Tout compte fait, je pourrais me prévaloir du
fébrile et bien éphémère statut d’homme heureux. Pour boucler le funeste mois
d’avril, j’étais appelé à participer à une rencontre sur la nécessaire écriture
de l’Histoire. Organisée à partir d’un lit d’hôpital par mon amie Salima
(DY/TL), cette conférence n’avait aucune chance de se tenir, du moment que
celle qui en était l’âme et la conscience, venait, deux jours avant d’être
admise en soins intensifs…Comme j’avais pris l’initiative d’y inviter une autre
battante – la bien aimée Fatima S, témoin visuel des l’insurrection du 20 aout
1955- et que j’avais réussi le tour de force de lui faire rencontrer – à
travers l’échange de courriels- Salima, j’ai eut toutes les peines du monde à
trancher entre le maintien de la rencontre et son report. Mais voilà que durant
l’après-midi du 29 avril, alors que pour moi, l’annulation ne faisait plus
l’ombre d’un doute, je reçois un sms de la part de Fatima qui me part de ses
tourments.
Elle venait de recevoir un sms de Salima – à partir de son lit
d’hôpital-, qui lui demande si « elle avait fait un bon voyage ?
Grosse inquiétude chez Fatima et qui ne savait plus à quel saint se vouer –
nous avions le choix entre Sidi Ahmed, Sidi Ali Dib et Sidi Bel Abbès !-
Puis, avec Fatima, nous décidons de nous donner un temps de répit. Voilà que
Salima récidive et vient me tanguer par un court message. Je lui réponds que
Fatima n’avait pas encore pris une décision et qu’il fallait espérer une
heureuse alternative. J’appelle alors Fatima pour l’assurer que dans le cas où
elle venait le lendemain, je me ferais un honneur de l’accueillir à la gare
routière de Sidi Bel Abbès. Et la conduire à l’hôtel El Djazair (ex Versailles,
non loin de l’ex place Carnot, en plein cœur de la capitale de la Mekerra),
lieu de son hébergement durant son séjour. La soirée du 29 se passe dans une
grande et grise incertitude. Puis, vers 21 heures, je reçois un appel de
Fatima, qui à partir d’Alger où elle réside, venait de faire le choix
« eut égard à vous et à cette grande Dame », me disait-elle, je
ferais le déplacement demain dès l’aube. Information capitale, d’autant que
Salima venait de me faire parvenir un sms par lequel elle m’informe que la
rencontre aura bien lieu et qu’il n’a jamais été question ni de l’annuler ni de
la reporter…Une femme de combats et de convictions, que je vous dis ! Je
lui réponds que Fatima et moi y seront, moi dès 9 heures du matin et Fatima
probablement dans l’après midi. Lorsque ce jeudi 30 avril je quitte Mosta à
7 :43, je reçois un appel de Fatima qui m’annonce que son taxi pour Sidi
Bel Abbès venait de quitter la gare du Caroubier…je fais un petit calcul et je
conclus qu’elle sera parmi nous vers 12h30…je prends la RN17 pour rejoindre
l’A1 à Mohammadia. Arrivé à Mazagran, je m’aperçois que je n’avais pas emporté
mon permis de conduire…panique légère, faisant contre mauvaise fortune bon cœur
je reviens sur mes pas…
Une voix limpide
Sur l’A1, j’active l’accélérateur automatique
sur « 122 » et je passe des coups de fil à Abdelkrim le correspondant
d’El Watan à SBA afin qu’il m’indique où se trouve le musée du Moudjahid et la
gare routière…J’informe également l’Ami Ghali Benfeghoul de mon arrivée à SBA…
Devant le musée du Moudjahid, un
impressionnant attroupement de véhicules me laisse croire qu’il y aura du
monde à notre rencontre. Je déchante très vite lorsqu’une hôtesse me demande le
nom de l’entreprise ; j’apprends qu’il s’agissait d’une rencontre
organisée par la direction du commerce. Je demande à une employée si la
rencontre de Salima était maintenue, elle me dit que « oui » mais
qu’elle se déroule à la bibliothèque de la wilaya… juste le temps d’informer
Ghali Benfeghoul et d’autre amis et je file droit vers la route d’Oran. Lorsque
j’ouvre la porte de la salle de conférence, c’est la voix de Salima, d’une rare
limpidité qui m’accueille. J’en suis confus et heureux. Je m’installe dans les
travées aux ¾ vides et j’écoute religieusement cette femme de plus de 70 ans,
déclamant sa conférence avec une si belle assurance… à 11 :05 le
modérateur m’appelle. J’enroule ma conférence écrite en Français, j’active mon
dictaphone et je me lance dans la description de l’insurrection du 20 aout 55.
Je rappelle la grande controverse sur le chiffre des victimes indigènes et
conclue par la nécessité de rendre publiques les archives du FLN qui à l’époque
des faits avait établit des statistiques, citant les déclarations de Lakhdar
Bentobbal et de Salah Boubnider, ce dernier étant présent lors du déclenchement
de l’insurrection à partir de Sidi Ahmed, au fond de la vallée du Béni Mélek.
Qui sera rasée 3 jours plus tard pour avoir abrité et soutenu les insurgés. Au
moment de quitter la salle pour rejoindre l’hôtel où était servi le déjeuner,
je reçois un appel de Fatima qui me dit que son taxi vient de passer à coté de
Sidi Brahim…dans moins de 5 minutes il sera à la gare… que je ne connais
pas !
Les you you stridents du quartier
Arabe
Au moment de rejoindre l’hotel, des
participants me demandent de emmener, ce que j’accepte avec joie. Parmi les 3
femmes qui prennent place sur la banquette arrière, une septuagénaire
pratiquant un français impeccable qui me dit qu’elle est la maman du patron
national de la recherche scientifique. Dans mon rétroviseur, je retrouve dans
son sourire les traits de cet éminent professeur… que je connais très bien pour
l’avoir interviouvé – pour El Watan- et côtoyé lors de rencontres
scientifiques…elle me dit qu’elle a été enseignante durant 38 ans…qu’elle a
connue avec les siens les affres de la guerre et qu’elle était là en raison de
son amitié avec Salima. Je garderai d’elle cette image d’humilité et de bonheur
assumé…j’ai eu bcp de peines à la quitter, tant elle est attachante à plus d’un
titre. Après un détour par le chantier du tramway, j’arrive enfin devant la
gare routière de SBA et je n’ai aucune peine à reconnaitre la frêle silhouette
de Fatima…
Lorsque nous entrons dans la salle du
restaurant, Salima se lève instinctivement et viens vers nous. Sans que je sois
obligé de faire les présentations, elle enlace longuement Fatima qu’elle
installe juste en face d’elle…
Retour à la bibliothèque pour la suite du
programme. Fatima doit intervenir…je l’accompagne jusqu’à l’estrade…témoin
privilégiée à 12 ans d’âge, elle parle de ce funeste jour du 20 aout 1955… avec
des mots simples et forts, elle décrits les scènes de violences entre la visite
de l’hôpital où elle avait été admise, prise pour une européenne à cause de son
teint blond, elle sera jetée sans managements dans un camion militaire,
direction le stade de Philippeville où elle décrits les scènes de morts
violentes subies par ses coreligionnaires et ce policier qui, l’ayant reconnue
l’extirpe et la renvoie vers la rue de Constantine, dans le quartier Arabe de
Skikda….elle parle ensuite des hululements stridents des femmes qui n’en
finissent plus et des cadavres qui jonchent les ruelles…elle se rappelle de ces
centaines d’algériens qui résistent les mains nues et qui se font tirer à bout
portant…un témoignage précieux que ni le temps, ni les distances n’ont pu
altérer…Dire que la rencontre était justement axée sur le devoir de témoignage
et sur le devoir de vérité. Salima qui était dans la salle, grâce à une
sonorisation parfaite, ne perdait pas un mot de sa nouvelle amie. Après la
remise des attestations de participation signées par la présidente de la
fondation Tayebi Larbi, l’heure de la séparation sonna…Salima était à la fois
heureuse et désemparée. Son amie Fatima allait rester seule…jusqu’au
lendemain…elle se tourna vers moi l’esprit bien embarrassée. Moi qui devait
rentrer sur Mosta je me propose alors de lui tenir compagnie jusqu’à la tombée
de la nuit.
Grâce, douceur et volupté
Voyant l’embarras de Salima, je lui suggère de
les emmener toutes les deux sur le mont Tessala…son regard s’illumine…puis je
vois perler une émotion profonde qu’elle parviendra à contenir…elle accepta de
suite ma proposition. C’est ainsi que je me retrouve au volant en direction du
Tessala, avec deux charmantes dames assises cote à cote sur la banquette arrière.
Entre les deux, mon dictaphone resté allumé durant tout le trajet. Salima parle
de ses pérégrinations de jeunesse et moi qui jubile à l’idée d’enregistrer pour
la postérité cette fabuleuse histoire. Lorsque j’aborde la pente raide qui mène
vers la montagne, au moment où j’arrive à la dernière bifurcation, je prends la
voie de droite…dès le premier virage, je me rends compte de mon erreur et fait
demi tour. Salima qui n’a rien perdu de la scène me dit alors « je voyais
bien que tu ne retrouvais pas le chemin…
La remarque me fait terriblement mal,
mais je tente de ne pas trop m’attarder…c’est bien la première fois que je
monte au Tessala sans mon guide…là haut, les vaches de décembre ont pris des
couleurs…et de l’embonpoint…elles sont devenues plus tolérantes que lors de
notre première rencontre…avec mon « Canon » j’arrive à les filmer de
très prêt…Salima et Fatima, gagnées par la grâce contemplent au loin la plaine
où les céréales en prennent de toutes les couleurs. Vue d’ici, Sidi Bel Abbès
s’est complètement ramassée…pourtant, malgré la brume et les tourments,
j’arrive à bien distinguer Sidi Djillali et l’hotel Eden…mes deux amies
continuent de raconter leurs aventures terrestres, la température très douce
les y aide beaucoup. Il fait une telle fraicheur -à peine 21° C contre 32° dans
la ville-, que le temps s’écoule avec volupté. Pourtant, il y a comme un vide
inexcusable qui m’envahit. Salima propose que demain nous allions faire un tour
à Tlemcen.
L'ultime tendresse
L’idée séduit Fatima qui se tourne vers moi.
Je suis pris à la gorge, mais j’essaie de trouver une parade. Car déjà avec ce
pèlerinage à Tessala, j’ai de la peine à contenir mon émotion, mais retourner
sur mes traces à Tlemcen, revenir à l’hôtel Renaissance, gambader à travers les
ruelles d’El Obbad…flâner à travers les colonnades somptueuses du centre
d’études andalouses…non c’est trop fort pour moi et pour mon petit
cœur…d’autant que je me prépare à revenir à Mosta pour participer à l’hommage à
mon défunt ami Sid Ahmed Hadjar…à l’occasion de la journée de la liberté
d’expression et en compagnie de Hachemi Ameur, de Habib Amar qui a eut la bonne
idée d’éditer les chroniques de notre compagnon des jours de peine…
Je devais impérativement quitter Sidi Bel
Abbès…pourtant…j’avais très envie de rester, d’autant que lors de la
conférence, de nombreuses personnes m’avaient gentiment demandé de devenir Bel
Abbéssien pour toujours…je ne crois pas me tromper en disant que l’invitation a
eut bcp d’effet, car pour certains, elle était vraiment sincère… elle est allée
droit dans mon cœur…
Après avoir dévalé les pentes verdoyantes du
Tessala, je retrouve les odeurs de la plaine. Comme pour me faire davantage
violence, j’ai tenu à faire un tour à mes deux princesses du coté du lac…encore
une visite sur des lieux d’histoire et ce frémissement qui me surprend lorsque
j’arrive à proximité de ces jeunes arbres, non loin de cette cafétéria où j’ai
partagé les instants les plus doux de cet hiver…lorsque je découvrais pour la
première fois cet endroit fabuleux… Mes deux amies déposées, je me retrouve
seul…dans la ville…sans repère aucun…mais avec une folle envie de ne plus
partir…
J’ai alors pensé à ce sublime instant, alors
que j’étais devant la bibliothèque, ce geste de celui qui pourrait être mon
fils…un étudiant en biologie…il a eut pour moi le geste le plus tendre et le
plus affectueux. S’apercevant que je venais de me payer une « boulle à
zéro » que je cachais sous mon béret noir, Nabil, c’est son prénom,
n’a pas hésité à parcourir mon crane dégarnis de sa main, comme pour
endormir ma douleur…peut être y-est-il parvenu…sans y prêter grande
attention…naturellement…ultime tendresse…
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