts…
Puis, se mouvant dans tous les sens, des femmes de toutes conditions rejoignent la salle bleue où a lieu un concert concocté par le sénateur, il y avait même une Aït Hammouda qui se disait courageuse mais qui refusa de se laisser photographier devant les affiches confectionnées par l’académicien. Avec son portrait barrant l’une d’elle sur 5 colonnes…même par un 8 mars, on a beau s’appeler Aït Hammouda et le clamer haut et fort, on préfère ne pas prendre de cliché !

La tête dans la poubelle
Retour à la maison.
Je m’arrête chez le buraliste pour prendre mon journal. En face de la librairie, à deux pas du carrefour tenu en permanence par des agents de sécurité, se dresse un paquet de poubelles. Debout contre l’une d’elle, une femme tenant un sac en plastique de la main gauche. La main droite, la plus agile, fouille méticuleusement la grosse poubelle métallique. Je regarde ce spectacle ahurissant : du pain rancis est machinalement extrait et vite rangé au fond du panier. A voir la cadence qui s’accélère, la prise semble miraculeuse.
Des bouts de plastiques, des bouteilles d’eau minérale écrabouillées sont machinalement écartés. Le geste est précis et le regard très attentif. La femme n’est en rien gênée par la densité de la circulation, ni par le va -- et- vient des piétons. La tête toujours vissée vers le fond de la poubelle, elle cherche les moindres soupçons de victuailles qu’elle glisse aussitôt dans son sac.... qu’elle a manifestement de la peine à remplir. Effondré par ce spectacle insoutenable, je hèle le buraliste, une vieille pupille de la nation, qui m’assure que c’est tous les jours que cette femme vient faire ses courses dans nos poubelles. Je ne sais pas si notre emblème Djamila Bouhired le savait, mais c’est sans doute pour ne pas avoir accès à ce spectacle qu’elle a décliné l’invitation du sénateur. Je ne l’imagine pas, arrivant au niveau du passage à niveau, détourner son regard de ces poubelles où des femmes viennent tous les jours se servir sans sourciller, dans nos restes.

Le couffin de la honte
Franchement, 8 mars ou n’importe quel autre jour, l’image de cette femme appliquée et besogneuse, triant nos déchets à la recherche de la moindre pépite de nourritures que nos estomacs repus ont eut la magnanimité de jeter sans égards afin que des algériens comme vous et moi puissent y trouver une once de survie, est une image la plus haïssable qui soit…faudra-t-il changer d’itinéraire afin de ne plus être confronté à cette pénible et insoutenable réalité ? Ou alors suggérer à messieurs le sénateur et l’académicien, si prompts à mener campagne, d’éloigner les poubelles de nos chemins…Un pays dont les poubelles servent de supermarché à la population ne devrait même pas songer à entretenir grassement un sénat ou une assemblée, voire une académie ou un gouvernement dont l’un des ministres s’enorgueillissait d’avoir fait culminer la liste du « couffin du Ramdhan » – notre resto du cœur patriotique et national- à un million de bénéficiaires. Il n’en est pas digne. Merci encore une fois à Djamila Bouhired de nous avoir fait si mal…c’est que nous le méritons amplement.

dimanche 4 mars 2012

L'Etat au secours des patatiers.... Marocains

Contrairement à mon pays, le Maroc prend l'affaire des dégats sur pomme de terre très au sérieux...En voici la preuve par les chiffres...

Agriculture : Pomme de terre : 10% des 60 000 hectares plantés ont été endommagés par le gel

4 700 hectares ont été totalement détruits. Le ministère de l’agriculture compte subventionner des semences pour replanter les superficies endommagées. Le Maroc dépend de l’étranger pour les semences certifiées.
La pomme de terre a fait les frais de la vague de froid qui a prévalu ces dernières semaines sur la quasi-totalité du pays. Le ministère de l’agriculture annonce que 6 000 hectares sur une superficie totale plantée de 60 000 ont été endommagés, dont 4 700 ha définitivement perdus. Les régions concernées sont, entre autres, le Loukkos (production précoce), le Gharb, Skhirat-Témara, Tiflet, …
Selon Lahcen Abdane, DG de la société Dynamisation de l’agriculture (Dynagri), les pommes de terre qui viennent d’être plantées pourront résister plus facilement tant qu’elles sont à l’état de tubercules. Les autres qui sont en végétation (plants sortis de terre) sont brûlées si le mercure baisse à moins de 0°C, alors que les tubercules sont affectés à partir de -2°C de température du sol. Ces conditions sont réunies avant tout dans les bas-fonds et sols secs. Pour lutter contre les gelées, les agriculteurs utilisent accessoirement l’irrigation nocturne puisque la température de l’eau est plus élevée et qu’elle apporte des «calories» permettant de gagner un ou quelques degrés, vitaux dans ces conditions.
Les pommes de terre d’arrière-saison sont les plus touchées et pourraient atteindre 70% des surfaces affectées. Les 30% seraient celles de saison qui couvrent les 2/3 des surfaces plantées à l’échelle nationale, soit 40 000 sur les 60 000 ha. A l’inverse, les pommes de terre plantées en août et septembre, déjà arrivées à maturité et dont une grande partie est déjà arrachée, subiraient moins de dégâts avec cependant le risque de voir leur rendement diminué suite aux gelées.
Toujours est-il qu’un certain retard a été enregistré lors de cette campagne dans les plantations, en raison de l’hésitation des agriculteurs suite au manque de pluies et de la baisse des prix de la production précédente. De plus, habitués à la combinaison sécheresse-fortes températures, l’effet combiné du froid et de la sécheresse les a surpris.
De l’avis de M. Abdane, les agriculteurs devraient s’orienter vers des zones moins exposées, même si elles sont difficiles à déterminer, pour remédier à ces aléas climatiques. Ils devraient aussi, en vue de limiter l’ampleur des dégâts, diversifier la gamme de leurs cultures, les dates de plantation et les variétés (précoces, semi précoces et tardives). Les producteurs de pomme de terre parlent, pour leur part, de véritable catastrophe naturelle et voudraient que l’on fasse appel au fonds de lutte contre les effets des catastrophes naturelles qui existe depuis 2008.
32 000 à 33 000 tonnes de semences certifiées importées par an
Parmi les mesures prévues face à cette situation, le ministère envisage un soutien aux agriculteurs par la subvention des semences pour replanter les superficies détruites. Les besoins pour cette opération s’élèveraient à 13 750 t environ (5 500 ha x 2,5 t/ha). Cependant, les importateurs estiment qu’il est trop tard pour recourir à l’étranger pour les semences. Leur réticence vient du fait que l’importation de quantités supplémentaires après le 20 février risquerait de déstabiliser le marché, sans oublier les problèmes de maladies, de qualité et de dégâts dus à la chaleur. Par ailleurs, et comme le froid a empêché une partie des agriculteurs de planter leurs champs, il reste un stock de semences invendues qu’on peut estimer entre 7 000 et 8 000 t sur les 32 000 à 33 000 importées annuellement (voir encadré). Selon les professionnels, en plus des semences locales, ce stock actuellement disponible dans différentes régions pourrait sauver la situation.
Le Maroc produit annuellement 2 000 à 2 500 tonnes de semences certifiées, soit moins de 2% de ses besoins. La quantité de semences communes prélevées sur la production destinée à la consommation s’élève à près de 100 000 t, soit autour des 2/3. Le total va de 135 000 à 140 000 tonnes selon les années. Le besoin par hectare dépend de la saison (primeurs, saison principale ou arrière-saison).
Cependant, les producteurs de pomme de terre ne sont pas les seuls à avoir subi les affres du gel. Diverses cultures fragiles, non habituées à ces conditions exceptionnelles, ont été impactées parmi lesquelles la canne à sucre, le fraisier, le pêcher et le nectarinier précoces, les légumes en plein champ, l’avocatier et le bananier. L’élevage aussi a subi de plein fouet les conséquences de cette vague de froid, en raison du manque de pâturages et de fourrages qui a eu pour conséquence le renchérissement des aliments de bétail.
Sur le marché, il faudra s’attendre dans les prochaines semaines, voire les prochains jours, à une baisse de la production de fruits et légumes et, par conséquent, à une hausse des prix au cours des mois à venir.

Agriculture : Le quart de notre consommation en légumes provient des pommes de terre

Le Maroc produit 1,5 million de tonnes de pomme de terre par an, soit le quart de la production et de la consommation nationale de légumes. Cette production est basée essentiellement sur des variétés de domaine public qui datent de plus de 40 ans et qui ne sont plus adaptées aux changements climatiques et aux exigences du consommateur. Ce sont  les variétés appelées :
- Désirée, sélectionnée en 1962 et qui représente plus de 60% des importations marocaines de semences de pomme de terre ;
- Spunta, sélectionnée en 1968 et qui représente 15 à 20% des importations ;
- Nicola, sélectionnée en 1977, qui représente plus de 7% des importations.
La production nationale de semences est en deçà des besoins en raison du manque de compétitivité face aux importations et de la vive concurrence de la pomme de terre de consommation utilisée comme semences.

20 Aout 55, les blessures sont encore béantes

  Propos sur le 20 Aout 1955 à Philippeville/Skikda  Tout a commencé par une publication de Fadhela Morsly, dont le père était à l’époqu...