mercredi 26 juillet 2017
mardi 18 juillet 2017
Ahcène Tlilani et le chapeau de Zighoud
Ahcène Tlilani,
le chapeau de Zighoud Youcef et l’épuration ethnique
Dans une séquence d’une grande sobriété, le Dr Ahcène
Tlilani porte sur l’histoire du mouvement national et sur la guerre de
libération, un regard bien singulier. Accoudé à une grande rigueur
scientifique, maitrisant parfaitement ses sujets- Ahcène Tlilani a plusieurs
cordes à son arc- et doué d’une clairvoyance et d’une grande éloquence, l’enfant
de Sidi Mezghiche, par ailleurs chercheur
et doyen de la faculté des lettres de l’université
du 20 Aout n’a eu aucune peine à épater la nombreuse assistance venue pour la
présentation de son dernier – d’une série de douze- ouvrage consacré au théâtre
algérien. De mémoire, jamais les débats animés par la sémillante directrice de
la bibliothèque principale de Mostaganem, n’ont été aussi intenses, aussi
tendus, aussi prolixes et aussi instructifs. En effet, après une double
présentation de l’auteur et de ses ouvrages par la directrice de la BPLP et par
le doyen de la faculté des lettre de Mostaganem, le Dr Benichou, ce fut au tour
du Dr Tlilani de faire un détour à travers sa jeune et pourtant si fructueuse
carrière d’auteur d’enseignant et de chercheur, dont les travaux s’articulent
autour du théâtre et de la guerre de libération. Et c’est là où le public
composé de femmes et d’hommes du 4ème art, dont d’éminents
spécialistes, ainsi que d’étudiants dont certains- dans les deux sexes- feront
sensation par leurs interventions et autres questionnements. Au point où les
débats furent prolongés jusqu’à une heure tardive de la soirée. Comme le
soulignera d’emblée Ahcène Tlilani , avec une généreuse humilité, les deux
ouvrages qui ont marqué son riche et si élogieux parcours sont l’ouvrage sur le
Théatre durant la guerre de libération – traduire plutôt par guerre
révolutionnaire, pour Tlilani le mot « Thaoura » est traduit sans
détours et sans équivoque par le mot « Révolution »- , dont la préface
est signée d’Abdelhamid Mehri en personne – qui fut membre du premier GPRA
et ensuite ministre et secrétaire général du FLN-, ce qui constitue en soi une
première, le personnage étant réfractaire à ce genre d’exercice.
On comprend alors le
bonheur et la fierté de l’auteur qui se trouve honoré par une préface dont l’auteur
est lui-même un personnage historique. L’auteur y retrace avec menus détails
comment le théâtre algérien a été impliqué au point de servir d’appoint d’une
grande importance à la révolution Algérienne. Il poussera l’analyse jusqu’à
souligner que la première pièce « Les Enfants de la Casbah» écrite par
Abdelhalim Raïs et jouée pour la première fois à Tunis par la jeune troupe du
FLN, avait bien plus d’esthétique « jamaliyatte » que de nombreuses
pièces du répertoire d’aujourd’hui.
Ma seconde fierté dira-t-il, c’est incontestablement le livre consacré à Zighoud Youcef. Mais là, le discours enflammé
du conférencier mettra la salle sens dessus dessous. Car le héros du livre n’est
autre que « Si Ahmed », alias Youssef Zighoud, natif des « Toumiyatte »
ces montagnes jumelles qui surplombent vers le nord la vallée encastrée et
fertile du SafSaf qui prend ses sources dans la région d’El Harrouch et par le
sud, les vallons de Smendou à Hamma Bouziane que domine dans toute sa splendeur le Vieux
Rocher et la cité de Sidi Rached, l’imprenable
Constantine.
Pendant que les intervenants égrenaient leurs discours d’une bien
inégale clameur, défilaient sur l’écran les images des couvertures des ouvrages
de Tlilani. Dont une des plus célèbre, prise en son temps dans le maquis par
Ammar Benouda – membre des 22 historiques, excusez du peu-, c’est l’image
iconique du colonel Ziroud avec son fameux chapeau de brousse. Ahcène Tlilani,
en succulent conteur, et en chercheur avisé, nous parlera alors de l’origine de
ce chapeau. Et comme à notre connaissance ni son livre – rédigé en langue
arabe- ni cette histoire ne sont connus du public, il est impératif que je
fasse œuvre utile. Durant la Révolution, après la mort – le 18 janvier 1955- du
chef de la wilaya II historiques connue sous le nom de « Nord
Constantinois, en l’occurrence la martyr Didouche Mourad – mort en martyr dans
l’oued Boukarkar, qui draine le versant sud des Toumiyatte-, c’est son adjoint
Zighoud qui prendra sa suite. C’est donc durant le printemps 1955, qu’un groupe
de « Fellagha » de la glorieuse ALN, capture un jeune soldat français
du contingent. Contrairement à l’idée répandue et par l’administration
coloniale et par quelques nervis indigènes – dont certains viennent de se
manifester honteusement à l’occasion de ce 5 juillet, à Oran- le colonel
Zighoud Youcef a toujours et de tous temps interdit à ses Moudjahidines de s’attaquer
aux civils européens . Mieux, lorsque ce jeune soldat du contingent lui fut
ramené, il le traita avec égards. Puis, ayant appris que ce jeune appelé n’avait
rien d’un sanguinaire parachutiste ni d’un zélé administrateur, il décida de le
relâcher sain et sauf. Le soldat qui n’en croyait pas ses oreilles, ne savait
plus comment remercier son bienfaiteur et magnanime geôlier. C’est ainsi qu’il
offrira à Zighoud Youcef le seul objet dont il pouvait décemment se séparer.
C’est
ainsi qu’en quittant le groupe de Moudjahidines, il offrit son chapeau de
brousse à Zighoud Youcef. Qui en fit de suite son précieux couvre chef et qui
ne le quittera jamais jusqu’à sa mort …dans une maison qui lui servait de
refuge…à Sidi Mezghiche…le village natal d’Ahcène Tlilani, dont la famille,
comme la plupart des familles de cette région s’étalant entre El Harrouch,
Collo, Azzaba et Skikda. Qui payeront le plus lourd tribu lors de la répression
qui s’abattit sur la région suite à l’insurrection du 20 aout 1955.
Insurrection, qui fit pas moins de 20.000 victimes civiles parmi la population
indigène. Ce chiffre sans équivoque est publié dans le livre du chercheur
américain Mattew Connally « L’Arme secrète du FLN, comment de Gaulle a
perdu la guerre d’Algérie", où l’auteur cite un entretien entre Yves Calvet, le représentant
de Jacques Soustelle à Paris avec l’ambassadeur Américain en France…
Cette histoire du chapeau le plus connu de la guerre de libération étant définitivement publique grâce à Ahcène Tlilani, il va bien falloir demander des comptes à JP Lledo et à ses amis communistes ainsi qu’à la France coloniale, qui n’ont jamais cessé de dire que la Révolution Algérienne n’a jamais été une « guerre d’épuration ethnique ». D’ailleurs, à la mort de Zighoud Youcef, les soldats français ont récupéré sa sacoche…qui a été précieusement gardée et méticuleusement analysée. Afin d’y trouver le moindre indice ou document pouvant faire éclairer l’opinion sur ce prétendu appel à « l’épuration ethnique » dont on continue d’affubler la Révolution algérienne…
Cette histoire m’interpelle personnellement. En effet, c’est
lors de la conférence d’Ahcène Tlilani que j’ai fait la rapprochement entre le
nom de guerre de Zighoud Youcef et le lieu chois pour l’insurrection sur Skikda…Pourquoi
le choix de notre Marabout Sidi Ahmed ? ensuite, il y a cette histoire
racontée dans le film de Jean Pierre Lledo par deux témoins, le Moudjahid
Laaroum et mon oncle Mohamed Mouats. Tous les deux ont souligné que mon oncle
Lyazid Mouats qui dirigeait une des deux colonnes de résistant, était tombé nez
à nez avec le colon Messina, sa femme et ses enfants. A ses djounouds qui
voulaient les tuer, Lyazid Mouats a ordonné de les épargner car « ce ne
sont que des civils »…ceci n’a pas empêché le colon Messina, de dénoncer mon oncle
et notre famille…ce fut la terrible représailles du 23 aout 1955…à laquelle
plus de 80 femmes et enfants furent jetés en les pâture à la chaleur, à la soif
et à la misère. Tandis que 23 hommes et adolescents – dont mes oncles Salah et Rabah étaient âgés de 14 et 16 ans-
furent emmenés vers une destination inconnue. Jusqu’à ce jour, nul ne sait où
leurs corps furent livrés à la hyène et aux corbeaux.
Aziz Mouats
Mostaganem le 18 juillet 2017…
lundi 17 juillet 2017
La presse, cœur du Festival de Mostaganem
La presse, cœur
du Festival de Mostaganem
Par : Aziz Mouats
En cette 50ème édition, si le
Commissariat du festival de théâtre amateur de Mostaganem voulait publier
toutes les contributions journalistiques depuis la première édition, il
pourrait disposer au bas de mot de 5 milles pages de journal. Soit un livre de
pas moins de 20 milles pages[1].
Ces chiffres sont tout à fait probables, ce qui donne une petite idée du
travail accompli par les journalistes à travers une couverture assidue du
festival. Pourtant, la relation à la presse n’a jamais été un fleuve
tranquille. Il est possible de séquencer cette cohabitation en étapes. Celle du
commencement, avec les plumes les plus brillantes, dont certaines de renommée
mondiale. La seconde, sous l’emprise du FLN et de l’UNJA, qui verra l’arrivée
du journaliste militant. Puis celle l’incertitude d’avant et d’après octobre 88
avec l’intrusion de la presse privée. Enfin, la période de la décadence qui
coïncidera avec l’apparition de l’internet. A chaque période, ses plumes, ses
lignes éditoriales, ses contingences, ses connivences et ses dérives. Après
cette 50ème édition, quelle communication pour le festival ?
De la «Com» de haute voltige
Le premier vrai coup de génie
de Si Djilali reste incontestablement celui du choix de la période de
déroulement du festival. S’il est vrai que la première édition coïncidait avec
l’ouverture de la quinzaine commerciale de la ville[2],
il est permis de penser que si cette période n’était pas propice à la venue de
nombreux journalistes en mal d’activités du fait de la vacuité de la scène
politique, Si Djilali aurait certainement opté pour cette période estivale.
S’il y a bien un journaliste dont la
perspicacité n’a jamais été démentie, c’est bien Kémal Bendimered. En plus d’être l’une des mémoires
vivantes du festival du théâtre amateur, l’incontournable Kémal Bendimered, c’est
sans doute celui qui aura à sa manière imprimé un véritable label au festival. A
l’instar de ses pairs de la presse de l’époque, il donnera le meilleur de
lui-même pour faire de cette manifestation singulière, un lieu où convergeront
sans discontinuité tous ceux qui avaient la culture en partage. Avec Hamid
Bouchakji d’El Moudjahid, Abdelkader Djemaï de La République, Hamdane Belouassouassi
le chef du bureau APS, ils seront comme ces pionniers, ouverts à toutes les
initiatives. Cette période a vu également l’apparition d’autres jeunes et
parfois brillant journalistes et autres correspondants. On peut citer A.
Bousserouel, Benbaghdad, Brahim Hadj Slimane. On a même croisé Paul Balta qui était le correspondant de l’illustre quotidien français
« Le Monde » à Alger. A ce titre, il était devenu l’un des proches
confidents du président Houari Boumediene qu’il côtoya durant tout son règne.
Il y avait aussi un certain Kosseï
Salah Derouiche, un Syro-Palestinien, proche des milieux de gauche et
d’Abderrahim Bouabid[3],
Très vite, ces gens de plume vont
prendre l’attitude du parrain. Qui n’est pas celle du père. Cette promiscuité,
contrairement à ce qui se passera plus tard, n’était suspecte de rien. Autant,
cette première génération était professionnelle, malgré une jeunesse et un
savoir faire hésitant, autant son engagement pour le festival était sans
bavures, sincère, profond et totalement
désintéressé. Chacun de son coté, comme s’ils s’étaient donné le mot, cherchait
à faire son métier d’information et de critique ; sans jamais verser dans
l’excès. Cette attitude était la règle et elle sera respectée par la seconde
génération, celle que l’on peut désigner par le terme galvaudé de
« fournée de l’UNJA » avec son organe central l’Unité[4].
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, cette seconde génération de
journalistes ne manquera ni de talent, ni de discernement. Il y a là Kamel
Alouani, Arezki Metref et tant d’autres plumes toutes aussi érudites, toutes
aussi sincères, toutes aussi engagées, toutes aussi incontournables. C’est grâce
à leurs écrits que ce formidable mouvement culturel continue de propager ses
vibrations dont se nourrissent les générations successives des jeunes acteurs
amateurs. Celles qui, par vagues ininterrompues, n’hésiteront pas à faire du
festival de Mostaganem, un passage obligé. Mieux, un lieu de ressourcements
multiples. Qui, très souvent devenait un lieu de consécrations pour nombre
d’entre eux.
C’est autant grâce à
l’image qu’aux écrits journalistiques que ce festival de tous les défis se fera
connaitre et surtout reconnaitre. Non seulement dans les moindres recoins
de l’Algérie, mais bien au-delà de nos frontières. Car combien même à ce jour,
les écrits journalistiques n’auront pas eut droit à la moindre manifestation
d’un début de reconnaissance, il est indéniable que ce sont les centaines
d’articles parus dans la presse nationale, essentiellement de langue française,
qui auront frontalement participé à la notoriété de cette union-libre de
Mostaganem avec le quatrième art. Ca n’est point usurpé de rappeler le rôle
joué par les photographes professionnels et amateurs[5]
dans la visibilité de cette manifestation.
Mais contrairement à ce qu’on
pourrait croire, la relation n’aura pas été aisée entre les troupes
participantes, les artistes, les organisateurs et la presse. Dont les envoyés
spéciaux auront fait montre d’une grande objectivité, d’une réelle liberté de
ton et surtout d’un grand engagement auprès du festival. Un engagement sans
lequel, cette manifestation n’aura jamais survécue aux impérities, aux
entorses, aux injonctions et aux manipulations de tous ordres. Car, on le sait,
depuis la première édition, ni les manœuvres de déstabilisation ni les
tentatives de délocalisation ou de domination n’auront manquées.
Le temps aidant, on peut
aisément faire la part des choses entre un journalisme de complaisance et un
journalisme rigoureux, critique et intelligent. Dans ce cadre également, il
n’est pas possible de nier que Mostaganem fut une très bonne école. Celle d’un
journalisme intransigeant, courageux, engagé, implacable et profondément
patriotique en ce sens que pour lui, seul l’intérêt général primait. Ce n’est
pas sans raison que les seules reliques que chaque festivalier gardera
jalousement dans un placard, sont ces coupures de journaux de l’époque. Que les
festivaliers s’arrachaient dans les kiosques et les quelques rares librairies
de la ville
Au fil des éditions, la
couverture médiatique se fera de plus en plus dense, de plus en plus diverse et
de plus en plus professionnelle. Du moins durant les quinze, voire les vingt premières
années[6].
Car bien avant l’avènement de la presse privée, les écrits de qualité se feront
moins prégnants. Une nouvelle génération venait de prendre le relais, dans des
conditions très particulières.
Alors qu’il ne subsiste que peu
de texte de la première édition, il n’en sera plus de même pour les suivantes.
Mais c’est incontestablement à partir de la 3ème édition, celle
d’aout 1969, que les écrits journalistiques se feront plus nombreux et plus
incisifs. Ce constat n’est pas uniquement dû à la qualité des spectacles ni à
la prestation des jeunes acteurs qui feront vibrer les planches, au grand
bonheur d’un public exigeant, chauvin, insatiable et parfois insolent. Il
s’explique surtout par la présence chez les gens de la presse, de nombreux
talents en herbe qui n’attendaient que ce challenge pour exploser. Ce festival
n’est qu’une insolence naturelle chez une jeunesse en quête de repères et de
nouvelles sources de motivation. C’était çà l’ambiance bon enfant qu’offrait
Mostaganem à un pays qui se cherchait une voie spécifique vers une nouvelle
forme d’émancipation.
Des écrits qui resteront dans
la mémoire collective. Comme des écrits d’une grande pugnacité. Il suffit de
relire des papiers de l’époque pour se rendre compte de l’étendue de la palette
culturelle des journalistes de ce temps là. Pourtant, durant ces années
d’insouciances et de luttes, l’exubérante et généreuse toile du
« Net » n’existait pas. Un réel paradoxe, alors que de nos jours,
toutes les pièces du patrimoine universel sont disponibles sur la toile
mondiale, on se complait à décrire l’ambiance autour du festival au lieu
d’aller à la critique. Mais pour cela, il faut avoir des outils que seule la
curiosité culturelle peut offrir à celui qui se soucie de la perfection. Force
est de constater que la nouvelle génération de journalistes aura trop souvent
manqué de ce minimum vital.
Car, contrairement aux
premières troupes de la première édition, la venue du CRAC de Constantine
allait mettre le festival sur une voie royale. En effet, les constantinois
donneront un spectacle élaboré, grâce à un texte dense et judicieusement
structuré, si bien que la presse de l’époque, sous les plumes avisées et
acérées de Tahar Djaout[7],
Abdelkrim Djaad, Boukhalfa Amazit, Hamid Bouchakdji, Kémal Bendimered,
Abdelkader Djemaï, Djamel Eddine Merdaci, Mohamed Ali Lahouari[8],
et tant d’autres, souligneront dans une introuvable unanimité le formidable
bond qualitatif de la seconde édition.
Rassurons-nous, cette unanimité
sera de courte durée ! Ce qui est plutôt de bons augures pour la suite de
la compétition, car des distorsions, des contradictions, des altercations, des
conflits, il y en aura à profusion chez les journalistes et correspondants.
Surtout qu’avec l’avènement dès 1975 de l’UNJA, qui éditait son hebdomadaire L’Unité,
la scène médiatique allait s’enrichir de fraiches et succulentes plumes.
Des jeunes journalistes qui
auront d’abord renouvelé et enrichie la scène médiatique, dont certains, à
l’image d’Arezki Metref, s’affirmeront avec élégance, aux cotés des ténors
d’alors. Inutile de souligner combien l’émulation fut prolifique. Lors des
débats d’après spectacles, qui à l’époque étaient la règle, ainsi que durant
les conférences de presse, il fallait savoir garder raison pour ne pas s’emballer.
Les responsables des troupes, ceux qui étaient habilités à animer les
conférences, se retrouvaient souvent face à un sympathique mais intransigeant
jury, un mini tribunal où les acteurs avaient changé de ton.
A l’époque, la qualité des
débats et des écrits qui en résultaient, reflétaient à la fois la qualité des
pièces présentées et la verve des jeunes et talentueux correspondants et autres
envoyés spéciaux. Qui avaient très bien révisé leurs classiques, comme
l’attestent leurs nombreuses contributions. En définitive, il se produira une
véritable symbiose entre les journalistes et les comédiens et autres
animateurs. En reprenant scrupuleusement les préoccupations rapportées dans les
pièces, la presse ne faisait que répercuter un fait de société. Ainsi faisant,
les journalistes ne traitaient jamais de problèmes politiques ni des
revendications sociales, que sous l’angle du compte rendu. Cette synergie
permettait de véhiculer les messages de soutien au monde ouvrier et paysans, de
parler des luttes sourdes qui travaillaient la société. La presse aidait à
amplifier tous les cris de détresse en provenance des couches populaires. Elle
mettait un point d’honneur à répercuter l’engagement des participants aux cotés
des paysans sans terre et à amplifier toutes les revendications qui
s’exprimaient sur les planches.
A la lecture des papiers de
l’époque, on découvre que l’aspect le plus prégnant est sans conteste la grande
humilité des journalistes. En voici une illustration à travers un article de Hamid
Bouchakdji, l’envoyé spécial d’El Moudjahid, parlant de la troupe
du CRAC[9],
dans l’édition du 22 aout 1969 : « Déjà lauréats en 1968, les Constantinois seront cette année encore
parmi les favoris du concours, d’autant plus que, selon certains dires, le
spectacle des premiers jours ne semble atteindre le niveau de l’an dernier, en
raison sans doute d’un manque de présentations et d’expérience. Cependant, les
spécialistes du théâtre qui suivent ce festival ont noté avec satisfaction le
sérieux des sujets traités et un souci de recherche dans la forme théâtrale et
la mise en scène ».
A propos de l’esprit de tolérance dont feront preuve ces journalistes,
voici l’exemple de la troupe “Prolet Kult », sujet polémique
par excellence, le journaliste A. Bousserouel, après avoir descendu en flèche
les acteurs, ponctuera ainsi son texte : « A la
décharge de ces jeunes, il faut signaler qu’ils ont été pratiquement livrés à
eux-mêmes, sans aides, ni conseils, et c’est déjà un miracle qu’une troupe
théâtrale puisse encore exister à Saïda ». Ce passage à lui seul suffit à
se faire une réelle idée de l’extrême tolérance dont firent preuve à la fois
les organisateurs et les critiques. Les uns refusant ostensiblement de ramener
l’élite, si tant est qu’elle existât, et les autres jouant à fond leur rôle de
critique inféodés uniquement à leur conscience. C’est aussi l’exemple parfait
et vivant de cette intelligence des responsables du festival que d’être
parvenus à faire converger des idées et des points de vues différents et
parfois contradictoires, vers un objectif commun.
Une critique sereine
En 1974, après une longue
convalescence, le dramaturge Mostaganémois Ould Abderrahmane « Kaki »
se signale par une présence soutenue au festival. Dont la commission est
présidée par Ghali Elaakeb, le poulain de « Si Djilali ». A l’époque,
« Kaki » ne ratait aucune occasion pour venir soutenir ses amis
d’enfance. Et aussi prendre le pouls de cette expérience que ni lui, ni Mustafa
Kateb, le directeur du TNA, n’avaient vu d’un bon œil lors de son lancement. Après
une longue convalescence – consécutive à un terrible accident survenu 6 ans
plus tôt –, Ould Abderrahmane « Kaki » prenait le temps de participer
aux débats d’après spectacle qui étaient la règle. On constate de suite que les
débateurs n’y allaient pas de main morte. Grace à la sagesse de « Si
Djilali », de « Kaki » et de nombreux journalistes, les débats
étaient recentrés sur l’essentiel. A savoir une critique constructive,
positive, objective et sereine. Ce ne fut pas toujours le cas, si bien que,
plus tard, durant plusieurs années, les débats seront tout simplement
supprimés. Pas sûr que cela fût utile au théâtre. Pas plus qu’à l’expression
libre d’une jeunesse engagée à fond dans le combat contre toutes les formes
d’oppression. Il est bon de souligner que la participation de ces personnalités
aux débats ne relève pas de la simple convenance protocolaire. En effet, ni
«Kaki» ni Si Djilali ne se priveront d’intervenir dans les débats souvent
houleux d’après spectacle. Cette présence a eut plusieurs avantages.
D’abord
pour les jeunes journalistes. Qui vont trouver en ces spécialistes de l’art
scénique de véritables pédagogues. Sans doute, est-ce la plus grande
contribution de Kaki à l’épanouissement d’une critique saine avant-gardiste.
Ces séquences d’interminables débats vont faciliter et aider à la mise à jour
des connaissances. Ce qui va non seulement profiter aux acteurs, mais également
à la corporation des journalistes, obligés de porter la contradiction…à armes
égales. Comme en face, il y avait aussi de la répartie chez les animateurs des
troupes, mais également chez de nombreux acteurs, on en est arrivé à asseoir
une véritable critique et une véritable débat. Ce qui obligera les jeunes
journalistes à se tourner vers les classiques afin d’acquérir les rudiments
d’une critique solide. Il leur fallait maitriser leur sujet pour tenir tête à
ces jeunes animateurs de troupes qui ne s’en laissaient point conter.
On reste frappé par la qualité
des écrits, d’où perle une réelle maitrise du sujet à l’exemple de ce texte de
Hamid Bouchdjakji :
« Certaines scènes sont à revoir : Celle du chant du corbeau et
particulièrement du chant de la Palestine, tableau qui, à notre avis, est à
remanier entièrement. Le monologue des protagonistes est confus, fatiguant
aussi bien pour l’acteur que pour les spectateurs, truffé d’allusion et de
paraboles qui ne portent pas et qui desservent le but recherché : à savoir
la lutte d’un peuple (Palestine) arabe devant le sionisme.
Ce tableau qui nous touche à plus d’un titre,
gagne à être étudié plus sérieusement, pour lui donner l’impact qu’il doit
avoir et ce, en rendant le texte plus conclus, plus cru, et en le débarrassant
des passages creux qui ne parviennent qu’à traduire le verbiage de ceux qui
prétendent défendre les Palestiniens.
Le vrai spectacle a eu lieu après la fin de la
représentation, lorsque l’animateur - Othmani Mokhtar – entouré des éléments de
sa troupe[10],
est venu engager le débat. C’est alors que les diatribes les plus violentes se
déchainèrent parmi l’assistance. En réalité, et c’est la chose qu’il faut
regretter, les candidats au dialogue n’étaient pas nombreux. Pratiquement tous
ceux qui ont pris la parole, portaient le macaron du festival. Le spectateur
lui, une fois la représentation terminée, a quitté la salle, pourquoi ?
Parce que le choix de l’heure est malheureux (23h30). Parce que ceux qui
prenaient la parole voulaient la garder et s’enliser dans les dialogues et les
polémiques stériles. Enfin parce que nous avons senti qu’il existait une certaine
animosité de la part de ceux qui critiquèrent la pièce.
Abderrahmane « Kaki » semblait déçu par
la tournure prise, malgré le conseil qu’il donna aux parties de dépassionner la
discussion et d’axer les débats sur les valeurs intrinsèques de la pièce et de
son interprétation… »
A la veille de la clôture de la
septième édition, on pouvait lire, sous la plume d’Abdelkader Djemaï, ce
redoutable constat: « Se cherchant
et se perdant, indécis, piaffeur, persifleur et pas souvent costaud, le jeune
théâtre a été cette année assez maigre. Demain, il lui faudra prendre la
route ».
Toujours aussi incisif, A.
Djemaï poursuit : « Néanmoins,
au cours de ce festival, il aura essayé de trouver sa voie. Comme les années
précédentes. Et à chaque fois, n’osant pas se remettre pleinement en question,
il se mord la queue. N’osant pas affronter les problèmes en face, il se montre
de profil, parfois à l’envers. Et à l’endroit des troupes, il faudra insister
sur le manque de responsabilité, en choisissant le théâtre comme moyen d’expression
privilégié. Sept fois un festival, quelques tentatives, beaucoup de troupes,
pas assez d’initiatives, de temps à autre des éclairs. Le bilan est à mettre au
passif et ce théâtre a encore des dettes à payer envers lui-même ».
Abordant la question des
moyens, le journaliste empruntera une parabole qui en dit long sur la
coercition ambiante : « Si le
jeune théâtre déjeune, il ne soupe pas. Le bouillon de culture verra flotter
quelques morceaux de choix. On boit des lèvres et on repousse l’assiette. On
boit des yeux et la scène n’offrira plus rien ».
Se faisant plus incisif,
l’auteur, en observateur averti, devient très critique : « Voir les choses du bout de la
lorgnette n’arrange personne. Voir les choses en termes de devenir et pourquoi
pas en grand. Cela appartient au jeune théâtre de se vouloir comme il le
désire… Pour cela, il devra se mettre en situation et en demeure d’avoir à
charge un devoir envers un public populaire, à le respecter et à lui apporter
des œuvres qui le concernent ».
C’est vers le spectateur que le
journaliste se tourne pour mieux faire passer son message : « Si le public du festival de
Mostaganem a ses humeurs, si parfois il est turbulent, insupportable, s’il
rechigne et fait la tête, s’il bouscule quelques peu l’ordre et boude devant ce
qu’on lui présente, il a néanmoins des raisons. Celles de ne pas l’ennuyer et
de faire à ce qu’il décroche à chaque fois. Il aime être vaincu, c'est-à-dire,
une fois de plus, à être convaincu. L’excuse facile est de l’éviter pour son
caractère. La nécessité : de le saisir par les ‘’cornes’’ en lui offrant
des pièces qui l’intéressent et en lui apportant ce qu’il attend ».
On le sent un peu déçu notre
ami, mais il ne manquera pas de « boucler » par une note
d’optimisme : « ce jeune
théâtre a cependant dans le cœur et dans la tête la possibilité de remédier à
sa crise d’adolescence. Il se veut pour la Révolution agraire, et veut la
défendre par le moyen du théâtre. Un choix d’importance. Il lui restera la
possibilité de la défendre par la réflexion dans son travail ».
Le témoignage d’Omar Fetmouche
est poignant de sincérité, il décrit une véritable arène, où ne manque que la
mise à mort: « Imaginez- vous avec
une quinzaine de jeunes d’à peine 14 ou 15 ans, qui débarquent dans la fameuse Salle Afrique ! Ce fut un choc extraordinaire pour toute la troupe ;
c’était une propulsion dans cette terrible ambiance, un vrai chaudron que cette
salle ! Le vaccin à quadruple dose et un public insensible à notre jeune
âge, intransigeant comme à son accoutumé et, disons le, sans pitié pour notre
frêle troupe. Le spectacle a été très mal accueilli, moi j’avais à peine 20 ans
et j’avais été totalement déboussolé par cet accueil du public. Puis vint la
séquence interview avec le redoutable Arezki Metref, qui deviendra plus tard un
ami. Il travaillait à l’époque pour L’Unité, organe central de l’UNJA. Les questions
fusaient comme des flèches, et moi dans cette tempête j’essayais de garder mon
calme. Ce fut terrible, j’avais perdu mon self-control et commençais vraiment à
douter de moi et de mes jeunes acteurs. Je regrettais même de les avoir engagé
dans cette aventure et je craignais de les blesser à jamais et de leur faire
perdre confiance en moi, mais surtout en eux ».
Reprenant son souffle, il
décrit l’ambiance surchauffée de la conférence de presse : « Ce fut une situation d’extrême
culpabilisation que je n’avais jamais connue auparavant. Et à laquelle je ne
m’attendais pas du tout, surtout après le passage en auditions devant le jury
de sélection. Me revenait à l’esprit les éloges de Djamel et de Benmokaddem, il
n’était pas possible qu’ils se soient trompés à notre égard. En pensant à eux,
j’avais l’impression de les avoir quelque part trahis ! Bref, j’étais au
fond du gouffre lorsque je vois arriver vers nous le patron de ce festival,
l’imposant « Si Djilali », celui qui n’intervient que très rarement
dans les débats et pratiquement jamais dans les conférences de presse. Et voilà
que lui, le formidable et très paternel « Si Djilali » qui demande
calmement à prendre la parole tout en continuant à tirer sur une interminable
cigarette. Ce fut le silence total, tous les présents, journalistes et acteurs,
étions scotchés à ses lèvres. D’un ton très calme de celui qui sait son poids
dans la balance, il prononcera des paroles que je continue à sublimer comme une
délivrance : ‘’ Ecoutez moi
bien, disait-il, méfiez vous de cette troupe et de ces jeunes, vous allez les
avoir pendant longtemps sur le dos, car ils n’ont pas encore tout dit, loin
s’en faut ! ’’.
Ne cachant point son
soulagement, Omar Fetmouche ajoutera : « La messe était dite, le grand patron, celui qui ne doute de rien, qui
donne de l’assurance et de la dynamique au festival venait de trancher les
débats à notre avantage. Je ne sais pas si son intervention a eut une
quelconque influence sur les journalistes et les critiques, mais ce que je sais
c’est que nous venions d’être sauvés par ce grand «Monsieur» à qui nous devions
tout ! C’était ça «Si Benabdelhalim», un génie au grand cœur et un immense
découvreur de talents. Lui seul savait rassurer et lui seul pouvait rassurer.
C‘était pour moi et pour ma très jeune troupe le plus bel hommage. La dernière
partie du festival fut pour nous une véritable consécration, car de toutes
parts, on nous reconnaissait et on nous saluait. Moi qui revenais une année
après à Mostaganem, mais cette fois-ci dans l’habit de l’animateur de théâtre,
je n’en revenais pas ! Alors que j’avais quitté l’ITA pour une autre vie,
je ne m’attendais surement pas à être consacré une année après dans cette même
ville, mais dans un autre registre. Celui que j’avais choisi en toute
conscience et en toute passion ».
A la 24ème édition,
dans le numéro 1298 de l’hebdomadaire Algérie Actualité, Abdelkader
Djemaï fait lui aussi ce terrible constat. Sous le titre : « Mosta, au petit bonheur la chance »,
déjà très évocateur, l’intellectuel Oranais rédige un chapeau à l’article de
Brahim Hadj Slimane. Dans un verdict des plus alarmants, voici ce qu’il disait :
« Vingt quatre ans d’existence et
toujours pas de public. Le festival a son histoire, ses heures de gloire, ses
talents et ses périodes noires. Au temps des censures bêtes et méchantes, il
trouva son ton dans la virulence. Manquant certainement de souffle et dans un
climat plutôt hostile à toute forme d’expression, depuis quelques années, il
patine sec. De Saïda à Constantine, de Tiaret à Alger, les grandes formations
se sont retirées en silence. Autrefois, vivier du mouvement théâtral,
aujourd’hui, juste une nostalgie qu’on égrène une fois l’an. L’échéance du
Festival passée, chaque troupe retourne à sa case départ. Sans moyens, sans
formation, sans local le plus souvent, le théâtre amateur a, malgré tout, donné
au professionnel quelques-uns de ses meilleurs atouts et une part, aussi, de
son style éclaté. Retrouvera-t-il son élan, ses interrogations ? En
attendant, il se cherche et peut être, comme il l’a déjà fait, puisera-t-il
dans son propre drame, la force de sa jeunesse ».
La province contre Alger
Très
curieusement, avec l’ouverture politique consécutive aux manifestations
d’Octobre 88, suivie de l’apparition – sous l’impulsion de Mouloud Hamrouche-
d’une presse privée, on vois émerger
dans l’arène une nouvelle corporation, celle des correspondants locaux. La
conséquence sur la pratique journalistique va avoir des retombées inattendues.
Le journaliste qui va couvrir le festival n’est plus cet envoyé spécial venu
d’Alger, mais le voisin, le collègue ou l’ami que l’on croise tous les jours et
avec lequel il est possible d’établir une relation de proximité, voire de
connivence. Ça ne se passera pas
toujours ainsi. Habituellement, l’envoyé spécial venu d’Alger, d’Oran ou de
Constantine, était dans la plupart des cas, choisi en fonction d’une certaine
compétence dans le domaine culturel, ou à tous le moins doté d’une forte
attirance pour la critique et pour l’art du spectacle. Ce qui supposait une
certaine prédisposition, voire simplement une grande envie d’apprendre. Il se trouve que chez le correspondant local,
par définition, il était choisi pour couvrir toute l’actualité, rien que
l’actualité et les faits divers. Parfois, lorsqu’il avait une certaine fibre
culturelle, c’était plutôt mal vu par la rédaction centrale. Force est de
constater, qu’à l’usage, rares seront les partenaires du festival qui pourront
se prévaloir d’une grande passion pour la culture. Il fallait donc faire contre
mauvaise fortune bon cœur. Sans doute que la décennie noire y était pour
quelque chose, mais les écrits journalistiques se feront moins prégnants, moins
élaborés. Certes il y avait encore quelque belles plumes, mais nous étions à
mille lieues des papiers de la génération précédente. Puis, avec la mise en
place du commissariat, les moyens aidant, la presse sera très vite choyée. Mais
cette générosité ne profitera pas aux correspondants locaux. En effet, avec la
mise en place d’un chargé de la communication, les responsables engagent un
bras de fer feutré. Grâce à des complicités algéroises bien infiltrées dans les
médias aussi bien publics que privés, la conférence de lancement du festival
sera réservée aux journalistes algérois. Puis, très vite cette complicité se
concrétisera sur le terrain. Les journalistes triés sur le volet, vont être
ramenés à grands frais à Mostaganem. Avec à la clef, une prise en charge royale
au niveau des complexes touristiques des Sablettes. Mettant dans une gêne
terrifiante les correspondants locaux.
Malheureusement, les résultats seront
bien en deçà des espérances. Des partis
pris flagrants vont apparaitre. Lors des débats, de nombreux journalistes,
contrairement à leurs ainés des deux précédentes générations, s’érigeront en
véritables jurys populaires, encensant
une troupe « amie » ou originaire d’une région particulière et tombant
à bras raccourcis sur une troupe concurrente. Qui ne se souvient de ces
lamentables joutes oratoires où les honorables journalistes transformaient le
débat en une véritable arène où le pugilat se le partageait au lynchage? Nous
sommes très loin de cette époque bénie où le journaliste se gardait bien de
donner son avis devant le public et face à des jeunes comédiens pris en
tenaille. A l’évidence, l’absence d’une autorité morale ouvrait les portes à
toutes les dérives. Et très curieusement, les responsables ont laissé faire. Si
bien que très vite, l’impact de la presse sur la manifestation avait pris une
tournure dramatique.
Voilà
qu’un jour, quelqu’un a eu la généreuse idée de créer une revue du festival. De
nombreux journalistes, dont certains envoyés spéciaux s’engouffrèrent dans la
brèche. Après tout, pourquoi la manifestation n’aurait-elle pas sa propre
communication ? Sauf que dans cette affaire, il y avait tout de même une
entorse à la déontologie. Car les honorables correspondants jouaient sur deux
tableaux. Nous sommes bien loin de cette époque où le rédacteur en chef
d’Algérie Actualité interdisait fermement à Ahmed Cheniki, son jeune envoyé
spécial, toute prise en charge par le festival !
En guise de conclusion
Durant les 25 premières
éditions, le couple presse-festival aura vécu dans une parfaite communion, ce
qui n’empêchait pas les discordes, les coups tordus, les reniements, les
bouderies, voire la séparation houleuse, juste le temps d’une soirée. Le
lendemain, tout rentrait dans l’ordre. Ce qui transparait clairement de nos jours,
c’est que sans cette présence de la presse, jamais le festival n’aurait atteint
une telle notoriété, aussi bien nationale qu’internationale. Mais ce serait
faire preuve d’égarement coupable que de ne pas souligner par ailleurs que
cette harmonie et cette synergie n’ont été possible que garce l’existence d’une
presse publique, et uniquement publique, au travers de laquelle il était
possible de faire du journalisme de très belle facture. Même l’austère El Moudjahid, qui était en réalité le
porte-parole officiel de l’Algérie, à aucun moment sa rédaction ne sacrifiera
la page culturelle. En consultant les articles de l’époque, on est admiratif
devant l’intensité de la couverture réalisée par l’envoyé spécial d’El Moudjahid,
mais également par la régularité de sa page culturelle, sans doute l’une des
plus étoffée et la plus régulière de la presse nationale.
Ce sont toutes ces
conditions qui auront indubitablement concourus à l’émergence de textes
référentiels en matière de critique artistique.
Face à ce qui parait être un
succès fulgurant, la couverture médiatique aidant, il fallait s’attendre à un
retour de bâton. Ce qui se produira lorsque les journalistes autochtones et
étrangers commenceront à inscrire Mostaganem et son théâtre dans leurs agendas.
La liberté de ton que les journaux refreinaient, surtout dans la sphère du
politique, ne sera plus de mise s’agissant de la sphère culturelle. Quand on
relit certains écrits, on est stupéfaits de la liberté de ton de leurs auteurs.
Il est aisé de comprendre que le système politique en place n’allait pas s’en
laisser conter. Notons qu’en face, certains patrons de journaux ne feront rien
pour mettre fin à cette liberté d’expression tout à fait inédite sous un régime
autoritaire, comme pouvait l’être le régime algérien. La plupart de ces patrons
de presse, de ces chefs de rubrique, de ces chroniqueurs, de ces journalistes,
avaient une très haute idée de leur métier, mais surtout de leur devoir
vis-à-vis de la nation et du pays. A l’évidence, sans une presse dévouée,
attentive, attentionnée, critique et vigilante, le festival de Mostaganem
n’aura jamais tenu la route, ni n’aurait atteint la notoriété qui est devenue
la sienne. C’est en grands communicateurs que les responsables avaient fait le
choix d’abord de faire coïncider la manifestation avec la quinzaine commerciale
de la ville de Mostaganem, mais aussi d’avoir fait le judicieux choix de la
période des vacances scolaires et également institutionnelles. Mostaganem avait
atteint une notoriété incontestable. En contrepartie, son festival a permis à
de jeunes journalistes de se frotter à de prestigieux hommes de théâtre. Ils
ont aussi regardé des spectacles de belle facture. Les organisateurs avaient
besoin d’une critique aussi objective que besogneuse et magnanime.
Car il n’est pas possible qu’à
la veille de cette 50ème édition, l’histoire ne se souvienne pas
d’Omar Ourtilane et de Tahar Djaout, morts en martyrs, ni de ceux qui sont
partis avec la conviction du devoir accomplis. Ils furent un petit groupe, puis
très vite, ils seront des dizaines à se relayer pour donner le meilleur
d’eux-mêmes[11].
Ce n’est pas rien que de dire
de nos jours que cette liberté d’expression de l’époque constituait la matrice
de l’action revendicatrice et contestataire. C’est dans les entrailles de cette
presse publique engagée et téméraire, que naitra, à partir de 1990, la presse
privée algérienne. Celle dont se revendiquent tous les démocrates, mais
également tous les autocrates qui s’en serviront à profusion et sans retenue.
Il est presque certains que c’est dans la synergie du festival de Mostaganem
que les premiers balbutiements de la future presse privée entameront leur
irréversible engagement.
Il serait peur être raisonnable
qu’un jour les organisateurs du festival songent à rendre un hommage à ces
hommes de plumes, mais également à leurs confrères photographes. Hélas, dans
les travées du festival, il arrive que parfois les journalistes ne reçoivent
pas la considération qui leur est due. En de nombreuses occasions, ils auront
fait l’objet de comportements pour le moins inconvenants.
Avec la fougue des premières
joutes, les journalistes, sans sacrifier à l’objectivité, porteront fort et
loin le message des jeunes acteurs et réalisateurs. L’embellie entre le
festival et la presse durera à peine vingt saisons.
Nombreux sont les journalistes
qui finiront par abandonner la partie, la mort dans l’âme. Leur festival était
transformé en une véritable kermesse qu’ils eurent de la peine à accepter. Même
les plus fidèles finiront par se lasser de tant d’arrogance,
d’effronterie, d’insolence, d’offense et d’incivisme.
Avec la pullulation des médias
privés et la grande frilosité de la presse publique, il est de plus en plus
évident que les journalistes engagés de la première génération, sont devenus
une denrée précieuse. Il est aisé de constater que ce ne sont pas les
correspondants provinciaux qui vont assurer une relève introuvable. De ce fait,
il devient vital pour le festival de se trouver une nouvelle forme de
communication. Les réseaux sociaux doivent constituer une alternative. Elle
n’est pas la seule, mais son impact est irremplaçable. Il se trouve que le FNTA
n’a toujours pas sa propre page web !
Comme aucune université ne forme des
journalistes critiques, il va bien falloir retrouver les voies du bon sens et
compter sur ses propres ressources. Mais la question la plus prégnante serait
de savoir si le théâtre amateur a encore besoin d’une critique ? En quoi
lui serait-elle utile ? Si la réponse à ces deux questions est
affirmative, il va falloir reprendre la bonne vieille recette. Celle d’une
réelle prise en charge de la formation, qui serait consubstantielle à une véritable
structuration du théâtre amateur.
Ceci devrait se faire
concomitamment avec la préservation de la mémoire. Alors, n’est-il pas venu le
temps, en cet été du cinquantenaire, de songer enfin à rassembler ces archives
-photographies et textes journalistiques- qui pourraient constituer, à n’en
point douter, un livre d’au moins vingt mille pages.
Mostaganem, le 15 juillet 2017
[1] Si on admet que
chaque spectacle aura fait l’objet d’un papier, sans compter les papiers
d’ambiances, les interviews, les conférences de presse, les comptes-rendus de
colloques et d’ateliers de formation, les synthèses et les bilans, on peut
légitimement convenir qu’à raison de 25 journalistes présents à chaque
manifestation, le chiffre de 20.000 papiers est parfaitement plausible. Si
maintenant chaque papier équivaut à 2500 signes – ce qui est très peu, eut
égard à l’aspect très particulier de la rubrique culturelle –, on aboutit
pratiquement à insérer 4 papiers (soit 10.000 signes), dans une page de format
tabloïde, ce qui donnerait pas moins de 5.000 pages de textes. Soit l’équivalent
de 210 numéros pour un journal de 24 pages, sans photos, sans publicité et sans
gros titres !
[2] Organisée par le Syndicat d’Initiative et de
Tourisme (SIT) dirigée alors par Abdelkader Benderdouche, frère ainé de
Djelloul Benderdouche, maire de Mostaganem.
[3] Secrétaire
général de l’USFP Marocaine (Union Socialiste des Forces Populaires), le parti
d’opposition du grand militant tiers-mondiste, Mehdi Ben Barka.
[4] L’Unité, un hebdomadaire d’une grande
qualité, organe de communication et de propagande de l’UNJA est sans doute
l’organe de presse quia le plus écrit sur le festival de théâtre de Mostaganem.
La plupart des journalistes de cette époque, qui feront le bonheur des médias
plus tard, auront fait un passage besogneux par cet hebdomadaire.
[5] Le studio Milor d’Abdelkader Mahmoudi y
occupa une place centrale. Pour avoir travaillé à la fois dans le reportage et
dans la partie laboratoire, je sais combien les festivaliers étaient heureux,
une fois le spectacle donné, de passer le matin acheter les images prises
durant la nuit. Avec Mokhtar Atrouche, nous passions la nuit à traiter les
films et à faire les tirages et les planches contact. Coté photographes
professionnels, il y avait Rachid Dehag, A Bensafa de La République et Lazhar
Mokhnachi d’Algérie Actualité.
[6] La RTA (Radio-diffusion Télévision
Algérienne) était représentée par des journalistes de la radio (Chaine I et
Chaine III) et par la television qui aura enregistré plusieurs éditions tant au
niveau du stade Benslimane, de la salle Afrique qu’au niveau de l’ITA.
[7] Tahar Djaout nait le 11 janvier 1954 à Oulkhou, commune d'Aït Chafâa. Il était à la fois écrivain, poète, romancier et journaliste algérien d'expression française. En 1993, il fut la première cible de la décennie noire. Après un
long coma, il rend l’âme le 2 juin 1993 dans un hôpital algérois. Il
avait à peine 39 ans. Il a fait ses premières armes de critique au festival de
Mostaganem qui servait alors de laboratoire à la plupart des journalistes
algériens.
[8] Ce réfugié politique Marocain,
membre de l’UNFP de Ben Barka
travaillait pour la presse arabophone, Ech-Chaab et plus tard El Djemhouria.
[9] Le CRAC de Constantine est la troupe qui
donna au festival, dès la seconde édition, son caractère national. Venus dans
un vieux bus, les sociétaires du CRAC, avec un certains Abdallah Hamloui,
mettront pas moins de 17 heures pour faire le trajet jusqu’à Mostaganem.
[11] Voici une liste non-exhaustive : Abdelkader Djemaï, Mohamed Balhi, Kémal Bendimered, Nadjib Stambouli,
H’mida Layachi, Arezki Metref, Ahmed Cheniki, Paul Balta, Kosseï Salah Derouiche, Hamid Bouchdjakji,
Mustafa Chelfi, Med Ali Lahouari, Tayeb Bouamar, Allaoua Djeroua,
Benachour Bouziane, Mohamed Zaoui, Abdelkrim Djilali, Brahim Hadj Slimane, A.
Bousserouel, Benbaghdad, et l’incontournable Hamdène Belouassouassi, qui était
le correspondant local de l’APS.
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