mercredi 8 avril 2015

L'autre face du gaz de schiste

Comme en toute choses par ailleurs, j'essaie de ne pas trop baliser le débat. Et celui sur le gaz de schiste en est des plus rudes! Alors je donne la parole, sans la cautionner, à un vrai expert...qui travaille à conseiller les compagnies pétrolières...mmmmmm...mais comme l'article m'a été envoyé par mon ami Ali Ghozali, je n'hésite pas à le reprendre, ainsi chacun pourra se faire sa petite opinion...la mienne n'est pas encore faite ...alors bonne lecture et beaucoup de vigilance tout de même...par ailleurs, mon ami Faouzi Bouhadi*, autre expert ayant longuement travaillé dans et autour des forages en Algérie et ailleurs, m'a assuré que la fracturation était bien usitée en Algérie...sur des puits dits conventionnels...et lui sait de quoi il parle...
A Mouats

«Seul le débat transparent peut dissiper les craintes»
Hamid Guedroudj.


Sollicité pour éclairer nos lecteurs sur l’exploitation du gaz de schiste qui fait aujourd’hui l’objet d’une violente controverse en Algérie, Hamid Guedroudj, patron d’une importante société d’ingénierie pétrolière basée en Ecosse, a bien voulu répondre aux questions relatives à la problématique centrale des hydrocarbures non conventionnels que nous lui avons posées.
Spécialisé dans le développement, le design et la gestion des champs pétroliers et gaziers qu’il pratique depuis 36 années aux Etats-Unis et dans d’autres contrées du monde, cet ingénieur émérite d’origine algérienne a reçu de nombreuses distinctions dont celle, toute récente, de la reine d’Angleterre, en reconnaissance de l’extrême performance de la société d’ingénierie pétrolière basée en Ecosse (PETEX) qu’il dirige.
Hamid Guedroudj sait donc parfaitement de quoi il parle quand il s’exprime sur tout ce qui a trait aux hydrocarbures, les gaz et huiles de schiste, y compris
 
 Très succinctement, quelle différence y a-t-il entre extraction conventionnelle et celle dite «non conventionnelle» d’hydrocarbures ?
Les hydrocarbures proviennent d’animaux marins enterrés en mer stagnante pendant des centaines de millions d’années. Avec des dépôts supplémentaires, les sédiments sont enfouis plus profondément, provoquant une hausse de température et   pression. Les matières organiques se transforment en kérogène qui est le précurseur des hydrocarbures.
Avec le temps, la cuisson du kérogène entraîne une expansion volumétrique significative, qui induit des millions de fractures hydrauliques (phénomène naturel)  qui finit par relier les pores dans le schiste et permettent la migration progressive du gaz hors de la roche mère. Le gaz migre vers le haut et ventile en surface à moins qu’il soit pris au piège, auquel cas  un réservoir de gaz naturel conventionnel est créé. Si un piège n’existe pas, il peut aller tout le chemin à la surface (phénomène naturel).
L’extraction conventionnelle consiste à forer là où les hydrocarbures ont été piégés (le réservoir), la non-conventionnelle consiste à forer directement dans la roche mère qui est de l’argile compactée (schiste). La capacité de produire à grand débit étant limitée, il faut fracturer les argiles pour permettre une récupération. Les hydrocarbures sont les mêmes dans les deux cas et beaucoup de production conventionnelle est le résultat de fracturations si le réservoir est de basse perméabilité.
La technologie de fracturation a démarré il y a près de cent ans de manière primitive et a été utilisée de manière sérieuse depuis les années 50’. Il y a plus d’un million de puits fracturés aux USA qui, comme vous le savez, en détiennent le plus grand nombre.

Qu’est-ce qui fait que la première soit admise et la seconde suspectée de divers maux et, notamment, la pollution irrémédiable de l’environnement ? Vous avez personnellement vécu des expériences d’exploitation de gaz de schiste  à travers de nombreux pays du monde, quelles leçons en avez-vous tirées?
La grande différence entre le conventionnel et autres est surtout dans la capacité de produire. Les volumes drainés par le non-conventionnel sont petits. Cela veut dire qu’il faut forer beaucoup plus de puits que le conventionnel, ce qui crée un problème près des zones habitées. Il n’y a, fondamentalement, aucune autre différence. L’industrie du pétrole dans tous les cas comporte des risques. Le plus grand est celui de l’intégrité des puits. Il faut que les puits soient bien cimentés pour éviter la communication entre différentes couches.
Cela est le cas aussi bien pour le conventionnel que le non-conventionnel. Le désastre de Macondo (puits conventionnel) dans le golfe du Mexique démontre bien l’importance de l’intégrité.Selon les autorités environnementales américaines, il n’y a jamais eu contamination due au fracking (fracturation), mais il y a eu des cas de mauvaise cimentation qui ont permis un contact entre différentes couches.
Cela est prouvé et des rapports sérieux existent. La meilleure source existe chez la «United states environmental agency» où tous les cas de plaintes contre les contaminations sont analysés.
C’est comme cela qu’un événement qui a été largement diffusé sur YouTube à Dallas (eau en feu) a été classé comme fraude. Un tuyau de gaz avait été connecté à l’arrivée d’eau. La production d’hydrocarbures conventionnels contient les mêmes risques que le non-conventionnel. Des milliers de puits en conventionnel sont fracturés tous les ans.
Le problème n’est pas la fracturation, mais une règlementation sévère et sérieuse concernant l’intégrité des puits quels qu’ils soient. La leçon principale est qu’en se focalisant uniquement sur le non-conventionnel, on risque d’oublier que toute production d’hydrocarbure fait face aux mêmes problèmes et contient des risques qui ne sont minimisés ou éliminés que par la compétence et une réglementation basée sur la science. L’inquiétude de la population est légitime, mais elle ne doit  pas tomber dans l’irrationnel et la fiction.

Dans les oasis sahariennes où l’eau est à juste titre sacrée, on comprend que les populations concernées s’inquiètent de voir leurs nappes d’eau polluées par les fracturations de roches et les injections de produits chimiques. Le risque est bien réel, vous en convenez ?
L’eau est sacrée où qu’elle soit, elle est la base de toute vie. Le problème de la contamination a déjà été traité au-dessus, et il est relié à l’intégrité des puits, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune différence entre le gaz de schiste ou des puits à Hassi Messaoud.La différence est la quantité d’eau requise pour faire un multi frac. Nous avons besoin de beaucoup plus d’eau pour fracturer les argiles (schistes). Entre le forage et les fractures, on aurait besoin en moyenne de 15 000 m3 d’eau par puits, ce qui est énorme.
Cette quantité peut cependant être recyclée pour fracturer un autre puits à hauteur de 80%.Une fois que le puits produit, nous n’avons plus besoin d’eau. L’industrie fait actuellement des recherches pour pouvoir fracturer avec du gaz et notamment du CO2 qui serait adsorbé par les schistes. Il y a une grande polémique sur les produits chimiques utilisés pendant la fracturation.
La liste de ces produits est disponible sur le site «frack disclosure registry» dont le but est de protéger l’environnement et essentiellement les ressources hydrauliques. La composition des fluides de fracture consiste en 90% d’eau, 9,5% de sable et de 0,5% de produits chimiques.
Ces produits chimiques sont ceux que l’on retrouve dans notre vie quotidienne, à savoir les acides utilisés pour nettoyer les piscines, le glutaraldehyde pour désinfecter l’équipement dentaire, le chlorure de sodium, les sels boratés utilisés dans la fabrication des savons, le glaciol antigel, les acides citriques utilisés dans la fabrication de jus, etc.
Au risque de me répéter, le problème n’est pas la fracturation, mais l’intégrité des puits. La fracturation est une technique qui n’est pas nouvelle. Le risque existe, mais il est du même niveau que celui des puits conventionnels. Cela a été prouvé, pour qui s’y intéresse, par des autorités  scientifiques sérieuses.

Les ressources conventionnelles d’hydrocarbures sont-elles à ce point taries pour se précipiter dans l’exploitation très controversée du gaz de schistes dont on  ne maîtrise pas la technologie et, plus grave encore, à une période où les prix du gaz et du pétrole enregistrent une baisse qui promet d’être forte et durable ?
 A ma connaissance, l’Algérie ne s’est pas lancée dans l’exploitation des gaz de schiste, mais essaie de forer quelques puits pour déterminer le potentiel en gaz. L’Algérie, comme tous les autres pays fera face à une consommation d’énergie en constante augmentation. Elle devra faire face à ce défi en ayant une stratégie énergétique logique, rationnelle et réalisable.
Comment peut-on créer des stratégies énergétiques sans comprendre les éléments de la décision ? Sans connaître les potentiels énergétiques futurs, on travaillerait sur le coup à coups et l’arbitraire. L’Algérie n’est pas encore  entrée dans la production de gaz de schiste, et n’étant pas dans le secret des dieux, je ne sais si cette décision sera prise dans le futur ; cependant, cela pendra plusieurs années avant d’avoir l’environnement nécessaire pour l’exploitation des gaz de schiste.
Concernant l’argument du prix de pétrole pour tout arrêter, c’est exactement l’inverse qui doit être fait. La crise du pétrole et la disponibilité des compagnies de services sont telles qu’il est en effet aujourd’hui possible de réaliser ce type de projets à moindre coût.

En cas de tarissement à terme de nos ressources d’hydrocarbures, ne serait-il pas mieux indiqué d’aller résolument vers la promotion des énergies renouvelables (énergie solaire, éolienne, etc.) qu’il est très possible de développer en Algérie. On ne comprend pas, par exemple, pourquoi l’Algérie ne veut pas s’impliquer dans  le projet Desertec, que le Maroc tente aujourd’hui de récupérer à son compte...

Toutes les sources potentielles d’énergie doivent faire partie d’un panier qui répond au besoin d’un pays quel qu’il soit. Il ne faut pas tomber dans la facilité de croire qu’il existe des sources infaillibles, propres, pas chères. Il n’en est rien, toute source d’énergie est associée à des éléments négatifs pour lesquels il faut planifier sérieusement afin de les surmonter. Les hydrocarbures ont leurs problèmes, mais les autres sources en ont autant, sinon plus.
Energie solaire : de prime abord, cela semble parfait. L’Algérie est bénie par une grande quantité de radiation solaire qui peut être exploitée. Cela est vrai jusqu’à ce qu’on réalise que la nuit il n’y a pas de radiations solaires. Il faut donc résoudre le problème du stockage d’énergie de manière environnementale.
On ne peut utiliser des millions de batteries qui nous poseraient un plus grand problème. De même que les éoliennes ne produisent de l’électricité que s’il y a du vent. Ces exemples très simples démontrent que si l’on veut exploiter toutes les énergies, il faut développer des approches intégrées et même décentralisées.
Ces systèmes utiliseraient le soleil, les éoliennes, les hydrocarbures et autres quand il faut, là où il faut. Juste une autre information, le kilowatt produit aujourd’hui par le solaire est autour de 4 fois le prix du kilowatt généré par les gaz de schiste.

Peut-on, selon vous, concilier le bilan national des ressources en gaz de schiste que vous recommandez de faire pour évaluer nos disponibilités et les travaux d’exploration tels qu’ils sont actuellement menés à In Salah ? Les populations locales n’ont-elles pas raison de s’inquiéter de la lourde menace que font peser les fracturations et les produits chimiques sur leur environnement ?

En ce qui me concerne, je suis avant tout un technicien avec de l’expérience dans divers aspects de la production de pétrole. Mes opinions hors technicité ne font en aucun cas partie d’un groupe quelconque. Les efforts actuels d’évaluation du potentiel de gaz de schiste en Algérie ne seront pas suffisants pour avoir une réponse définitive.
En Grande-Bretagne, qui est toute petite comparée à l’Algérie, le nombre de puits forés pour l’évaluation est bien plus grand. Il faudra des années avant que la décision de produire commercialement les gaz de schiste soit prise pour plusieurs raisons techniques, sans compter les raisons  politiques qui ne sont pas de mon ressort. Les populations du Sud ont des craintes légitimes, que seuls la communication et les débats transparents peuvent dissiper.
La coopération entre tous les éléments de la population est la seule manière d’assurer des forages propres qui permettent une prise de décision sur l’avenir qui bénéficie à tout le monde. Il faut une collaboration entre les populations locales et les techniciens dans un état d’esprit ouvert et de transparence. Dans tous les aspects de notre vie,  plus on comprend et  moins on a peur.  Il faut éliminer les mythes et se baser sur la réalité dans un monde où le sensationnalisme semble avoir dépassé la raison.
En conclusion, il n’existe rien dans notre vie qui n’a que du bon ou de mauvais. Il faut savoir faire la part des choses. Les gaz de schistes ne sont pas une panacée, mais peuvent devenir une obligation. Beaucoup de gens se basent sur des lectures digitales. L’internet qui est utilisé comme preuve dans ce débat contient tous types d’informations. La grande liberté qu’offre internet ouvre aussi la voie à l’irresponsabilité, à l’extrémisme, de même que la raison.
On peut trouver la rationalisation de la décapitation d’êtres humains, de même comment on peut améliorer notre humanitarisme dans nos sociétés. Un petit film que j’ai vu dernièrement sur You Tube présente le premier forage de gaz de  schiste en Algérie comme étant l’exemple de catastrophe qui nous attend.
En réalité, si l’auteur avait eu une expérience dans l’industrie du pétrole, il aurait su que ce qui est montré n’est que le résultat d’un forage normal partout dans le Sud algérien ou ailleurs. Il faut que la raison et la logique l’emportent sur l’extrémisme intellectuel et l’intimidation. C’est à cette condition seulement que la société aura de réelles chances d’évoluer.


Hamid Guedroudj. PDG «Petroleum expert LTD»
*: http://www.ouillade.eu/politique/perpignan-municipales-2014-fouzi-bouhadi-ump-conseiller-municipal-jean-marc-pujol-est-le-seul-candidat-qui-saura-donner-a-notre-ville-un-avenir-durable/53989

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