De nombreux amis m'ont téléphoné, d'autres ont envoyé des SMS alors que les plus modernes m'ont interpellés sur Facebook. L'objet de toutes ces sollicitudes, un documentaire de France2, le fleuron de la télévision publique Française et par extension Sioniste "Guerre d'Algérie, la déchirure" du réalisateur Gabriel Le Bomin et de l'historien Benjamin Stora. Je sais déjà que mon attitude de total détachement en aura choqué quelques uns et déçus bcp d'autres. Le 14 mars, lendemain de sa diffusion, de très nombreux collègues et néanmoins amis m'ont également interpellé sans gégène...j'admets volontiers que mon attitude n'a pas fait que des heureux...échaudés depuis très longtemps, autant par le néocolonialisme primaire des médias Français que le révisionnisme avancé et imbécile des médias Algériens, j'ai préféré consacrer ma soirée à regarder un match de foot-ball. Le coloriage des scènes de la guerre faite à mon pays et à mon peuple étaient déjà suffisamment horribles en noir et blanc...je n'allais tout de même pas m'éclater à regarder les nomades de Aïn Abid se faire tirer comme de vulgaires lapins...sous prétexte que la version couleurs allait mettre du rouge vif sur le sang de ces victimes expiatoires...et surtout innocentes. Je fais grâce à Claire Mauss-Copeaux d'avoir définitivement levé le voile sur ces massacres d'innocentes familles de nomades venues des confins sahariens faire paitre leurs troupeaux sur les chaumes coloniales des terres de nos ancêtres. La chasse à l'homme Arabe allait se traduire par l'assassinat voulu, prémédité et exécuté par les ultras et l'armée d'Afrique...comme à travers les autres villes, villages, mechta et douars du Nord Constantinois, la France coloniale, en toute conscience, allait massacrer plus de 12.000 algériens. Même lorsqu'elles ne reflètent qu'une infime part de l'horreur (il y eut plus de700 victimes dans les alentours immédiats d'Aîn Abid-, ces images tournées dans la région sont à ce titre fort éloquentes. Non seulement, les familles entières, sans aucune défense, seront décimées, mais dans sa furie, le colonialisme Français ne se refusera même pas " le plaisir" de graver ces images pour la postérité...comme dans un véritable western...où le Blanc, en bon chrétien, procède à un nettoyage ethnique en tuant dans de terribles convulsions, des Indiens...
Mes amis, ce soir là, je n'avais pas du tout l'âme de téléspectateur en mal de d'images sensationnelles...alors qu'elles ont la preuve concrète du massacre de mes frères...ces images je les ai vu des milliers de fois, parce que je les connais et je les ai vécues dans ma chair...au moment où ce cameramen fixait pour l'histoire ce massacre sans discernement, chez moi, au Béni Mélek, les memes atrocités étaient commise à l'encontre de ma famille...pendant plusieurs jours, j'ai regardé pétrifiés les maisons se consumer... au Béni Mélek, mais également au Zef Zef et aux Carrières Romaines....ainsi qu'à Filfila...j'ai vu pour la première fois les tuiles rouges de nos maisons monter très haut vers le ciel...et je ne comprenais pas ce qui se passait...je n'ai toujours pas compris pourquoi la France, avec son armée nous a fait autant de mal...je croyais bien naïvement que nous étions chez nous et que nous ne voulions de mal à personne...je voyais bien que nos colons de voisins avient plus de terres que nous...ils avient aussi bcp de travailleurs, tous indigènes d'ailleurs....je voyais bien que mon père portait une chéchia tunisienne rouge et que Lucien portait une casquette, tandis que Pépine, un Italien lui aussi portait un béret basque...eux mangeaient du pain qu'ils achetaient chez le boulanger...nous n'avions droit qu'à la galette que ma mère et mes tantes préparaient à tour de role...je voyais bien que nos voisins habitaient dans de grandes maisons avec des fenetres, un balcon et des carreaux aux couleurs vives...tandis que nos maisons étaient faites de terres et de bouses de vaches...avec les colons, nous n'avions que les tuiles de Marseille en partage....trop peu pour etre civilisé...puis voici venue la journée de l'insurrection....une chaleur suffocante que seul le moi d'Aout savait concocter....c'était la semaine qui précède les vendanges....nous venions à peine de finir la récolte de la Madelaine et du Chasselas....les grappes de Gros Noir prenaient leur couleur définitive tandis que le Muscat offrait déjà quelques juteuses et aromatiques baies que mes mains fouineuses allaient chercher à l'ombre des ceps verdoyants...en face, chez les Messina, les interminables alignements de vignobles me faisait languir de jalousie. Les préparatifs des vendanges annonçaient une grande récolte. Depuis plusieurs jours déjà, les ouvriers s'affairaient à préparer les bordelaises. Dans cette vallée du Béni Mélek, le travail du vignoble rythme les saisons. J'aimais par dessus tout la période des vendanges. Lorsque des centaines d'ouvriers, dont certains venus de Touggourt ou de Kabylie, se donnaient rendez-vous dans les fermes des colons. Avec le binage manuel des vignobles et le sulfatage, les vendanges sont très gourmandes en main d'œuvre indigène. En raison de la configuration de la vallée, nous pouvions entendre les discussions, souvent entrecoupées d'injures en kabyle, dont ces ouvriers venus de toutes parts, faisaient un usage immodéré. Puis survint l'insurrection du 20 aout 55...ce jour là, une foule de plusieurs milliers de fellah de la région, armée de serpes, de faux, de faucilles et de quelques fusils son regroupés à l'appel du FLN et vont déferler sur la ville de Philippeville/Skikda...la suite la planète entière va en prendre connaissance....une répression sans limites, 123 victimes chez les pieds-noirs et les militaires et les gendarmes et plus de 12.000 victimes chez la population indigène...ce que le film diffusé par France2 occultera, préférant focaliser, comme au premier jour, sur l'enterrement des victimes d'El Alia...
Seul Benjamin Stora osera parler, en l'attribuant au FLN, du chiffre de 12.000 victimes indigènes...perpétuant ainsi la double amnésie....celle de la France coloniale dont la 5ème république est encore de nos jours l'incarnation....et celle de l'Algérie, qui bien que disposant des archives du FLN, dont l'organisation avait effectué un recensement de l'ensemble des victimes, se refusent à rendre publique ces données irréfutables que même le New York Times daté du lundi 22 aout 1955 en avait rendu compte...Car même en cultivant la naïveté à l'extrême, on peut imaginer que les chiffres du grand tabloïd américain sont puisées aux meilleurs sources...de l'Otan et des services Français...je ne me fais aucune illusion sur les capacités de l'Etat Français, de ses relais médiatiques et de ses hommes politiques de droite et de gauche - petite exception pour certains intellectuels et autres historiens dont l'engagement et l'honnêteté ne sont nullement mis en cause ici- de continuer à se voiler la face et de ne rien faire qui puisse s'apparenter à une reconnaissance des crimes et atrocités commis à l'égard du peuple algérien...la même suspicion vaut à l'égard du système hérité de l'indépendance...une attitude parfaitement compréhensible à la lumière éblouissante des écrits et analyses de Frantz Fanon et des prédictions parfaitement vérifiées de Larbi Ben M'hidi...
Hélas....une grille de lecture que nous sommes plusieurs à partager, comme les deux articles, ... suivants, le premier publié par La Nation et le second est de Brahim Senouci une vieillissante et néanmoins clairvoyante pupille de la nation…
Article de Ahmed Selmane publié dans La Nation
Cinquantenaire : Le révisionnisme est dans l’ADN du régime
Ahmed Selmane
Mardi 13 Mars 2012
Bigeard, Trinquier, Massu, Léger, à l'époque de la bataille d'Alger (1957).
Un documentaire du style « Paris-Match » – fondé sur l’esthétique de l’omission et la cosmétique de la généralisation à outrance – a été diffusé sur France 2, dans la soirée du 11 mars. Le documentaire, « Guerre d’Algérie, la déchirure », a été réalisé par des Français pour un public français et on pourrait ajouter, sans l’ombre d’un doute, d’abord pour une certaine France en mal de réhabilitation morale face à sa « grande œuvre » algérienne. L’insertion de quelques images inédites ne change rien au fait que cette énième compilation d’archives, n’apporte rien de vraiment inédit ; la colorisation d’images donne surtout l’impression qu’on a fait du neuf avec du vieux. Et osons le dire, il ne choque même pas de ce côté de la Méditerranée. Bien entendu, ce documentaire de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora, respecte strictement la ligne officielle. Nicolas Sarkozy, en campagne chez les pieds noirs et les harkis à Nice, en a rappelé le principe essentiel : « Il y a eu des abus. Des atrocités ont été commises, de part et d'autre ». Et le tour est joué, victimes et bourreaux sont logés à la même enseigne, en attendant de ces victimes qu’elles présentent des excuses… Le documentaire relève bien de ce relativisme mensonger qui conduit les historiens sérieux à prendre leurs distances avec Benjamin Stora, spécialiste médiatique exclusif (embedded ?) de l’histoire de l’Algérie. Ce documentaire, présumé historique, ne rentrera donc pas dans l’Histoire. Mais, pour nous Algériens, il n’est pas totalement sans utilité. Il révèle à quel point le régime algérien, à force de s’éloigner des valeurs du mouvement national, en mettant en place un système antidémocratique et brutal, a fait le lit du révisionnisme néocolonial. La dictature, la torture, la corruption, le mépris du peuple au nom de l’anti-populisme… font partie de l’hallucinant bilan du cinquantenaire du régime. Et c’est cela qui permet, aujourd’hui à la France officielle de solder, dans la fiction, l’histoire, tout en s’érigeant en donneur de leçons. La commémoration du cinquantenaire, en France, ne se rapporte pas à la réalité des faits avérés de l’ordre colonial, des enfumades inaugurales au napalm de clôture en passant par la dépossession et la clochardisation d’un peuple tout entier. Au contraire, par occultation sélective et formulations sibyllines, les faits sont systématiquement distordus. Pour aboutir à une authentique forfaiture. Laquelle n’est rendue possible que par la faiblesse politique et morale d’un régime algérien contraint d’aller au-delà des conseils, de « modération » en matière de commémoration, énoncés par le ministre français des affaires étrangères. Sans que cela ne choque personne chez nos « gardiens de la patrie »… Ici, on ne célèbre rien, on se contente de regarder passer silencieusement le train du révisionnisme. Commémorer cinquante ans d’indépendance, c’est bien entendu parler du combat des Algériens pendant un siècle et plus ; mais c’est aussi immanquablement interpeller ceux qui ont confisqué le pouvoir et mis la population sur la touche, sur l’usage qui a été fait de l’indépendance, sur le respect des engagements et des valeurs du mouvement national, sur la gestion privative du bien commun, sur la reproduction de pratiques éhontées combattues, au prix fort, par les militants de la liberté. C’est cela la génétique du révisionnisme, parfois subtil, souvent grossier, qui s’exprime en France, là où le cinquantenaire de l’indépendance est marqué «sans complexe » aucun, avec la certitude que ceux qui sont en place, en Algérie, sont trop faibles moralement et politiquement pour dire les choses avec l’éclat d’un Franz FANON, ou la concision d’un Larbi BENMHIDI offrant d’échanger les couffins des femmes d’Algérie contre quelques avions de la très civilisée OTAN. Ces célébrations qui n’en sont qu’à leur début – et qui in fine sont dans le droit fil de la théorie abjecte des « bienfaits de la colonisation » - démontrent le niveau de nuisance atteint par le système. Il ne se limite pas à détourner la rente pétrolière vers des usages privatifs et à faire fuir, régulièrement, les compétences que le pays forme. En portant atteinte à ce qui constitue la conscience nationale, il permet une insidieuse dilapidation de l’histoire. Il offre une opportunité, à un négationnisme de boutiquiers-historiens, de s’exprimer sans crainte d’être contestés. Le documentaire de France 2 en est une des plus éloquentes expressions. D’autres viendront, sans nul doute, pour maquiller l’histoire et dénaturer le présent. Ici, on « modère » comme l’a exigé Alain Juppé. Et pour ne pas se tromper dans l’art de « modérer » l’expression, on se tait. On ne dit rien, de crainte d’un retour de bâton. On laisse quelques-uns évoquer, de manière approximative une curieuse « repentance » dont les Algériens n’ont que faire. On est « modérés » donc on est silencieux. Et on laisse dire, dans la veulerie, que la guerre d’Algérie, ce ne furent que des violences et abus, de « part et d’autre ».
Article de Brahim Senouci
Algérie-France : réconciliation impossible ?
Il y a cinquante ans, l’Algérie accédait à l’indépendance. Cent-trente-deux années de colonisation et de massacres féroces ont trouvé leur terme dans une dernière explosion de violence. Depuis, les dirigeants algériens et français tentent, sans succès, de trouver la voie vers une relation apaisée, voire amicale. La tentative de Jacques Chirac, du temps de sa présidence, d’établir un traité d’amitié entre les deux pays, constitue le dernier échec en date.
Les raisons ne manquent pas.
La plus généralement invoquée est l’instrumentalisation de cette question par la classe politique des deux rives. A l’évidence, la normalisation des rapports entre la France et l’Algérie ne saurait relever stricto sensu de la politique étrangère des deux pays. Elle a un impact lourd sur les enjeux intérieurs. Dans un tel cas, on sait depuis longtemps que l’immobilisme constitue le plus sûr des refuges pour les dirigeants politiques. Cette explication reste sans doute trop courte.
La violence extrême de l’invasion coloniale et de la guerre d’Indépendance est également mise en avant. Elle aurait engendré un tel fossé, soulignent certains, qu’il faudrait des décennies pour le combler. L’exemple de la réconciliation franco-allemande, intervenue peu de temps après la fin de la boucherie de la Seconde Guerre Mondiale, milite contre cette hypothèse.
Que l’on permette à l’Algérien que je suis de proposer un point de vue.
Deux digressions…
Dans les années quarante, la ségrégation était pratiquée officiellement aux Etats-Unis. L’armée n’y échappait pas. Le corps expéditionnaire dépêché en Europe à l’époque y était soumis. Les campements comportaient ainsi des toilettes pour les Blancs et des toilettes pour les Noirs. Les prisonniers allemands avaient accès aux toilettes pour les Blancs. Leur couleur leur donnait ainsi une supériorité sur les soldats noirs d’une armée dont la mission était, en principe, de libérer l’Europe de l’emprise allemande…
Le 8 mai 1945, le monde vivait dans l’exaltation de la fin du nazisme. L’avenir était paré des plus belles couleurs, celles de la démocratie, de la justice, de l’égalité. Le monde y croyait, du moins le monde libre, pas celui des damnés de la terre qui vivaient sous le joug colonial et qui étaient exclus de cette vision édénique. Pour preuve, le jour même de la victoire sur le nazisme, le gouvernement français mettait à mort des dizaines de milliers d’Algériens, dans la plus gigantesque, la plus barbare, la plus aveugle des ratonnades… Très peu de voix s’élevèrent à l’époque pour pointer la concomitance temporelle entre l’ouverture supposée d’une ère nouvelle et la perpétration de ce massacre.
Ces deux digressions illustrent l’existence d’une grille de lecture occidentale qui transcende les frontières géographiques au profit de frontières mentales. Le premier exemple montre ainsi un télescopage entre l’ennemi égal (l’Allemand) et le compatriote inférieur (le Noir). Ainsi, le fracas de la guerre n’empêche pas que la paix s’inscrive comme une suite évidente du silence des armes. La réconciliation franco-allemande était inéluctable puisqu’à Paris, on n’a jamais cessé de lire Goethe ou Schopenhauer et d’écouter Beethoven pendant qu’à Berlin, Diderot et Voltaire trônaient sur les chevets et que Debussy régnait sur les gramophones. A l’inverse, l’attitude vis-à-vis de minorités nationales, perçues comme porteuses d’un imaginaire étranger, est marquée par la méfiance, voire l’hostilité. Aux Etats-Unis, la question noire, bien qu’ayant perdu de son acuité, demeure prégnante. Pour s’en persuader, on peut débusquer sans trop de mal les relents de racisme qui imprègnent les critiques vis-à-vis d’Obama dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a guère bousculé l’establishment étatsunien. En France, retenons deux faits entre mille. Après la première guerre mondiale, un ossuaire a été érigé à Douaumont en 1921. Il comportait les dizaines de milliers de noms des soldats morts sur le champ de bataille. Aucun patronyme à consonance africaine ou arabe n’y figure. Pourtant, des dizaines de milliers de fantassins issus des colonies sont morts dans les combats. A la fin de la seconde guerre mondiale, l’armée d’Afrique qui s’était illustrée lors du débarquement de Provence a été blanchie. Après avoir remporté la victoire, ses soldats noirs et arabes ont été remplacés par des Blancs. Il fallait éviter de voir défiler sur les Champs-Elysées une armée trop colorée. La victoire devait être blanche…
Même des esprits réputés libres ne sont pas exempts de cette attitude. Au 19ème siècle, les exemples sont légion, du doux Victor Hugo s’indignant devant les exactions commises contre les Arabes, tout en rappelant que la barbarie est africaine, à Tocqueville approuvant les massacres et l’incendie des villages. Plus près de nous, Albert Camus manifestait certes de la compassion à l’égard des Algériens ; pour autant, cette compassion n’allait pas jusqu’au soutien à leur lutte de libération. Il ne s’est manifesté que pour condamner la violence d’où qu’elle vienne, mettant sur le même plan celle de l’oppresseur et celle de l’opprimé. Il était sans aucun doute de bonne foi. C’est bien cela le plus choquant. Sa structure mentale lui interdisait de penser l’indigène comme un acteur possible de son propre destin.
En fait, il faisait partie de ces nombreux amis condescendants que Hannah Arendt détestait autant que les ennemis malveillants. Cette profession de foi n’a pas empêché la philosophe juive de tomber dans le même travers. Elle avait adopté le selber denken, le penser par soi-même qu’elle estimait inséparable du penser en se mettant à la place de tout autre. Cette attitude indépendante lui a valu d’encourir les foudres de l’écrasante majorité de la communauté juive, notamment après son livre-reportage sur Eichmann dans lequel elle pointait la célèbre thèse de la banalité du mal. Ses positions publiques contre l’Etat juif auquel elle préférait l’Etat binational y ont également contribué. Néanmoins, son inconscient parle même quand elle déclare son soutien aux Palestiniens. Elle appelle ainsi à l’édification d’un Etat dans lequel les Arabes apporteraient leur contribution à l’œuvre de construction par les Juifs de la Palestine. Elle s’est donc arrêtée sur le chemin qui mène du penser par soi-même au penser en se mettant à la place de tout autre. Reconnaissons toutefois son immense mérite de l’avoir ouvert.
Dans l’inconscient collectif de l’Occident, il s’agit d’un impensable, sauf s’il s’applique à l’intérieur de sa propre sphère. Un Français pourra ainsi aisément s’identifier à un Allemand ou à un Etasunien. Que l’on se souvienne de l’éditorial de Jean-Marie Colombani dans le Monde daté du lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Le titre se suffit à lui-même : « Nous sommes tous des Américains ». Il aurait pu faire des variations infinies autour de cet intitulé. Nous aurions eu droit ainsi à : Nous sommes tous des Irakiens, après les dizaines de milliers de morts qui ont suivi la « libération » de l’Irak, ou Nous sommes tous des Congolais après les millions de morts du Kivu, voire Nous sommes tous des Palestiniens après le massacre de Gaza. Ce n’était tout simplement pas possible : les Irakiens, les Congolais, les Palestiniens sont dans une altérité, une infériorité qui supprime toute possibilité de se mettre à leur place.
L’Algérie s’apprête à fêter le cinquantième anniversaire de son indépendance. Fêter est un bien grand mot. Pour l’heure, le mot d’ordre semble être curieusement la discrétion. Cela aurait pourtant été l’occasion de rassembler le peuple, au-delà de tout ce qui le divise, en lui proposant de revisiter son histoire récente. Rêvons un peu : Cela aurait été surtout l’occasion d’en finir avec un discours mortifère qui attribue à la colonisation tous les bienfaits ! Un sentiment très (trop) largement répandu au sein de la population relaie la thèse pied-noir du paradis perdu. Cette commémoration aurait eu pour mérite de montrer la colonisation sous son vrai visage, celui des coupeurs de têtes, des enfumades, des emmurements, qui l’ont rythmée. On aurait su ainsi que des millions de gens ont été massacrés de différentes façons depuis 1830 jusqu’en 1962. Les Algériens auraient appris ce qu’ils ne savent pas nécessairement puisque personne ne le leur dit, à savoir qu’à la veille de l’indépendance, ils étaient analphabètes à 90 %, que leur espérance de vie était inférieure de 25 ans à celle de leurs « compatriotes » Français. Ils auraient appris les villages de regroupement, les camps d’internement, les grandes famines comme celle de 1926 dans laquelle un quart de la population disparut. Une occasion de ratée, une de plus ?
De ce côté-ci de la Méditerranée, on met les bouchées doubles. Malgré la campagne électorale, l’Algérie se taille la part du lion dans les médias, notamment publics. C’est qu’il s’agit de profiter du silence officiel algérien pour faire avancer la thèse française. En réalité, l’Algérie n’est qu’un prétexte. Elle n’est montrée que comme une parenthèse dans la longue Histoire de France. Même si les paysages sont Algériens, les acteurs sont Français. On s’acquitte rapidement du devoir de vérité en montrant des soldats indifférents assassinant des paysans dans l’Est algérien, paysans dont on ne verra pas les traits. En revanche, les visages des soldats sont montrés plus souvent qu’à leur tour. On les verra dans les bras de leurs mères, embrassant leurs fiancées en pleurs avant de monter sur le pont du navire qui les emmène vers Alger. On les retrouve sur la route de Lakhdaria (ex Palestro), effrayés mais juvéniles et le teint frais. On nous annonce en voix off qu’ils mourront dans quelques jours dans une embuscade. Si je n’avais pas été Algérien moi-même, peut-être que j’aurais réagi comme au spectacle des vieux westerns où je prenais parti pour les cow-boys contre les méchants Indiens. Les mêmes recettes, largement éprouvées, sont mises en œuvre dans ces prétendus documentaires. Quand on voit des Algériens, il s’agit soit d’une masse informe, vociférante, soit l’ombre d’un paysan marchant courbé sous son turban. Les Français nagent, dansent, s’inquiètent. Il en est même qui compatissent, ou tout au moins se posent des questions sur la misère indigène. Cela ne dure pas. L’essentiel est consacré aux tourments moraux des soldats et aux intrigues politiques qui secouent le cénacle français…
Surprenant ? Certes non. La guerre du Vietnam s’est arrêtée sous la pression de l’opinion publique aux Etats-Unis, nous dit-on. C’est faire bon marché de l’héroïque résistance du peuple vietnamien ! Disons que la pression populaire étasunienne y a contribué. Sage réaction d’un peuple désireux de retrouver les chemins d’une morale mise à mal par son armée ? Pas vraiment. 50.000 GI sont morts au cours de cette guerre. Les télévisions montraient tous les jours des cercueils en provenance du Vietnam. L’opinion a définitivement basculé au 50.000ème ! Il y eut dans le même temps 5.000.000 de morts vietnamiens. Ceux-là n’émouvaient pas grand monde… Bush fils s’en est souvenu. A l’époque de son expédition en Irak, il avait interdit aux journalistes de filmer les cercueils de soldats étasuniens. En revanche, ils avaient toute latitude pour montrer les cadavres d’Irakiens, qui se comptaient, se comptent encore en dizaines, voire en centaines de milliers, sans troubler la conscience du monde dit « civilisé »
Revenons au sujet de l’article.
La réconciliation entre l’Algérie et la France ne doit pas être l’alpha et l’oméga de la politique algérienne. En tout cas, il est hors de question de s’installer dans une demande permanente qui s’apparente à la quête de l’aumône d’une excuse de la part de l’ancienne puissance coloniale. L’Algérie doit travailler à se constituer, trouver enfin la voie vers la modernité et le développement. Quand ce jour sera venu, elle sera en situation d’exiger avec force le réexamen du passé.
Pour autant, il n’est pas interdit de s’interroger sur les raisons profondes qui ont conduit à la faillite des démarches visant à « rabibocher » les deux nations. L’examen de cette faillite montre qu’elle a des résonances universelles.
Le principal empêchement à la réconciliation entre l’Algérie et la France réside dans l’incapacité française à éprouver de l’empathie vis-à-vis de ses anciens sujets. Pire encore, alors que les décennies qui ont suivi l’indépendance algérienne ont vu un recul du colonialisme, celui-ci retrouve des couleurs au moment où le monde semble basculer vers un nouvel ordre. Le discours occidental retrouve (mais les a-t-il jamais perdus ?) des accents très 19ème siècle. Du discours de Dakar à la libération de la parole raciste, le sentiment de supériorité de l’Occident, mis en veilleuse à la suite du mouvement de décolonisation, retrouve voix au chapitre. Le spectacle de divisions de l’OTAN investissant des pays arabes ou africains n’est plus une vue de l’esprit. Visiblement, des penseurs occidentaux pensent que la crise que traverse l’Empire peut être résolue par l’aventurisme, la guerre et la rapine coloniale. Seul problème, la configuration du monde a changé. De nombreux acteurs ont émergé. La prééminence occidentale est de fait remise en cause et son primat fortement contesté. Si l’Occident cédait à ses démangeaisons historiques, les conséquences seraient autrement plus importantes qu’au 19ème siècle. Crispation passagère ou lame de fond ? La réponse à cette question conditionne la suite de l’histoire. La manière dont l’Algérie et la France solderont le passé colonial préfigurera le monde de demain, un monde de guerre de tous contre tous, ou de paix dans une égalité élargie aux confins de la Terre.
Je n'aime pas du tout quand les documentalistes et les auteurs de la narration mettent au même pied d'égalité la violence répressive et exterminatrice de l'armée coloniale et les quelques rares dépassements de nos maquisards. Je ne légitime pas le crime mais celui de la France coloniale est incomparable. Elle a utilisé des méthodes inhumaines, les plus abjectes, expérimentées sur les indiens d’Amérique, puis par les nazis et enfin dans la guerre d’Indochine.
RépondreSupprimerIL est aussi vrai que la France avait été ingrate avec ses harkis et ses pieds noirs, elle ne les a pas protégés contre la colère d’un peuple qui venait de sortir d’un cauchemar. Quant aux juifs d’Algérie, la France et le mouvement sioniste les ont induits en erreur. Et puis dans une telle guerre il n’y a pas de neutralité, chacun a choisi ou a été forcé de choisir son camp.
Enfin, La France actuelle doit reconnaitre les crimes antécédents et ses violations de tous les droits humains, convention de Genève, déclaration des droits de l’homme et la charte de l’ONU. Elle l’a fait pour le régime de Vichy pour sa complicité avec le régime nazi par la déportation des Juifs et aussi sa repentance à Israël au nom des juifs déportés.
MOUATS HAFID, de Skikda.
Bon article
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