dimanche 22 mars 2020

Mourir pour des petits pois


Mourir pour des petits pois

Depuis le salon, Germaine n’entend rien de la discussion entre son mari et Guellal. Elle les a pratiquement oubliés n’était la présence de Rachid prolongeant indéfiniment sa sieste sur le divan. De temps à autre, elle jette un coup d’œil sur le jardin juste pour s’assurer que les protagonistes restaient sereins. Seules les rares exclamations de Roger lui parvenaient aux oreilles. Très insuffisantes pour lui donner un aperçu sur les sujets traités. Ça la tranquillisait et la rassurait sur la bonne ambiance qui régnait entre les deux compères enfin réunis. Après cette entrée en matière sur les vendanges, Guellal décide de passer à un sujet beaucoup plus dramatique. Un très grave épisode qui l’aura à jamais marqué. Parce qu’il y a eu non seulement mort d’hommes, mais surtout à cause des nombreuses zones d’ombres qui ont caractérisées cette tragique semaine de la fin mars 1960. C’était par un lumineux jeudi printanier. Comme elles le font chaque semaine, tous les jeudis et tous les samedis, les femmes de la tribu étaient autorisées par l’armée française à se rendre sur les terres de Sidi Ahmed afin de les cultiver en l’absence des hommes. Le choix de ces deux journées était justifié par la présence des écoliers qui pouvaient accompagner les femmes du simple fait qu’il n’y avait pas école ces jours là. Grace à la médiation de Roger, elles avaient obtenue un sauf conduit pour quitter la Maison des Kabyles à treize heures et reprendre le chemin du retour avant le coucher du soleil. L’armée avait exigé qu’il n’y ait qu’une seule colonne, à l’aller et au retour. Depuis un mirador installé sur le mamelon d’en face, un soldat suivait sans aucune difficulté la procession. Depuis l’insurrection du 20 Août, l’armée avait fait évacuer la ferme Laouira qui se trouve juste en contrebas du mont Messiouène, pour y installer une caserne. Depuis la Maison des Kabyles, il était loisible de voir les mouvements des troupes. Deux canons pointaient directement la ferme qui se trouve à moins de trois kilomètres à vol d’oiseaux. Dans le mirador qui domine la Prise d’eau et la ferme Messina, on pouvait voir distinctement une mitrailleuse. Le dispositif était très dissuasif pour les réfugiés de Sidi Ahmed…



(…) Guellal s’est remis à cueillir les petits pois. Comme tous les enfants, il adore la cueillette des petits pois. Surtout cette variété dite « Gros vert » qu’il a lui-même achetée chez les grainetiers Thomas dont le magasin jouxte le marché couvert. Avec sa mère, ils les ont plantés en octobre. Puis ils les ont binés deux fois. Ensuite ils sont allés ramener des branches de bruyère pour en faire des tuteurs. A chaque fois, il allait voir grandir ses petits pois. Les vrilles qui permettent à la plante de s’enrouler autour du tuteur l’ont toujours impressionnée. Puis, au bout du quatrième mois, il a vu sortir les premières fleurs. La semaine d’après, les minuscules gousses encore toutes plates sont apparues. Sous l’enveloppe, il voyait distinctement les petites boursouflures qui se formaient autour des futures graines. A chaque visite, les gousses grossissaient un peu plus.

(…) Sans même parvenir à leur niveau, Nouaria fait un geste de la main puis ajoute nerveusement:
- Aya ! Aya ! On rentre !
Kahia a juste le temps de déposer les dernières gousses dans le grand panier en roseaux. Elle ordonne à Guellal de cacher les bêches dans les figuiers de Barbarie et de la suivre. C’est bien la première fois qu’ils sont obligés de quitter leurs terres dans la précipitation. Pourtant, il fait encore bien jour.

(…)- Mais non lui réponde Jean, il fait encore jour…ça m’occupera et puis je vais vous laisser travailler toi et ton frère…j’en ai pour une demie heure…
- Nous aussi nous allons nous arrêter…laisses ça pour demain ou après demain et nous ferons une virée ensemble, moi aussi j’ai envie de voir où en sont nos petits pois…tu n’as pas remarqué que les femmes sont rentrées plutôt que d’habitude ?
- Normal, puisqu’elles ont fait une très belle récolte, tu n’as rien vu …les petits pois étaient vraiment trop beaux…
- Ecoute Jean, tu va me saouler avec tes petits pois…il est temps que tu rentres à la maison…la journée a été assez rude…même moi et Rabah nous allons rentrer nous reposer…

Extraits de moi-même…un texte qui paraitra… peut-être…après le Corona…
Aziz Mouats 22 mars 2020

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