Au quatrième jour du soulèvement de la population de Sidi
Lakhdar, la manifestation qui se voulait pacifique a dégénéré en affrontement
entre les manifestants et les forces de l’ordre. La matinée, j’étais occupé à
donner 2 cours sur la cryoconservation. A 11 heures, lorsque je quitte mes
étudiants, je reçois 2 appels, l’un du correspondant d’En Nahar et l’autre de
celui d’El Khabar. Qui souhaitaient que je les accompagne- séparément !- à
Sidi Lakhdar où des échauffourées ont éclatées entre la population et les forces
de l’ordre. Déjà, la rumeur parle de 2 morts, un citoyen et un policier. Là l’affaire
devient grave et malgré une prégnante fatigue, je décide de prendre le
correspondant d’El Khabar et d’aller voir ce qui se passe. J’informe la
rédaction d’El Watan…qui ne dit rien…
A 14h55 nous sommes à l’entrée du village. Nos premières
barricades sont là à l’entrée. Séquences photos lorsqu’un citoyen nous
interpelle…il voulait sans doute s’assurer de notre identité. Je lui réplique
que nous savons ce que nous devons faire, lui me dit qu’il craint que nous
soyons mal accueillis car les manifestants sont à bout de nerf et que ça risque
de mal tourner pour nous. Moins de 100 m plus loin, un jeune prend déjà à
partie mon collègue, je range mon appareil photo et j’attends la suite. Les
nerfs sont à fleur de peau, ils ne veulent plus de journalistes, tous des
menteurs qui ne montrent pas notre détresse et qui ne relayent pas nos demandes…tout
y passe jusqu’à l’accusation de corruption quoi fuse sans ménagements. Ils
accusent nommément notre collègue d’En Nahar de les avoir trompé…de ne pas
avoir diffusé les images filmées l’avant-veille et d’avoir été soudoyé, rien
que ça ! Puis un jeune au regard décidé, le visage complètement recouvert
de suie, tient à faire une déclaration. J’actionne la manette, demande aux
présents de le laisser parler et il entame un discours parfaitement rodé… deux
leader veulent nous accompagner à l’épicentre de la manifestation…sur tout le
trajet – 800 mètres- les rues sont
jonchées d’obstacles et de cailloux.
Selon des témoignages concordants, bien avant
le lever du jour, des éléments de la brigade antiémeutes seraient intervenus
pour déloger les habitants qui campaient devant le portail de la daïra. Très
vite, les bras de fer est engagé. Mais c’est vers le milieu de la matinée que
les forces de l’ordre ont chargé les manifestants dont le nombre grandissait à
vue d’œil. Aux tirs des grenades lacrymogènes, répondaient les coups de feu de
carabine 12 mm. Des balles à blanc qui entraineront une certaine confusion chez
les manifestants, dont certains craignaient un usage de balles réelles. Les
douilles retrouvées sur place par nos soins infirment cette version. Toutefois,
peu avant midi, alors que les affrontements atteignaient leur apogée, on
signale une dizaine de blessés, dont trois graves. Des parents signalent l’éborgnage
d’une jeune manifestant, tandis qu’un autre aurait été amputé de la jambe.
Selon plusieurs témoins, il aurait été écrasé par un véhicule des forces de l’ordre.
Alors que des milliers de manifestants de tous âges continuaient d’affluer vers
le lieu des affrontements, les forces de l’ordre parviendront à interpeller 25
manifestants.
Le siège de la daïra qui fait face au commissariat de police est
très vite investi par les manifestants qui brulent deux véhicules de services et
qui saccagent sans ménagement les locaux administratifs. Un autre groupe s’attaque
alors au logement du chef de daïra qui a réussi à évacuer sa famille comme par
miracle. Cette dernière était restée enfermée durant les trois premiers jours
de l’émeute. Partout, on note des amoncellements de documents administratifs,
de mobiliers et de matelas et autres coussins et couvertures. A l’intérieur,
alors que nous montons les escaliers pour parvenir à l’appartement d’astreinte
du chef de daïra, nous croisons des manifestants déambulant dans un désordre et
emportant qui une couverture, qui une chaise capitonnée, qui un bibelot qu’un
jeune manifestant brandis comme un trophée. Alors que de la fumée empeste l’atmosphère,
qui devient très vite irrespirable, d’autres manifestants investissent les
lieux, la plupart porte un bandeau qui cache leur visages.
Il voulait en faire
un douar, nous en avons fait un désert !
Nombreux sont ceux
qui arborent des bouteilles de vinaigre, sensé amoindrir les effets des grenades
lacrymogènes dont des centaines de douilles jonchent le sol. Sur la grande rue
qui mène à la daïra, des manifestants décidés sont assis ostentatoirement à quelques
mètres des brigades anti émeutes. D’autres ont installés en pleine rue les
fauteuils de la salle d’attente, barrant ainsi la rue. La nuit qui s’annonce ne
présage rien de bon. Car manifestement, le dialogue auquel n’ont cessé d’appeler
les manifestants, dont les portes paroles clament haut et fort que leurs
protesta était pacifique, s’éloigne chaque instant. Tous parlent d’une
provocation de la part des forces de l’ordre. Tous maintiennent leur
revendication principale qui est le
départ du chef de daïra et la constitution d’une commission d’enquête
ministérielle. Sur le chemin du retour, nous croisons pas moins de 12 véhicules
des forces anti émeutes ramenées depuis Sidi Bel Abbès afin de prêter main
forte à celle déjà sur place. La nuit risque d’être très agitée dans cette
coquette cité balnéaire, dont les rues sont jonchées de pavés et de pierres
ramenées par tracteurs depuis la campagne voisine. A chaque anfractuosité,
derrière chaque mur, des manifestants scrutent le moindre de mes gestes, mon
collègue Madani d’El Khabar s’est noyé dans la foule. Avec mon guide, qui pour
une fois ne s’appelle pas « Nathalie » je fais le tour de l’immense bâtisse
de la daïra. Dans les couloirs, je croise des jeunes et des adultes emportant
tout ce qui peut l’être. Ils m’accueillent souvent avec des cris de victoire et
n’existent même plus à braver la caméra comme si le fait d’être en groupe leur offrait
une garantie. Leur butin de guerre dont ils sont le plus fiers sont incontestablement
les deux carcasses de voiture dont seul le méatl a résister à la furie des
flammes.
Sur les murs, des climatiseurs dégagent une fumée noire. Dans le salon
du chef, plus d’une dizaine de jeunes se servent avec une réelle délectation.
Tous parlent de victoire. L’épaisse fumée des lambris qui brulent me prend à la
gorge. Mon guide n’a de cesse de répéter à ses compagnons de ne rien craindre
et de me laisser tout filmer. Pourtant, dehors, face au commissariat qu’une
double haie de policiers anti émeute protège, un homme, la quarantaine me
demande de montrer mon badge. Moment d’une très forte tension, car je ne porte de
badge de presse que durant les visites présidentielles. Je réplique que n’étant
pas une autorité, il n’a pas à me demander le badge. Je suis une autorité me
réplique –t-il avec assurance. Oui mais
tu n’as pas de drapeaux lui dis-je ! Si j’ai un drapeau et il me montre l’emblème
encore accroché au mat de la daïra ! Je lui dis que nous avons le même
drapeau mais que j’écris en Français et que lui ne lis que l’Arabe ! Il
éclate de rire et me laisse partir. J’ai eu très chaud. Le mot de la fin :
un homme d’un âge certains s’approche de moi, il veut parler et se lance dans
un long réquisitoire contre le chef de daïra puis en guise de conclusion il dit
ceci : « lui voulait en faire un douar…nous en avons fait un désert !
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