samedi 12 janvier 2013

Une lessive de mauvais gouts





Par Boubakeur Hamidechi
hamidechiboubakeur@yahoo.fr

Après l’éviction d’Ouyahia c’est, par conséquent, aux trousses de Belkhadem qu’une autre meute prend le relais pour le courser. Une chasse ouverte, cette fois-ci, par la quasi-totalité des ministres de son parti et dont le communiqué ne s’embarrasse guère de nuances.            Ainsi, sans être tout à fait un remake de l’épisode du RND, celui qui est en train de s’élaborer dans les arcanes du FLN vise par contre le même but. Celui qui consiste à décapiter la direction de l’appareil sans toutefois remettre en cause la traditionnelle satellisation de celui-ci. Or la simultanéité de cette série d’implosions des pôles de l’alliance présidentielle peut-elle courtement s’expliquer par le souci de réduire à néant certaines ambitions naissantes ? Si nous, journalistes, fûmes nombreux à décrypter dans ce sens la récente disgrâce d’Ouyahia doit-on reconduire le même raisonnement, s’agissant de Belkhadem, avec la même facilité et la même myopie ? Autrement dit, est-il possible d’étalonner de la même manière deux personnalités, aussi dissemblables à tout point de vue, juste pour conforter l’hypothèse qu’ils seraient de redoutables challengers en 2014 ? Pour paraphraser une formule célèbre «lui est lui, quand l’autre et l’autre». En effet qu’ont-ils eu de commun sinon celui d’avoir été durant 13 ans dans la proximité de Bouteflika, alors qu’ils sont d’extractions politiques différentes ? Au parcours de jeune énarque ayant capitalisé de l’expérience dans les cabinets ministériels (les affaires étrangères notamment), Ouyahia est précisément l’antithèse d’un Belkhadem que seul le parti unique formata et au sein duquel il connut l’ascension qui est aujourd’hui la sienne. L’un est demeuré un commis de l’Etat docile mais attendant son heure, alors que l’autre n’a jamais quitté le «militantisme » professionnel dont on fait d’ailleurs les pires dogmatiques mais surtout des comploteurs de métier. Ceci expliquant cela, 
Ouyahia grâce à sa connaissance parfaite des rouages de l’Etat et malgré son déficit d’éthique constituait effectivement une alternative potentielle qu’il fallait éliminer. Mais est-ce également le cas de Belkhadem ? Probablement pas, dans la mesure où non seulement il s’est révélé comme un médiocre chef de gouvernement quand il fut appelé à ce poste mais également au plan doctrinal à la tête d’un FLN auquel demeure attaché le chef de l’Etat. L’Objectif de son limogeage ne saurait se justifier que par son incapacité à structurer une idéologie claire et attractive pour le pouvoir, justement, afin qu’il puisse dépasser l’écueil constitutionnel et se renouveler par les urnes. Le missionnaire des conjurés de janvier 2005 qu’il a été, lorsqu’il fallait guillotiner Benflis, n’a pas su passer à l’étape suivante. Une telle indigence est sûrement la cause de cette campagne, laquelle met en exergue la dévitalisation doctrinale du parti dont il serait le principal responsable. Son impréparation culturelle (n’a-t-il pas été qu’un modeste instituteur ?) et sa forte imprégnation de la praxis du parti unique sont désormais les révélateurs des limites de cette personnalité à l’image surfaite. L’on doute même que Belkhadem ait eu quelques prétentions pour succéder au sommet de l’Etat. Cependant, il s’accroche à l’unique ambition de demeurer dans l’orbite du régime grâce au contrôle de l’appareil. Or après Ouyahia et accessoirement le MSP, Belkhadem est à son tour dans le viseur du deus ex-machina qui voudrait illustrer sa promesse de réformes en «reformatant » d’abord la nébuleuse qui lui a été donnée en dot dès 1999 et dont il ne craint guère qu’elle lui fasse de l’ombre quoiqu’il décida pour elle ou contre les dirigeants en place. A partir de cet impératif, qui chaque semaine se précise, l’on voit mal comment le secrétaire général du FLN serait l’unique rescapé d’une épuration électoraliste édictée par El-Mouradia. Belkhadem n’est en définitive pas mieux loti que ses ex-pairs de l’Alliance surtout qu’autour de son nom et de sa fonction se sont cristallisées les critiques internes et se sont clairement élevées des voix écoutées qui exigent son départ. Huit ministres qui décident de ne se reconnaître que dans l’autorité morale du président d’honneur du FLN, en l’occurrence le chef de l’Etat et quelques caciques du parti tels que Salah Goudjil, chef de file de la contestation dont Bouteflika vient d’élever au rang de sénateurs, ne constituent-ils des signaux forts qui lui sont destinés ? Certes, il pourra encore arguer du message de soutien des parlementaires pour défier le rouleau compresseur sauf, qu’avec une cavalerie aussi légère que lui composent les députés, il semble bien que les jeux sont faits. Car dès l’instant où le président de la République a décidé d’ouvrir le registre des soldes de tout compte de son personnel politique, son paraphe passera comme un couperet. Reste que l’on sait peu de choses sur les intentions du président. C’est dire que l’opinion reste dans l’expectative quant à la finalité de l’épuration. Mais là, c’est une autre histoire, disons une autre… chronique.
B. H.
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Le mauvais fils - Par Mohamed Benchicou


Ouyahia aspirait à devenir président dans une Algérie "Eltsinisée" où son ambition n'avait plus de place, où le centre de gravité de la décision avait fortement bougé, où kleptocrates et ploutocrates, alliés à de puissants centres financiers internationaux et à la pègre pétrolière mondiale, avaient poussé dehors ces vieux officiers sur lesquels il comptait…


1
Jusqu'à ce funeste jeudi noir, notre homme vivait dans cette douce illusion qu’un bon intendant pouvait bénéficier des grâces familiales jusqu'à  faire partie de la "famiglia" et pourquoi pas,  bénéficier des règles de succession et devenir à son tour héritier présomptif de la couronne, puisque, ma foi, à défaut d'héritier naturel et légitime ou d'héritier adoptif, la dignité impériale peut bien être dévolue au plus fidèle. Et il fut fidèle. Du moins, à sa façon. Avec ce qu'il y a de zèle assumé et d'arrière-pensées inavouables. Ahmed le vicaire, l’apprenti-caïd Ouyahia, l’impétrant arrogant pensait qu’il suffisait de s'imprégner des valeurs de la "famille" : savoir être impitoyable, n'être impressionné par rien, ni par les larmes ni par le sang. Il avait, d'instinct, compris que plus les soldats obéissaient à l'ordre de réprimer plus ils gagnaient en considération. Il tirait quelque fierté d’avoir été l’artisan du nouveau code pénal et le père de la "Mani pulite" algérienne, celle qui mit 3000 cadres en prison. Il lui importait peu de passer pour un père fouettard, étant de ces esprits bienheureux qui considèrent, à tort ou à raison, que l'Algérie d'aujourd'hui ne fait pas de place aux anges, qu'elle leur préfère la bête et que le peuple n'avait d'autre souci que de se chercher un maître sur terre, en plus de celui qui est aux cieux, un homme qui le rétablisse dans la simplicité de l’existence, qui porte les lois du ciel, un maître pour le guider. Même un coquin. Même une canaille ! Alors lui, Ouyahia n'a pas craint de vêtir l'habit de la canaille ! Et puis, à quoi bon chercher la sympathie du peuple quand l'essentiel est d'avoir celle de la famille ? Le peuple ne décide de rien. La famille décide de tout. Alors, très tôt, il s'était fabriqué la carapace de l'homme que le sang n'impressionne pas, capable de rester calme et froid pendant qu’on trépassait autour de lui. Il partageait avec la vieille garde militaire et le DRS "originel" un projet bonapartiste : restituer sa dignité à l’Algérie malmenée par les islamistes et les lobbies de l’argent et du trafic. Et le voilà qui jette le gant à la face de Bouteflika. Il n'avait rien à craindre d'un personnage dont il avait tout appris, le cynisme en politique et cette principale qualité qui fait les véritables créatures de pouvoir : l’amoralité. L’art de planer au-dessus de la morale ordinaire sans être à proprement parler immoral. Seul compte le pouvoir. Non, il n'avait rien à craindre puisqu'il a le soutien des patriarches et celle des jeunes loups patriotes parmi lesquels les entrepreneurs investisseurs dérangés par la spéculation et l'informel. La famille décide de tout.


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Oui, mais Ahmed Ouyahia n’avait pas vu la terrible mutation opérée sous Bouteflika : la vieille famille verte, celle du Malg et des généraux grabataires, avait cédé le pas au profit d’une autre, une famiglia d’argent et d’influence, qui allait d’Orient à l’Occident et dont les relais internes, de sombres barons de l’informel, faisaient la loi en Algérie. Il aspirait à devenir président dans une Algérie "Eltsinisée" où le centre de gravité de la décision avait fortement bougé, où kleptocrates et ploutocrates avaient poussé dehors ces vieux officiers qui avaient perdu le goût de l’héroïsme et renoué avec celui de l’argent, agitant sous leur nez, à intervalles réguliers, l’épouvantail de la Haye, tantôt un juge suisse par-ci, tantôt un Hasseni par là…Il n’avait pas mesuré l’ampleur de la détérioration du système politique. Le DRS, fractionné de l’intérieur, n’était plus le même, les "vieux" n’avaient plus de voix. Quand il décida de jeter le gant à la face de Bouteflika, il était déjà seul. La ploutocratie avait pris les commandes. Il n’y avait que cet impulsif de Chihab Seddik, numéro deux du RND, pour ne pas s’en rendre compte, lui qui s'est laissé aller à déclarer publiquement, ce 10 décembre 2011, qu'il est "prématuré de parler d’un quatrième mandat présidentiel" et que "l’Algérie ne peut pas évoluer en marge du mouvement qui agite le monde arabe". Autrement dit, "Bouteflika dégage !". Et Chihab Seddik avait même ajouté, un brin cynique : "Je suis sûr que le président de la République prendra sérieusement en considération la situation régionale et la volonté du peuple d’instaurer une alternance politique.

Alternance politique ? Mais au profit de qui ? Ouyahia n’appartient pas aux "bonnes" familles, celles qui ont pour elles la force de l’histoire et la puissance de l’argent. Il n'a ni la chance de faire partie de la famille fondatrice du pouvoir, le pouvoir illégitime issu du putsch contre le gouvernement provisoire en 1962, ni la malchance de compter parmi la famille kleptocrate. Bouteflika se revendique de la première. 
Pas Ahmed Ouyahia. Lui n'est qu'un intendant, même s'il lui est arrivé d'occuper les charges de vicaire du Christ. Il le fallait, quand l'urgence était d'amadouer les Catanais qui menaçaient d’entrer dans Palerme. Depuis, on le sait, les Catanais ont été boutés hors de Sicile…Quant à la famille kleptocrate, alliée aux émirs et aux Texans, celle qu'Ahmed Benbitour décrit comme une caste "qui entoure le président, qui profite de ses largesses et de ses cadeaux, de la corruption, du gaspillage, de la mauvaise gestion ainsi que l’état de faiblesse du pays", la famille kleptocrate qui, selon l’ancien Premier ministre, pousse l'actuel président à rester au pouvoir pour un quatrième et cinquième mandat, "voire y rester à vie", cette famille-là a besoin de gages de la part du successeur : il lui faut savoir protéger le préfet délinquant, le ministre voleur, les copains indélicats ; protéger ceux que l'on a exfiltrés vers Montreux ou vers Lugano. C'est tout cela, la "famille", des délinquants en col blanc qui ont profité de la décapitation des contre-pouvoirs pour dilapider en toute impunité, les biens de l'État. Cette  famille-là ne fait pas confiance à Ahmed Ouyahia. Elle n'a rien oublié de ses méfaits, à commencer par cet automne 2007 où on l'entendait accuser le gouvernement Abdelaziz Belkhadem d’avoir cédé devant les groupes de pression et offert le pays "aux lobbies et aux mafias". Un cri parricide ! Et il les avait même nommés, ces lobbies : les banques étrangères, notamment françaises, ainsi que les seigneurs du marché informel. Allez vous étonner, avec ça, que François Hollande fasse l'apologie de Bouteflika et que Ahmed Ouyahia soit exclu trois semaines à peine après la visite du président français !
 Elle n’a pas oublié non plus ce décret de "lutte anti-corruption", bloqué de justesse par le ministre d’Etat Abdelaziz Belkhadem, au motif qu’"il faut bannir cette culture du doute généralisé car il y a bien des cadres honnêtes et propres dans le pays" ! Mais voyons ! C’est d’ailleurs le même Belkhadem, qui sait, lui, le fondement des valeurs familiales, qui s’était opposé en 2006 à la levée de l’immunité parlementaire des députés impliqués dans des affaires, vidant ainsi le dispositif anti-corruption proposé alors par le gouvernement Ouyahia. Non, il faut savoir être fidèle à la famille. Et lui, Ahmed Ouyahia, il ne sait pas. Ou il fait semblant de ne pas savoir. Dans une Algérie en voie d'Eltsinisation, l'ambition présidentielle d'Ahmed Ouyahia représentait pour la ploutocratie bouteflikienne, un risque sismique qu'il fallait de toute urgence avorter. Elle en a eu un avant-goût en juin 2008, lorsque le "mauvais fils", succédant à Abdelaziz Belkhadem, entreprit de démolir les alliances patiemment nouées par le président avec les islamistes et des puissances d’argent arabes et occidentaux. Deux jours à peine après l’intronisation d’Ouyahia, son parti, le Rassemblement national démocratique, réuni en congrès, se prononçait contre le marchandage avec les chefs intégristes, l'ouverture économique "incontrôlée" et la "démission de l'Etat devant les mafias et les lobbies."  Quinze jours plus tard, rappelons-nous, il gelait les projets d’investissement conclus entre Bouteflika et de grosses firmes arabes, ouvrait des enquêtes fiscales sur ces dernières, dont Orascom de l’Egyptien Sawiris et décrètait la participation majoritaire de l’Etat algérien dans tout nouvel investissement, suite à la revente au français Lafarge par Sawiris de deux cimenteries qu’il avait acquises pour une somme modique. Eh bien, tout cela est fini : le RND va devenir un coq sans crête ! 

  
3
L'ordre de l’achever est venu du parrain. Et qui s'en cache d'ailleurs ? Pas le docteur Guidoum, en tout cas, le chirurgien des basses œuvres, promu coordonateur de la rébellion et qui s'en était allé rencontrer le président Bouteflika quelques minutes après l'annonce par Ouyahia de sa démission. Pas la brave Nouria Hafsi non plus, accessoirement membre du bureau politique du RND et secrétaire générale de l'Union nationale des femmes algériennes mais qu'on a connue comme redoutable torpille lancée par le clan présidentiel à la face de l'ambitieux Ouyahia. La pauvre « dissidente » s'est laissée trahir par cette imploration publique devant les journaliste : "M. Bouteflika, protégez-nous de ce monstre d’Ouyahia, haï par le peuple algérien. Si un jour il devient président, il mettra le pays à feu et à sang." Oui, l'ordre de l’achever est venu du parrain.  Il le sait. 

L'homme est fini, il le sait aussi. Fini comme pouvait l'être un fils désavoué par la  "famille". Chez eux, on dit qu’il est "déposé". Seule solution : le silence. L'exil intérieur. Comme Benflis. Patienter. Espérer. Il ne sera pas président en 2014, ni peut-être jamais. On ne se relève que rarement du désaveu familial. Ce jeudi là, de son accent tremblant, il annonçait aux journalistes incrédules qu’il ne se présentera pas aux élections de 2014. Il avait beau le répéter d'un ton lourd et désabusé, la mine défaite, il avait beau le répéter, il ne s'est trouvé personne pour le croire. Comment accorder bonne foi à ce personnage trouble, un peu conspirateur, un peu bonimenteur, et dont les journalistes ne sauraient se passer de l’image méphistophélique pour construire leurs mauvais scénarios ? Ouyahia aura été, jusqu'au bout, victime de ses excès comme de ses roublardises. La presse en a décidé ainsi : "Ahmed Ouyahia a quitté le RND pour se consacrer aux présidentielles de 2004." Ce serait bien la première fois dans l'histoire de la politique et de la bande dessinée, qu’un postulant choisit d'entrer dans la bataille en se débarrassant au préalable de son armée !

Ahmed le vicaire, l’apprenti-caïd Ouyahia est seul. Il avait cru pouvoir défendre une ligne patriotique sans le peuple, sans démocratie. Il avait cru pouvoir profiter de l’alternance antidémocratique que procurait le système politique algérien. Oui, mais de quelle famille Ouyahia voulait être le fils béni ? Il ne savait pas. Ou alors, il aspirait à toutes les filiations. Ce n’est pas possible. Il ne fallait pas oublier qu'un Catanais ne peut en aucun cas intégrer une famille de Palerme. C’eût été une horrible violation des règles de transmission dans l’histoire de la Cosa Nostra.

M. B.

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