Mourir pour des petits pois
Depuis
le salon, Germaine n’entend rien de la discussion entre son mari et Guellal.
Elle les a pratiquement oubliés n’était la présence de Rachid prolongeant
indéfiniment sa sieste sur le divan. De temps à autre, elle jette un coup d’œil
sur le jardin juste pour s’assurer que les protagonistes restaient sereins.
Seules les rares exclamations de Roger lui parvenaient aux oreilles. Très
insuffisantes pour lui donner un aperçu sur les sujets traités. Ça la
tranquillisait et la rassurait sur la bonne ambiance qui régnait entre les deux
compères enfin réunis. Après cette entrée en matière sur les vendanges, Guellal
décide de passer à un sujet beaucoup plus dramatique. Un très grave épisode qui
l’aura à jamais marqué. Parce qu’il y a eu non seulement mort d’hommes, mais
surtout à cause des nombreuses zones d’ombres qui ont caractérisées cette
tragique semaine de la fin mars 1960. C’était par un lumineux jeudi printanier.
Comme elles le font chaque semaine, tous les jeudis et tous les samedis, les
femmes de la tribu étaient autorisées par l’armée française à se rendre sur les
terres de Sidi Ahmed afin de les cultiver en l’absence des hommes. Le choix de
ces deux journées était justifié par la présence des écoliers qui pouvaient accompagner
les femmes du simple fait qu’il n’y avait pas école ces jours là. Grace à la
médiation de Roger, elles avaient obtenue un sauf conduit pour quitter la Maison
des Kabyles à treize heures et reprendre le chemin du retour avant le
coucher du soleil. L’armée avait exigé qu’il n’y ait qu’une seule colonne, à
l’aller et au retour. Depuis un mirador installé sur le mamelon d’en face, un
soldat suivait sans aucune difficulté la procession. Depuis l’insurrection du 20
Août, l’armée avait fait évacuer la ferme Laouira qui se trouve juste en
contrebas du mont Messiouène, pour y installer une caserne. Depuis la Maison
des Kabyles, il était loisible de voir les mouvements des troupes. Deux
canons pointaient directement la ferme qui se trouve à moins de trois
kilomètres à vol d’oiseaux. Dans le mirador qui domine la Prise d’eau et la
ferme Messina, on pouvait voir distinctement une mitrailleuse. Le dispositif
était très dissuasif pour les réfugiés de Sidi Ahmed…
(…) Guellal
s’est remis à cueillir les petits pois. Comme tous les enfants, il adore la
cueillette des petits pois. Surtout cette variété dite « Gros vert »
qu’il a lui-même achetée chez les grainetiers Thomas dont le magasin jouxte le
marché couvert. Avec sa mère, ils les ont plantés en octobre. Puis ils les ont binés
deux fois. Ensuite ils sont allés ramener des branches de bruyère pour en faire
des tuteurs. A chaque fois, il allait voir grandir ses petits pois. Les vrilles
qui permettent à la plante de s’enrouler autour du tuteur l’ont toujours
impressionnée. Puis, au bout du quatrième mois, il a vu sortir les premières
fleurs. La semaine d’après, les minuscules gousses encore toutes plates sont
apparues. Sous l’enveloppe, il voyait distinctement les petites boursouflures
qui se formaient autour des futures graines. A chaque visite, les gousses
grossissaient un peu plus.
(…) Sans même parvenir à leur niveau, Nouaria fait un geste
de la main puis ajoute nerveusement:
- Aya ! Aya ! On rentre !
Kahia
a juste le temps de déposer les dernières gousses dans le grand panier en
roseaux. Elle ordonne à Guellal de cacher les bêches dans les figuiers de
Barbarie et de la suivre. C’est bien la première fois qu’ils sont obligés de
quitter leurs terres dans la précipitation. Pourtant, il fait encore bien jour.
(…)- Mais non lui réponde Jean, il fait
encore jour…ça m’occupera et puis je vais vous laisser travailler toi et ton
frère…j’en ai pour une demie heure…
- Nous aussi nous allons nous arrêter…laisses
ça pour demain ou après demain et nous ferons une virée ensemble, moi aussi
j’ai envie de voir où en sont nos petits pois…tu n’as pas remarqué que les
femmes sont rentrées plutôt que d’habitude ?
- Normal, puisqu’elles ont fait une très
belle récolte, tu n’as rien vu …les petits pois étaient vraiment trop beaux…
- Ecoute Jean, tu va me saouler avec tes
petits pois…il est temps que tu rentres à la maison…la journée a été assez
rude…même moi et Rabah nous allons rentrer nous reposer…
Extraits
de moi-même…un texte qui paraitra… peut-être…après le Corona…
Aziz Mouats 22 mars 2020
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