dimanche 6 juillet 2014

Où est la fête de l'indépendance?


Qui a arrêté la fête de l’Algérie ?
Il y a 52 ans et des poussières que l'Algérie a gagné son droit à l'indépendance...le 5 juillet 62, j'avais tout juste 12 ans et je suis descendu en ville. Nous, les Mouats, nous étions restés au Béni Mélek, dans la ferme de Roger Balestrieri. C'est lui qui nous avait hébergés dans une vieille mansarde lorsque l'armée française était venue détruire notre mechta à Sidi Ahmed...A la ferme, depuis le 19 mars 62, jour du « Cessez-le-feu », nous avions dressé le drapeau Algérien que j'avais ramené depuis la ville. C'est ma tante Zaghda qui l'a fait confectionner dans le vieux quartier en tôles du faubourg...puis, avec le temps et les embruns, le drapeau avait pris des couleurs plus ternes...c'est pourquoi, arrivé au niveau du quartier Arabe " Z'kak Arabe" j'ai été déçu de voir que les drapeaux qui ornaient toutes les fenêtres avaient des couleurs bien plus éclatantes que le notre à la ferme...aujourd’hui, à minuit passée de quelques minutes, là, dans ce jeune quartier de Mostaganem, mis à part l'immense drapeaux barrant la rue en l'honneur de l'équipe de football, toutes les fenêtres sont restées fermées...pourquoi la joie de 1962 n'a pas fait des petits? Et pourquoi il a fallu un bosniaque pour que notre président sorte de sa tanière? Il n’en a pas mare d’être au pouvoir? Il n'a pas honte de supplier un Bosniaque de rester afin que notre emblème national sorte dans la rue, comme en 62?

Des collabos aux premières loges
Je jure que le 5 juillet 62, du haut de mes douze ans, je croyais que la fête ne s’arrêtera jamais, je croyais que la générosité et l'amitié ne quitteront jamais ce pays...je pensais sincèrement que jamais plus nous nous chamaillerons comme de vulgaire petits délinquants....je croyais que réellement nous allions enfin former un seul peuple et que nous allions avoir les mêmes droits...mais c'était un rêve insensé....et le comble c'est que j'ai mis du temps, beaucoup de temps pour m'en rendre compte...car il y avait des indices qui ne trompent pas. J'ai vu des collaborateurs des l'administration coloniale acheter des tenues militaires flambants neuf auprès des tirailleurs Sénégalais de la caserne Mangin, à la porte de Constantine...ensuite ils passaient parader à travers les artères de la ville et les quartiers arabes...je me souviens des noms....elle est très précise et bien redoutable la mémoire de l'enfant que j'étais...j'ai aussi vu un certains Moulay, qui roulait dans une 2CV, qui était armé et qui a passé toute la guerre à nous insulter et à faire le Byya3 auprès de la police...entre temps, il avait servi dans le corps de la Force Locale...je le connais très bien parce que son vieux voisin était berger chez lui et c'est à Sidi Ahmed qu'il emmenait son troupeau tous les matins...comment faisait-il pour avoir un troupeau aussi important? puis une fois passée l'euphorie des premiers jours, les drapeaux prenaient inexorablement, comme s'ils s'étaient donné le mot, la même couleur que mon drapeau du 19 mars...les couleurs vives des premiers jours cédaient de leurs splendeurs sous les effets conjugués du soleil et du temps...ainsi c'était donc ça l'indépendance?

La dernière Zerda
A l'automne, nous avions renoué avec le rituel de la Zerda de Sidi Ahmed. Un rituel dont nous avons été privé durant les sept années de guerre. La dernière Zerda remonte à l'automne 1954, quelques semaines à peine avant le 1er Novembre. Avec mon père, nous avions visité tous les stands. je me souviens des boites de "Gagnant", ces gâteaux succulent de l'Alsacienne que l'on achetait en paires. Les deux gâteaux étaient retenus par une bande de papier et lorsque nous les séparions, on pouvait parfois gagner une boite plus grosse...je crois que c'était une double rangée de 4 gâteaux...plus tard j'ai appris que la paire gagnante était glissé dans le carton par le vendeur...et qu'il arrivait que personne ne gagnait, ce qui permettait au vendeur de revendre les cadeaux...mais j'avoue que les gâteaux de l'Alsacienne étaient succulents, c'étaient mes premiers biscuits...ma mémoire garde encore cette saveur particulière...avec le temps, la Zerda a commencé par perdre de sa splendeur. En effet, après l'indépendance, plus personne n'avait réellement le cœur à faire la fête. ce n'était ni faute de gâteaux, ni faute de drapeaux...
Mes oncles Rabah et Salah qui se relayaient pour m'emmener à la fête n'étaient plus là...mon père et surtout mon grand père Moha, le plus sage d'entre nous tous, celui qui m'avait initié à l'action caritative dès mon plus jeune age...n'étaient plus. C'était lui patriarche et l’âme de la famille. C'est lui qui organisait la fête, qui distribuait les bougies et l'encens à tous les visiteurs du marabout Sidi Ahmed, notre ancêtre...c'était lui qui allait acheter les boucs ou les veaux pour le sacrifice...depuis le marché d'El Arrouch...leur absence qui durait depuis le 23 aout 1955 se prolongeait à l'infini.

Le grand mensonge
Sept années durant, tous le monde nous faisait croire que nos 23 prisonniers étaient encore en vie. Mais une fois les drapeaux déteints, une fois que le vert se noyait dans le rouge et que le croissant et l'étoile n'étaient plus qu'une tache improbable, il fallait se rendre à l'évidence...les prisonniers ne reviendront pas. Pendant 7 longue années, moi, ma sœur, mon frère, mes cousins et cousines, une quarantaine d'enfants de tous âges, nous avions cru que nos oncles, pères et grand pères allaient revenir. Mais ils ne sont jamais revenus. c'est peut être pour ça que les couleurs des drapeaux de l'indépendance n'ont pas tenus la route....plus de 52 ans plus tard, en cette chaude nuit de juillet, me reviennent ces images d'une grande joie que le temps a transformé en une longue tristesse. Rien ne s'est arrangé depuis. 52 ans plus tard, mon pays ne sait pas fêter son indépendance. Parfois je me demande si c'est une malédiction. Parfois je me résous à penser que nous n'en sommes pas encore dignes...pourtant, malgré toutes les assurances,  ceux qui sont morts ne sont pas revenus...et s'ils revenaient? Ils sauront très vite que nous ne sommes même plus capables de faire une fête où tous le peuple algérien serait partie prenante...c'est loin d’être gagné...ah si pour une fois je pouvais ne pas avoir raison…
Aziz MOUATS

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