lundi 4 mai 2020

Eloges des anciennes pratiques agricoles



 Un entretien avec Michel Ducrocq, expert en développement rural

« Le monde agricole est nettement plus complexe que le monde urbain ou industriel »


 



Ingénieur du génie rural, à la retraite depuis 2 ans, Michel Ducrocq a travaillé pendant 20 ans au Maroc. De retour en France, il rejoint l’association française pour l’irrigation et le drainage qui a la charge au titre du ministère Français des AE, de suivre le projet Sirma (Système d’Irrigation au Maghreb) dont une variante algérienne est en chantier dans le périmètre du Bas Chéliff (Relizane). Ayant une grande et riche expertise du Maghreb, il vient d’effectuer une première mission en Algérie dans le cadre du premier colloque international sur l’économie de l’eau et les systèmes d’irrigation, organisé récemment à Mostaganem. Dans cet entretien, il nous fait un bilan comparé des expériences maghrébines dans le domaine de l’hydraulique, de l’agriculture dans les périmètres irrigués, de l’importance des sols salés et de la nécessité de maîtriser la salinité par des techniques culturales.
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Après votre longue expérience au Maroc, comment trouvez vous l’Algérie, notamment au niveau de l’eau et de l’irrigation ?

Il faut par expérience être très prudent lorsque l’on veut porter un jugement sur une situation. Il est vrai qu’un ingénieur ayant de l’expérience, a des réflexes professionnels qui le poussent à porter des jugements très vite.  Il est plus prudent de se laisser apprivoiser par le paysage agricole  et écouter les gens à travers les régions. Il me sera très difficile de porter un jugement définitif après un séjour si court.

D’autant que c’est votre premier contact ?

En effet, c’est le premier séjour que j’entame par la région du Bas Chéliff. Il apparaît très nettement que la situation hydrographique du Maroc diffère profondément de celle de l’Algérie. Pour des raisons climatiques, de paysages et de relief ; il est vrai que le château d’eau que représente le Haut Atlas, est une spécificité qui n’a rien à voir ni avec le Maroc ni avec l’Algérie. Cependant, il apparaît à l’évidence une plus ancienne tradition d’irrigation en Tunisie et au Maroc, plus ancienne qu’en Algérie. Le Maroc se singularise par la présence d’offices de mise en valeur qui dépendent de gros barrages, contrairement à l’Algérie où les barrages sont nettement plus petits, obligeant au stockage de petites quantités d’eau. Ce qui diffère avec l’aisance et la souplesse d’utilisation chez les Marocains.

Et sur les aspects climatiques, y a-t-il des différences ?

Les conditions climatiques sont aussi contraignantes en Algérie qu’au Maroc. Par contre la contrainte majeure que je viens de découvrir en Algérie, c’est le problème des salures. Alors qu’au Maroc on les rencontre au grand sud, ici, elles sont à moins de 100 Km de la mer,  avec une influence maritime.  J’apprends qu’il tombe environ 200 mm/an dans la vallée du Chéliff, ce qui nous situe dans la sphère du climat aride à semi-aride.

Cela semble vous surprendre ?

Grandement ! En atterrissant sur Oran, j’ai observé la présence de chotts dans la région. D’où ma réserve de plus en plus nécessaire quant à livrer un jugement sur de simples observations. Avec l’âge et l’expérience, j’apprends à mieux cerner les problématiques, car des chiffres que l’on croit irréfutables renseignent mal sur les situations qui sont plus complexes. Au travers de l’expérience et surtout des échecs, j’ai la conviction que le monde agricole est nettement plus complexe que le monde urbain ou industriel.

Y- a-t-il des explications à cela ?

Oui pour une raison toute simple : on y est beaucoup plus soumis aux aléas climatiques ; car sur le terrain, au niveau de toute exploitation agricole, c’est le résultat d’une stratégie entre un être humain, l’agriculteur, avec ses compétences, sa technicité, qui est plus ou moins intelligent,  avec ses ressources financières et sa stratégie de cultivateur, qui est confronté aux contraintes du terrain, du climat et des ressources hydrauliques – comme ici dans le Bas Chéliff-, ainsi que les difficulté à l’aval de sa production. Notamment les contraintes de la commercialisation qui sont souvent très aléatoires. Qui peut de nos jours conseiller utilement l’agriculteur et surtout lui assurer un marché d’ici 20 ou 30 ans, sans risques de se tromper ?

ça n’est jamais simple de tout prévoir, surtout sur une si longue période ?

Cela est tout à fait juste. Lors de la construction des gros barrages au Maroc, nous avions les meilleurs experts et les meilleures études lors du lancement des projets. Pourtant, sur certains sites, alors que toutes les expertises nous assuraient d’une disponibilité en eau, qu’elle ne fut notre surprise lorsqu’au bout de quelques années, alors que les barrages devaient être remplis à jamais, nous étions pris de court par une cruelle mise à sec qu’aucune science n’avait imaginée. Des barrages sont restés vides pendant plusieurs années. Le monde rural est véritablement complexe  car il est très difficile à mettre dans une équation. C’est un monde en perpétuel changement.

D’où la complexité à donner un sens à un développement durable ?

Que ce soit au niveau du pays ou au niveau mondial, l’environnement est extrêmement changeant. On voit arriver une crise sur les principales productions agricoles de base comme le riz et les céréales, avec en plus un coût de l’énergie de plus en plus élevé ; l’approche du développement agricole apparaît de plus en plus complexe. Pourtant j’y vois une constance à travers tous les pays du monde : lorsqu’un ingénieur rencontre un agriculteur, il doit oublier ce qu’il a appris jusque là et écouter le paysan avec gravité. Y compris dans des raisonnements qui paraissent surprenants à première vue. Rares sont les paysans qui agissent de manière inconsidérée. Ils peuvent se tromper comme tout le monde. Il ne faut pas s’imaginer que tous les fermiers sont au top ; chacun a sa stratégie et tant qu’on n’a pas compris quels étaient les fondements de cette stratégie, il est très délicat de prodiguer des conseils ou de donner des recettes.

Ceci complique davantage la formation de l’agronome. En quoi le projet Sirma permet de mieux former les cadres du terrain ?

A travers le projet Sirma, les étudiants et les enseignants ont l’opportunité de voir un large échantillon d’exploitations et de situations  agricoles au niveau des différents pays. Il y a également une réelle diversité dans les exploitations -des petites, des plus grandes, celles en sec, d’autres en irrigué, avec une forte ou une faible mécanisation-, et dans les systèmes fonciers. De ce coté là, j’attache un grand intérêt au projet Sirma, surtout sur le long terme.  Plus sans doute que le produit final du projet. Car le problème n’est pas simple et la salinité n’est pas simple. Si on pouvait la régler aussi facilement, il y a longtemps qu’on l’aurait fait. Le fait est que les gens se rendent compte malgré les théories : la salinité est très complexe à régler. Qu’il faut parfois vivre avec. Si on n’arrive à çà, ce sera absolument fabuleux pour ce projet  et pour l’ensemble des pays concernés.

Y-a-t-il des perspectives agronomiques contre la salinité ?

Il est indéniable qu’un certain nombre de cultures, dans des conditions de salinité et de ressources hydriques données, résistent mieux que d’autres. En ce sens qu’elles donnent une production commercialisable. Mais il faut savoir qu’en matière de salinité, il faut agir sur beaucoup de facteurs. D’abord la mesurer et savoir si elle varie dans le temps. Ensuite il faut combiner un choix de cultures, chercher le meilleur équilibre au niveau des sols et des rotations, sans perdre de vue la commercialisation. Il y a également la combinaison de techniques d’irrigation et de drainage.

Le système du goutte à goutte qui se généralise progressivement dans le Bas Chéliff, est-ce la panacée ?

Au début, le goutte-à-goutte permet une bonne végétation. Mais à la longue, le bulbe qui se forme autour de la plante commence à être saturé par les sels et la plante a de la peine à pousser. Il faut alors lessiver avec de l’irrigation gravitaire. La technique apporte de la souplesse dans les terrains salés, toutefois, en absence de pluie, il faut un réseau pour lessiver avec de l’eau claire. Dans ce domaine, il serait très instructif de s’inspirer des pratiques anciennes.

Aziz MOUATS        Mostaganem le 11/06/08 

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