lundi 20 février 2012

Les larmes du Kerrada


Un ministre sans cravate
La journée avait mal commencé…la venue d’Abdelmalek Sellal, le ministre des ressources en eau de l’Algérie ressemblait plus à une ballade pré-électorale qu’autre chose. En effet, en ce dimanche 19/02/2012, bien avant l’arrivée de la délégation au siège de la wilaya, j’avais croisé un photographe du genre sans gêne…avec ses manières de parvenu, il m’a de suite dégouté d’être rentré dans le bureau d’un responsable au demeurant très affable – ceci expliquant cela- où m’avait précédé un très jeune et sympathique sénateur…si, si, ça existe…j’en conviens, c’est très rare, voire rarissime, pour ne pas dire précieux…mais le jeune Mansour, pensionnaire du palais Ziroud Youcef et natif de Hassi Mamèche est demeuré un jeune homme bien sous tous les aspects…puis voilà que cet énergumène de photographe, apparu dans le sillage du retour en grâce de Bouteflika, fait son entrée fracassante…ne se refusant aucun caprice…il aura vite fait de m’exacerber…je quittes alors le bureau en douceur…à peine le temps de saluer mon hôte et son invité…

On annonce l’arrivée du cortège…puis la silhouette longiligne du ministre apparaît sous les lumières blafardes du matin. Pas de cravate, les cheveux à peine coiffé, Abdelmalek Sellal est très fatigué…comme s’il n’avait pas dormis de la nuit…la paupière lourde, il traine manifestement une méchante conjonctivite à l’œil gauche…l’œil du cœur, ça ne trompe pas. Première halte… l’embouchure odorante de l’oued Aïn Sefra…les eaux usées d’une grande partie de la ville se déverse dans la mer, juste là où jadis se dressait un célèbre restaurant appelé « La Sirène »…inutile de demander autour de vous, très peu de Mostaganémois se souviennent de « La Sirène »…à l’époque, en amont de l’embouchure, il y aurait eut des poissons pour agrémenter l’oued Aïn Sefra…

Après un détour par le barrage du Kramis et une virée poussiéreuse du coté d’Ouled Boughalem, le cortège prend la direction du Kerrada…une immense réserve de 70 millions de M3…prélevés sur l’oued Chéliff à l’aide de pompes allemandes ramenées par un Libanais. Le Kerrada se trouve en contrebas de la forêt de Chouachi et il domine la luxuriante vallée du Chéliff. Enlacé au fond d’une cuvette artificielle, le plan d’eau est absolument magnifique. 

Avant d’arriver sur le promontoire, le visiteur peut admirer un surprenant alignement d’oliviers. Surprenant parce qu’inattendu, mais pas seulement…car lorsque le préposé au projet parle de son volume actuel – un peu moins de 20 millions de M3, il est très facile de deviner que dans quelques mois, peut être dans quelques années, lorsque le barrage sera plein, les oliviers devront apprendre à nager. Votre montagnard de serviteur n’aime pas voir se noyer des oliviers à l’allure si sympathique…
Chez moi, dans l’Algérie que j’aime, on ne se résigne pas à abandonner des oliviers. C’est notre arbre nourricier par excellence…de plus en été, lorsque les cigales se chauffent les ergots au soleil, brebis, chèvres et bergers y trouvent cette fraicheur volatile que seul l’olivier peut donner sans compter…

Journalistes friands…
Très fier de l’ouvrage, le ministre tient une conférence de presse improvisée…à seulement quelques décamètres des oliviers. Autour de lui, une nuée de journalistes, une autre nuée de dictaphones, puis une nuée de questions, aussi saugrenues que plates. La conjonctivite du ministre s’est presque effacée sous le splendide rayon de soleil…et la tournure avantageuse du débat…Abdelmalek Sellal est un ministre plutôt sympa…très porté sur les arts et la culture, il ne dédaigne jamais une digression à travers le Raï et le Malouf…la répartie est toujours servie à profusion…et les journalistes en sont forts friands…
Sans trop forcer, Sellal finit par un détour millimétré par Tamanrasset et son plus grand système d’adduction d’eau du monde…que les Marseillais vont découvrir très prochainement, les veinards…Euphorique, Sellal est presque convaincant lorsqu’il affirme sans sourciller- normal la pernicieuse conjonctive joue aux empêcheurs de  rêver en vase clos- que presque toute la planète nous envie ce système de transfert long de 700 km et jalonné par un florilège de stations de pompage…à travers le Sahara le plus saharien du monde…
Puis, pendant que la corporation des mangeurs – y en a bcp qui sont journalistes- se jette sans retenue sur le buffet, -le quatrième de la journée et il semble plutôt copieux- qu’ils dévorent sans égards…Sellal se prend une communication téléphonique…probablement une interview depuis la province, puis s’éclipse un long moment…alors que l’euphorie semble retomber – surtout chez mes collègues, si affairés à se goinfrer après ce marathon à travers le Dahra- comme sorti de nulle part, voilà enfin un paysan qui pointe le bout de son nez. Je ne sais pas comment il a fait, - moi j’ai ma petite idée-, mais il a de suite reconnu le préfet de Mostaganem qu’il commence par toiser. Puis très vite, face à l’imperturbable commis de l’Etat, le fellah s’emballe…le chef de projet qui semblait être une vieille connaissance de cet « intrus », entame alors une longue plaidoirie…en Français…le wali lui demande de parler dans la même langue que le fellah qui ne cache plus son dégout, ni sa détresse…

Générosité républicaine
Le maire de Belattar, « territorialement compétent », est à son tour rabroué par le paysan, très remonté et très déprimé aussi. Il réclame le payement de son expropriation…depuis une décennie…voilà que Sellal est appelé à la rescousse…très détendu, le ministre commence par taquiner le fellah qu’il semblait connaître, ce que ce dernier n’hésite pas à confirmer…donc deux vieilles connaissances qui se croisent sur ce promontoire, à deux décamètres des oliviers en sursis…s’engage alors entre Sellal et son copain paysan, -mais néanmoins toujours propriétaire des 24 hectares que l’eau du barrage est en train de couvrir inexorablement-…un dialogue. Non ! Deux monologues entre le fellah qui parle de la terre de ses ancêtres et le ministre qui souligne que sans «la « Fridda » point de salut…l’un suppliant l’autre de lui payer son dû et de lui dédommager aussi les effets des explosifs sur sa maison…- pas besoins d’une « Fridda », un simple constat amiable suffirait-, lorsque l’un parle avec gravité de la perte de sa terre, l’autre emprunte au langage de la dérision…


La Cour sans gêne
Une vieille technique qui permet de noyer les oliviers…et qui fait rire aux éclats, les journalistes, les zélateurs et les commis de l’état, repus par les friandises que la généreuse république étale sans compter. Jusqu’au moment où le fellah, la gorge nouée par l’émotion, se retenant avec peine de fondre en larmes, finit par tomber dans les bras du ministre…qui venait probablement de se rendre à l’évidence que ce qui faisait rire la Cour blessait profondément son interlocuteur. La morale veut que l’Etat soit capable d’investir, en moins de 5 ans, plus de 20 milliards de DA lourds pour ériger un barrage de 70 millions de M3 …et oublier de dédommager un fellah pour quelques millions de cts…une note d’espoir presque inaudible : de sa grand mansuétude le ministre a fait obtenir une entrevue chez le wali…avec une ultime recommandation, qu’il s’y rende en compagnie de son avocat et de sa « Fridda »…et une dernière dose de courage…à défaut, il pourra toujours aller se noyer non loin de ses oliviers, un promontoire semble avoir été aménagé à cet effet…juste au milieu de cette étendue d’eau que ses larmes et celles de sa famille ne pourront même pas troubler…
Ils faisaient pitié ces élus et autres fonctionnaires, incapables de saisir l’infinie douleur de cet homme qui a tout perdu sans que ça n’émeuve personne…désormais son sort est confié à la magnanimité reconnue et éprouvée du préfet…lui seul pourra assécher pour toujours ses larmes…pour les sarcasmes de ses compatriotes, même les eaux du Kerrada n’y pourront rien…

UN COMMENTAIRE DE NOTRE AMI HAMOUD ZITOUNI
Merci Aziz d'avoir capté et rendu public un des très nombreux drames que vivent nos agriculteurs. Une administration autiste et imbécile qui "sait" dépenser sans compter des centaines de milliards pour des projets utiles (barrages, autoroute,...) ou hasardeux (rootage absurde et dangereux des parcours steppiques, reboisement bidon, mise en valeur par la concession,....) et qui ne sait pas indemniser un propriétaire-exloitant combien même sous le régime de l'indivision d'où le problème de la frédha (acte déclaratif notarial reconnaissant les héritiers du défunt ou decujus et fixant les parts successorales de chacun des héritiers reconnus). Il est vrai que dans le foncier nos lois sont en retard d'un siècle (code civil, loi d'orientation foncière, loi d'orientation agricole, etc..). Aucun gouvernement et aucune législature ne s'est penchée sérieusement sur le problème de la préservation  et de la régulation de la propriété agricole  pour y trouver solution juste et rationnelle C'est un problème qui touche des milliers d'Algériens ET QUI VA EN SE COMPLIQUANT au fur et à mesure de la démultiplication des héritiers au fil des générations. N'en parlons pas des partages: c'est la loi de la jungle pour les uns ou l'enfer et le déchirement pour les autres.  Dans cette affaire, le wali de Mosta(c'est un homme d'une grande probité et d'une grande expérience), malgré ses pouvoirs proconsulaires ne peut pas régler le problème par un quelconque arrêté préfectoral. Par contre, il peut  faire mettre par la DHW ou la DRAG le montant de l'indemnité d'expropriation sur un compte d'attente (dépôt et consignation) domicilié au Trésor de la wilaya mis à la disposition des héritiers à concurrence de la cote-part de chacun définie par l'acte de la frédha incontournable au vu des textes de loi actuels. A titre indicatif, la rédaction d'une "frédha" peut s'effectuer entre une semaine et plusieurs mois (reconstitution de l'arbre généalogique "descendant" du propriétaire ou possesseur, présentation de l'extrait d'acte de naissance et de décès éventuel de chaque descendant, présentation des témoins, etc..  Une galère!

1 commentaire:

  1. Dans un état de droit est-il besoin de réclamer ce que l'état vous prend par nécessité impérieuse?
    Non , je ne le pense pas , et connaissant l'humanisme de notre wali , gageons que ce fellah sera dédommagé dans les meilleurs délais, en tout cas avant que l'eau ne vienne à manquer dans nos robinets.

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