Les ossements des Ouled Ryah narguent Alain Juppé
A l’initiative de l’université de Mostaganem, un groupe de chercheurs s’est impliqué dans l’organisation d’une journée commémorative. C’est hier, le 20 juin, qu’une rencontre s’est déroulée au niveau de l’auditorium Med Benchehida de kharrouba. Rehaussée par la présence d’Abdelkader Ouali, secrétaire général du ministère de l’intérieur, la rencontre a réuni une affluence record. Outre une exposition de toiles réalisées par les élèves des arts plastiques, les visiteurs ont pu admirer une exposition de photo retraçant la vie de labeur et de souffrance de la population du Dahra Occidental. Fruits de mes propres pérégrinations, le catalogue s’est voulu un hommage à cette population qui a tant souffert par le passé et qui continue de survire sur une terre fertile et austère. Mais incontestablement l’évènement majeur des cette commémoration aura été la découverte d’os humains et de relique effectuée la veille par votre serviteur qui accompagnait une équipe de reporters de l’ENTV.
Au fond des ténèbres
Partis de Mostaganem à 16 h 30, nous traversons les localités de Benabdelmalek Ramdane, Hadjadj et Sidi Ali et nous nous dirigeons vers Nekmaria. Nous arrivons à 17h30 précises au douar Frachih où nous attendaient des descendants des Frachih et des Ouled Ryah. Après un premier plan effectué à partir du douar vers la grotte située en contrebas, nous rejoignons le plateau qui domine la grotte où nous abandonnons nos véhicules pour entamer la lente descente vers la grotte. Arrivés sur le site à 17h45, nous nous engageons à l’intérieur de la grotte principale, celle dont l’entrée est visible de l’extérieur. Mais grâce à l’obligeance de nos hôtes, je me vois contraint d’accepter l’invitation qui m’est faite de m’introduire dans une grotte dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Le voyage au bout de l’enfer venait de commencer pour moi. Je me glisse difficilement à travers l’étroit conduit qui s’offre à moi. Mes jambes sont rudoyées par les parois rugueuses, mais je n’avais plus le choix, je devais continuer à avancer dans l’obscurité, puis soudain, une vague de fraicheur me happe vers le bas. Je suis dans une cavité remplie de cailloux de différentes tailles et surtout un énorme matelas de poussière. Autour de moi, comme des lutins des jeunes s’agitent comme s’il s’agissait de leur maison de campagne. Puis commence rapidement le moment que je craignais le plus : la rencontre avec les restes des Ouled Ryah. Pour la première fois depuis 166 ans, la grotte de Nekmaria, connue sous le nom de Ghar El Frachih, 80 km à l’est de Mostaganem en plein massif du Dahra occidental, livre ses secrets.
Les Ouled Ryah narguent Alain Juppé
Tout le monde autour de moi s’affaire à fouiller le sol. Puis commencent alors les premiers chuchotements : des ossements humains ainsi que des reliques sortent vers la lumière blafarde des lampes torches rudimentaires. Elle a duré près de 30 longues minutes, un temps qui a paru immensément long eut égard à la sacralité de l’endroit et aussi à la présence avérée de restes humains qui gisent sous terre depuis exactement 166 ans. En effet, ce même jour de juin 1845 que Pélissier et ses soldats entreprirent de mettre le feu aux entrées des grottes où s’étaient réfugiés les Ouled Ryah. L’exploration a vite a permis de mettre à jour quelques objets ayant appartenus aux Ouled Ryah, notamment un bâton taillé dans du thuya et qui sert à maintenir les tentes des nomades ; il sert également à entraver les chèvres et les brebis. Dans leur tâtonnement sous les pierres et dans un épais manteau de poussière, les explorateurs sont parvenus à extraire des os humains, dont un péroné en parfait état de conservation, une omoplate ainsi que plusieurs vertèbres cervicales. Cette grotte est connue pour avoir été le théâtre d’une terrible enfumade fomentée par le colonel Pélissier les 18 et 19 juin 1845. Connu pour être l’un des pires massacres commis par l’armée française d’occupation, cette enfumade avait entrainé la mort, après de terribles et interminables souffrances à plus de 1200 personnes, dont des vieillards, des femmes et des enfants appartenant tous à la tribu des Ouled Ryah, de fiers montagnards du Dahra qui ont été pourchassé jusque dans ce refuge par une colonne de 2500 hommes sous les ordres du colonel Pélissier. Ce dernier avait fait amasser des fascines avant d’y mettre le feu que la troupe entretiendra deux nuits durant, asphyxiants hommes et bêtes. Cette mise à jour d’ossements humains intervient quelques jours à peine après la visite d’Alain Juppé, le ministre des affaires étrangères Français qui n’a pas hésité à balayer d’un revers de la main toute forme de reconnaissance des crimes et massacres coloniaux commis à l’encontre du peuple Algérien par l’armée française d’occupation, et ce durant 132 ans. Ce péroné, cette omoplate et ces vertèbres remontées par les descendants des Ouled Ryah en ce jour anniversaire des enfumades, sont la preuve irréfutable des horreurs commises sur des innocents. Elles sont une preuve éclatante que malgré les reniements et les escapades de l’ancienne puissance coloniale, ces ossements qui resurgissent plus d’un siècle et demi après avoir été ensevelis, rappellent combien l’histoire coloniale a été injuste et sanguinaire. Cette découverte intervient 166 ans, jour pour jour, de ces massacres, démontre que l’histoire des massacres coloniaux reste à écrire.
Aziz Mouats, chercheur Université de Mostaganem
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