mardi 29 avril 2014

Le tourisme mémoriel prend ancrage dans le Dahra


La région du Dahra commence enfin à intéresser le tourisme de part la grande diversité et l’insoutenable luxuriance des ses paysages. Trop longtemps marginalisées par à la fois ses élus mais aussi par les autorités locales, elle entame apparemment une résurrection qui devrait dans un premier temps faire connaître ses énormes richesses, notamment celles qui lui donnent une réelle profondeur historique.  A Nekmaria, depuis l’ouverture d’une route et la construction d’une stèle à la mémoire des Ouled Riah, il ne se passe pas un jour sans que des visiteurs venus de tous les horizons affluent vers le site qui est devenu un lieu de mémoire incontournable.


 
 C’est ainsi qu’en fin de semaine dernière, deux groupes de visiteurs se sont relayés pour rendre hommage à ces sacrifiés de l’histoire. Grace à la perspicacité d’un guide bénévole, ces amateurs de tourisme mémoriels ont fait des haltes sur les principaux endroits qui ont marqué à jamais l’histoire de la région. C’est ainsi que le groupe conduit par Brahim Senouci, universitaire établit en France, venu avec ses amis Mascaréens. Ils ont été accueillis à l’entrée de Mazagran où Abdelkader Boudjmaa, un enfant du pays, leur a fait un bref aperçu sur les batailles de Mazagran, dont celle de 1558, superbement contée par le poète Benkhlouf qui faisait partie des 10.000 combattants venus de toutes les régions d’Algérie, pour mettre un erme aux belliqueuses prétentions espagnoles. La seconde halte se fera devant le phare de Cap Ivi, majestueusement dressé en haut de la plage de Chaïbia, dont le sable d’or peine à se détacher d’un bois de genévriers de Phénicie qui tapisse la pente raide menant vers l’ivresse d’une mer d’azur. Après avoir contourné le cité de Benabdelmalek Ramadane, le cortège fait une première halte mémorielle au niveau de la ferme Monsénégo. Accueillis par deux robustes gaillards, les hôtes du Dahra apprennent que c’est à cet endroit que fut tirée sans doute la première cartouche annonçant le début de la guerre de libération. En effet, la nuit du 1er Novembre 54, à 1 H15 du matin, le groupe conduit par Douair Miloud n’hésite pas à tirer sur la 4 CV conduite par François Laurent, le blessant légèrement. répondant aux implorations du gérant de la ferme lui et sin ami Jeans François Mendez, prennent la route de Sidi Ali afin d’alerter la gendarmerie de l’assaut rebelle contre la ferme. L’attaque, dira avec assurance le guide, a commencé très certainement 15 minutes avant l’arrivée la 4 CV où se trouvaient les deux jeunes pieds noir, ce qui fera de François Laurent  la première victime de l’insurrection, puisqu’à 1h30 du matin, il sera atteint d’une balle mortelle devant la gendarmerie de Cassaigne/Sidi Ali. Après avoir immortalisé cette halte par une photo collective, le groupe prend congé de deux sympathiques gaillards pour emprunter le trajet effectué par la 4 CV 60 ans auparavant. Passage obligé de la caserne de gendarmerie puis arrêt devant le musée de Sidi Ali. En ce vendredi matin, seul le gardien est là pour permettre au groupe d’accéder au centre de torture ouvert le lendemain de l’insurrection pour servir de lieu de détention aux centaines de militants et de combattants. Malheureusement, l’absence du responsable écourtera la visite, les tentatives du guide de joindre le maire de Sidi Ali s’étant avérées infructueuses. Ce désintérêt pourrait s’avérer mortel pour la région, car l’accès au carré des martyrs situé au cimetière de Sidi Ali est très fortement demandé par toutes les délégations, y compris étrangères, qui font de cet endroit – en raison  de la présence de la tombe de Benabdelmalek Ramdane, mort le 4 novembre 1954, il est à ce titre le premier haut responsable, membre du groupe des « 22 » à tomber au champ d’honneur-, un passage incontournable : d’autant que c’est ici précisément que sont morts les 4 scouts venus de Mostaganem célébrer la réinhumation des martyrs, en ce tragique jour du 1er  novembre 1994.  Le guide, pour s’excuser de ce fâcheux contre temps, alors que la visite été programmée depuis plusieurs mois, rappellera que lors de la célébration de la journée du 22 mars, il a fallu que le chef de daïra de Sidi Ali se déplace personnellement pour que les portes du carré des martyrs soient ouvertes devant de simples citoyens venus se recueillir et déposer des fleurs sur les tombes. 
Entre peurs et imprécations
A la mairie de Sidi Ali, le nouveau locataire peine à prendre la mesure de sa tache, qui ne consiste pas à seulement refaire les trottoirs de la rue principale. Ses administrés, qui ont trop longtemps souffert  de son prédécesseur, affichent ouvertement leur mécontentement, voire leur grande déception. Les visiteurs qui se font un honneur de venir se ressourcer et rendre hommage aux valeureux martyrs de ce coin d’Algérie, ont de la peine à admettre qu’à Sidi Ali, les élus se détournent sans vergogne de ce devoir sacré. Le lendemain, alors que le responsable du musée s’est fait un point d’honneur à accueillir un groupe d’oranais, s’excusant au passage de sa défection de la veille. C’est «à cause du vendredi », dira-t-il en guise d’argument. Ce à quoi le guide répliquera que c’est uniquement durant les week-end que les citoyens, parfois au prix de mille efforts, parviennent à se libérer pour s’accorder ces instants de ressourcement et de recueillement. Une jeune femme oranaise lui fera remarquer que dans un pays voisin, les fonctionnaires prennent le temps – entre 13 h et 15h- pour aller faire la prière et revenir reprendre le travail sans que cela entrave leur croyance. Après l’épreuve de Sidi Ali, dont le maire n’est pas à sa première défection, le groupe traverse la fertile dépression de Naïmia et ses vergers verdoyants, pour rejoindre à travers monts et vaux, l’agglomération de Ch’karnia, dont certaines maisons gardent encore vivaces les stigmates de la décennie noire, avec ces fermes abandonnées, ses classes éventrées et ses femmes besogneuses qui continuent d’aller au bois. Sur les berges encastrées d’Oued Romane, faisant face aux versants tapissés de thuyas, un paysage lunaire s’offre aux regards. Les véhicules qui se suivent à faible allure peinent parfois à remonter des pentes raides, au grand bonheur des occupants qui prennent le temps de savourer ces paysages encore vierges. Un sentiment de plénitude que le guide tempère rapidement en rappelant qu’en raison de ses insurrections, la région du Dahra dispose du réseau routier parmi les plus denses  du pays, ajoutant que dans sa furie, l’armée coloniale a ouvert de multiples pistes afin de prendre possession du moindre recoins dans le seul souci de réprimer le moindre soulèvement. L’arrivée sur le site de Ghar El Frachih impressionne toujours les visiteurs. Malgré un asphalte impeccable, la descente vers le site d’El Kantara qui surplombe les grottes est toujours accompagnée d’imprécations et de peurs, tant l’endroit parait escarpé. Le guide en profite pour rappeler que le 18 juin 1845, la troupe du sanguinaire Pélissier a eut recours au Khalife de Nekmaria pour parvenir aux grottes où s’étaient réfugiés les Ouled Riah. La grande fresque, éclairée par un soleil splendide, laisse découvrir une œuvre de toute beauté que même les habitués du coin prennent le temps d’en apprécier les bas-reliefs. 
La dernière halte avant la redoutable épreuve
Les 8 gardiens qui se relayent pour garder et sécuriser le site, prennent enfin conscience que le combat de leurs ancêtres n’ont pas été vains, puisque de toutes les régions d’Algérie, ce sont de véritables expéditions qui s’organisent afin de découvrir ce lieu que même l’hélicoptère le plus sophistiqué a de la peine à visualiser. La procession qui s’ébranle à travers l’escalier ne prend même pas la peine d’admirer la végétation alentours où lavande et ciste cotonneux peinent à se mesurer aux éphémères coquelicots aux pétales écarlates. Plus bas dans l’étroit valons de l’oued Frachih, ce sont les pistachiers et les chênes kermès qui affichent leur étonnante vigueur par des jeunes rameaux luisant de bien-être. La plaque de marbre sous le caroubier est la dernière halte avant la redoutable épreuve. Eclairée par un sublime rayon de soleil, l’entrée de la grotte principale n’est accessible qu’au prix de mille efforts. Les mines graves mais le pas résolu, parfois chancelant, ces visiteurs parviennent dans un discret effort intérieur, à l’entrée de la grotte. Happés par la fraicheur, on peine à habituer son regard à l’obscurité qui finit par se dissiper, dégageant les immenses souillures noires qui tapissent depuis 169 ans, les parois de la grotte. Le silence imposant de majesté est à peine brouillé par les rares bruissements de voix qui parviennent de l’extérieur. Lentement, l’obscurité regagne en épaisseur, l’arrivée d’autres personnes finit par réduire la lumière qui ne se fraye un passage qu’à travers les anfractuosités supérieures  de la paroi. Le silence se fait de plus en plus pesant, l’instant de recueillement atteint alors son apogée. Comme s’ils s’étaient concertés, à chaque fois, les visiteurs entrent dans une interminable concentration. Seules quelques mouches parviennent à braver ce lourd silence. Quelqu’un prend enfin la parole pour réciter la « Fatiha » à la mémoire des 1500 victimes, dont des centaines encombrent encore le fond des grottes. Dans la pénombre qui perdure, des mains furtives essuient des larmes trop souvent contenues. Puis sans rien dire, chacun reprend le chemin du retour, l’esprit à la fois apaisé et troublé. En bas, à l’ombre du caroubier, celles et ceux qui n’ont pas fait l’ultime escalade à travers les rochers de gypse qui bouchent l’entrée, éprouvent de la peine à fixer les yeux humides de ceux qui reviennent de cette tombe collective où dorment Ouled Riah. La lente remontée vers l’esplanade d’El Kantara se fait dans un silence aussi religieux que lors de la descente. A peine si, sans doute pour se libérer de ce lourd fardeau, des mains innocentes prélèvent quelques brindilles, des écorces de pins séchées, un caillou de gypse éclatant de blancheur. D’autres s’offrent quelque bouquet de cette flore locale en pleine exubérance. Le passage devant l’immense fresque se fait à pas lents, comme si les visiteurs peinaient à quitter l’endroit où reposent ces pesantes victimes. 


C’est toujours ainsi que se ponctuent les visites aux grottes des Ouled Riah, dans une grande incertitude. On y vient le cœur léger et on en repart la tête bien lourde.  Ce qui est plutôt rassurant, c’est que progressivement, le voyage dans le Dahra s’incruste dans les habitudes. Que ce soit en famille ou en groupes, le voyage se veut à la fois initiatique et mémoriels. Car en plus d’offrir ses fabuleux paysages, ses multiples collines et ses verdoyantes vallées, le Dahra veut aussi faire partager la générosité des ses habitants ainsi que sa tragique et valeureuse histoire, faite de luttes, d’insurrections, de victoires, de bravoures et de martyre. Il est bien dommage que trop souvent, ceux qui sont aux affaires ignorent cet aspect combien valorisant de leur passé.  C’est pourquoi, grâce à ces voyageurs d’un jour, le Dahra et ses luttes s’ancrent inexorablement dans la mémoire collective.


2 commentaires:

  1. "Oublier son passé, c'est se condamner à le revivre"

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  2. "...éprouvent de la peine à fixer les yeux humides de ceux qui reviennent de cette tombe collective où dorment Ouled Riah." Merci de nous réveiller, Sy Aziz Mouats.

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