“Algérie, 20 août 1955” de Claire Mauss-Copeaux : deux comptes rendus
article de la rubrique les deux rives de la Méditerranée > assumer ensemble un passé commun
date de publication : mercredi 2 mars 2011
Le livre Algérie, 20 août 1955 de Claire Mauss-Copeaux [1] qui a déjà été présenté sur LDH Toulon vient de faire l’objet d’un compte rendu particulièrement élogieux de la part Florence Beaugé dans l’édition du 1er mars 2011 du quotidien Le Monde.
Dès le surlendemain de sa sortie en librairie, le 19 janvier 2011, une critique de cet ouvrage concernant essentiellement les pages 164-165 du chapitre “Aïn Abid” paraissait sur le site Etudes Coloniales [2]. Cet article ayant disparu depuis lors de ce site, nous le reprenons ci-dessous dans son intégralité.
Dès le surlendemain de sa sortie en librairie, le 19 janvier 2011, une critique de cet ouvrage concernant essentiellement les pages 164-165 du chapitre “Aïn Abid” paraissait sur le site Etudes Coloniales [2]. Cet article ayant disparu depuis lors de ce site, nous le reprenons ci-dessous dans son intégralité.
« Parmi les questions que suscitent les récits des événements d’août 1955,
la plus évidente a trait à l’établissement des faits. »
Claire Mauss-Copeaux [3]
la plus évidente a trait à l’établissement des faits. »
Claire Mauss-Copeaux [3]
Les erreurs de Claire Mauss-Copeaux
une historienne mal informéegénéral Maurice FAIVRE
vendredi 21 janvier 2011
je n’aime pas raconter mes campagnes, mais les critiques inexactes de Claire Mauss-Copeaux m’y obligent. J’ai lu avec consternation et amusement ses critiques dans son ouvrage sur le 20 août 1955.
Elle se réfère uniquement à des déclarations faites à Patrick Rotman, dans lesquelles je ne fais pas un historique, mais indique quelques activités auxquelles j’ai participé, sans en préciser les dates exactes.
Si elle avait fait des recherches sérieuses, elle aurait trouvé des références plus précises, dans mes ouvrages et dans le livre de J.-C. Jauffret : Ces officiers qui ont dit non... [cr dans la Revue historique des armées]
Mon expérience de chef 2ème Bureau à Baden et Strasbourg m’ayant habitué à recouper la masse des informations recueillies, mon souci d’historien a été de vérifier la foule d’informations documentaires, consultées au SHAT et au SDECE (sur les services secrets et les supplétifs), au CARAN (comité des Aff. algériennes et Commission de sauvegarde du droit et des libertés), aux archives diplomatiques de Paris et Nantes, au CAOM et au CDHA d’Aix, au CICR à Genève, aux archives de la gendarmerie à Le Blanc, ainsi que dans les fonds privés qui m’ont été ouverts (Ely, Messmer, Debré, Delouvrier, Olié, Gambiez, Schoen, Servier, V. Cros).
Je suis très méfiant, contrairement aux errements de Claire Mauss-Copeaux, Camille Lacoste-Dujardin, Lalaoui, Dalila Kerchouche, Fatima Besnaci et beaucoup d’autres, aux témoignages recueillis plus de 20 ans après les faits auprès d’acteurs dont le parti pris idéologique et l’amnésie sont évidents.
Ayant recueilli avant la plupart des autres historiens des données inédites, je revendique donc ma qualité de scientifique, aussi impartial qu’on peut l’être ; j’évite de me référer à mes souvenirs de combattant, mais reconnais que mes connaissances militaires me donnent un avantage sur les historiens civils qui n’ont pas l’expérience de l’armée, et dont certains disent n’importe quoi. Je n’ai abordé cette expérience que dans un paragraphe de Un village de Harkis, l’Harmattan, 1994, page 165. Je reconnais également qu’il m’arrive d’être partial quand je traite des harkis et des EMSI, dont j’admire le combat. Ceci répond à la première critique de Claire Mauss-Copeaux.
Erreur chronologique
La deuxième erreur concerne la chronologie. Je n’étais pas au Khroubs en 1955, mais à Constantine où je suis arrivé le 22 août 1955. Je n’ai donc pas été témoin des atrocités d’Ain Abid, mais j’ai rapporté le récit de Marie Elbe, éminente journaliste d’Alger. Compagne d’un journaliste parisien célèbre, elle a publié cette relation dans Historia magazine n°13 de Courrière ; il est vrai que le fils Mello dément une partie de ces atrocités.
Je suis arrivé au Khroubs en mars 1957, en qualité de lieutenant, chef du sous-quartier du Khroubs et du 5ème escadron du 8ème Hussards. C’est à cette époque que nous avons construit des logements sociaux à Guettar el Aiech. Le 2 octobre 1957, j’ai surpris une katiba au repos sur les pentes du djebel Ouasch, agréable promenade des Constantinois, avant « les évènements ». Je n’ai jamais raconté cette opération qui a abouti à l’élimination de cette katiba, au prix de pertes sévères (2 officiers, 1 sous-officier, 2 T6 au tapis).
Il est exact que les SAS n’existaient pas en août 1955, mais la 3ème erreur est de croire que seules les SAS faisaient de l’action sociale. Les unités du quadrillage étaient actives en ce domaine. À Constantine le colonel Gribius construisait en 1956 une cité pour reloger les habitants des bidonvilles, c’est un de mes sous-lieutenants qui transportait chaque matin les ouvriers sur le chantier.
Pendant la bataille d’Alger, Massu créait la Cité ouvrière de Maison Carrée et le centre FPA de Kouba. Il appuyait l’action sociale de son épouse, fondatrice de l’Association Jeunesse et du Foyer de Yaouled du docteur Sangline, des Foyers de Bouzareah et Cheragas, et animatrice du Mouvement de solidarité féminine (MSF) ; elle organisait des colonies de vacances à Moumour près de Pau, développées en 1963 en centres de formation à Gelos et Montaut.
À la fin de 1957 étaient créées les Equipes médico-sociales itinérantes, dépendant des 5ème Bureaux de Secteur militaire, et non des SAS.
En juin 1958, le général Salan créait le groupement des Jeunes Batisseurs, et en décembre le Service de Formation de la Jeunesse algérienne (SFJA) dirigé par le général Gribius, puis par Dunoyer de Segonzac, dont les moniteurs étaient formés à Issoire et Nantes. Trois centres militaires de formation professionnelle fonctionnaient en métropole. Toutes ces activités sont décrites dans L’action sociale de l’armée en faveur des Musulmans, l’Harmattan 2007.
Voici enfin ce qu’écrit l’historien Jean-Charles Jauffret : « Un autre chef de harka a plusieurs fois témoigné à propos du respect scrupuleux qu’il a toujours eu pour la dignité des Algériens musulmans, sans lesquels il n’aurait pu recruter ses harkis : le général Maurice Faivre. Saint-Cyrien ayant choisi la cavalerie, il découvre l’Algérie en 1955 après trois ans passés au Maroc.
« Il vit au milieu de la population musulmane, en compagnie de son épouse, sans protection. Plus tard en 1960-1961, commandant le 4ème escadron du 20ème régiment de dragons, chef de la harka et du groupe d’autodéfense (1) de Beni-Dracene, dans la Kabylie des Babors, il évite toute exaction, ce que confirme le témoignage d’un officier ayant servi sous ses ordres (2).
« Il croit alors en une communauté algérienne jouissant des mêmes droits pour ses populations algérienne et européenne. »
Maurice Faivre
Stade Philippeville le 20 aout 55 |
"Algérie, 20 août 1955. Insurrection, répression, massacres", de Claire Mauss-Copeaux : répression démesurée
par Florence Beaugé, Le Monde daté du 1er mars 2011
Que s’est-il passé en Algérie, le 20 août 1955, quand des soldats de l’Armée de libération nationale, le bras armé du FLN, ont attaqué simultanément, avec l’aide de la population, les localités situées entre Collo, Philippeville, Guelma et Constantine ? Y a-t-il eu, comme on le dit depuis, un massacre généralisé perpétré par les Algériens ? Et que sait-on de l’ampleur des représailles qui ont suivi ?
L’historienne de la guerre d’Algérie, Claire Mauss-Copeaux, lève le voile sur cet événement, qui est survenu dix ans après les manifestations nationalistes pacifiques de Sétif et Guelma. Faute d’archives aisément disponibles, cette période de la guerre d’Algérie n’avait pas été étudiée par les historiens.
Claire Mauss-Copeaux a mené son enquête comme un détective, en utilisant toutes sortes de sources et de matériaux. Le terrain tout d’abord. Elle a longuement arpenté la région où se sont déroulées l’insurrection et la répression. Elle a aussi rassemblé des récits d’acteurs, de témoins et de survivants, et croisé les informations apportées par les archives militaires, la presse de l’époque et les registres de décès de l’état civil de l’année 1955.
A partir de toute cette matière, et en veillant à replacer l’événement dans son contexte, l’historienne a éclairé les zones d’ombre, devenues sources des rumeurs les plus folles ces dernières années, en raison du travail de sape mené par les activistes de la mémoire.
Deux massacres d’Européens ont bien été perpétrés par les insurgés dans deux villages du Constantinois : à El Alia, 35 villageois ont été tués, et 7 villageois à Ain Abid. Les 29 autres victimes comptabilisées ont péri en divers endroits, dans des circonstances rarement précisées, lors d’une succession de crimes mais "non d’un crime de masse ", précise Mme Mauss-Copeaux. Le tableau faisant état d’un massacre généralisé des Européens dans le Constantinois, tel qu’il a souvent été rapporté par les médias français, est donc sans rapport avec la réalité.
Instrumentalisées par certains, les deux tueries d’El Alia et Ain Abid ont été érigées en surévénements, avec un objectif : masquer l’insurrection du Constantinois et, surtout, dissimuler les terribles représailles qui se sont abattues bien au-delà du mois d’août sur la population civile de la région. La violence a été extrême et générale, partagée par les militaires et les civils engagés dans les groupes d’"autodéfense".
Des représailles à froid
Combien de civils algériens ont péri dans cette répression d’une ampleur démesurée ? Impossible de le dire avec certitude, répond Claire Mauss-Copeaux. Si l’on se fie aux estimations officieuses de militaires français, 7 500 Algériens auraient été tués entre le 20 et le 25 août. Mais cette estimation ne tient compte que des hommes tués au cours des affrontements et des ratissages. "Il ne faut pas oublier les autres victimes, massacrées par les milices ou tuées après le 25 août ", insiste-t-elle.
Quoi qu’il en soit, beaucoup de ces opérations de représailles ont été menées non pas à chaud - comme par ce père d’une famille dont tous les membres avaient été massacrés, mais à froid, par des militaires obéissant aux directives de leur hiérarchie et décimant, pendant plusieurs semaines, des civils sans défense.
Il n’est dans ce cas "plus question d’émotion", mais d’une volonté délibérée "d’écraser le nationalisme adverse" et de terroriser la population algérienne, souligne Claire Mauss-Copeaux. Pour l’historienne, le crime de guerre atteint alors des dimensions exceptionnelles : "Il est proche du crime contre l’humanité."
Florence Beaugé
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