Après 3 jours de vives tensions, ce n’est que tard dans la nuit de samedi qu’un vent de soulagement a traversé l’agglomération de Sidi Lakhdar. Il était 2 heures du matin, entre deux coupures de courant parfaitement synchronisées par Sonelgaz, dans le bureau du chef de daïra transformé en véritable forum, avec d’un coté les représentants des jeunes manifestants et de l’autre les représentants du wali, dépêchés sur place pour dénouer les vives tensions nées de la hogra, le chômage, la mal vie, des passes doits. Alors que les représentants du douar Zine obtenaient sans forcer la construction de logements ruraux, ceux de Sidi Lakhdar, fortement divisés mais également soumis à de très fortes pressions de la part de centaines manifestants décidés à ne rien céder et surtout à ne pas évacuer les 62 logements qu’ils venaient d’occuper par la force. La nuit d’avant, vers 1 heure du matin, ils avaient bien calculé leur coup en faisant rentrer à l’intérieur des logements neufs, femmes, et de rudimentaires matelas. Retranchés à l’intérieur de la cité faisant face au cimetière chrétien, ils étaient décidés à se battre à mort. Car durant la journée, chaque famille s’était préparé au pire, amoncelant bonbonnes de gaz, cocktails Molotov et bidons d’essence. Tout pour faire embraser toute la cité en cas d’intervention des forces de l’ordre ramenées en nombre depuis Mostaganem. C’est à 20 heures qu’avec mes collègues Madani d’El Khabar et Anis d’En Nahar, nous parvenons au niveau de la cité où d’énormes brasiers sont déjà allumés. Les manifestants, très jeunes pour la plupart, sont répartis par petits groupes d’une dizaine de personnes. Lorsque nous abordons l’un des groupes, la méfiance chez nos interlocuteurs est à son comble. On exige la présentation de nos ordres de missions ou de nos cartes de presse. Evidemment, personne n’obtempère et la tension monte d’un cran.
Un camp retranché où règne la suspicion
Nous prenant pour des agents de police en civil venus les infiltrer, les plus jeunes se montrent très agressifs. La tension est à son comble et très vite nous arrivons au bord de la rupture. Je sors alors le nom de l’ancien maire de la ville, Kadi Miloud que je venais d’appeler sur mon portable et je demande à l’un des manifestants de lui parler. La tension baisse d’un cran, mais la suspicion est encore présente chez d’autres manifestants. Bientôt nous sommes entourés d’une centaine d’individus qui nous enserrent de plus en plus. C’est alors que je sors mon dictaphone, un outil que je rechigne à utiliser car les enregistrements sont difficilement exploitables, mais l’effet sur les jeunes est immédiat. La pénombre aidant, le voyant rouge de l’enregistreur agit comme par magie. Tout le monde veut alors dire sa colère et donner sa version des faits et surtout insister sur les revendications. Au bout d’une demi-heure de cris et de vociférations, après avoir fait le procès des élus, des députés, de l’ancien chef de daïra et de toute l’équipe municipale, la sérénité reprend le dessus. On distingue mieux les visages et le cercle autour de nous s’épaissit davantage. De nouveaux visages apparaissent, ce sont apparemment les leaders du mouvement qui veulent en savoir davantage sur nos intentions. Certains, toujours craintifs portent des masques, ce qui accentue davantage la tension. Il est déjà 23 heures et des brasiers crachent maintenant des flammes de plus en plus hautes. Manifestement le camp retranché s’installe dans la durée et les groupes continuent de se former et se déformer autour des nous et à travers la cité des 62 logements, fief de la contestation.
Visite du président de la république, le 11 février 2004, au mausolée de Sidi Lakhdar |
Le bon sens reprend ses droits
C’est un peu la place Tahrir en plus petit, mais ici, dans cette région agricole du Dahra, où le chômage endémique ainsi que l’absence de logement constituent la pierre angulaire de cette protesta. Qui entame dans l’incertitude l’entrée dans son 4ème jour. Les protagonistes ses sont préparés durant toute la journée, chacun redoutant un coup fourré de la part de son adversaire. Une adversité somme toute relative, car pour celui qui connaît un peu les mentalités des deux protagonistes, il est évident qu’une solution intelligente pouvait trouver sa place. Il lui suffit de trouver les bons interlocuteurs, de les mettre face et face er de laisser le bon sens s’imposer à tous. Une fois les manifestants complètement rassurés par la présence des 3 journalistes, il devenait possible d’engager le dialogue et de sonder les intentions des manifestants. S’engage alors une franche discussion avec les principaux leaders. Tout de suite, nous comprenons que nos interlocuteurs, dans leur grande majorité se sont préparés au pire mais qu’en réalité, ils étaient disposés à engager des négociations afin de parvenir à une solution. La principale pierre d’achoppement se trouvait dans la résolution du problème du logement. Nous avançons alors l’idée de toute remettre en cause et de confectionner des listes de bénéficiaires sous la responsabilité des manifestants. D’assiégés, ils devenaient acteurs à part entière. Très vite, le bon sens reprend le dessus. Autour de nous, tous nos interlocuteurs étaient d’abord qu’il fallait sortir de l’affrontement et donc quitter les lieux et s’en remettre à l’élaboration d’une nouvelle liste. Nous leur annonçons sans détour que nous allons jouer à fond notre rôle de facilitateurs et que nous allons soumettre la proposition aux responsables. Mais avant de contacter le QG, nous faisons un détour chez l’un des notables de la ville, Kadi Miloud l’ancien maire qui avait été dégommé par un ancien wali pour avoir exigé que les recettes -8 milliards/an- générées par la carrière de sable servent en partie à développer la commune. Bénéficiant d’une grande autorité morale, il pouvait s’interposer afin de convaincre les manifestants et servir de caution morale.
La bonne foi pour éviter l’émeute
En présence du jeune Hocine, notre guide- ailleurs on l’appelé fixateur, il n’aimera peut pas- Kadi Miloud accepta sans aucune hésitation notre proposition. Forts de son appui nous rejoignons la cellule de crise au niveau de la daïra où nos suggestions étaient déjà mises en application avec les représentants des douars. Ce qui explique pourquoi, déjà à notre arrivée au village, certaines familles étaient en train de quitter le squatte. Seuls les manifestants originaires du village de Sidi Lakhdar, pour la plupart regroupés au niveau de la cité des 62 lgts ne voulaient pas sortir, tout en étant conscients que leur mouvement était dans l’impasse, voire tout simplement voué à l’échec. Le tout était de s’en sortir sans dégâts, sans émeutes, sans affrontements et surtout sans recourir à l’arsenal détonnant amassé dans les appartements. Ni à fortiori à celui de la force publique qui avait mobilisés tous les moyens nécessaires à l’évacuation des indus occupants. Lorsque le principal leader de ce mouvement accepte enfin de se joindre à la négociation, tout le monde s’en réjouissait à l’avance. Lui avait surtout besoins d’être rassuré sur sa personne et les responsables lui ont donné les assurances que non seulement il n’avait pas à s’inquiéter mais qu’il devait continuer à encadrer ces jeunes afin d’aider à la concrétisation de leur souhaits. Malgré l’impasse dans laquelle se trouvait leur mouvement. Il est déjà 2 heures du matin, lorsque Madani Beghil, Anis Benhalla et moi-même quittons Sidi Lakhdar. Après avoir échangé nos numéros de téléphone avec nos nouveaux amis de Sidi Lakhdar, nous partons vers Mostaganem la conscience tranquille. Cette incursion au milieu du chaudron de Sidi Lakhdar n’était point destinée à faire un scoop comme on pourrait aisément l’admettre, elle avait pour principale mission d’éviter qu’un malheur ne vienne frapper cette paisible cité, et par ricocher l’ensemble du pays. Notre crédibilité de journalistes nous aura servit à calmer les plus esprits et à rapprocher les points de vue. Cette démarche n’était pas sans risques, pourtant nous l’avions entreprise afin de ne pas avoir à déplorer notre silence. Nous avions 3 alliés dans cette mission : notre bonne foi, notre crédibilité auprès de la population et de l’administration et l’amour de ce peuple et de son pays.
Un vivier pour l’élite
Chez les deux parties, nous avons trouvé des interlocuteurs consciencieux, disponibles et décidés à trouver une issue à cette crise qui n’est pas l’apanage des habitants de Sidi Lakhdar, loin s’en faut. Mais le fait que cet épisode se soit déroulé à Sidi Lakhdar, devrait servir d’exemple pour toutes les autres communes du Dahra et de l’ensemble de l’Algérie. Nous n’en tirons aucune fierté, ni aucune vanité, mais nous en sommes revenus plus convaincus que jamais que s’il y avait un modèle pour sortir définitivement de ce sac d’embrouilles, ce ne serait ni l’avenue Bourguiba, ni la place de Sidi Bouzid. Lorsque les hommes prennent le temps de se parler, de s’écouter et de se convaincre, tous les obstacles s’estompent. En quittant Sidi Lakhdar, nous réalisions à peine ce qui venait de s’y produire, mais nous avions traversé toute la distance jusqu’à Mosta baignant dans un sentiment de plénitude. Sur plus de 60 Km, nous n’avions croisé qu’un seul véhicule, et pourtant, à aucun moment nous nous sommes sentis menacés… Tout juste si nous avions déploré l’état de la route, la RN11, oui une route nationale…difficile de comprendre qu’entre Benabdelmalek Ramdane et Sidi Lakhdar, le macadam date de la colonisation…dans une année, nous fêterons le 50ème anniversaire de l’indépendance…les chemins du Dahra méritent amplement une remise en état…car c’est sur ces routes sinueuses que les premiers combattants de Novembre, les premiers martyrs aussi, ont inscrit en lettre d’or la justesse de notre cause. Encore un petit effort messieurs les responsables, le printemps n’en sera que plus beau…les jeunes de Sidi Lakhdar nous ont montré le chemin, vous avez parfaitement reçu leur message… Une jeunesse digne, hargneuse et responsable ne peut que vouloir du bien à ce pays. C’est dans ses rangs que nous trouverons nos élus de demain, et peut être nos élites aussi…
Aziz Mouats
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