Contribution : GAZ DE SCHISTE
Encore l’opacité
Par Mohand Bakir
Au moins sur un point, les choses se clarifient : le gouvernement est déterminé à exploiter les gaz de schiste !
Il est intéressant d’observer la stratégie de communication que le gouvernement met en œuvre pour faire passer son choix. Les quelques interventions d’explication de l’option d’exploitation des gaz de schiste s’articulent autour de cinq arguments :
1. La demande énergétique intérieure connaît une forte croissance.
2. Garantir les besoins de financement de l’économie nationale à moyen et long terme.
3. Hassi Messaoud est un gisement non-conventionnel
4. L’eau de l’Albien est déjà utilisée par l’industrie pétrolière
5. Il n’y a pas de dangers environnementaux.
L’ensemble de ces «arguments» ont en commun leur totale incurie stratégique. Ce qui explique que, pris séparément ou dans leur globalité, ils heurtent l’intérêt national et lui portent atteinte.
Culpabiliser les citoyens
La forte croissance de la demande énergétique est assénée comme un argument majeur. Mais cette hausse n’est aucunement interrogée. La demande énergétique intérieure algérienne est loin d’être tirée à la hausse par une dynamique économique. C’est la consommation des ménages qui fait exploser cette demande. Multiplication par six du volume du parc automobile et démultiplication de la demande électrique liée aux besoins de climatisation en été, et de chauffage en hiver. Dans le meilleur des cas, il faut relever que l’Etat est totalement défaillant dans l’orientation de l’évolution des secteurs du transport et de l’habitat. Le choix du «tout voiture particulier», assis sur l’importation de véhicules, ne pouvait que faire exploser la demande de carburants. Ce qui occasionne une hausse de la demande énergétique dans un segment où l’offre est dépendante de l’importation des produits pétroliers ! La défaillance de l’Etat est tout aussi flagrante flagrante en matière d’évolution de la demande d’électricité, tirée vers la hausse par l’évolution des besoins de climatisation et chauffage. Il suffirait d’évaluer l’efficacité énergétique de nos habitations pour prendre la mesure de l’ignorance de nos «pouvoirs publics». Les logements qui se construisent dans notre pays sont des bicoques d’un autre temps. Si la demande des particuliers est bien à l’origine de l’explosion de la demande intérieure d’énergie, il n’en reste pas moins que la responsabilité incombe entièrement au gouvernement. Cela rend l’utilisation de cet argument, pour justifier des choix douteux, particulièrement abjecte.
Corrompre les consciences
L’autre argument facétieux est de considérer que les Algériens adhèrent aux choix de continuer à assurer le financement de l’économie «à moyen et long terme» par l’exportation des hydrocarbures ! L’une des dernières expressions publiques qui a rappelé l’urgence d’une sortie ordonnée de la dépendance pétrolière est celle du FCE avec ses cinquante propositions. Les Algériens veulent du travail, ils veulent créer des richesses. Ils ne veulent plus rester prisonniers des filets sociaux. Le gouvernement, enfermé dans un autisme volontaire, a certainement du mal à entendre cette aspiration des Algériens. Cet autisme explique l’empressement du gouvernement à «placer» les emplois des Algériens en DTS du FMI. Est-il raisonnable d’espérer que l’Algérie continue d’assurer son financement «à moyen et long terme» par l’exportation des hydrocarbures ? Le monde est en train de changer. Les majors pétroliers sont les premiers à investir dans les énergies de demain. Des énergies hautement technologiques, dont la maîtrise et l’acquisition se préparent aujourd’hui. Le pétrole ne vaudra-t-il encore quelque chose lorsque les énergies alternatives arriveront à maturité ? Question intéressante pour nos stratèges du financement à «moyen et long terme».
Créer l’amalgame
«L’Algérie exploite déjà des gisements non-conventionnels !» L’autre argument récurrent. Qu’est-ce à dire ? Le gisement géant de Hassi- Messaoud présente des caractéristiques complexes qui rendent son exploitation dépendante du maintien d’un niveau élevé de pression dans le réservoir. Nous avons là deux mots-clés : pression, réservoir. De l’eau est continuellement injectée pour assurer le maintien de la production. Elle est injectée dans un réservoir hermétique (étanche, imperméable) pour augmenter la pression. C’est un procédé exceptionnel, mais où est le rapport avec les puits non-conventionnels de gaz de schiste creusés par fracturation ? Les deux mots-clés, cette fois, sont : schiste et fracturation. Le lecteur, quelle que soit sa formation aura compris la différence entre le «non-conventionnel» de Hassi Messaoud, où l’exploitation non-conventionnelle prend appui sur l’imperméabilité du réservoir ; et le «non-conventionnel» d’Ahnit, où l’imperméabilité des schistes est un obstacle à l’exploitation. L’eau injectée dans le réservoir de Hassi Messaoud est, à la limite, juste transvasée de l’Albien vers ce réservoir. Elle reste disponible. Alors que celle que le gouvernement envisage d’utiliser dans l’exploitation des gaz de schiste sera non seulement souillée, mais elle ira polluer l’ensemble de l’Albien. Elle sera perdue, et nous fera perdre toute l’eau du Sud.
Mentir sur les dangers
Les dangers qu’introduit la technique de fracturation hydraulique sont évacués d’un revers de main. «Il n’y a pas de danger.» «Toutes les précautions seront prises.» Circulez, y a rien à voir ! Au Etats-Unis et au Canada, l’exploitation des gaz de schiste a révélé toutes ses facettes. Contamination des nappes phréatiques, contamination de l’air par des produits volatils cancérigène et même létaux, fuites de méthane,… En Angleterre, une corrélation a été établie entre l’usage de cette technique et l’apparition d’une activité sismique (moyenne) là où il n’y en avait pas du tout ! L’exploitation des gaz de schiste implique la réalisation de dizaines de milliers de puits. Nos spécialistes se gardent bien de faire un parallèle entre le nombre de forages qu’il faudra réaliser pour assurer la rentabilité de ce choix, et le nombre de forages réalisés en Algérie depuis les années 1950. Ce rapport est de quel ordre ? Il faudra réaliser mille fois plus de forages ? Dix mille fois plus, cinquante mille, cent mille fois plus ? Ce serait bien de la savoir. Le sous-sol saharien contient deux éléments qui s’ils rentrent en contact provoquent des cataclysmes : l’eau et le sel. Sur les dizaines de milliers de puits qu’il faudra creuser, quelle sera la probabilité de reproduire la catastrophe du PKN32 ? L’Amérique du Nord est riche en eaux de surface. Le risque pris sur les eaux souterraines, qui sont des eaux circulantes, est relativisé par la disponibilité des eaux de surface. La maîtrise des techniques de recyclage et de traitement des eaux souillées contribue à réduire les risques de pollution. Dans notre Sud, les gigantesques quantités d’eau qui y sont entreposées sont fossiles, des eaux non renouvelables. Les eaux de surface dont nous disposons dépassent à peine la quantité annuelle que nous pourrions prélever sur l’Albien, de l’ordre de 5 milliards de mètres cubes annuels. Il est clair que dans le cas de l’Algérie, le risque n’est pas «encaissable», il est un risque majeur !
Autarcie perfide
Comme si l’Algérie vivait dans une bulle coupée du monde. Tout l’argumentaire développé est expurgé de toutes les données des marchés énergétiques mondiaux. Quelle y est notre place ? Quelles peuvent en être les évolutions prévisibles ? Qu’avons-nous gagné avec l’apparition de l’exploitation des gaz de schiste ? Financer notre économie par l’exportation des hydrocarbures. Telles seraient nos ambitions nationales pour l’horizon 2030 ou 2050 ? Quelle audace ! Mais même cette «ambition-là» n’est pas tenable. A cet horizon, il faut envisager que l’exportation de l’eau rapportera bien plus que celle des hydrocarbures ! Mais de quelle eau parlons-nous ? De celle que le gouvernement condamne à une pollution irréversible ?
M. B.
Au moins sur un point, les choses se clarifient : le gouvernement est déterminé à exploiter les gaz de schiste !
Il est intéressant d’observer la stratégie de communication que le gouvernement met en œuvre pour faire passer son choix. Les quelques interventions d’explication de l’option d’exploitation des gaz de schiste s’articulent autour de cinq arguments :
1. La demande énergétique intérieure connaît une forte croissance.
2. Garantir les besoins de financement de l’économie nationale à moyen et long terme.
3. Hassi Messaoud est un gisement non-conventionnel
4. L’eau de l’Albien est déjà utilisée par l’industrie pétrolière
5. Il n’y a pas de dangers environnementaux.
L’ensemble de ces «arguments» ont en commun leur totale incurie stratégique. Ce qui explique que, pris séparément ou dans leur globalité, ils heurtent l’intérêt national et lui portent atteinte.
Culpabiliser les citoyens
La forte croissance de la demande énergétique est assénée comme un argument majeur. Mais cette hausse n’est aucunement interrogée. La demande énergétique intérieure algérienne est loin d’être tirée à la hausse par une dynamique économique. C’est la consommation des ménages qui fait exploser cette demande. Multiplication par six du volume du parc automobile et démultiplication de la demande électrique liée aux besoins de climatisation en été, et de chauffage en hiver. Dans le meilleur des cas, il faut relever que l’Etat est totalement défaillant dans l’orientation de l’évolution des secteurs du transport et de l’habitat. Le choix du «tout voiture particulier», assis sur l’importation de véhicules, ne pouvait que faire exploser la demande de carburants. Ce qui occasionne une hausse de la demande énergétique dans un segment où l’offre est dépendante de l’importation des produits pétroliers ! La défaillance de l’Etat est tout aussi flagrante flagrante en matière d’évolution de la demande d’électricité, tirée vers la hausse par l’évolution des besoins de climatisation et chauffage. Il suffirait d’évaluer l’efficacité énergétique de nos habitations pour prendre la mesure de l’ignorance de nos «pouvoirs publics». Les logements qui se construisent dans notre pays sont des bicoques d’un autre temps. Si la demande des particuliers est bien à l’origine de l’explosion de la demande intérieure d’énergie, il n’en reste pas moins que la responsabilité incombe entièrement au gouvernement. Cela rend l’utilisation de cet argument, pour justifier des choix douteux, particulièrement abjecte.
Corrompre les consciences
L’autre argument facétieux est de considérer que les Algériens adhèrent aux choix de continuer à assurer le financement de l’économie «à moyen et long terme» par l’exportation des hydrocarbures ! L’une des dernières expressions publiques qui a rappelé l’urgence d’une sortie ordonnée de la dépendance pétrolière est celle du FCE avec ses cinquante propositions. Les Algériens veulent du travail, ils veulent créer des richesses. Ils ne veulent plus rester prisonniers des filets sociaux. Le gouvernement, enfermé dans un autisme volontaire, a certainement du mal à entendre cette aspiration des Algériens. Cet autisme explique l’empressement du gouvernement à «placer» les emplois des Algériens en DTS du FMI. Est-il raisonnable d’espérer que l’Algérie continue d’assurer son financement «à moyen et long terme» par l’exportation des hydrocarbures ? Le monde est en train de changer. Les majors pétroliers sont les premiers à investir dans les énergies de demain. Des énergies hautement technologiques, dont la maîtrise et l’acquisition se préparent aujourd’hui. Le pétrole ne vaudra-t-il encore quelque chose lorsque les énergies alternatives arriveront à maturité ? Question intéressante pour nos stratèges du financement à «moyen et long terme».
Créer l’amalgame
«L’Algérie exploite déjà des gisements non-conventionnels !» L’autre argument récurrent. Qu’est-ce à dire ? Le gisement géant de Hassi- Messaoud présente des caractéristiques complexes qui rendent son exploitation dépendante du maintien d’un niveau élevé de pression dans le réservoir. Nous avons là deux mots-clés : pression, réservoir. De l’eau est continuellement injectée pour assurer le maintien de la production. Elle est injectée dans un réservoir hermétique (étanche, imperméable) pour augmenter la pression. C’est un procédé exceptionnel, mais où est le rapport avec les puits non-conventionnels de gaz de schiste creusés par fracturation ? Les deux mots-clés, cette fois, sont : schiste et fracturation. Le lecteur, quelle que soit sa formation aura compris la différence entre le «non-conventionnel» de Hassi Messaoud, où l’exploitation non-conventionnelle prend appui sur l’imperméabilité du réservoir ; et le «non-conventionnel» d’Ahnit, où l’imperméabilité des schistes est un obstacle à l’exploitation. L’eau injectée dans le réservoir de Hassi Messaoud est, à la limite, juste transvasée de l’Albien vers ce réservoir. Elle reste disponible. Alors que celle que le gouvernement envisage d’utiliser dans l’exploitation des gaz de schiste sera non seulement souillée, mais elle ira polluer l’ensemble de l’Albien. Elle sera perdue, et nous fera perdre toute l’eau du Sud.
Mentir sur les dangers
Les dangers qu’introduit la technique de fracturation hydraulique sont évacués d’un revers de main. «Il n’y a pas de danger.» «Toutes les précautions seront prises.» Circulez, y a rien à voir ! Au Etats-Unis et au Canada, l’exploitation des gaz de schiste a révélé toutes ses facettes. Contamination des nappes phréatiques, contamination de l’air par des produits volatils cancérigène et même létaux, fuites de méthane,… En Angleterre, une corrélation a été établie entre l’usage de cette technique et l’apparition d’une activité sismique (moyenne) là où il n’y en avait pas du tout ! L’exploitation des gaz de schiste implique la réalisation de dizaines de milliers de puits. Nos spécialistes se gardent bien de faire un parallèle entre le nombre de forages qu’il faudra réaliser pour assurer la rentabilité de ce choix, et le nombre de forages réalisés en Algérie depuis les années 1950. Ce rapport est de quel ordre ? Il faudra réaliser mille fois plus de forages ? Dix mille fois plus, cinquante mille, cent mille fois plus ? Ce serait bien de la savoir. Le sous-sol saharien contient deux éléments qui s’ils rentrent en contact provoquent des cataclysmes : l’eau et le sel. Sur les dizaines de milliers de puits qu’il faudra creuser, quelle sera la probabilité de reproduire la catastrophe du PKN32 ? L’Amérique du Nord est riche en eaux de surface. Le risque pris sur les eaux souterraines, qui sont des eaux circulantes, est relativisé par la disponibilité des eaux de surface. La maîtrise des techniques de recyclage et de traitement des eaux souillées contribue à réduire les risques de pollution. Dans notre Sud, les gigantesques quantités d’eau qui y sont entreposées sont fossiles, des eaux non renouvelables. Les eaux de surface dont nous disposons dépassent à peine la quantité annuelle que nous pourrions prélever sur l’Albien, de l’ordre de 5 milliards de mètres cubes annuels. Il est clair que dans le cas de l’Algérie, le risque n’est pas «encaissable», il est un risque majeur !
Autarcie perfide
Comme si l’Algérie vivait dans une bulle coupée du monde. Tout l’argumentaire développé est expurgé de toutes les données des marchés énergétiques mondiaux. Quelle y est notre place ? Quelles peuvent en être les évolutions prévisibles ? Qu’avons-nous gagné avec l’apparition de l’exploitation des gaz de schiste ? Financer notre économie par l’exportation des hydrocarbures. Telles seraient nos ambitions nationales pour l’horizon 2030 ou 2050 ? Quelle audace ! Mais même cette «ambition-là» n’est pas tenable. A cet horizon, il faut envisager que l’exportation de l’eau rapportera bien plus que celle des hydrocarbures ! Mais de quelle eau parlons-nous ? De celle que le gouvernement condamne à une pollution irréversible ?
M. B.
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/10/03/article.php?sid=139873&cid=41
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