La honte
par Abed Charef
Mercredi 20 Février 2013
Après les honneurs, la déchéance. M. Mohamed Bedjaoui fait désormais partie des symboles honteux qui marqueront l’ère Bouteflika. Il a révélé que l’Algérie a atteint un niveau de corruption insoupçonné. Au sein d’une bande qui comprend notamment M. Chakib Khelil, un opportuniste sans foi ni loi, M. Bedjaoui a fait pire que Khalifa: il a pris le butin, et détruit des symboles et des valeurs morales.
L’Algérie en a même fait un juge international, siégeant fièrement La Haye. Ah ! Qu’on était fier de lui, ce cet homme parti de l’Algérie révolutionnaire pour trôner parmi une élite mondiale qui dit le droit et édicte la norme. Il tranchait dans les conflits entre nations, réglait des contentieux de plusieurs siècles, en poussant à la médiation, disait-on, à l’époque où on lui prêtait une stature
exceptionnelle.
Mohamed Bedjaoui a été tout cela. Et bien plus encore. Il a été le symbole d’une Algérie qui a contribué à détruire un ordre juridique international pour imposer de nouvelles règles, respectant la liberté et la dignité des plus faibles et des plus pauvres. Il a fait l’ébauche d’un droit favorable aux damnés de la terre. Il a prononcé des discours au nom d’un pays pauvre mais fier, tourmenté mais digne. Il a émis des sentences que des justiciables puissants n’osaient remettre en cause, car l’homme parlait au nom de l’Algérie et de tous ses symboles.
Cela, c’était dans une autre vie. Une autre période de l’histoire. Un autre monde. Car le Mohamed Bedjaoui qui se révèle aujourd’hui, à travers des informations de presse, a un autre visage.
Les journaux le décrivent comme un homme corrompu, un homme avide, un petit comploteur fourbe, courant derrière l’argent, et essayant de tout monnayer, qu’il s’agisse de son nom, de sa fonction, de ses relations, de son itinéraire ou de l’histoire de l’Algérie.
Il y a quelques années déjà, la presse avait cité M. Bedjaoui dans le scandale de l’autoroute. Un journal avait fait état d’une commission de trente millions de dollars qu’il aurait perçue pour favoriser les entreprises chinoises. Il était question d’une rencontre à plusieurs, impliquant un célèbre trafiquant international, M. Falcone, et plusieurs ministres algériens pour organiser le partage.
L’affaire n’avait pas eu de suite connue. C’est une tentative de s’attaquer au président Abdelaziz Bouteflika, à travers ses proches, disaient à l’époque les zélateurs du chef de l’Etat. Il est tellement facilement d’évoquer la « guerre des clans » pour expliquer les déboires des uns des autres.
Aujourd’hui, M. Bedjaoui est devenu, avec M. Chakib Khelil, la honte de l’Algérie. Le symbole de la déchéance morale, de la corruption, de la gabegie, de l’échec moral et politique. Il a touché des sommes faramineuses pour favoriser certaines entreprises étrangères. Il a sali les institutions où il a eu à exercer, et jeté le discrédit sur toute sa carrière et sur ceux qui l’ont approché.
Le doute s’est insinué, et personne ne peut plus le dissiper. Plus grave encore, l’homme a montré que non seulement il était corrompu, mais qu’il pouvait aussi prendre position et agir contre les intérêts de son pays. Il l’a fait, en prenant des décisions extrêmement graves. Lors de l’élection du directeur général de l’Unesco, l’Algérie avait arrêté une position, dans un cadre africain et arabe. Mais M. Bedjaoui voulait lui aussi être candidat. Voyant que l’Algérie ne le soutiendrait pas, il s’est porté candidat au nom d’un autre pays, contre la position de son propre pays !
Comment un homme, qui avait été ministre des affaires étrangères de l’Algérie, pouvait-il adopter une telle attitude ? Comment peut-il, du jour au lendemain, devenir le premier adversaire de son propre pays ? Comment peut-il, à l’automne de sa vie, accepter de descendre aussi bas après avoir été aussi haut ?
Grâce à la justice d’un autre pays, pas celle de son pays où il a été ministre de la justice, M. Bedjaoui est aujourd’hui appelé à répondre de ces accusations humiliantes. Mais d’autres questions s’imposent pour un homme qui a atteint son rang. D’un côté, il a été capable de se faire corrompre. D’un autre côté, il lui est arrivé de prendre des positions contraires aux intérêts de l’Algérie. Combien de fois l’a-t-il fait ? Et a-t-il perçu de l’argent en contrepartie ? Etait-il seul, ou bien a-t-il agi avec d’autres personnes capables de trahir l’Algérie ?
D’autre part, M. Bedjaoui a été président de la commission de surveillance des élections présidentielles en 1999, lorsque M. Abdelaziz Bouteflika a été porté au pouvoir. Ce jour-là, les élections ont été truquées, et M. Bedjaoui a été le faux témoin parfait pour soutenir que le vote a été correct, et que M. Bouteflika a été élu. Combien a-t-il perçu en contrepartie ? Et que valent des institutions dans un pays où cet homme a été président du conseil constitutionnel ?
Cet homme restera, en fin de compte, comme le fil rouge de l’ère Bouteflika. Il a été le faux témoin qui l’a porté au pouvoir, puis l’homme qui l’a installé dans de fausses institutions, avant de devenir le symbole de l’impunité et de la gabegie de cette période. Il sera le corrompu qui le trainera dans la boue. Jusqu’à la fin des temps. Car si le temps réussit parfois à arranger certaines choses, il ne peut rien pour d’autres. Chakib Khelil, Mohamed Bedjaoui, l’affaire Khalifa, ça ne s’efface pas.
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