lundi 6 mai 2013

La patate encombre le marché



Effondrement du marché de la pomme de terre
La terrible loi de l’offre et de la demande vient de frapper de plein fouet les producteurs de pomme de terre. Alors que la campagne de récolte venait de commencer par l’arrivée des premières patates de la région d’Aïn Nouissy, Hassi Mamèche et Touahria, les plus précoces en raison de la douceur de leur climat, les cours de la patate se sont effondrés comme jamais auparavant. Obligeant les fellah à cesser les arrachages en attendant un redressement peu probable des cours. L’importation massive de semences de 160.000 tonnes en serait la principale cause. Les producteurs attendent sans convictions la mise en branle du Syrpalac, afin de sauver la filière de cette mauvaise passe. L’absence d’industrie de transformation, le bradage d’une partie de la semence ainsi que  la rétention de la patate d’arrière saison sont également mis à l’indexe par les opérateurs.

 
 Que ce soit dans les champs, dans les marchés informels de Bouguirat et de Sirat, les deux plaques tournantes de cette activité, le prix de cession est vite tombé en dessous de 20 Da. Il ya de cela un mois, lorsque les premiers arrivages en provenance de la petite bourgade des Kraïmia, sur les hauteurs de Stdia, sont arrivés sur les étalages, les prix oscillaient déjà entre 30 et 35 Da, ce qui était en soi un signal avant coureur de ce qui attendait les producteurs. Les camions en provenance du centre et de l’est du pays qui avaient pour habitude de converger par centaines dans la région et que l’on apercevait en d’interminables colonnes au niveau des centre urbains de Bouguirat et de Sirat, là où s’effectuent les transactions et se fixent les prix à la parcelle, ont fondu comme neige au soleil. Une bonne partie continue cependant de sillonner la région, mais sans aucune conviction. Rencontré chez un fellah de Hassi Mamèche, le jeune Messaoud connaît la plupart des fellah de la région avec lesquels il converse régulièrement par téléphone. Originaire de Chelghoum Laïd, une destination privilégiée en raison de son dynamique marché de fruits et légumes, ce commerçant est totalement désemparé par la tournure des évènements. Cette chute des prix est pour lui aussi un coup terrible porté à son activité favorite. Il explique doctement à son vis-à-vis que s’il refuse de charger son camion de 20 tonnes, c’est à cause de l’incertitude du marché, ajoutant qu’il suffit d’une seule crevaison – un pneu coutant l’équivalent de 40.000 Da-, pour qu’il perde de l’argent. Pendant qu’il continue de sillonner les champs, passant d’une parcelle à l’autre avec une déconcertante facilité, il prend régulièrement la température auprès de son frère resté au marché de Chelghoum Laïd. Sans son signal, Messaoud ne chargera pas, surtout explique-t-il, si les prix restent aussi bas ! L’année dernière, rencontré sur la parcelle de Laïd, en bordure de la RN17, à mi chemin entre Hassi Mamèche et Aïn Nouissy, il affichait une mine superbe. Il avait fait venir trois camions et venait de faire une très bonne affaire en achetant sur champ une variété rouge à 50 Da le kg. Une excellente opération à l’époque puisqu’il escomptait la revendre à au moins 60 Da. Pour cette année, Messaoud ne sait plus quoi faire, rester et espérer une hypothétique remontée des cours, ou s’en retourner bredouille et attendre que le marché reprenne de la vigueur. Son fournisseur, la mine défaite, vient de se faire rabrouer par son mandataire oranais qui lui intime l’ordre de ne plus lui envoyer de patates. La scène qu’il lui décrit au téléphone d’un marché submergé par les caisses de pomme terre toute fraiche est la même que vivent les mandataires de Soug Ellil, à la périphérie de Mostaganem. Le moral des fellah en prend un sacré coup. A Sirat, non loi du douar Ezzourg, Charef fait partie de ceux qui ne récoltent jamais avant une maturation complète des tubercules. Pour moi dit-il, ce que je perdais sur le prix, était toujours compensé par le rendement. Il explique simplement qu’en retardant au maximum la récolte, il obtenait aisément une plus value de 25 à 30%. Il est vrai que ses rendements se situent souvent au dessus des 500 quintaux, alors qu’une récolte avancée de seulement trois semaines, il en tirait rarement plus de 300 quintaux.  


Spéculation sur la patate d’Oued Souf
Pourtant, l’optimisme de Charef n’est plus de mise. Il craint en effet que les cours ne se redressent jamais et ses craintes il les justifie doctement par la présence sur le marché d’une grande quantité de pomme de terre d’arrière saison. Pour lui, il ne fait aucun doute que les producteurs de l’arrière pays ainsi que ceux des régions sahariennes ont fortement impacté le marché de la pomme de terre. Il suffit d’aller faire un tour au marché pour s’apercevoir que la pomme de terre d’arrière saison est encore disponible et en très grande quantité, martèle-t-il avec conviction. Son discours est aussitôt relayé par son vieux père qui abonde dans le même sens, soulignant avec force qu’il ne se souvient pas avoir vécu une situation similaire de toute son existence. Trouver de la pomme de terre d’arrière saison – dont la récolte débute dès le mois de novembre pour ce qui est des zones côtières, mais qui arrive à maturité bien plus tard pour ce qui est du Sahara et des régions tardives du Nord-, constitue pour lui une première qu’il n’explique que par le recours au stockage. Abdallah, fellah à Yennaro, sur la RN90 reliant Mostaganem à l’Autoroute via Sidi Khettab, soutient que les fellah ont  appris à stocker leur récolte sous terre, parfois en retardant au maximum l’arrachage, faisant coïncider la mise sur le marché avec la récolte de saison. Lui-même, pendant plusieurs années s’en allait acheter à vils prix de la pomme de terre à Oued Souf. Un produit qu’il entassait dans une chambre froide et qu’il ressortait juste au moment où les premières patates des Kraïmia rentraient sur le marché. Si bien que durant plusieurs années, lorsque les prix se stabilisaient au-delà des 45 Da, il faisait une plus value de plus de 30 Da, sur un produit qu’il enlevait à El Oued à seulement 15 Da. Depuis, les fellah d’El Oued ont appris à garder leur patate dans les sables, profitant gratuitement des températures hivernales, la même pratique que celles de leur collègues d’Aïn Defla, de Maghnia et de Mascara. C’est pourquoi, durant tout l’hiver et une partie du printemps, les champs de patate complètement défanée et donc parfaitement invisible pour un profane, garde jalousement un produit de première nécessité. Comment en est-on arrivé à cette situation ? Et surtout comment s’en sortir, puisque pour une grande majorité de fellah de Mostaganem et d’Aïn Defla, surtout les plus petits d’entre eux, cette récolte sera peut être la dernière. Surtout si rien n’est fait pour soutenir les prix et au moins leur assurer un simple recouvrement des frais engagés. Pour cela, ils sont unanimes ces fellah de Sirat et d’ailleurs pour dire qu’à moins de 20 Da, ils auront travaillé à perte. En clair, ceux dont les récoltes ne peuvent plus attendre - en raison des redoutables attaques de teignes dont les larves creusent des galeries dans les tubercules-, l’arrachage est incontournable. En effet, mettant à profit les premières chaleurs de mai et les fissures qu’elles provoquent dans le sol, les teignes adultes pondent leurs œufs dans les tubercules où ils éclosent, détruisant ainsi les pommes de terre dans le sol. Les moyens de lutte chimiques coutent trop cher pour que les agriculteurs déjà fortement ébranlés par la chute des prix puissent se les payer. Alors que la situation tend à s’aggraver, -mettant à nu les distorsions du système de protection «Syrpalac » mis en place par le ministère afin de protéger les consommateurs contre les hausses intempestives observées depuis une décennie-, les producteurs déplorent le désintérêt dont ils font l’objet de la part des pouvoirs publics. Surtout que depuis sa mise en place, jamais ce système de régulation n’aura profité aux agriculteurs de Mostaganem.

 De la semence bradée à moins de 1000 Da
Pour comprendre cette situation anachronique, il faut absolument explorer l’ensemble du processus de production, comme le fera pour nous ce chercheur de l’université de Mostaganem, très impliqué dans cette filière qui fait la fierté de la région. Pour cet expert, ce ne sont pas les performances des fellah qui sont en cause dans cette chute de prix. Il s’agit, dira-t-il de la conjonction de plusieurs facteurs, citant en premier, l’augmentation substantielle de la surface cultivée qu’il explique d’abord par les grandes quantités de semences mises sur le marché. Ainsi, il nous apprendra que pour l’année en cours, le volume des importations de semence a atteint un pic jamais obtenu auparavant. En effet, dira-t-il, le volume de semence importées au titre de l’année en cours s’est élevé à plus de 160.000 tonnes de semences, soit exactement le double de celui d’il y a à peine 5 ans ! On comprend mieux pourquoi, chez la majorité des importateurs, la semence a été quasiment bradée. Notre interlocuteur se dit scandalisé par le fait que les fellah des hauts plateaux Sétifiens qui plantent très tardivement en raison du gel, auront acheté des semences à moins de 1000 Da le quintal, alors que leurs collègues de Mostaganem et d’ailleurs ont payé la même variété à plus de 8000 Da. Par ailleurs, un fellah membre de la chambre de l’agriculture rappelle qu’à chacune de ses sorties, le ministre de l’agriculture na cessé de réitérer la volonté de son département d’atteindre les 4 millions de tonnes de pomme de terre. Pour cet expert, cet objectif ne pouvait être atteint que par l’augmentation de la productivité ou par l’augmentation des surfaces cultivées. En aidant à l’inondation du marché par le recours à la semence, le département de Rachid Benaïssa a choisi la solution de facilité. L’encombrement du marché de la semence devrait fatalement, selon notre interlocuteur, déboucher sur une abondante production que les bonnes conditions météorologiques n’ont fait que favoriser. On sait que rien qu’au niveau de Mostaganem, la multiplication des importateurs a abouti à une augmentation remarquable de la superficie cultivée qui est passée de 5000 à 9000 hectares en l’espace de 5 années. 


Certains nouveaux opérateurs ont tout simplement «offert» la semence et se sont contentés de n’empocher que l’argent des engrais et des pesticides qui vont avec, dira avec dépit un opérateur. Qui ajoutera que cette forme de soutien déguisée aura attiré des centaines d’agriculteurs. Grace à ce subterfuge, le fournisseur trouve son compte sachant que dans un hectare de pomme de terre, les frais d’entretien peuvent dépasser le coût de la semence et des labours. Ce qui a provoqué cet engouement sans précédent sur la culture, qui avec ses deux récoltes annuelles, permet d’approvisionner le marché de manière continue. Dans la réalité, grâce à la multitude des micro climats, l’Algérie dispose en réalité d’énormes potentialités agronomiques que la culture de la pomme de terre est parvenue en l’espace d’une décennie à potentialiser grâce au génie des ses agriculteurs. En effet, poursuit notre expert, grâce à ses spécificités uniques dans le règne végétal, le tubercule le plus consommé à travers le monde est parvenu à occuper des espaces de plus en plus larges et de plus en plus diversifiés. Rien que dans la partie côtière du pays, on récolte de la pomme de terre de la fin octobre à la mi janvier, ensuite ce sont les zones intérieures et le Sahara qui alimentent le marché jusqu’à la fin mars ; le  relais est assuré par la région de Mostaganem qui est la première à rentrer la récolte dite de saisons ; suivie et parfois accompagnée de Maghnia, Aïn Defla, Alger, Tipasa, Boumerdès, Skikda, Annaba et Tarf. Ensuite ce sont les régions de l’intérieur qui ferment la marche avec l’arrivée des produits en provenance des hautes plaines intérieures qui ont la particularité de mener la culture durant les grandes chaleurs. Il s’agit essentiellement de la région de Sétif, Bordj Bou Arréridj et à un degré moindre Réchaïguia, au sud de Tiaret. Leurs premières récoltes arrivent sur le marché dès la fin aout, au moment où les fellah de Mostaganem et de la façade nord entament le semi d’arrière saison, dont la récolte intervient au bout 80 jours. Bien malin celui qui parviendra à trouver une vide à combler dans ce tourbillon de culture. En comparaison, l’Europe qui est notre fournisseur exclusif en semences, ne cultive qu’une seule campagne dont la récolte s’étale de septembre à octobre, avec toutefois quelques niches de champs précoces situés sur le pourtour de la Méditerranée ou les rares foyers de culture protégées de certaines variétés de pomme de terre destinée à la consommation directe. 

Le casse-tête de l’arrachage
Avec une sole aussi diversifiée, et grâce à l’intrusion des fellah d’El Oued, qui, en l’espace de quelques années, ont complètement bouleversé leur mode de culture en basculant de la pomme de terre de saison qui arrivait sur le marché en même temps que celle des régions du Tell – avec en surprime les redoutables chaleurs estivales-,  à la culture d’arrière saison qui arrive sur le marché avec le début de l’hiver, celle là même qui peut rester enfouie sous le sable jusqu’au mois de mars et qui vient concurrencer les premières récoltes de Mostaganem. Ce sont ces chevauchements qui ont aboutis à la situation d’abondance, voire de véritable saturation du marché. Ce qui pour les uns serait aisément présenté comme une réelle performance, pour les autres, en l’occurrence les producteurs, c’est une véritable catastrophe qui les frappe de plein fouet. Acculés à la fois par les grandes chaleurs et par la chute des prix, les fellah du nord du pays sont pris en étau. Encouragés par une disponibilité de la semence, ils se sont engouffrés tête baissée dans ce qui s’apparente à une douloureuse mésaventure. Laïd, un quadragénaire qui est né et a grandit dans un champ de patates, ne sait plus à quel saint se vouer. Avec son père et ses frères, ils cultivent régulièrement plus de 40 hectares en saison et un peu moins durant l’arrière saison. Lui et ses frère, passent l’été à ramener des camions entiers de fumier de poulaillers depuis Sidi Bel Abbès. Sa pomme de terre, il la bichonne comme un jardin de rosiers et elle le lui rend bien. Pourtant, cette année, Laïd n’a pas le moral. Il sait que la récolte sera bonne et il entrevoyait une fin de campagne dans l’opulence. Mais depuis une semaine, chaque fois qu’il part au marché, il devient nerveux. Lui aussi ses clients de l’Est l’ont lâché ; ils ont bien enlevé une première cargaison, mais ils ne sont plus revenus. Surtout que le chantier de récolte lui coute énormément cher. Avec le temps, les arracheurs de patates se sont parfaitement organisés. Par petits groupes de 4 ou 5, ils forment une équipe soudée et terriblement efficace.  Car la récolte est payée à la tache et non pas à la journée comme les autres opérations culturales. De véritables entrepreneurs ont pris les choses en mains, ce sont eux qui traitent avec le fellah et qui ramènent les arracheurs dès les premières lueurs de l’aube au niveau du champ. La tache consiste à récolter et à charger sur le camion de l’acheteur 18 caisses de 25 kg en moyenne par ouvrier. Soit environ 450 kg par travailleur qui perçoit une fois la performance réalisée, pas moins de 1800 Da que le propriétaire du champ paye rubis sur l’ongle! Soit un cout à la récolte qui oscille entre 3.5 et 4 Da au kg ! Mansour, lui aussi patatier à Mesra souligne qu’avec une récolteuse, ce prix serait diminué de 80%, mais pour récolter mécaniquement, il faut réunir plusieurs conditions, la première étant que les tubercules doivent garder un bel aspect extérieur et éviter les éraflures causées par l’outil et surtout par les frottements avec les cailloux enfouis dans le sol. De plus, ajoute-t-il, la maturité complète des tubercules est sans doute la condition la plus contraignante car elle suppose que la peau soit parfaitement endurcie, ce qui est rarement le cas dans la région de Mostaganem. 
C’est sans doute pourquoi seuls quelques agriculteurs peuvent se payer le luxe de recourir à une récolteuse tout en veillant à laisser s’accomplir le cycle de la pomme de terre. Pour Laïd et ses collègues, le recours à un arrachage manuel devient incontournable. La rentabilité de l’activité est liée à la précocité de la récolte. Etre les premiers sur le marché c’est aussi accepter de réduire le cycle de la culture, pour de nombreux fellah « plus on récolte tard, plus le rendement est augmenté ». Pour cette année, il en sera autrement et c’est la présence de la pomme de terre d’arrière saison qui aura perturbé toutes les prévisions. Pour le moment, la saturation du marché a interrompu les récoltes. Les acheteurs venus de l’Est continuent leur ronde infernale à travers les champs, soulevant de gros nuages de poussières, mais dans les cafés de Sirat et de Bouguirat, les conciliabules et autres négociations se sont interrompues faute de perspectives. Les fellah et leur vis-à-vis savent qu’à moins de 20 Da, ils vendent à perte. Nombreux sont les fellah qui ne parviennent même pas à rassembler de quoi payer l’arrachage. A 4000 dinars la tonne, il faudra débourser pas moins de 80.000 dinars pour charger un camion de 20 tonnes. Vendu sur champ à raison de 18 dinars le kg, ce camion rapportera 360.000 Da au producteur. On sait qu’en récoltant précocement, il est rare que les rendements atteignent les 30 tonnes/Ha, soit l’équivalent d’un camion et demi !  C’est dans ce cercle vicieux que se démènent les patatiers de Mostaganem et de toutes les régions précoces du pays. De plus renchérit Mansour, les arracheurs sont devenus très exigeants, seule les parcelles à haut rendement les intéressent, pour les autres, ils exigent une petite rallonge. Le comble du paradoxe, moins on produit plus il faut payer pour récolter. Pour ce qui est des gros producteurs, la disponibilité des moyens de transports amoindrit les couts puisqu’ils peuvent emmener la production jusqu’au marché. Pour les autres, les plus nombreux, ceux grâce à qui le ministre de l’agriculture pourra fièrement annoncer que l’objectif des 4 millions de tonnes sera atteint, ils devront passer par les fourches caudines des intermédiaires et des entrepreneurs en arrachage qui font et défont le marché. Un gros producteur dont les terres s’étalent à perte de vue dans le territoire des Médjahers, a trouvé la parade en faisant venir plus d’une centaine d’arracheurs depuis Aïn Defla. Leur assurant le gite et la pitance, il parvient à faire récolter jusqu’à une tonne/jour par ouvrier, soit une double vacation. Mais dans la région, il est bien le seul à cultiver plus de 300 hectares de pomme de terre. 
Malgré  ce renfort, la campagne de récolte s’étale chez lui sur plus d’un mois. Il est parmi les premiers à entamer les arrachages et il est encore là à la fin de la campagne. A lui seul, il récolte entre 15.000 et 20.000 tonnes par campagne. Pourtant, malgré ces moyens colossaux, il n’utilise jamais d’arracheuse de pomme de terre pour récolter dans les délais. Par contre, pour planter ses 6000 qx, il n’hésite pas à recourir à des planteuses mécaniques. Grâce à des rendements oscillant entre 400 et 600 qx, il peut s’assurer de substantiels revenus, combien même les prix se maintenaient autour de 20 Da. Ici, c’est surtout le rendement qui fait la différence. 

A la recherche d’autres débouchés
Face à ce qui s’apparente à un énorme gâchis, certains opérateurs tentent de trouver la parade. Ainsi cet agriculteur de Hassi Mamèche qui tous les ans vend une bonne partie de sa production de Bartina – une variété rouge très productive et dont la forme est idéale pour la transformation en chips-, à un transformateur. De plus son partenaire n’hésite pas à lui payer un supplément en fonction de la teneur en matière sèche. Rien que dans la région de Mostaganem, ils sont des dizaines de fellah à envier cette situation. Eux qui aimeraient tant ne plus vivre dans la hantise d’un marché aléatoire, où l’imprévisible règne en maitre absolu. D’autres n’ont pas hésité à investir dans les chambres froides, parfois grâce au soutien de l’état. Mais l’expérience du stockage de la pomme de terre de consommation a tourné court, surtout lorsque les pouvoirs publics, en réaction à la hausse vertigineuse des prix, avaient pris la décision de saisir une bonne partie des stocks, accusant au passage les propriétaires de chambres froides de pratiques spéculatives. Le zèle d’un potentat avait procédé à la saisie d’un important stock de semence, jetant en pâture son détenteur. Sous le règne de Saïd Barkat, des cas similaires ont été rapportés tant au centre qu’à l’ouest du pays, vouant aux gémonies de paisibles agriculteurs dont le seul tort était d’avoir stocké publiquement de la semence d’arrière saison. Ce sont probablement ce genre de dérives administratives qui auront poussés les fellah à profiter des températures hivernales pour laisser les patates dans les champs et à ne récolter qu’en fonction de la demande.  Ce qui fait de l’Algérie le pays où la pomme de terre dont le cycle biologique varie entre 80 et 150 jours, de maintenir la culture sur champ durant plus de 240 jours, sans jamais transiter par une chambre froide. Un stockage qui ne coute pratiquement pas un sous au producteur et l’épargne de tout contrôle intempestif. C’est bien ce stratagème qui est en train de mettre à mal les producteurs de pomme de terre de saison. Face au silence de leur tutelle, les agriculteurs se demandent pourquoi lorsque les prix augmentent ils font l’objet de toutes les attaques insidieuses et lorsqu’ils sont dans la difficulté, plus personne ne parle de leur problème. Ce sentiment d’être abandonnés, ils sont des milliers à le vivre dans leur chair. Nombreux sont ceux qui font le parallèle avec la fameuse PAC qui permet aux paysans de l’UE d’être soutenus tout au long du processus de production. Ici, comme le soulignent en chœur Mansour, Laïd et Charef, nous sommes de véritables pestiférés, alors que sans nous, le pays serait à la merci des patatiers du Canada, qui, il n’y a pas si longtemps, nous avaient refilé de la pomme de terre dont ils nourrissaient leurs cochons. Pour ce multiplicateur, une profession indispensable qui fournit toute la semence d’arrière saison, il est plus qu’urgent d’organiser en profondeur et dans la durée, toute la filière de la pomme de terre. 

Volume de semence de pomme de terre importée durant la campagne 2012-2013
Port de débarquement
Nombre de navires
Tonnage débarqué (tonne)
Mostaganem
44
120.806 Tonnes
Ténès
04
6380 Tonnes
Oran
07
22.476 Tonnes
Alger
03
10.000 Tonnes
Total
58
159.662,95 tonnes*
* : dont 45.000 tonnes de « E » destinée à la production de la semence d’arrière saison.
Patate importée du Canada Octobre 2007

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