A la veille de la visite d'Etat que va effectuer le Président Français, notre ami l'universitaire, juriste et philosophe Olivier Le Cours Grandmaison revient à la charge afin de faire reconnaitre à la France ses crimes coloniaux. L'un de ses plus abjects forfait a été commis par le colonel Pélissier sur la tribu martyre des Ouled Riah. Le site qui était quasiment inconnu des Algériens, a fait l'objet d'un début de réhabilitation par l’érection d'une fresque, la construction d'un minuscule musée et l'ouverture d'une route et d'un escalier, favorisant l'accès aux visiteurs qui viennent très nombreux et souvent très jeunes, se recueillir sur ce lieu de mémoire. Après la venue en novembre 2011 de Gilbert Meynier, ça sera au tour d'Olivier Lecours Grandmaison de faire le pèlerinage du Dahra. C'est en compagnie de Ouddan Senouci, Mohamed Hamoudi, un descendant des Ouled Riah et de Sala Eddine Arif qu'au mois de décembre 2013,Olivier Lecours Grandmaison descendra les marches de l'escalier qui mène vers la grotte où périrent durant la nuit du 19 juin 1845, les plus de 1500 membres de la tribu des Ouled Riah. Cette virée dans le Dahra, sur les traces des dramatiques évènements, Olivier Lecours Grandmaison fera une halte chez le Moudjahid Benhamiti Mohamed Dit Bendehiba, l'un des assaillants de la brigade de gendarmerie de Cassaigne lors de la nuit du 1er Novembre 1954. Parlant un français châtié, Ssi Bendehiba fera une grande sensation chez l'universitaire français qui venait de visiter le centre de tortures de Cassaigne, là où périrent des centaines de militants du Dahra.
Ci dessous, l'entretien accordé par Olivier Lecours Grandmaison à El Watan...en attebdant la visite que nous espérons et souhaitons historique du Président Français Emmanuel Macron.
OLG chez le Moudjahid Belhamiti Bendehiba à Sidi Ali |
Olivier Lecour Grandmaison. Universitaire
«La reconnaissance des crimes
coloniaux a déjà eu lieu dans plusieurs pays»
Avant la
très prochaine visite d’Emmanuel Macron en Algérie, le 6 décembre, que faut-il
en attendre par rapport au contentieux historique entre la France et l’Algérie
?
A tout le
moins qu’Emmanuel Macron, désormais président de la République, respecte la
parole d’Emmanuel Macron candidat, lorsqu’il a déclaré, sur la chaîne de
télévision Echorouk News en février 2017, que «la colonisation était un crime
contre l’humanité». N’oublions pas cependant que cette forte déclaration a été
suivie de propos alambiqués sur le fait que «la France aurait installé les
droits de l’homme en Algérie» mais qu’elle aurait «oublié de les lire».
Propos qui
témoignent d’une méconnaissance des réalités de la condition des «indigènes»
algériens jusqu’en 1945, puisqu’ils furent, tout au long de la très glorieuse
Troisième République, privés des droits et libertés fondamentaux individuels et
collectifs, et soumis à des dispositions d’exception qui n’étaient applicables
qu’à eux. Bel exemple de racisme d’Etat.
De plus, de
retour en France, il s’est platement excusé pour dire qu’il n’avait pas dit ce
qu’il avait dit, tout en affirmant qu’il avait bien tenu les propos qui lui ont
été reprochés par l’extrême-droite, les dirigeants des Républicains et quelques
intellectuels, devenus de vulgaires idéologues, comme Alain Finkielkraut.
En ces
matières, comme en beaucoup d’autres, la formule «en même temps», si prisée par
E. Macron, est susceptible de justifier tous les immobilismes et toutes les
reculades, au motif que certains pourraient s’opposer à une telle
reconnaissance. Si gouverner, c’est prévoir, c’est aussi trancher.
Cinquante-cinq ans après la fin de la guerre d’Algérie, il est impératif de le
faire en déclarant publiquement que des crimes contre l’humanité et des crimes
de guerre ont bien été commis par la France depuis la prise d’Alger en 1830 et
la «pacification» de ce territoire par les colonnes infernales du général
Bugeaud.
Celui-là
même qui a mis cette colonie à feu et à sang, commandé et couvert de nombreuses
enfumades, dont celle, terrible, commise par le général Pélissier, dans les
grottes du Dahra le 18 juin 1845. Bilan ? 700 morts au moins, tous des civils
désarmés, des hommes, des femmes et des enfants. Pour paraphraser un
philosophe, Paul Ricœur, qui, aux dires de certains, serait une référence pour
l’actuel Président, ne rien faire, «serait ratifier l’impunité, qui serait une
grande injustice commise aux dépens (…) des victimes» (P. Ricœur, La mémoire,
l’histoire, l’oubli, Seuil, 2000, p. 612)
Que
pensez-vous que le président français pourra faire avancer lors de cette
première visite ?
Il est clair
que les enjeux de cette visite obéissent d’abord et avant tout à des
considérations géopolitiques, économiques, financières et sécuritaires.
Relativement
au sinistre bilan de la colonisation française, les victimes, leurs
descendants, qu’ils soient français ou algériens, toutes celles et tous ceux
qui se sont engagés, parfois depuis des dizaines d’années, pour la
reconnaissance des crimes perpétrés à l’époque, exigent que celle-ci dernière
soit enfin effective. Alors que la plupart des responsables ont disparu, qu’il
n’est donc plus possible d’engager des poursuites devant les tribunaux, c’est
la seule façon de rendre hommage aux centaines de milliers d’hommes et de
femmes qui ont été tués, massacrés, exécutés sommairement, torturés ou qui ont
fait l’objet de disparition forcée. C’est la seule façon de leur rendre
justice.
Décembre 2013 devant la grotte des Ouled Riah avec de g à d OLG, Mohamed Hamoudi, Senouci Ouddan, Salah Eddine Arif |
A
l’attention de ceux qui, dans l’Hexagone, dénoncent de façon pavlovienne une
prétendue repentance qui nuirait à la cohésion de la France, rappelons que la
reconnaissance des crimes coloniaux a déjà eu lieu dans plusieurs autres pays.
Quant à leurs prédictions catastrophistes, elles ont été à chaque fois
démenties. Le 10 juillet 2015, le gouvernement d’Angela Merkel a admis qu’un
génocide a bien été perpétré contre les Hereros et les Namas par les forces du
général Lothar von Lothar, entre 1904 et 1905, dans la colonie allemande du
Sud-Ouest africain (actuelle Namibie).
Le 12 septembre
2015, «le gouvernement britannique reconnaît que les Kényans ont été soumis à
des actes de torture et à d’autres formes de maltraitance de la part de
l’administration coloniale». (Libération, 14 septembre 2015). Ces mots sont
gravés sur le mémorial, financé par la Grande-Bretagne et érigé à Nairobi, pour
rendre hommage aux milliers «d’indigènes» massacrés par les troupes de sa
Gracieuse Majesté lors du soulèvement des Mau-Mau dans les années 1950.
Rappelons
enfin que la Nouvelle-Zélande, le Canada, l’Australie et les états-Unis ont
tous, d’une façon ou d’une autre, admis que des traitements indignes avaient
été infligés aux populations autochtones de leurs territoires respectifs.
Et la
prestigieuse France républicaine ? Sur ces sujets, elle n’est, jusqu’à présent,
qu’une pauvre arrière-garde percluse de conservatismes et de mépris pour celles
et ceux qu’elle a exploités, opprimés et massacrés au cours de son histoire
coloniale, et pour leurs héritiers français ou étrangers. Il appartient au
président E. Macron de mettre un terme à cette situation qui n’a que trop duré.
Concluons en
citant à nouveau Paul Ricœur : «C’est sur le chemin de la critique historique
que la mémoire rencontre le sens de la justice. Que serait une mémoire heureuse
qui ne serait pas aussi une mémoire équitable ? »
Dernier ouvrage paru : L’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies, Fayard, 2014.
Walid Mebarek
Site des enfumades des Ouled Riah en juin 2011 (Crédits photo Djamila Kabla) |
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