Effondrement du
marché de la pomme de terre
La terrible loi de l’offre et de la
demande vient de frapper de plein fouet les producteurs de pomme de terre.
Alors que la campagne de récolte venait de commencer par l’arrivée des
premières patates de la région d’Aïn Nouissy, Hassi Mamèche et Touahria, les
plus précoces en raison de la douceur de leur climat, les cours de la patate se
sont effondrés comme jamais auparavant. Obligeant les fellah à cesser les
arrachages en attendant un redressement peu probable des cours. L’importation
massive de semences de 160.000 tonnes en serait la principale cause. Les
producteurs attendent sans convictions la mise en branle du Syrpalac, afin de
sauver la filière de cette mauvaise passe. L’absence d’industrie de
transformation, le bradage d’une partie de la semence ainsi que la rétention de la patate d’arrière saison
sont également mis à l’indexe par les opérateurs.
Que ce soit dans les champs, dans les marchés informels de
Bouguirat et de Sirat, les deux plaques tournantes de cette activité, le prix
de cession est vite tombé en dessous de 20 Da. Il ya de cela un mois, lorsque
les premiers arrivages en provenance de la petite bourgade des Kraïmia, sur les
hauteurs de Stdia, sont arrivés sur les étalages, les prix oscillaient déjà
entre 30 et 35 Da, ce qui était en soi un signal avant coureur de ce qui
attendait les producteurs. Les camions en provenance du centre et de l’est du
pays qui avaient pour habitude de converger par centaines dans la région et que
l’on apercevait en d’interminables colonnes au niveau des centre urbains de
Bouguirat et de Sirat, là où s’effectuent les transactions et se fixent les
prix à la parcelle, ont fondu comme neige au soleil. Une bonne partie continue
cependant de sillonner la région, mais sans aucune conviction. Rencontré chez
un fellah de Hassi Mamèche, le jeune Messaoud connaît la plupart des fellah de
la région avec lesquels il converse régulièrement par téléphone. Originaire de
Chelghoum Laïd, une destination privilégiée en raison de son dynamique marché
de fruits et légumes, ce commerçant est totalement désemparé par la tournure
des évènements. Cette chute des prix est pour lui aussi un coup terrible porté
à son activité favorite. Il explique doctement à son vis-à-vis que s’il refuse
de charger son camion de 20 tonnes, c’est à cause de l’incertitude du marché,
ajoutant qu’il suffit d’une seule crevaison – un pneu coutant l’équivalent de
40.000 Da-, pour qu’il perde de l’argent. Pendant qu’il continue de sillonner
les champs, passant d’une parcelle à l’autre avec une déconcertante facilité,
il prend régulièrement la température auprès de son frère resté au marché de
Chelghoum Laïd. Sans son signal, Messaoud ne chargera pas, surtout
explique-t-il, si les prix restent aussi bas ! L’année dernière, rencontré
sur la parcelle de Laïd, en bordure de la RN17, à mi chemin entre Hassi Mamèche
et Aïn Nouissy, il affichait une mine superbe. Il avait fait venir trois
camions et venait de faire une très bonne affaire en achetant sur champ une
variété rouge à 50 Da le kg. Une excellente opération à l’époque puisqu’il
escomptait la revendre à au moins 60 Da. Pour cette année, Messaoud ne sait plus
quoi faire, rester et espérer une hypothétique remontée des cours, ou s’en
retourner bredouille et attendre que le marché reprenne de la vigueur. Son
fournisseur, la mine défaite, vient de se faire rabrouer par son mandataire
oranais qui lui intime l’ordre de ne plus lui envoyer de patates. La scène
qu’il lui décrit au téléphone d’un marché submergé par les caisses de pomme
terre toute fraiche est la même que vivent les mandataires de Soug Ellil, à la
périphérie de Mostaganem. Le moral des fellah en prend un sacré coup. A Sirat,
non loi du douar Ezzourg, Charef fait partie de ceux qui ne récoltent jamais
avant une maturation complète des tubercules. Pour moi dit-il, ce que je
perdais sur le prix, était toujours compensé par le rendement. Il explique
simplement qu’en retardant au maximum la récolte, il obtenait aisément une plus
value de 25 à 30%. Il est vrai que ses rendements se situent souvent au dessus
des 500 quintaux, alors qu’une récolte avancée de seulement trois semaines, il
en tirait rarement plus de 300 quintaux.
Spéculation sur la
patate d’Oued Souf
Pourtant, l’optimisme de Charef n’est plus de mise. Il
craint en effet que les cours ne se redressent jamais et ses craintes il les
justifie doctement par la présence sur le marché d’une grande quantité de pomme
de terre d’arrière saison. Pour lui, il ne fait aucun doute que les producteurs
de l’arrière pays ainsi que ceux des régions sahariennes ont fortement impacté
le marché de la pomme de terre. Il suffit d’aller faire un tour au marché pour
s’apercevoir que la pomme de terre d’arrière saison est encore disponible et en
très grande quantité, martèle-t-il avec conviction. Son discours est aussitôt
relayé par son vieux père qui abonde dans le même sens, soulignant avec force
qu’il ne se souvient pas avoir vécu une situation similaire de toute son
existence. Trouver de la pomme de terre d’arrière saison – dont la récolte débute
dès le mois de novembre pour ce qui est des zones côtières, mais qui arrive à
maturité bien plus tard pour ce qui est du Sahara et des régions tardives du
Nord-, constitue pour lui une première qu’il n’explique que par le recours au
stockage. Abdallah, fellah à Yennaro, sur la RN90 reliant Mostaganem à l’Autoroute
via Sidi Khettab, soutient que les fellah ont
appris à stocker leur récolte sous terre, parfois en retardant au
maximum l’arrachage, faisant coïncider la mise sur le marché avec la récolte de
saison. Lui-même, pendant plusieurs années s’en allait acheter à vils prix de
la pomme de terre à Oued Souf. Un produit qu’il entassait dans une chambre
froide et qu’il ressortait juste au moment où les premières patates des Kraïmia
rentraient sur le marché. Si bien que durant plusieurs années, lorsque les prix
se stabilisaient au-delà des 45 Da, il faisait une plus value de plus de 30 Da,
sur un produit qu’il enlevait à El Oued à seulement 15 Da. Depuis, les fellah
d’El Oued ont appris à garder leur patate dans les sables, profitant gratuitement
des températures hivernales, la même pratique que celles de leur collègues
d’Aïn Defla, de Maghnia et de Mascara. C’est pourquoi, durant tout l’hiver et
une partie du printemps, les champs de patate complètement défanée et donc
parfaitement invisible pour un profane, garde jalousement un produit de
première nécessité. Comment en est-on arrivé à cette situation ? Et
surtout comment s’en sortir, puisque pour une grande majorité de fellah de
Mostaganem et d’Aïn Defla, surtout les plus petits d’entre eux, cette récolte
sera peut être la dernière. Surtout si rien n’est fait pour soutenir les prix
et au moins leur assurer un simple recouvrement des frais engagés. Pour cela,
ils sont unanimes ces fellah de Sirat et d’ailleurs pour dire qu’à moins de 20
Da, ils auront travaillé à perte. En clair, ceux dont les récoltes ne peuvent
plus attendre - en raison des redoutables attaques de teignes dont les larves
creusent des galeries dans les tubercules-, l’arrachage est incontournable. En
effet, mettant à profit les premières chaleurs de mai et les fissures qu’elles
provoquent dans le sol, les teignes adultes pondent leurs œufs dans les
tubercules où ils éclosent, détruisant ainsi les pommes de terre dans le sol.
Les moyens de lutte chimiques coutent trop cher pour que les agriculteurs déjà
fortement ébranlés par la chute des prix puissent se les payer. Alors que la
situation tend à s’aggraver, -mettant à nu les distorsions du système de
protection «Syrpalac » mis en place par le ministère afin de protéger les
consommateurs contre les hausses intempestives observées depuis une décennie-,
les producteurs déplorent le désintérêt dont ils font l’objet de la part des
pouvoirs publics. Surtout que depuis sa mise en place, jamais ce système de
régulation n’aura profité aux agriculteurs de Mostaganem.
De la semence bradée à moins de 1000 Da
Pour comprendre cette situation anachronique, il faut
absolument explorer l’ensemble du processus de production, comme le fera pour
nous ce chercheur de l’université de Mostaganem, très impliqué dans cette
filière qui fait la fierté de la région. Pour cet expert, ce ne sont pas les
performances des fellah qui sont en cause dans cette chute de prix. Il s’agit,
dira-t-il de la conjonction de plusieurs facteurs, citant en premier,
l’augmentation substantielle de la surface cultivée qu’il explique d’abord par
les grandes quantités de semences mises sur le marché. Ainsi, il nous apprendra
que pour l’année en cours, le volume des importations de semence a atteint un
pic jamais obtenu auparavant. En effet, dira-t-il, le volume de semence
importées au titre de l’année en cours s’est élevé à plus de 160.000 tonnes de
semences, soit exactement le double de celui d’il y a à peine 5 ans ! On
comprend mieux pourquoi, chez la majorité des importateurs, la semence a été
quasiment bradée. Notre interlocuteur se dit scandalisé par le fait que les
fellah des hauts plateaux Sétifiens qui plantent très tardivement en raison du
gel, auront acheté des semences à moins de 1000 Da le quintal, alors que leurs
collègues de Mostaganem et d’ailleurs ont payé la même variété à plus de 8000
Da. Par ailleurs, un fellah membre de la chambre de l’agriculture rappelle qu’à
chacune de ses sorties, le ministre de l’agriculture na cessé de réitérer la
volonté de son département d’atteindre les 4 millions de tonnes de pomme de
terre. Pour cet expert, cet objectif ne pouvait être atteint que par
l’augmentation de la productivité ou par l’augmentation des surfaces cultivées.
En aidant à l’inondation du marché par le recours à la semence, le département
de Rachid Benaïssa a choisi la solution de facilité. L’encombrement du marché
de la semence devrait fatalement, selon notre interlocuteur, déboucher sur une
abondante production que les bonnes conditions météorologiques n’ont fait que favoriser.
On sait que rien qu’au niveau de Mostaganem, la multiplication des importateurs
a abouti à une augmentation remarquable de la superficie cultivée qui est
passée de 5000 à 9000 hectares en l’espace de 5 années.
Certains nouveaux
opérateurs ont tout simplement «offert» la semence et se sont contentés de
n’empocher que l’argent des engrais et des pesticides qui vont avec, dira avec
dépit un opérateur. Qui ajoutera que cette forme de soutien déguisée aura
attiré des centaines d’agriculteurs. Grace à ce subterfuge, le fournisseur
trouve son compte sachant que dans un hectare de pomme de terre, les frais
d’entretien peuvent dépasser le coût de la semence et des labours. Ce qui a
provoqué cet engouement sans précédent sur la culture, qui avec ses deux récoltes
annuelles, permet d’approvisionner le marché de manière continue. Dans la
réalité, grâce à la multitude des micro climats, l’Algérie dispose en réalité
d’énormes potentialités agronomiques que la culture de la pomme de terre est
parvenue en l’espace d’une décennie à potentialiser grâce au génie des ses
agriculteurs. En effet, poursuit notre expert, grâce à ses spécificités uniques
dans le règne végétal, le tubercule le plus consommé à travers le monde est
parvenu à occuper des espaces de plus en plus larges et de plus en plus
diversifiés. Rien que dans la partie côtière du pays, on récolte de la pomme de
terre de la fin octobre à la mi janvier, ensuite ce sont les zones intérieures
et le Sahara qui alimentent le marché jusqu’à la fin mars ; le relais est assuré par la région de Mostaganem
qui est la première à rentrer la récolte dite de saisons ; suivie et
parfois accompagnée de Maghnia, Aïn Defla, Alger, Tipasa, Boumerdès, Skikda,
Annaba et Tarf. Ensuite ce sont les régions de l’intérieur qui ferment la
marche avec l’arrivée des produits en provenance des hautes plaines intérieures
qui ont la particularité de mener la culture durant les grandes chaleurs. Il
s’agit essentiellement de la région de Sétif, Bordj Bou Arréridj et à un degré
moindre Réchaïguia, au sud de Tiaret. Leurs premières récoltes arrivent sur le
marché dès la fin aout, au moment où les fellah de Mostaganem et de la façade
nord entament le semi d’arrière saison, dont la récolte intervient au bout 80
jours. Bien malin celui qui parviendra à trouver une vide à combler dans ce tourbillon
de culture. En comparaison, l’Europe qui est notre fournisseur exclusif en
semences, ne cultive qu’une seule campagne dont la récolte s’étale de septembre
à octobre, avec toutefois quelques niches de champs précoces situés sur le
pourtour de la Méditerranée ou les rares foyers de culture protégées de
certaines variétés de pomme de terre destinée à la consommation directe.
Le casse-tête de
l’arrachage
Avec une sole aussi diversifiée, et grâce à l’intrusion des
fellah d’El Oued, qui, en l’espace de quelques années, ont complètement
bouleversé leur mode de culture en basculant de la pomme de terre de saison qui
arrivait sur le marché en même temps que celle des régions du Tell – avec en
surprime les redoutables chaleurs estivales-,
à la culture d’arrière saison qui arrive sur le marché avec le début de
l’hiver, celle là même qui peut rester enfouie sous le sable jusqu’au mois de
mars et qui vient concurrencer les premières récoltes de Mostaganem. Ce sont
ces chevauchements qui ont aboutis à la situation d’abondance, voire de
véritable saturation du marché. Ce qui pour les uns serait aisément présenté
comme une réelle performance, pour les autres, en l’occurrence les producteurs,
c’est une véritable catastrophe qui les frappe de plein fouet. Acculés à la
fois par les grandes chaleurs et par la chute des prix, les fellah du nord du
pays sont pris en étau. Encouragés par une disponibilité de la semence, ils se
sont engouffrés tête baissée dans ce qui s’apparente à une douloureuse
mésaventure. Laïd, un quadragénaire qui est né et a grandit dans un champ de
patates, ne sait plus à quel saint se vouer. Avec son père et ses frères, ils cultivent
régulièrement plus de 40 hectares en saison et un peu moins durant l’arrière
saison. Lui et ses frère, passent l’été à ramener des camions entiers de fumier
de poulaillers depuis Sidi Bel Abbès. Sa pomme de terre, il la bichonne comme
un jardin de rosiers et elle le lui rend bien. Pourtant, cette année, Laïd n’a
pas le moral. Il sait que la récolte sera bonne et il entrevoyait une fin de
campagne dans l’opulence. Mais depuis une semaine, chaque fois qu’il part au
marché, il devient nerveux. Lui aussi ses clients de l’Est l’ont lâché ;
ils ont bien enlevé une première cargaison, mais ils ne sont plus revenus. Surtout
que le chantier de récolte lui coute énormément cher. Avec le temps, les
arracheurs de patates se sont parfaitement organisés. Par petits groupes de 4
ou 5, ils forment une équipe soudée et terriblement efficace. Car la récolte est payée à la tache et non
pas à la journée comme les autres opérations culturales. De véritables
entrepreneurs ont pris les choses en mains, ce sont eux qui traitent avec le
fellah et qui ramènent les arracheurs dès les premières lueurs de l’aube au
niveau du champ. La tache consiste à récolter et à charger sur le camion de
l’acheteur 18 caisses de 25 kg en moyenne par ouvrier. Soit environ 450 kg par
travailleur qui perçoit une fois la performance réalisée, pas moins de 1800 Da
que le propriétaire du champ paye rubis sur l’ongle! Soit un cout à la récolte
qui oscille entre 3.5 et 4 Da au kg ! Mansour, lui aussi patatier à Mesra
souligne qu’avec une récolteuse, ce prix serait diminué de 80%, mais pour
récolter mécaniquement, il faut réunir plusieurs conditions, la première étant
que les tubercules doivent garder un bel aspect extérieur et éviter les
éraflures causées par l’outil et surtout par les frottements avec les cailloux
enfouis dans le sol. De plus, ajoute-t-il, la maturité complète des tubercules
est sans doute la condition la plus contraignante car elle suppose que la peau soit
parfaitement endurcie, ce qui est rarement le cas dans la région de Mostaganem.
C’est sans doute pourquoi seuls quelques agriculteurs peuvent se payer le luxe
de recourir à une récolteuse tout en veillant à laisser s’accomplir le cycle de
la pomme de terre. Pour Laïd et ses collègues, le recours à un arrachage manuel
devient incontournable. La rentabilité de l’activité est liée à la précocité de
la récolte. Etre les premiers sur le marché c’est aussi accepter de réduire le
cycle de la culture, pour de nombreux fellah « plus on récolte tard, plus
le rendement est augmenté ». Pour cette année, il en sera autrement et
c’est la présence de la pomme de terre d’arrière saison qui aura perturbé
toutes les prévisions. Pour le moment, la saturation du marché a interrompu les
récoltes. Les acheteurs venus de l’Est continuent leur ronde infernale à
travers les champs, soulevant de gros nuages de poussières, mais dans les cafés
de Sirat et de Bouguirat, les conciliabules et autres négociations se sont
interrompues faute de perspectives. Les fellah et leur vis-à-vis savent qu’à
moins de 20 Da, ils vendent à perte. Nombreux sont les fellah qui ne
parviennent même pas à rassembler de quoi payer l’arrachage. A 4000 dinars la
tonne, il faudra débourser pas moins de 80.000 dinars pour charger un camion de
20 tonnes. Vendu sur champ à raison de 18 dinars le kg, ce camion rapportera
360.000 Da au producteur. On sait qu’en récoltant précocement, il est rare que
les rendements atteignent les 30 tonnes/Ha, soit l’équivalent d’un camion et
demi ! C’est dans ce cercle vicieux
que se démènent les patatiers de Mostaganem et de toutes les régions précoces
du pays. De plus renchérit Mansour, les arracheurs sont devenus très exigeants,
seule les parcelles à haut rendement les intéressent, pour les autres, ils
exigent une petite rallonge. Le comble du paradoxe, moins on produit plus il
faut payer pour récolter. Pour ce qui est des gros producteurs, la
disponibilité des moyens de transports amoindrit les couts puisqu’ils peuvent emmener
la production jusqu’au marché. Pour les autres, les plus nombreux, ceux grâce à
qui le ministre de l’agriculture pourra fièrement annoncer que l’objectif des 4
millions de tonnes sera atteint, ils devront passer par les fourches caudines
des intermédiaires et des entrepreneurs en arrachage qui font et défont le
marché. Un gros producteur dont les terres s’étalent à perte de vue dans le
territoire des Médjahers, a trouvé la parade en faisant venir plus d’une
centaine d’arracheurs depuis Aïn Defla. Leur assurant le gite et la pitance, il
parvient à faire récolter jusqu’à une tonne/jour par ouvrier, soit une double vacation.
Mais dans la région, il est bien le seul à cultiver plus de 300 hectares de
pomme de terre.
Malgré ce renfort, la
campagne de récolte s’étale chez lui sur plus d’un mois. Il est parmi les
premiers à entamer les arrachages et il est encore là à la fin de la campagne. A
lui seul, il récolte entre 15.000 et 20.000 tonnes par campagne. Pourtant,
malgré ces moyens colossaux, il n’utilise jamais d’arracheuse de pomme de terre
pour récolter dans les délais. Par contre, pour planter ses 6000 qx, il n’hésite
pas à recourir à des planteuses mécaniques. Grâce à des rendements oscillant
entre 400 et 600 qx, il peut s’assurer de substantiels revenus, combien même
les prix se maintenaient autour de 20 Da. Ici, c’est surtout le rendement qui
fait la différence.
A la recherche
d’autres débouchés
Face à ce qui s’apparente à un énorme gâchis, certains
opérateurs tentent de trouver la parade. Ainsi cet agriculteur de Hassi Mamèche
qui tous les ans vend une bonne partie de sa production de Bartina – une
variété rouge très productive et dont la forme est idéale pour la
transformation en chips-, à un transformateur. De plus son partenaire n’hésite
pas à lui payer un supplément en fonction de la teneur en matière sèche. Rien
que dans la région de Mostaganem, ils sont des dizaines de fellah à envier
cette situation. Eux qui aimeraient tant ne plus vivre dans la hantise d’un
marché aléatoire, où l’imprévisible règne en maitre absolu. D’autres n’ont pas
hésité à investir dans les chambres froides, parfois grâce au soutien de
l’état. Mais l’expérience du stockage de la pomme de terre de consommation a
tourné court, surtout lorsque les pouvoirs publics, en réaction à la hausse
vertigineuse des prix, avaient pris la décision de saisir une bonne partie des
stocks, accusant au passage les propriétaires de chambres froides de pratiques
spéculatives. Le zèle d’un potentat avait procédé à la saisie d’un important
stock de semence, jetant en pâture son détenteur. Sous le règne de Saïd Barkat,
des cas similaires ont été rapportés tant au centre qu’à l’ouest du pays,
vouant aux gémonies de paisibles agriculteurs dont le seul tort était d’avoir
stocké publiquement de la semence d’arrière saison. Ce sont probablement ce
genre de dérives administratives qui auront poussés les fellah à profiter des
températures hivernales pour laisser les patates dans les champs et à ne
récolter qu’en fonction de la demande. Ce
qui fait de l’Algérie le pays où la pomme de terre dont le cycle biologique
varie entre 80 et 150 jours, de maintenir la culture sur champ durant plus de
240 jours, sans jamais transiter par une chambre froide. Un stockage qui ne
coute pratiquement pas un sous au producteur et l’épargne de tout contrôle
intempestif. C’est bien ce stratagème qui est en train de mettre à mal les
producteurs de pomme de terre de saison. Face au silence de leur tutelle, les
agriculteurs se demandent pourquoi lorsque les prix augmentent ils font l’objet
de toutes les attaques insidieuses et lorsqu’ils sont dans la difficulté, plus
personne ne parle de leur problème. Ce sentiment d’être abandonnés, ils sont
des milliers à le vivre dans leur chair. Nombreux sont ceux qui font le
parallèle avec la fameuse PAC qui permet aux paysans de l’UE d’être soutenus
tout au long du processus de production. Ici, comme le soulignent en chœur
Mansour, Laïd et Charef, nous sommes de véritables pestiférés, alors que sans
nous, le pays serait à la merci des patatiers du Canada, qui, il n’y a pas si
longtemps, nous avaient refilé de la pomme de terre dont ils nourrissaient
leurs cochons. Pour ce multiplicateur, une profession indispensable qui fournit
toute la semence d’arrière saison, il est plus qu’urgent d’organiser en
profondeur et dans la durée, toute la filière de la pomme de terre.
Volume de semence de pomme de terre
importée durant la campagne 2012-2013
Port de débarquement
|
Nombre de navires
|
Tonnage débarqué (tonne)
|
Mostaganem
|
44
|
120.806 Tonnes
|
Ténès
|
04
|
6380 Tonnes
|
Oran
|
07
|
22.476 Tonnes
|
Alger
|
03
|
10.000 Tonnes
|
Total
|
58
|
159.662,95 tonnes*
|
* : dont 45.000 tonnes de
« E » destinée à la production de la semence d’arrière saison.
Patate importée du Canada Octobre 2007 |
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