Un ravageur
inattendu dans les champs de tomates
Introduit pour lutter contre la mineuse de la tomate,
cet insecte entomophage est en train de se transformer en redoutable
dévastateur de cette plante qu’il était sensé protéger. Ramenée depuis
l’Espagne, la punaise Nesidiocoris tenuis
fait actuellement des ravages dans les champs de tomates de la région de
Mostaganem. De l’avis des chercheurs, cette mésaventure pourtant prévisible est
en train de bouleverser radicalement la stratégie de lutte contre les ravageurs
des cultures, prônée et soutenue jusque-là par les pouvoirs publics.
La perspicacité d’un trio de chercheurs en protection
des végétaux vient de mettre en évidence les nuisibilités inattendues
provoquées par un ravageur qui est considéré jusque-là comme un puissant
auxiliaire dans la lutte contre Tutta
absoluta, la mineuse des plants de tomate. Ce parasite connu pour ses
origines sud américaines avait été introduit, dès la fin de l’année 2007, dans
le Mostaganémois par un opérateur espagnol. En effet, avant l’arrivée de cet
opérateur, ce parasite était inconnu de nos agriculteurs. Venu pour importer de
la tomate au profit du marché espagnol, cet opérateur a alors transgressé les
règles élémentaires en matière de protection phytosanitaire, en rapatriant en
Algérie plusieurs conteneurs de tomate qui venaient d’être refusés d’accès sur
le territoire Espagnol. Après un séjour de plusieurs jours au niveau du port
d’Alicante, les caisses de tomates appartenant à des maraichers du Dahra, ont
dû faire le chemin inverse, à l’insu de ses partenaires. En effet, cet aventurier
qui avait pignon sur rue, n’avait pas trouvé mieux que de restituer à chaque
fellah les caisses de tomates produites sur son exploitation. Selon plusieurs témoignages
recueillis à l’époque, les fruits étaient dans un état de décomposition avancée.
Après 5 mois de lutte acharnée, face à la persistance du phénomène et
l’aggravation des dégâts, les fellah décident d’alerter les responsables sur
« l’invasion des culture de tomate sous serres d’un mystérieux ravageur
causant des dégâts importants malgré les traitements intensifs par
l’utilisation de tous les insecticides présents sur le marché national,
lesquels n’ont pu éradiquer ce fléau ». Détail d’importance, ce
sont les serres des fellah ayant reçu les caisses refoulées d’Espagne qui ont abrité
les premières attaques.
Des dégâts
spectaculaires
Cette première alerte restera malheureusement
Tomates infestées par Tutta absoluta |
La recherche d’ennemis naturels
Très vite
les boites de 250 ou de 500 pièces seront distribuées aux fellah. Des lâchers
de cet entomophage connu pour s’attaquer aux larves de Tutta absoluta seront
largement médiatisés. Limités dans un premier temps aux seules cultures sous
serre, cette punaise dite « Espagnole » finira par se retrouver dans
les cultures de plein champ, à la grande satisfaction des fellah. Pourtant, au
laboratoire de protection des végétaux de l’université de Mostaganem, ils étaient
une poignée de chercheurs à ne pas adhérer sans réserves à ce programme. A
l’époque, les chercheurs Malika Boualem, Abdelwahab Mokhbi et Djamel Mahiout
travaillent déjà sur cette punaise qu’ils ont identifiée bien avant l’introduction
de sa cousine « Espagnole ». En effet, œuvrant particulièrement sur
la biologie de Tutta absoluta et de ses ennemis naturels, ces chercheurs ont
commencé par identifier les auxiliaires indigènes. C’est ainsi que Nesidocoris
tenuis, connue pour sa prédation de l’Aleurode ou mouche blanche, est
mise en évidence à l’état endémique. Cette punaise indigène devient très vite
une préoccupation des chercheurs Mostaganémois qui lui consacrent plusieurs
travaux. Si bien que l’introduction massive de la punaise
« Espagnole » ne les laissera pas de marbre. Dans les recommandations
de leurs travaux, ces derniers n’omettront
pas de recommander la plus grande prudence quant à l’usage immodéré à la fois
des pesticides, des phéromones mais également des insectes auxiliaires.
D’autant que plusieurs auteurs, du bassin méditerranéen et d’Amérique Latine
n’ont cessé de souligner les penchants phytophagiques de Nesidocoris tenuis. Deux
ans après l’introduction de la punaise « Espagnole », les
appréhensions des chercheurs de Mostaganem viennent d’être confirmées sur le
terrain. En effet, depuis quelques jours, des maraichers de Hassi Mamèche,
d’Ouréah et de Stidia ont alerté les chercheurs qui se sont déplacés dans les
cultures pour identifier un nouveau phytophage. Observées sous loupe
binoculaire, les larves de différents stades sont formellement identifiées
comme étant celles de Nesidiocoris tenuis, la fameuse
punaise sensée combattre Tutta absoluta. Autre remarque de
taille, sur les champs infestés, nulle trace de Tutta absoluta, ce qui à
priori est loin d’être un paradoxe. Surtout que chez la plupart des chercheurs
à travers le monde, ce phénomène était absolument prévisible et redouté. Une
fois installée dans les cultures, la punaise dévore en priorité sa cible
préférée, à savoir les œufs et les larves de Tutta absoluta ;
mais en l’absence de ce parasite, la punaise, comme le souligneront avec force
nos interlocuteurs, retrouve ses instincts phytophages. Ce comportement de
survie n’est pas rare dans le monde des insectes comme tiennent à le rappeler
Malika Boualem et Abdelhahab Mokhbi.
Dérives et
mauvaises surprises
De son coté, Djamel Mahiout met l’accent sur
le recours à de nouveaux pesticides présents sur le marché et que les fellah se
sont précipités à utiliser avec si peu de modération. Pour ce jeune chercheur,
les résultats semblent à la hauteur des investissements consentis, puisque la
panoplie de pesticides- essentiellement trois produits commerciaux à base de Spinosade, de
chlorantraniliprole et de lambda cyhalothrine- ont permis de freiner la
population larvaire. Ramenée à gros frais et utilisée sans réel contrôle, la
punaise « Espagnole » vient de se retourner contre ses mentors.
Mais pour les chercheurs, le pire serait peut être à
venir, car ce qu’ils craignent par-dessus tout, même s’ils le disent avec beaucoup
de réserves, c’est la collusion entre l’espèce locale et celle importée
d’Espagne. Très au fait de l’entomologie, Malika Boualem souligne que rien
n’interdit à des insectes de la même espèce de s’accoupler et ensuite de donner
naissance à une nouvelle population. Pour elle, l’existence d’une punaise
locale étant avérée, il faudrait s’attendre à un échange de gènes entre les
deux punaises.
Pour sa part, le Dr Mokhbi souligne que « la
promotion de méthodes de protection des cultures respectueuses de l’environnement
est évidemment souhaitée, d’autant que
la mise au point de méthodes biologiques afin de juguler l’infestation de ravageurs comme Tuta absoluta,
véritable peste pour la culture de tomate, conduit parfois les chercheurs et
les firmes à proposer aux fellah des produits et des procédures susceptibles de
favoriser une espèce prédatrice de ravageurs nuisibles, ce faisant, les
résultats peuvent parfois réserver d’amères surprises ».
Abondant dans le même sens Malika Boualem rappelle « la bonne sagesse populaire qui stigmatise le remède quand il cause plus
de préjudices que le mal qu’il vise à éradiquer ».
Pour sa part, Djamel Mahiout souligne « l’impérieuse
nécessité de la lutte intégrée alliant méthodes biologiques et méthodes chimiques
raisonnées et raisonnables ».
Pendant que larves et adultes de Nésidiocoris
tenuis continuent de se propager à travers les champs de tomate, les
chercheurs songent aux risques de contaminations des serres dont les
plantations débutent actuellement dans la région de Aâchaâcha, la plus précoce.
Un
autre regard envers les pesticides
Les chercheurs redoutent l’apparition
du même phénomène dans les autres zones maraîchères du pays.
A l’appui de leur thèse, ils
soulignent le changement des mœurs alimentaires
de la punaise qu’ils expliquent en grande partie par l’absence de Tutta
absoluta dont les dégâts se sont amenuisés, probablement en raison d’une utilisation intempestive
et redondante des pesticides, ou tout simplement à cause d’une concentration élevée de Nésidiocoris
tenuis . En absence de sa cible
favorite, la punaise se devait de revenir à un régime alimentaire phytophage;
ciblant, comme cela a été observé, les parties les plus tendres de la plante en
croissance active et qui de ce fait bénéficient d’un afflux privilégié de sève
et de nutriments. L’insecte ou sa larve vient piquer le pétiole du bouquet
floral, faisant avorter les fleurs et
tomber les jeunes fruits en pleine nouaison. Il s’en suit une réduction du
nombre de fleurs et donc une baisse du nombre
de fruits. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’une plante en fin de cycle productif, pleine
de vigueur, la perte de fruits peut être compensée par un grossissement de ceux
épargnés par le parasite. Une sorte d’éclaircissage qui n’affecte que légèrement
les rendements. Cependant, l’intensité des attaques diffèrent grandement selon
la vigueur des cultures et la qualité des soins prodigués. Si au niveau de
Ouréah, l’avortement ne concerne qu’une à deux fleurs par poquet soit 20%, sur les hauteurs de Hassi Mamèche, la perte
atteint jusqu’à 80, voire 100% du poquet
floral. Ici, l’intensité des dégâts s’explique par une très forte concentration
du ravageur avec présence de tous les stades larvaires ainsi que des adultes. Il
est certains que pour ce jeune fellah, la chute de rendement sera autrement
plus importante. Qu’en sera-t-il lorsque la punaise s’attaquera à de plus
jeunes plants en phase de croissance? Nul doute que pour les maraichers
qui se sont spécialisés dans la culture de la tomate, assurant une disponibilité
durant toute l’année, une pullulation de cette punaise devra nécessairement
entrainer des pertes inattendues et susciter un recours immodéré aux
pesticides, la seule réponse qui sied à la fois aux cultivateurs mais également
aux importateurs de substances chimiques, aux origines parfois douteuses.
Celles dont les effets sur l’environnement, donc sur le consommateur, méritent
un autre regard. Et surtout une attitude moins désinvolte, car il en va de la
santé des utilisateurs mais aussi, on peut le craindre, du consommateur.
Biologie de Nésidiocoris tenuis
La
punaise Nésidiocoris ténuis appartient à la famille des
Miridae. Il s’agit d’un hétéroptère dont l’identification est attribuée
à Reuter (1895). Connue pour son avidité pour les œufs et les larves
d’Aleurodes et de Tutta absoluta, elle est présente à l’état endémique au
niveau du bassin méditerranéen, ainsi qu’en Australie et en Amérique Latine.
Insecte suceur, il se nourrit essentiellement en ponctionnant les larves de
ses cibles. Il est également connu pour sa voracité des jeunes pousses de
solanacées (tomate, pomme de terre, aubergine…) dont il attaque les parties
les plus tendres et les plus charnues. A 26°C, son cycle biologique complet
s’étale sur 29 jours, dont 12,5 jours comme adulte ailé pouvant se déplacer à
travers les champs. La vie larvaire se compose de 5 stades, dont le tiers
concerne le passage d’œuf à larve de premier stade. Par ailleurs, l’insecte
module son cycle de développement en fonction de la température
: 60 j à 15°C, 30 j à 25°C et 10 j à 35°C. Les femelles vivent environ 40
jours mais les mâles peuvent vivre un peu plus longtemps. Une femelle pond au
total entre 100 et 250 œufs, suivant la température et la disponibilité
alimentaire.
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TOUJOURS HEUREUX DE TE LIRE .TU APPORTE UN PLUS DOMMAGE QUE L INFORMATION NE CIRCULE PAS .
RépondreSupprimerles différents parasites qui attaquent nos foréts et nos cultures détruisent un patrimoine et font la guerre a notre agriculture:mais que font nos services de recherches de l'agronomie pour mieux gérer ce mal.