Ahcène Tlilani,
le chapeau de Zighoud Youcef et l’épuration ethnique
Dans une séquence d’une grande sobriété, le Dr Ahcène
Tlilani porte sur l’histoire du mouvement national et sur la guerre de
libération, un regard bien singulier. Accoudé à une grande rigueur
scientifique, maitrisant parfaitement ses sujets- Ahcène Tlilani a plusieurs
cordes à son arc- et doué d’une clairvoyance et d’une grande éloquence, l’enfant
de Sidi Mezghiche, par ailleurs chercheur
et doyen de la faculté des lettres de l’université
du 20 Aout n’a eu aucune peine à épater la nombreuse assistance venue pour la
présentation de son dernier – d’une série de douze- ouvrage consacré au théâtre
algérien. De mémoire, jamais les débats animés par la sémillante directrice de
la bibliothèque principale de Mostaganem, n’ont été aussi intenses, aussi
tendus, aussi prolixes et aussi instructifs. En effet, après une double
présentation de l’auteur et de ses ouvrages par la directrice de la BPLP et par
le doyen de la faculté des lettre de Mostaganem, le Dr Benichou, ce fut au tour
du Dr Tlilani de faire un détour à travers sa jeune et pourtant si fructueuse
carrière d’auteur d’enseignant et de chercheur, dont les travaux s’articulent
autour du théâtre et de la guerre de libération. Et c’est là où le public
composé de femmes et d’hommes du 4ème art, dont d’éminents
spécialistes, ainsi que d’étudiants dont certains- dans les deux sexes- feront
sensation par leurs interventions et autres questionnements. Au point où les
débats furent prolongés jusqu’à une heure tardive de la soirée. Comme le
soulignera d’emblée Ahcène Tlilani , avec une généreuse humilité, les deux
ouvrages qui ont marqué son riche et si élogieux parcours sont l’ouvrage sur le
Théatre durant la guerre de libération – traduire plutôt par guerre
révolutionnaire, pour Tlilani le mot « Thaoura » est traduit sans
détours et sans équivoque par le mot « Révolution »- , dont la préface
est signée d’Abdelhamid Mehri en personne – qui fut membre du premier GPRA
et ensuite ministre et secrétaire général du FLN-, ce qui constitue en soi une
première, le personnage étant réfractaire à ce genre d’exercice.
On comprend alors le
bonheur et la fierté de l’auteur qui se trouve honoré par une préface dont l’auteur
est lui-même un personnage historique. L’auteur y retrace avec menus détails
comment le théâtre algérien a été impliqué au point de servir d’appoint d’une
grande importance à la révolution Algérienne. Il poussera l’analyse jusqu’à
souligner que la première pièce « Les Enfants de la Casbah» écrite par
Abdelhalim Raïs et jouée pour la première fois à Tunis par la jeune troupe du
FLN, avait bien plus d’esthétique « jamaliyatte » que de nombreuses
pièces du répertoire d’aujourd’hui.
Ma seconde fierté dira-t-il, c’est incontestablement le livre consacré à Zighoud Youcef. Mais là, le discours enflammé
du conférencier mettra la salle sens dessus dessous. Car le héros du livre n’est
autre que « Si Ahmed », alias Youssef Zighoud, natif des « Toumiyatte »
ces montagnes jumelles qui surplombent vers le nord la vallée encastrée et
fertile du SafSaf qui prend ses sources dans la région d’El Harrouch et par le
sud, les vallons de Smendou à Hamma Bouziane que domine dans toute sa splendeur le Vieux
Rocher et la cité de Sidi Rached, l’imprenable
Constantine.
Pendant que les intervenants égrenaient leurs discours d’une bien
inégale clameur, défilaient sur l’écran les images des couvertures des ouvrages
de Tlilani. Dont une des plus célèbre, prise en son temps dans le maquis par
Ammar Benouda – membre des 22 historiques, excusez du peu-, c’est l’image
iconique du colonel Ziroud avec son fameux chapeau de brousse. Ahcène Tlilani,
en succulent conteur, et en chercheur avisé, nous parlera alors de l’origine de
ce chapeau. Et comme à notre connaissance ni son livre – rédigé en langue
arabe- ni cette histoire ne sont connus du public, il est impératif que je
fasse œuvre utile. Durant la Révolution, après la mort – le 18 janvier 1955- du
chef de la wilaya II historiques connue sous le nom de « Nord
Constantinois, en l’occurrence la martyr Didouche Mourad – mort en martyr dans
l’oued Boukarkar, qui draine le versant sud des Toumiyatte-, c’est son adjoint
Zighoud qui prendra sa suite. C’est donc durant le printemps 1955, qu’un groupe
de « Fellagha » de la glorieuse ALN, capture un jeune soldat français
du contingent. Contrairement à l’idée répandue et par l’administration
coloniale et par quelques nervis indigènes – dont certains viennent de se
manifester honteusement à l’occasion de ce 5 juillet, à Oran- le colonel
Zighoud Youcef a toujours et de tous temps interdit à ses Moudjahidines de s’attaquer
aux civils européens . Mieux, lorsque ce jeune soldat du contingent lui fut
ramené, il le traita avec égards. Puis, ayant appris que ce jeune appelé n’avait
rien d’un sanguinaire parachutiste ni d’un zélé administrateur, il décida de le
relâcher sain et sauf. Le soldat qui n’en croyait pas ses oreilles, ne savait
plus comment remercier son bienfaiteur et magnanime geôlier. C’est ainsi qu’il
offrira à Zighoud Youcef le seul objet dont il pouvait décemment se séparer.
C’est
ainsi qu’en quittant le groupe de Moudjahidines, il offrit son chapeau de
brousse à Zighoud Youcef. Qui en fit de suite son précieux couvre chef et qui
ne le quittera jamais jusqu’à sa mort …dans une maison qui lui servait de
refuge…à Sidi Mezghiche…le village natal d’Ahcène Tlilani, dont la famille,
comme la plupart des familles de cette région s’étalant entre El Harrouch,
Collo, Azzaba et Skikda. Qui payeront le plus lourd tribu lors de la répression
qui s’abattit sur la région suite à l’insurrection du 20 aout 1955.
Insurrection, qui fit pas moins de 20.000 victimes civiles parmi la population
indigène. Ce chiffre sans équivoque est publié dans le livre du chercheur
américain Mattew Connally « L’Arme secrète du FLN, comment de Gaulle a
perdu la guerre d’Algérie", où l’auteur cite un entretien entre Yves Calvet, le représentant
de Jacques Soustelle à Paris avec l’ambassadeur Américain en France…
Cette histoire du chapeau le plus connu de la guerre de libération étant définitivement publique grâce à Ahcène Tlilani, il va bien falloir demander des comptes à JP Lledo et à ses amis communistes ainsi qu’à la France coloniale, qui n’ont jamais cessé de dire que la Révolution Algérienne n’a jamais été une « guerre d’épuration ethnique ». D’ailleurs, à la mort de Zighoud Youcef, les soldats français ont récupéré sa sacoche…qui a été précieusement gardée et méticuleusement analysée. Afin d’y trouver le moindre indice ou document pouvant faire éclairer l’opinion sur ce prétendu appel à « l’épuration ethnique » dont on continue d’affubler la Révolution algérienne…
Cette histoire m’interpelle personnellement. En effet, c’est
lors de la conférence d’Ahcène Tlilani que j’ai fait la rapprochement entre le
nom de guerre de Zighoud Youcef et le lieu chois pour l’insurrection sur Skikda…Pourquoi
le choix de notre Marabout Sidi Ahmed ? ensuite, il y a cette histoire
racontée dans le film de Jean Pierre Lledo par deux témoins, le Moudjahid
Laaroum et mon oncle Mohamed Mouats. Tous les deux ont souligné que mon oncle
Lyazid Mouats qui dirigeait une des deux colonnes de résistant, était tombé nez
à nez avec le colon Messina, sa femme et ses enfants. A ses djounouds qui
voulaient les tuer, Lyazid Mouats a ordonné de les épargner car « ce ne
sont que des civils »…ceci n’a pas empêché le colon Messina, de dénoncer mon oncle
et notre famille…ce fut la terrible représailles du 23 aout 1955…à laquelle
plus de 80 femmes et enfants furent jetés en les pâture à la chaleur, à la soif
et à la misère. Tandis que 23 hommes et adolescents – dont mes oncles Salah et Rabah étaient âgés de 14 et 16 ans-
furent emmenés vers une destination inconnue. Jusqu’à ce jour, nul ne sait où
leurs corps furent livrés à la hyène et aux corbeaux.
Aziz Mouats
Mostaganem le 18 juillet 2017…
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