vendredi 9 mars 2012

Le "8 Mars" dans une poubelle


Le canular du sénateur
Ça avait très mal commencé avec cette entourloupette d’un sénateur qui avait fait courir le bruit – et les gogos comme moi- que la moudjahida la plus célèbre du monde Arabo- Berbère allait faire la fête sur les traces de Lakhdar Benkhlouf. L’information, qui n’était qu’un canular- le sénateur en est un grand amateur et un friand consommateur- avait fait comme il se doit, le tour de la blogosphère. Si bien que depuis les confins du Dahra occidental, de nombreux amis ont failli faire le déplacement jusqu’à l’école des beaux arts de Mostaganem pour ne rien rater de cette visite hautement symbolique de Djamila Bouhired. Avec le soutien d’une énigmatique académie de la société civile, pilotée comme une vieille barque du FLN finissant, par un personnage hirsute droit sorti des archives encore gluante du vieux parti unique et pas seulement, la cérémonie avait tout de même réussi le tour de force de faire venir depuis Alger une escouade d’anciens et de nouveaux talents du théâtre et du cinéma national et pompeusement patriotique. Sur place, une invitation expresse avait été envoyé au maitre incontestable du Chaabi, l’infatigable Maazouz Bouadjadj. 
Invitation que ce dernier ne déclinera point, se faisant même accompagner par un authentique militant du FLN historique. Djamila Bouhired en valait bien le déplacement. Avant de rejoindre l’école des beaux arts où avait été organisé une exposition et une collation, j’avais pris le soin d’informer ma collègue Farida que je serais probablement en retard. Grosse déception, j’étais parmi les premiers à rejoindre le lieu de ralliement. Ce qui n’a pas manqué d’interloquer mes amis, du moins ceux qui étaient dans la confidence. Puis au bout d’une bonne demi-heure d’attente, on annonce le cortège du préfet. 


Un flair intact
Mais au débarquement, point de préfet, mais une escouade d’invités, dont l’académicien à la moustache rebelle, trop heureux d’avoir mobilisé autant de monde. Point de Djamila, non plus, mais là personne ne semblait s’en soucier le moins du monde. L’absence du wali avait éclipsé celle de Djamila Bouhired. 
Les apprentis chroniqueurs du coin s’en iront de leurs commentaires à quatre sous…Après une courte halte dans le patio des Beaux-arts, avec Hachemi qui s’affairait à expliquer une installation à base de billes, qu’une dame respectable avait pris pour un chapelet…les convives sortent dans le jardin où une table à « gazouze » avait été dressée. Puis dans un silence assourdissant, le sénateur et l’académicien se mettent à distribuer des paquets cadeaux…de minuscules reproductions qu’aucun convive n’a eut la maladresse d’ouvrir, comme le veux la tradition, surtout s’agissant d’un cadeau sénatorial. Dans ma petite tête, je me suis imaginé le chef de cabinet du préfet, la plus importante autorité présente à cette cérémonie, remettant ce minuscule cadre 24x30 à notre majestueuse Djamila Bouhired…la combattante qui a fait frissonner le monde entier lors de son procès, grâce à son combat mais aussi à un certains Jacques Vergès dont les envolées auront fait trembler le parquet général de la France coloniale…ainsi que les fondements même de la république et de l’état français…comme quoi, une révolutionnaire, même 55 ans après ce procès retentissant, n’a rien perdu de sa vitalité, ni à fortiori de son flair…la gloire est à ce prix…

La seconde défection du wali
Alors que je m’apprêtais à m’éclipser, j’entends Hachemi et son voisin de sénateur m’appelant à haute voix. J’ai de suite compris qu’étant en manque de convives, ils avaient décidés de me compter parmi les personnes à honorer…tout juste pour que ce dernier paquet, probablement celui destiné à Djamila Bouhired…ne reste pas orphelin ; qui sait ? 
Interloqué par autant d’égards, je fais signe que je ne suis nullement concerné, d’autant que personne ne m’avait préalablement informé de ce soudain retour en grâce….surtout pour pallier la défaillance de Djamila Bouhired, un outrage que je ne me serais jamais pardonné….Direction, la maison de la culture que j’atteins en 5 minutes. Après avoir garé la voiture, j’entends les sirènes….tous le monde se met au garde-à vous, les voitures rutilantes de la république arrivent en trombe, vitres fermées et gyrophares déployés. Tous les regards se tournent vers la voiture du wali. C’est le chef de cabinet et l’académicien de la société civile qui en sortent…le temps d’ajuster les mèches rebelles, de jeter un regard hautain, peut être un peu condescendant, envers la foule qui écarquille les yeux à la recherche de la silhouette devenue célèbre du wali…et voilà que convives et officiels se remettent en procession. Ils sont canalisés vers le salon d’honneur où des journalistes avaient déjà pris place. Les tables sont désespérément vides, obligeant tous le monde à se congratuler en attendant le festin. Certains n’ont même pas le temps de s’installer qu’un ordre venu d’on ne sait qui fait repartir la procession. Habituellement, ces tables sont bondées de victuailles, de boissons et de thermos dégoulinants de café et de thé. Pourtant, il y avait bien des verres à thé et des tasses en porcelaine chinoise de mauvais gout.

Courageuse mais pas téméraire
C’est le minium…En face du salon, la salle d’exposition. Des travaux de femmes, cela va sans dire. Zinou, fils de Mazagran, un préposé et néanmoins peintre de talent me donne un « catalogue » surchargé de photos. Une simple feuille que je plie en 4 afin de le faire tenir dans la poche arrière. Des vigiles intransigeants mais courtois, -normal nous sommes en pleine célébration de la journée internationale de la femme-, filtrent les entrées. Ce n’est pas une raison pour interdire à un groupe de jeunes filles de voir l’exposition, mais les vigiles sont intransigeants. Je croise mon patron à l’université qui avait tenu à accompagner sa secrétaire générale – avec un « e » à la fin, ça fait moins peur. Un chauffeur d’une des voitures « fumée » passe avec un grand tableau (au moins du 70x80, plus c’est grand, plus ça compte, surtout un 8 mars). J’essaie de le prendre en photo, me disant que c’est peut être celui-là qui est destiné à Djamila…pas le petit 24x30 que le sénateur voulait me refourguer à l’école des beaux arts…
Puis, se mouvant dans tous les sens, des femmes de toutes conditions rejoignent la salle bleue où a lieu un concert concocté par le sénateur, il y avait même une Aït Hammouda qui se disait courageuse mais qui refusa de se laisser photographier devant les affiches confectionnées par l’académicien. Avec son portrait barrant l’une d’elle sur 5 colonnes…même par un 8 mars, on a beau s’appeler Aït Hammouda et le clamer haut et fort, on préfère ne pas prendre de cliché !

La tête dans la poubelle
Retour à la maison.
Je m’arrête chez le buraliste pour prendre mon journal. En face de la librairie, à deux pas du carrefour tenu en permanence par des agents de sécurité, se dresse un paquet de poubelles. Debout contre l’une d’elle, une femme tenant un sac en plastique de la main gauche. La main droite, la plus agile, fouille méticuleusement la grosse poubelle métallique. Je regarde ce spectacle ahurissant : du pain rancis est machinalement extrait et vite rangé au fond du panier. A voir la cadence qui s’accélère, la prise semble miraculeuse.
Des bouts de plastiques, des bouteilles d’eau minérale écrabouillées sont machinalement écartés. Le geste est précis et le regard très attentif. La femme n’est en rien gênée par la densité de la circulation, ni par le va -- et- vient des piétons. La tête toujours vissée vers le fond de la poubelle, elle cherche les moindres soupçons de victuailles qu’elle glisse aussitôt dans son sac.... qu’elle a manifestement de la peine à remplir. Effondré par ce spectacle insoutenable, je hèle le buraliste, une vieille pupille de la nation, qui m’assure que c’est tous les jours que cette femme vient faire ses courses dans nos poubelles. Je ne sais pas si notre emblème Djamila Bouhired le savait, mais c’est sans doute pour ne pas avoir accès à ce spectacle qu’elle a décliné l’invitation du sénateur. Je ne l’imagine pas, arrivant au niveau du passage à niveau, détourner son regard de ces poubelles où des femmes viennent tous les jours se servir sans sourciller, dans nos restes.

Le couffin de la honte
Franchement, 8 mars ou n’importe quel autre jour, l’image de cette femme appliquée et besogneuse, triant nos déchets à la recherche de la moindre pépite de nourritures que nos estomacs repus ont eut la magnanimité de jeter sans égards afin que des algériens comme vous et moi puissent y trouver une once de survie, est une image la plus haïssable qui soit…faudra-t-il changer d’itinéraire afin de ne plus être confronté à cette pénible et insoutenable réalité ? Ou alors suggérer à messieurs le sénateur et l’académicien, si prompts à mener campagne, d’éloigner les poubelles de nos chemins…Un pays dont les poubelles servent de supermarché à la population ne devrait même pas songer à entretenir grassement un sénat ou une assemblée, voire une académie ou un gouvernement dont l’un des ministres s’enorgueillissait d’avoir fait culminer la liste du « couffin du Ramdhan » – notre resto du cœur patriotique et national- à un million de bénéficiaires. Il n’en est pas digne. Merci encore une fois à Djamila Bouhired de nous avoir fait si mal…c’est que nous le méritons amplement.

2 commentaires:

  1. Réaction reçue par mail de la part de Dalila B.

    Bonsoir Aziz,

    Il y a une année ou 2, j'ai eu à vivre cet horrible instant. Un vendredi, alors que les gens se pressaient de rentrer chez eux pour se préparer à la prière du vendredi, moi, je prenais mon temps de marcher à pas modérés pour profiter des premiers rayons de soleil printannier. A un certain moment, mes yeux saisirent une ombre furtive qui furetait dans une benne à ordures où étaient jetés fruits et légumes pourris du marché à proximité. Sans doute de gros chiens errants, me suis-dite! Et puis, mon sang se figea, ce que je pensais être un animal, était en fait, une femme , oui, une pauvre femme courbée et occupée à remplir son sachet plastique de ce qui allait lui permettre de calmer des ventres affamés!!! Mes pas que je ne contrôlais plus, m'amenèrent vers elle. Elle sursauta, interrompue dans sa tâche. J'étais gênée,sans mot dire, je tendis vers ma main vers la sienne pour lui remettre un billet d'argent sorti à la hâte de ma poche. J'avais honte de mon aumône qui ne traduisait que ma pitié! J'aurai voulu crier au monde entier, ma honte d'appartenir à cette humanité qui laisse mourrir les siens de faim!!! Ma honte à mon pays qui réduit la dignité humaine à moins que rien! Ma gêne d'avoir de quoi manger,rassasier mes enfants alors qu'une autre femme fait les poubelles pour ne pas mourrir de faim.
    Je comprends donc fort bien ton cri, Aziz!

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  2. Vivement les "8 mars" prochains, mais sans glaneuses ! Quant au canular, il faut qu'il vienne d'un sénateur pour qu'il fasse rigoler. Y en plein de Néron et de Caligula d'un moment. Passé le mandat, ça ne rigole plus.
    Merci, Aziz.

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