En dépit d’un été persistant, à 7 heures du matin, il est
rare de trouver une boutique ouverte à Mostaganem, Surtout si c’est par jour
férié et davantage quand il faut fêter un évènement fondateur de l’Algérie
libre et souveraine. Pourtant c’est la triste déconvenue qui m’est arrivé
vendredi 1er Novembre. La veille, en compagnie de Norddine
Boulahaouat, de Djamel Benmiloud et de Wahab Mokhbi, nous avions déjeuné dans
un restaurant encore valide au niveau des Sablettes. Les retrouvailles avec
Nordine Boulahouat ne sont jamais banales ; surtout après bientôt 30
années de séparation. Je l’ai connu en janvier 71, tandis que nous entamions un
cursus à l’ITA de Mostaganem. Avec Djamel et Wahab, nous avons fêté son retour
autour d’une belle assiette de poissons et de crustacés comme seule la corniche
de Mosta sait en offrir. C’est donc sous un soleil splendide, et en plein air
que nous avons longuement devisé. Au point de devoir partir en trombe pour ne
pas rater un rendez-vous important à l’université. Après une brève et studieuse
rencontre autour des préoccupations indigènes en matière de développement intelligent,
je me fais déposer à la maison peu avant 17 heures. Ce n’est que vers 20
heures, grâce au journal télévisé que je m’aperçois que je n’avais pas
téléphoné au seul fleuriste encore valide de Mostaganem. Nuit de cauchemars et
de songes que celle de la Toussaint. J’avais comme un pressentiment que ma
gerbe de fleur ne sera pas disponible et je regrettais déjà d’en avoir parlé
autour de moi. Je rappelle Senouci Ouddan pour confirmer notre rendez –vous de
8h30 du matin. Djamel et Nordine seront de la partie, personne ne connaissait
encore la grotte de Oued El Frachih, dans les confins du Dahra. Nous avions
convenus de partir à 4 fleurir la tombe de Benabdelmalek Ramdane au cimetière
de Sidi Ali et poursuivre vers Nekmaria via Naïmia. Toute la nuit je pensais au
bide de la gerbe de fleur et je priais que le fleuriste soit ouvert tôt le
matin. Sommeil très court entrecoupé de
multiple éveils, le jour commence à se lever, il est déjà 7 heures et je n’ai
qu’une idée en tête , trouver une gerbe de fleur. A 7 h30, je suis devant la
place de l’hôpital, dans le contrebas du quartier de Matemore. Je contourne la
place bien vide et je tourne à droite pour remonter vers Tigditt.
Dès que la
rue apparaît, je n’ai aucune peine à voir les grilles encore baissées de mon
fleuriste. Je continue mon chemin jusqu’à la crête où je surprends Senouci qui
se désole de ne pas être prêt ; normal c’est moi qui suis en avance et
toujours sans fleurs. Je remarque des bouquets de Bougainvilliers débordant de
la résidence du directeur de l’hydraulique…je suis tenté de me servir mais j’ai
la crainte de me faire surprendre par le gardien. C’est alors que je me
souviens avoir planté un Bougainvillier aux couleurs flamboyantes chez mon ami
Senouci. Je sonne alors à la porte et je me retrouve dans le jardin où trône au
fond du mur, tout juste derrière un citronnier, une superbe gerbe de mon
bougainvillier. Celui ramené depuis Nairobi par Aïssa Abdellaoui et qui sera
multiplié grâce à la serre que j’avais installée à l’ITA de la main de Rabah
Zaoui qui ramena dans ses bagages quelques boutures depuis le jardin du Hamma.
Devant mes amis ébahis, j’enroule les lianes
de lierre et je dispose une à une les branchettes de Bougainvillier, très vite
la couronne prend une bien fière allure. Les 6 roses sont rapidement installées
dans le décor et nous partons vers Sidi Ali. Dans ce village haut perché, le
défilé est déjà bien en route vers le cimetière. Nous prenons une bretelle et
en moins de 3 minutes nous sommes à deux pas du cimetière où se dresse une
foule immense. Des deux cotés de la route, les collégiens brandissent fièrement
l’emblée national. C’est dans une ambiance colorée et joyeuse que nous montons
les marches qui mènent au carré des martyrs. Dans la foule bigarrée, je reconnais
Bendehiba Benhamiti qui faisait partie du groupe qui a attaqué la gendarmerie
de Cassaigne, la nuit du 1er Novembre 1954. Une rangée de sapeurs pompiers se tient
devant la stèle. La gerbe que porte fièrement Senouci est déposée sur la tombe
de Benabdelmalek Ramdane, le premier chef politico militaire à tomber au champ
d’honneur. Je fixe en image mes trois compagnons qui avaient de la peine à
cacher leur émotion. Pour eux trois, c’est la première fois qu’ils viennent sur
ce lieu de mémoire. Je les sens très fébriles ; même chez Nordine, connu
pour sa forte carapace, on devine de suite qu’il marque le coup. Lui aussi
prend le soin d’immortaliser l’instant. La foule compacte est impressionnante
de dignité. Bendehiba Benhamiti qui est l’un des derniers survivant de cette
glorieuse nuit de Novembre 54 n’affiche ni fausse fierté ni ostentation. Je me
tourne une dernière fois vers la gerbe d’où émerge la couleur écarlate des
roses rouges ; des clichés sont expédiés quasiment à la sauvette…en
quittant le cimetière pour rejoindre le chemin de Nekmaria, nous croisons le
cortège des officiels, juste le temps de saluer Guermat, le nouveau maire de
Sidi Ali qui conduit la procession. Sur le chemin sinueux qui mène vers
Nekmaria nous nous arrêtons pour des clichés de figuiers encore en fruits…traversée
du douar Chkarnia et descente douce vers la grotte. Des dizaines d’écoliers,
casquettes rutilantes sur la tête, occupent
dans un désordre enfantin l’immense esplanade faisant face à la fresque. La visite de la
grotte est effectuée comme s’il s’agissait d’une carrière désaffectée. Nulle
trace du moindre respect, ni du moindre recueillement, s’agissant d’un lieu de
mémoire où gisent par centaines les Ouled Riah. Sur la colline où Pélissier avait
installé son QG, les bus bondés continuent d’entamer la descente. Même les
gardiens affectés à la surveillance du site brillent par leur effacement. Le
site mérite bien la présence d’un guide. Ces enfants lâchés seuls à travers les
escaliers en lacets qui mènent vers la grotte sanctuaire, la grotte ossuaire,
la grotte mortuaire, oui ces enfants méritent d’être informés de la sacralité
des lieux. Autrement, pour le tourisme, la visite de la plage de Sidi Laadjel
suffirait amplement à leur bonheur. Avec un peu de curiosité, ils pourraient
remonter le lit de l’oued Zérrifa, découvrir les flaques d’eau peuplées de grenouilles
et de têtards...autant j’éprouve une petite sensation de bonheur à voir autant
de monde venir à la grotte de Nekmaria, autant je me dis qu’une visite en forme
d’une banale promenade ne sied pas à ce lieu mémoriel. Les jeunes garçons et
filles qui défilent comme s’il s’agissait d’un pique nique ont besoin d’être
informé…si chacun ramenait une fleur, peut être aura-t-il que l’endroit est
surtout un lieu de recueillement, pas de villégiature…
Une très longue histoire que ce Bougainvilliers qui vient de s’enorgueillir De
suite je me mets à rassembler des branchettes fleuries, et en quelques minutes,
j’ai déjà une belle gerbe. Un vieux asparagus me facilite grandement la tache,
avec ses longues et épineuse pousses, je façonne déjà une couronne que je
maintiens à l’aide de longues lianes de lierre. Senouci arrive et remarque le
manège qui semble l’amuser. Je lui explique qu’ayant oublié de commander une
gerbe, j’étais en train d’en façonner une à partir de son jardin. En sortant,
je coupe les branches d’une valeureux Kokia, cette minuscule plante ornementale
venue de la lointaine Australie garce aux graines accrochées aux godasses des
soldats venus libérer le monde occidental du joug allemand. Rien ne vaut les
branches de kokia pour renforcer et colorer en vert ma couronne. Le panier
installé dans le coffre de la voiture est déjà plein à craquer. C’est chez
Djamel que je découvre deux superbes roses rouges que je coupe sans attendre.
Djamel me propose de prendre également 4 roses blanches qu’un automne encore
bien chaud laisse pousser sans vergogne.
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