vendredi 4 décembre 2015

Jean Amrouche raconte Camus



 Mis à part le titre, cet article est écrit par Brahim Zeddour...que je remercie et félicite...il vaut largement le détour...surtout après les derniers renoncements de Sansal et de Kamel Daoud...pas surprenants pour le premier puisqu'il avait indiqué la direction dès l'enfermement de Yasser Arafat dans sa résidence blockhaus de la Mouqata3a -le 9 juillet 2002- puisqu'à l'époque, à l'initiative de Mohamed Bahloul, nous avions créé le "Comité El Qods" en solidarité avec le leader palestinien...et nous avions sollicité des signatures, dont celle de Boualem Sansal...qui nous fera poireauter pendant des jours...au prétexte qu'il voulait lire dans ses moindres recoins notre projet de déclaration...une déclaration qu'il ne signera JAMAIS...à lui, à Kamel et à quelques autres qui se reconnaitront sans peine, je dédie cette contribution de l'Ami Zeddour...oui elle vaut le détour...surtout en ces instants de lourdes incertitudes...

Par Brahim Zeddour
Les voleurs de feu
Faisant suite à une visite à Mazouna au lendemain de l’indépendance, Jacques Berque eut cette réflexion lourde de sens quant à la permanence linguistique et culturelle en Algérie : «On sait l’attachement des peuples arabes à leur ‘patrimoine’ ou turâth. On sait aussi l’ambiguïté qui mêle cet attachement au sentiment des ruptures et des renouveaux. Qui sait si, replacée dans son milieu vivant, la lecture d’un texte comme celui-là [Il s’agit de nawāzil Mazouna, un recueil de jurisprudences composé à la fin du XVè siècle par Yahia ben Moussa El-Maghili] – et la bibliothèque maghrébine en contient des centaines et des milliers – ne va pas nous aider à proposer de ce patrimoine, au-delà de ses valeurs documentaires évidemment chères à l’historien social, une définition plus stimulante : le patrimoine culturel, en définitive, n’est peut-être que le passé parlant au présent de son avenir…»
Ce qui nous amène à poser, dans toute sa gravité, la place de l’intellectuel dans la société algérienne. «Mais pourquoi la vérité engendre-t-elle la haine?». Cette réflexion du poète carthaginois d’expression latine Térence, exprime à elle seule l’âpre destin dans lequel est maintenu l’intellectuel algérien. C’est ce qui répond partiellement à la question de savoir comment en sommes-nous arrivés là.

Ibn Khaldoun, un intellectuel d’envergure mondiale

L’Algérie a eu des intellectuels d’envergure mondiale. Des travaux et des biographies de ces génies algériens, il ressort que leurs existences ont été plus passionnantes que leurs œuvres.
Le plus représentatif reste indiscutablement Ibn Khaldoun. Après une tumultueuse et riche carrière politique qui l’a mené à exercer de hautes fonctions dans les trois dynasties du Maghreb (Hafside de Tunis, Zianide de Tlemcen et Mérinide de Fès) et du royaume de Grenade, il décida de se retirer définitivement des affaires et se consacrer exclusivement à la science. Il fut frappé par ses contemporains qui ont mystérieusement désactivé les fonctions du progrès et se sont laissés glisser sur la pente qui mène de la décadence à la dépendance.
Pour rendre intelligible ce phénomène, Ibn Khaldoun a été amené à créer deux disciplines scientifiques : la philosophie de l’histoire et la sociologie, dont il explique l’objet : «Vue de l’intérieur, l’histoire a un autre sens. Elle consiste à méditer, à s’efforcer d’accéder à la vérité, à expliquer avec finesse les causes et les origines des faits, à connaître à fond le pourquoi et le comment des événements. L’histoire prend donc racine dans la philosophie, dont elle doit être comptée comme une de ses branches».
Mais tiraillé sans cesse par les dynasties maghrébines et comble de paradoxe, il choisit un lieu insolite pour rédiger sa monumentale Muqqadima : les grottes de Taghazout, citadelle des Ouled Arif, la noblesse des tribus hilaliennes des Ouled Souid. Ces bédouins guerriers ont joué un rôle dévastateur dans les guerres entre les dynasties post almohadiennes, ils prêtaient main forte à telle ou telle dynastie au gré de leurs intérêts, tantôt aux Mérinides, tantôt aux Zianides, tantôt aux Hafsides. Ils sont même allés pactiser avec les Espagnols d’Oran.
Las de toutes ces vicissitudes, Ibn Khaldoun décide de s’installer au Caire pour profiter d’un contexte à la mesure de son génie. Sa famille le rejoint et le bateau qu’elle a emprunté se fracasse sur les récifs au large d’Alexandrie. Ainsi, Ibn Khaldoun a dû passer le restant de sa vie avec les épreuves les plus douloureuses de l’existence humaine, l’exil et le deuil, amplifiées par une troisième, celle du mépris et de l’indifférence de ses concitoyens.
Avec la colonisation, le sort des intellectuels algériens s’est davantage aggravé. Ils se sont efforcés à constituer les stimulateurs de la mémoire et de la conscience contre les simulateurs-dissimulateurs parmi les intellectuels de service et les informateurs indigènes.
C’est à Jean El-Mouhoub Amrouche que revient le mérite d’avoir donné la plus exacte image de l’intellectuel algérien sous l’occupation coloniale, «un voleur de feu» qui «cherche un débouché sur la mer libre de la culture humaine. […] Faire de la culture française la justification de la colonisation elle-même, c’est une imposture et une indignité. On sait avec quelle précautionneuse parcimonie la culture française a été dispensée, et quels obstacles les maîtres coloniaux ont dressé devant elle».
Jean Amrouche considère que les intellectuels algériens ont pour vocation d’être «d’éternels méditants, d’explorateurs du passé et d’interrogateurs de l’avenir» et ne peuvent «être à la fois les serviteurs de l’esprit et des maitres de l’heure». Sentant déjà la méfiance du pouvoir algérien à l’égard des intellectuels, il conclut : «Notre place, pour notre amère satisfaction, est toujours un peu à l’écart».

Un parcours atypique

Le parcours de Amrouche est atypique et exemplaire. Il eut un temps pour tout, un temps où «la France [était] l’esprit de [son] âme» et un temps où «l’Algérie [est devenue] l’âme de [son] esprit» ; un temps de la gloire littéraire et un temps de l’engagement dans le combat libérateur. Dès qu’il a entendu le cri de la patrie, il a compris le message et a répondu à l’appel.
Il se heurta à l’establishment, incarné par Albert Camus. D’abord au lendemain des massacres de mai 1945, où il pose clairement la question «Les Algériens veulent-ils ou ne veulent-ils pas rester français?» dans un article que le journal Combat (dirigé par Camus) refusa de publier. Un deuxième et décisif heurt eut lieu après le déclenchement de la guerre de Libération. Il livre le fond de sa pensée dans une lettre à Jules Roy, le 6 août 1955 : «J’ai lu deux articles sur l’Algérie qu’il [Camus] a donnés à L’Express. Il y a de justes remarques. Mais quant aux solutions qu’il préconise, je n’y crois pas. Le mal est beaucoup plus profond à mon avis. Il n’y a pas d’accord possible entre autochtones et Français d’Algérie. Il serait très long de l’exposer ici, un volume y suffirait à peine. En un mot, je ne crois plus à l’Algérie française. Les hommes de mon espèce sont des monstres, des erreurs de l’histoire. Il y aura un peuple algérien parlant arabe, alimentant sa pensée, ses songes, aux sources de l’Islam, ou il n’y aura rien».
C’est alors qu’il retrouve Ferhat Abbas, qu’il avait rencontré en mars 1946 et organisa, pour le compte du GPRA, les premiers contacts avec les autorités françaises qui devaient aboutir laborieusement aux négociations d’Evian.
Jean Amrouche conteste les thèses de Germaine Tillion développées dans son livre «L’Algérie en 1957» où elle écarte totalement l’idée d’une culpabilité française dans le drame algérien, allant jusqu’à expliquer doctement que sans les colons, la misère des Algériens aurait été encore pire. Elle aggrave son cas en concluant que l’indépendance mènerait l’Algérie à la misère. Révolté par cette inconséquence et ces errements, il commence par rappeler : «Tout se passe comme si elle avait voulu démontrer que l’indépendance doit être refusée à l’Algérie, non point seulement parce que les Français d’Algérie s’y opposent, mais dans l’intérêt des Arabes et des Berbères qu’elles précipiterait dans une misère sans nom et sans remède».
Il n’hésite pas à dénoncer le paternalisme français et son langage duplexe : «Pourquoi n’est-elle pas qualifiée pour parler au nom des Algériens? Parce qu’elle ne parvient pas à sortir de sa perspective psychologique qui est celle d’une Française patriote et qui, à l’occasion de cette guerre sacrée où non seulement les intérêts et le prestige, mais l’âme et l’honneur de sa patrie sont compromis, demeure soucieuse de mettre hors d’atteinte le visage de sa patrie».
Avec sa pensée et son action, Jean Amrouche a su porter loin et fort la voix de l’Algérie combattante. Il a réussi à exprimer en langage universel la justesse de ce combat en tant que protestation de la conscience collective du peuple algérien contre l’injustice.
L’écrivain français François Mauriac dira de lui : «Il aura été une victime rejetée par tous». Amrouche fut rejeté par les Français et ignoré des Français, pour son engagement pour l’indépendance de l’Algérie. En 1959, le Premier ministre Michel Debré mit fin à ses fonctions exercées à la radio française depuis 1948 comme responsable d’une émission littéraire. L’aile radicale de la francophonie algérienne, toute honte bue, n’a pas hésité à se rallier à cette position, marquant sa préférence à Albert Camus qu’elle célèbre régulièrement comme grand écrivain mais aussi, comble du ridicule, comme écrivain algérien. Dans sa logique de prétendre à un certificat de bonne conduite à l’égard de l’ancienne puissance coloniale, ce courant feint d’ignorer la mise au point du docteur Ahmed Taleb el Ibrahimi : «Camus a été infidèle aux humiliés, Camus a manqué de courage et de lucidité à l’heure des choix décisifs. Les Algériens étaient en droit d’espérer mieux d’un prix Nobel. Le titre de ‘Camus l’Algérien’, Camus ne l’a pas mérité. Il restera donc pour nous un grand écrivain ou plutôt un grand styliste mais un étranger».

Un ordre spirituel, culturel, esthétique, social

Auparavant, Mohamed Bencheneb accomplît une œuvre colossale. Il fut frappé par l’entreprise de sape du colonialisme qui visait une modification des données démographiques, sociologiques et culturelles de l’Algérie. Il remarqua avec inquiétude que le visible cessait progressivement de porter l’invisible. C’est alors qu’il voua sa vie à la prospection de cet invisible, avec l’appui d’un savoir académique et encyclopédique. Il le restitua dans ses œuvres en faisant parler la langue parlée. Il nous fait découvrir tout ce que le génie algérien a exprimé dans ses traditions écrites et orales, et tout ce que le colonialisme n’a pas réussi à détruire : un ordre spirituel, culturel, esthétique, social. Tout un savoir-être et un savoir-faire.
Mohamed Bencheneb réussit à faire rentrer la culture algérienne dans cette université ultra française d’Alger. Ses travaux ont beaucoup contribué à endiguer les errements de l’anthropologie coloniale qui a été orientée au service de la conquête militaire de l’Algérie.
Mais c’est au quotidien que Mohamed Bencheneb a le plus marqué sa société et son temps. Au-delà de son génie et de son académisme, il n’a cessé à aucun moment de mettre en valeur les liens d’appartenance et les liens d’attachement que les Algériens devraient en toute conscience entretenir à l’égard de leur identité et de leur culture. C’est par ces liens entre un individu et l’essence à laquelle il appartient, et uniquement par ces liens, qu’on pourra prétendre à un rayonnement de  sa culture, à s’émanciper et à s’affranchir.
Après avoir tout donné, Mohamed Bencheneb meurt d’épuisement à l’âge de soixante ans le 5 février 1929, à l’image de l’abeille. Et il avait encore à donner. Goethe aurait pu lancer sa fameuse formule : «Si mon âme et mon esprit ont tant à donner et que mon corps refuse, alors la nature a le devoir de me donner un autre corps!».
A l’occasion du quarantième jour de son décès, une grande cérémonie d’hommage fut organisée au cimetière de Sidi Abderrahmane où il a été enterré. Beaucoup d’intellectuels algériens étaient présents pour évoquer non seulement l’œuvre prodigieuse de Mohamed Bencheneb, mais aussi son honnêteté intellectuelle et sa rigueur morale.
Dans une émouvante allocution, digne de figurer parmi les merveilles de la littérature mondiale, Cheikh Bachir el Ibrahimi ne trouve pas les mots pour se consoler ni pour consoler les autres sur la perte de ce génie et sur le vide insondable qu’il laisse derrière lui. Il ne manque pas de mettre en garde les Algériens contre la tentation de l’oubli de l’œuvre de Bencheneb. Car déjà en son temps, il n’a pas été convenablement connu et reconnu comme il l’a été ailleurs en Orient et en Occident. Le vénérable Cheikh explique qu’il n’est jamais trop tard de faire son mea culpa,  et si on reconnait la défaillance dont on s’est rendu coupable en ayant condamné à l’oubli l’œuvre de Mohamed Bencheneb, que les larmes versées soient celles de la repentance et de la réparation. Ce cri d’alarme ne fut malheureusement jamais écouté.
Il serait hautement souhaitable d’envisager de décerner à Mohamed Bencheneb à titre posthume la distinction de l’Unesco de «Trésor humain vivant». Il a été un précurseur dans la réhabilitation du patrimoine immatériel et dans l’action stratégique de transmission du savoir ancestral.

Des considérations hautement stratégiques

Malek Bennabi, d’abord en tant que penseur, reprit l’œuvre d’Ibn Khaldoun. Il continua l’examen pathologique et élabora un modèle architectonique de dynamique sociale en rapport avec la nouvelle perspective historique où la société algérienne, à l’instar de son macrocosme afro-asiatique, s’est remise en route de la dépendance à la renaissance. Cet effort de globalisation n’a pas seulement une utilité analytique, il relève de considérations hautement stratégiques. En effet, à l’heure de la globalisation et des groupements régionaux, seul un mouvement d’ensemble peut avoir du sens et de l’effet.
Ainsi apparait pour Malek Bennabi l’issue de sortie de la société khaldounienne pour retrouver le sens de son histoire : élargir le champ de vision des perspectives de développement. Ce qu’il désigne par les «grands phénomènes de transfert des civilisations à l’échelle de la planète : il s’agit du déplacement du centre de gravité islamique de la Méditerranée à l’Asie». Et de conclure : «Ce passage à une phase asiatique implique pour lui [le musulman] des conséquences psychologiques, culturelles, morales, sociales et politiques qui commanderont son devenir et son avenir, et tout d’abord dans la formation de la volonté collective».


Un nouvel ordre mondial

Les évènements lui donnent raison. A Oufa, capitale du Bachkortostan, une république de la fédération de Russie, est né un nouvel ordre mondial conçu pour préserver les pays membres des crises et des conflits. Le 8 juillet 2015, Vladimir Poutine convoque un sommet historique qui réunit les BRICS, l’OCS et l’UEEA. Des plans d’action ont été définis pour la décennie à venir.
L’intégration de ces trois institutions offre un cadre sans égal de coopération économique, financière, militaire, sécuritaire, énergétique, scientifique et culturelle, dans une logique de prospérité et de développement partagés.
La déclaration d’Oufa pose le principe du respect des choix des pays membres en matière politique, économique et socioculturelle compte tenu de l’expérience historique et des particularités nationales de chaque Etat. De même que sera favorisé le dialogue interétatique pour promouvoir la paix et le progrès et respecter la souveraineté nationale et l’unité territoriale des Etats membres.
Seul le dialogue interculturel permet de trouver des solutions adaptées à la situation conflictuelle qui caractérise le monde d’aujourd’hui. Vladimir Yakunin, président du Forum public mondial «Dialogue des civilisations» insiste sur les vertus de ce dialogue en tant que valeur fondatrice du nouvel ordre. Il note en outre : «Dans un monde axé sur le consumérisme, les individus sont élevés avec le seul souci de satisfaire leurs besoins personnels. Cette attitude est au détriment des valeurs culturelles à la base des diverses civilisations. Si nous ne nous efforçons pas de contrôler cette tendance, nous risquons de perdre les principes et les standards moraux de la société».

Malgré le boycott des médias occidentaux, les observateurs n’ont pas manqué de relever plus qu’un évènement, un avènement. C’est là une réponse adaptée aux exigences des pays africains, latino-américains et eurasiatiques d’opérer des transformations du système des relations internationales. Oufa est située à 1.519 km de Moscou. Son choix n’est pas fortuit, il exprime le désir des organisateurs de ne pas laisser les pays musulmans se faire distancer par ce processus et les extirper du système de guerre totale qu’ils subissent depuis la fin de la seconde guerre mondiale. C’est comme pour rappeler que les pays musulmans ne peuvent être entrainés que par une renaissance asiatique et que le nouvel ordre se fera avec eux ou ne se fera pas. Ce constat est vérifiable par le modèle de Bennabi : «Le concept de vocation enveloppe ces deux aspects : les conditions d’un mouvement et sa finalisation par la collectivité humaine qui se trouve placée dans ces conditions».

C’est l’occasion de rappeler qu’en définitive, l’œuvre capitale de Malek Bennabi a été son étude sur L’Afro-asiatisme, où il était question du rapprochement de l’Afrique et de l’Asie. Ce rapprochement, esquissé lors de la conférence de Bandoeng, procède d’un paradigme qu’on pourrait désigner dans les circonstances présentes par «Ex Oriente lux», où seule la formulation est latine.

Les axes d’orientation d’une rénovation pédagogique

Malek Bennabi a été également un grand éducateur. Dans la pure tradition de Platon, il a su redonner le primat à la parole sur l’écrit et la préférence à l’enseignement populaire par  rapport au cours magistral dans la transmission des idées et des valeurs. Il laisse de précieuses indications sur ce qui aurait pu constituer les axes d’orientation d’une rénovation pédagogique de notre système d’éducation et de formation. On pourrait citer pour la circonstance :
  • opter pour un enseignement didactique, éthique et esthétique
  • inculquer l’esprit critique et le goût de l’innovation.
  • développer les filières technologiques et la formation d’ingénieurs
Mais Malek Bennabi ne fut pas écouté, ni même compris. De zélés activistes de la mouvance socialo-communiste s’employèrent à le diaboliser auprès d’un pouvoir qui considérait déjà l’avis autorisé comme une contre-indication. Il a tenu à conserver jusqu’au bout son esprit libre et indépendant, attitude qu’il a chèrement payée. Comme il se décrit lui-même, «cet homme-là, il fallait coûte que coûte en venir à bout par tous les moyens puisque l’argent, les honneurs, la situation n’ont pas de prise sur lui».


En guise de conclusion

Désabusée des méthodes sans solutions, la jeunesse algérienne crie son désarroi et cherche désespérément les voies et moyens à libérer ses énergies et inventer volontairement l’ordre politique, social, culturel et économique compatible avec ses aspirations. La jeunesse est le baromètre qui donne la mesure de la vitalité d’une société à faire rimer alternance et alternative. Ce qui a fait dire à Georges Bernanos : «C’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le reste du monde à la température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents». Aussi, malheur au régime qui réprime les ardeurs de sa jeunesse.
Pour toutes ces considérations, la situation semble explosive. Elle rappelle étrangement cette scène surréaliste du film catastrophe Terreur sur le Britanic réalisé par Richard Lester. Une équipe de démineurs est parachutée en pleine mer sur le paquebot le Britanic pour désamorcer la bombe placée par des demandeurs de rançon. En même temps, la police parvient à mettre la main sur le cerveau de l’opération, qui n’est en définitive que l’ancien responsable du chef de l’équipe des démineurs. S’engage alors un entretien téléphonique entre eux sur la manière de désamorcer la bombe. Il s’agit de couper l’un des deux fils, le bleu ou le rouge. Il lui indique la mauvaise solution : «Coupe le bleu». Mais le chef démineur décide en fin de compte de sectionner le fil rouge et la bombe est désamorcée.
Il en est de même pour le peuple algérien, qui ne fait plus confiance à ses élites politiques et intellectuelles et refuse de sectionner le fil bleu. Il préfère rester sourd et aveugle aux cris du corbeau des ces élites ambitieuses, tentées par le pire. Il se réfugie dans son infra politique, qui reste au demeurant insondable et inaccessible aux analyses et aux statistiques. Il reste dans l’attente du retour des voleurs de feu qui lui indiqueront, par leur lumière directrice, les voies et moyens à neutraliser le syndrome anomique et à réactiver les fonctions du progrès.
Nous sommes dans le domaine des nécessités impérieuses. La résorption de la crise génère d’immenses besoins en expertise que le système ne peut nullement satisfaire. Il nous faut donc dépasser l’ordre actuel avec ses choix politiques réduits aux pétrodollars et aux intrigues de palais. Les intellectuels nous ont légué les clefs de résorption de la crise : les liens d’attachement et le rapport à l’universel, l’examen pathologique et la dynamique sociale, c’est-à-dire Mohamed Bencheneb et Jean El Mouhoub Amrouche, Abderrahmane Ibn Khaldoun et Malek Bennabi.
Présentement, il reste à craindre que ne se réalise, tel un oracle, la parabole du philosophe danois, Soren Kierkegaard, pour qui «le paradoxe suprême de toute pensée, c’est la tentative de découvrir quelque chose que la pensée ne peut penser». A méditer : «O magnanimité rare, rare dans notre temps, où un homme sur deux est une autorité, (…) cependant que toutes ces différences et cette pléthore d’autorité ne trouvent de médiation que dans cette folie générale et un commune naufragium [naufrage commun est facile à supporter] ; car aucun homme n’a jamais été une autorité et n’a jamais, en tant qu’autorité, fait du bien à un autre ; avec une autre méthode, cela réussit mieux ; en effet, un fou qui va son chemin, cela ne rate jamais qu’il entraîne beaucoup d’autres avec lui».
Brahim Zeddour


La jeunesse est le baromètre qui donne la mesure de la vitalité d’une société à faire rimer alternance et alternative. Ce qui a fait dire à Georges Bernanos : «C'est la fièvre de la jeunesse qui maintient le reste du monde à la température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents». Aussi, malheur au régime qui réprime les ardeurs de sa jeunesse.

lien: http://www.impact24.info/le-syndrome-anomique-derniere-partie/

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