dimanche 10 avril 2011

La leçon de journalisme...à mettre entre toutes les mains

Dis Bob Woodward, c'est quoi un mauvais journaliste ?

 Bob Woodward en 2005. Reuters
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Bob Woodward était cette semaine en France, en tournée de promo pour son dernier livre, »Les Guerres d'Obama ». Il y a raconte par le menu les réunions secrètes entre le président et ses conseillers, et leurs divergences sur la stratégie suivie en Afghanistan ; le livre est un best-seller aux Etats-Unis.
Je l'ai croisé jeudi à la Maison de la radio pour une rapide interview qui sera diffusée aujourd'hui dimanche à 19 heures sur France Culture dans l'émission Masse critique, consacrée à la culture et aux médias de l'ère numérique.
Surprise, je ne l'ai pas trouvé si pessimiste qu'il s'était montré dans un récent entretien publié par Le Monde magazine. Certes, il déteste la « fast-info », mais il ne rejette pas en bloc les nouveaux médias.
Sur Internet, après une phase de décantation, certains sites d'information resteront, pronostique-t-il : ceux qui font du journalisme de façon sérieuse. Peut-être même Rue89, qui sait ?
Savez vous comment on appelle un mauvais journaliste dans les salles de rédactions ? On dit : « Celui-là, ce n'est pas exactement Bob Woodward… »
Un mauvais journaliste, c'est un journaliste qui accepte pour argent comptant ce que que le gouvernement ou d'autres lui disent, qui ne croise pas ses sources.
J'ai pour ma part le bénéfice du temps, je prends le temps de travailler. Sur « Les Guerres d'Obama », j'ai travaillé dix-huit mois, en m'attardant sur les points décisifs : une réunion avec le Président, par exemple. Je cherche de la documentation, des notes, de l'information de première main. Et je fais cela depuis des dizaines d'années. J'ai couvert la Maison Blanche, la CIA, la Cour suprême, d'autres administrations.
Ouvrons les yeux, quel est le problème ? C'est le gouvernement et le secret qu'il entretient : tout le monde cache des choses. Dans une démocratie, on a besoin d'avoir de l'information vérifiée. Et plus on creuse, plus on découvre que la réalité qu'on nous présente n'est pas la vraie.


Dans certaines interviews, vous êtes montré assez pessimiste sur l'avenir de l'information. Pourtant, Internet et les nouveaux médias jouent un rôle important pour promouvoir cette transparence que vous appelez de vos vœux. Je pense à WikiLeaks [dont Rue89 est désormais partenaire, ndlr] par exemple, qui a permis de divulguer de nombreuses informations cachées.

Tout d'abord, WikiLeaks n'a pas joué un rôle majeur. Ils ont révélé des câbles diplomatiques d'importance moyenne. Il ne sont peut-être pas sans intérêt, mais ils ne disent rien d'extraordinaire sur les rapports entre la Maison Blanche et les militaires, par exemple.
C'est sensationnel, mais ces câbles n'ont pas mais véritablement affecté le processus de décision. Ma critique porte en fait sur certains sites Internet et télévisions câblées aux Etats-Unis, qui sont guidés par la vitesse et l'impatience. Moi, je suis lent : je prends le temps. Si vous êtes pressés, vous ratez des choses importantes.
Il y a de bonnes choses sur Internet, des blogs fabuleux, mais d'autres sont horribles. Il faut être capable de faire la différence. Dans les années à venir, on saura petit à petit savoir quels sont les sites qui sont fiables, sérieux, et ceux qui ne le sont pas.
On vit actuellement un processus de décantation. Aux Etats-Unis, certaines villes avaient dix ou quinze journaux : cela a pris du temps avant de décanter.
C'est ce qui va se passer sur Internet. Vous-même vous dirigez un site : peut-être qu'il deviendra le site web le plus réussi de tous les temps, peut-être que non.
Selon moi, ce sera une réussite s'il est sérieux, juste mais dur aussi, et s'il présente une information utile aux gens. Il peut certes porter des opinions, il peut avoir un petit penchant dans la présentation, mais ce qui compte, c'est le travail des journalistes, le
temps qu'ils vont passer à travailler leurs sujets.

Quand vous constatez une baisse de la qualité du journalisme, vous pensez que c'est une crise passagère, entre un vieux monde et un nouveau monde ? 

Je ne pense pas que ce soit nécessairement une crise : je pense que c'est une révolution.

La presse n'a-t-elle pas de moins en moins les moyens de financer de telles enquêtes longues ? 
 
Il y a des exceptions : le Washington Post, pour lequel je travaille toujours, le New York Times et d'autres journaux peuvent conduire ce genre d'enquêtes.
Mais je crois que cela va croître. Car le mécanisme de propagande gouvernemental est bien financé, il a beaucoup d'expérience, il est conçu pour pouvoir livrer le message politique souhaité, plutôt que la réalité. Donc il y a un besoin de creuser, d'aller dans les coulisses.

Je sais que vous avez un regret, c'est de ne pas avoir enquêté suffisamment, pendant la préparation de la guerre en Irak, sur la question des prétendues armes de destruction massive.
Auriez vous préféré échouer à révéler le scandale du Watergate et réussir à établir l'inexistence de ces armes ?


On ne peut pas changer l'histoire. Mais je suis d'accord que j'aurais dû en faire plus, j'avais de meilleurs contacts que d'autres, j'en savais beaucoup. Avant la guerre, j'ai écrit qu'il n'y avait pas de preuve flagrante de l'existence de ces armes : j'aurais dû me rendre pleinement compte de ce que cela signifiait.
Je n'ai pas poursuivi cette piste de façon assez agressive. C'était il y a huit ans, et ce fut une grande leçon pour moi. Dans les livres sur Bush que j'ai rédigés par la suite, j'ai enquêté beaucoup plus profondément, et expliqué la réalité de ce qui se passait.

Comment expliquez vous qu'à cette période, en 2003, la totalité
des journaux américains étaient en faveur de la guerre, à part quelques exceptions comme le New York Review of Books ? 


La position des journaux, comme celle qu'avait adoptée Washington Post, a pu affecter le travail des journalistes. Mais remettez vous dans le contexte : une douzaine d'années avant, Saddam Hussein avait effectivement des armes de destruction massive : lors de la première guerre du Golfe, on avait découvert le programme d'armement irakien.
Ce n'était pas comme si quelqu'un avait débarqué de la planète Mars pour affirmer cela ! La sénatrice Hillary Clinton, qui était opposée à Bush, affirmait, elle aussi ,que l'Irak avait de telles armes.
Cela ne m'exonère pas : j'aurais dû être plus sceptique, plus agressif. Est-ce que cela aurait changé l'histoire ? Non, cette guerre aurait de toute façon eu lieu. Il aurait fallu prouver l'inexistence de ces armes, ce qui aurai été le plus difficile.

Pendant cette période, on a vu monter en puissance Fox News, qui a participé à cette propagande. Et qui continue aujourd'hui à présenter une information étrange, pas juste, idéologique. Pensez-vous que Fox News ait causé du tort à l'information et au journalisme aux
Etats-Unis ?

Il y a trop de manipulation sur Fox News. Mais ce genre de chaines peut aussi permettre à des gens comme moi d'être à l'antenne et de raconter ce qui se passe vraiment dans les coulisses du pouvoir. Il y a donc du bon et du mauvais. Ils présentent
des choses avec des biais idéologiques, ils tordent les informations,
mais la plupart des journaux font la même chose.
Photo : Bob Woodward devant chez lui à Washington en juin 2005. Jason Reed, Reuters

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