jeudi 7 novembre 2013

Deux roses rouges pour novembre




En dépit d’un été persistant, à 7 heures du matin, il est rare de trouver une boutique ouverte à Mostaganem, Surtout si c’est par jour férié et davantage quand il faut fêter un évènement fondateur de l’Algérie libre et souveraine. Pourtant c’est la triste déconvenue qui m’est arrivé vendredi 1er Novembre. La veille, en compagnie de Norddine Boulahaouat, de Djamel Benmiloud et de Wahab Mokhbi, nous avions déjeuné dans un restaurant encore valide au niveau des Sablettes. Les retrouvailles avec Nordine Boulahouat ne sont jamais banales ; surtout après bientôt 30 années de séparation. Je l’ai connu en janvier 71, tandis que nous entamions un cursus à l’ITA de Mostaganem. Avec Djamel et Wahab, nous avons fêté son retour autour d’une belle assiette de poissons et de crustacés comme seule la corniche de Mosta sait en offrir. C’est donc sous un soleil splendide, et en plein air que nous avons longuement devisé. Au point de devoir partir en trombe pour ne pas rater un rendez-vous important à l’université. Après une brève et studieuse rencontre autour des préoccupations indigènes en matière de développement intelligent, je me fais déposer à la maison peu avant 17 heures. Ce n’est que vers 20 heures, grâce au journal télévisé que je m’aperçois que je n’avais pas téléphoné au seul fleuriste encore valide de Mostaganem. Nuit de cauchemars et de songes que celle de la Toussaint. J’avais comme un pressentiment que ma gerbe de fleur ne sera pas disponible et je regrettais déjà d’en avoir parlé autour de moi. Je rappelle Senouci Ouddan pour confirmer notre rendez –vous de 8h30 du matin. Djamel et Nordine seront de la partie, personne ne connaissait encore la grotte de Oued El Frachih, dans les confins du Dahra. Nous avions convenus de partir à 4 fleurir la tombe de Benabdelmalek Ramdane au cimetière de Sidi Ali et poursuivre vers Nekmaria via Naïmia. Toute la nuit je pensais au bide de la gerbe de fleur et je priais que le fleuriste soit ouvert tôt le matin. Sommeil très court entrecoupé  de multiple éveils, le jour commence à se lever, il est déjà 7 heures et je n’ai qu’une idée en tête , trouver une gerbe de fleur. A 7 h30, je suis devant la place de l’hôpital, dans le contrebas du quartier de Matemore. Je contourne la place bien vide et je tourne à droite pour remonter vers Tigditt. 

Dès que la rue apparaît, je n’ai aucune peine à voir les grilles encore baissées de mon fleuriste. Je continue mon chemin jusqu’à la crête où je surprends Senouci qui se désole de ne pas être prêt ; normal c’est moi qui suis en avance et toujours sans fleurs. Je remarque des bouquets de Bougainvilliers débordant de la résidence du directeur de l’hydraulique…je suis tenté de me servir mais j’ai la crainte de me faire surprendre par le gardien. C’est alors que je me souviens avoir planté un Bougainvillier aux couleurs flamboyantes chez mon ami Senouci. Je sonne alors à la porte et je me retrouve dans le jardin où trône au fond du mur, tout juste derrière un citronnier, une superbe gerbe de mon bougainvillier. Celui ramené depuis Nairobi par Aïssa Abdellaoui et qui sera multiplié grâce à la serre que j’avais installée à l’ITA de la main de Rabah Zaoui qui ramena dans ses bagages quelques boutures depuis le jardin du Hamma.  Devant mes amis ébahis, j’enroule les lianes de lierre et je dispose une à une les branchettes de Bougainvillier, très vite la couronne prend une bien fière allure. Les 6 roses sont rapidement installées dans le décor et nous partons vers Sidi Ali. Dans ce village haut perché, le défilé est déjà bien en route vers le cimetière. Nous prenons une bretelle et en moins de 3 minutes nous sommes à deux pas du cimetière où se dresse une foule immense. Des deux cotés de la route, les collégiens brandissent fièrement l’emblée national. C’est dans une ambiance colorée et joyeuse que nous montons les marches qui mènent au carré des martyrs. Dans la foule bigarrée, je reconnais Bendehiba Benhamiti qui faisait partie du groupe qui a attaqué la gendarmerie de Cassaigne, la nuit du 1er Novembre 1954.  Une rangée de sapeurs pompiers se tient devant la stèle. La gerbe que porte fièrement Senouci est déposée sur la tombe de Benabdelmalek Ramdane, le premier chef politico militaire à tomber au champ d’honneur. Je fixe en image mes trois compagnons qui avaient de la peine à cacher leur émotion. Pour eux trois, c’est la première fois qu’ils viennent sur ce lieu de mémoire. Je les sens très fébriles ; même chez Nordine, connu pour sa forte carapace, on devine de suite qu’il marque le coup. Lui aussi prend le soin d’immortaliser l’instant. La foule compacte est impressionnante de dignité. Bendehiba Benhamiti qui est l’un des derniers survivant de cette glorieuse nuit de Novembre 54 n’affiche ni fausse fierté ni ostentation. Je me tourne une dernière fois vers la gerbe d’où émerge la couleur écarlate des roses rouges ; des clichés sont expédiés quasiment à la sauvette…en quittant le cimetière pour rejoindre le chemin de Nekmaria, nous croisons le cortège des officiels, juste le temps de saluer Guermat, le nouveau maire de Sidi Ali qui conduit la procession. Sur le chemin sinueux qui mène vers Nekmaria nous nous arrêtons pour des clichés de figuiers encore en fruits…traversée du douar Chkarnia et descente douce vers la grotte. Des dizaines d’écoliers, casquettes rutilantes sur la tête,  occupent dans un désordre enfantin l’immense esplanade faisant face à la fresque. La visite de la grotte est effectuée comme s’il s’agissait d’une carrière désaffectée. Nulle trace du moindre respect, ni du moindre recueillement, s’agissant d’un lieu de mémoire où gisent par centaines les Ouled Riah. Sur la colline où Pélissier avait installé son QG, les bus bondés continuent d’entamer la descente. Même les gardiens affectés à la surveillance du site brillent par leur effacement. Le site mérite bien la présence d’un guide. Ces enfants lâchés seuls à travers les escaliers en lacets qui mènent vers la grotte sanctuaire, la grotte ossuaire, la grotte mortuaire, oui ces enfants méritent d’être informés de la sacralité des lieux. Autrement, pour le tourisme, la visite de la plage de Sidi Laadjel suffirait amplement à leur bonheur. Avec un peu de curiosité, ils pourraient remonter le lit de l’oued Zérrifa, découvrir les flaques d’eau peuplées de grenouilles et de têtards...autant j’éprouve une petite sensation de bonheur à voir autant de monde venir à la grotte de Nekmaria, autant je me dis qu’une visite en forme d’une banale promenade ne sied pas à ce lieu mémoriel. Les jeunes garçons et filles qui défilent comme s’il s’agissait d’un pique nique ont besoin d’être informé…si chacun ramenait une fleur, peut être aura-t-il que l’endroit est surtout un lieu de recueillement, pas de villégiature…
Une très longue histoire que ce Bougainvilliers qui vient de s’enorgueillir De suite je me mets à rassembler des branchettes fleuries, et en quelques minutes, j’ai déjà une belle gerbe. Un vieux asparagus me facilite grandement la tache, avec ses longues et épineuse pousses, je façonne déjà une couronne que je maintiens à l’aide de longues lianes de lierre. Senouci arrive et remarque le manège qui semble l’amuser. Je lui explique qu’ayant oublié de commander une gerbe, j’étais en train d’en façonner une à partir de son jardin. En sortant, je coupe les branches d’une valeureux Kokia, cette minuscule plante ornementale venue de la lointaine Australie garce aux graines accrochées aux godasses des soldats venus libérer le monde occidental du joug allemand. Rien ne vaut les branches de kokia pour renforcer et colorer en vert ma couronne. Le panier installé dans le coffre de la voiture est déjà plein à craquer. C’est chez Djamel que je découvre deux superbes roses rouges que je coupe sans attendre. Djamel me propose de prendre également 4 roses blanches qu’un automne encore bien chaud laisse pousser sans vergogne.
 Déjà de bruyantes processions battent la marche vers la grotte située au fond du vallon d’Oued El Frachih. Des jeunes filles en habit de fête se donnent sagement la main. Leurs robes trop longues les obligent à les retrousser. De la grotte, des groupes bruyants s’entrecroisent, s’échangeant des mots d’une banalité citadine. Les encadreurs, totalement dépassés, ne savent plus où donner de la tête.

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